Chili : état d’exception décrété en terre mapuche !

Le président chilien, Sebastián Piñera, vient de décréter l’état d’exception dans quatre provinces  situées en territoire Mapuche. À moins d’un mois de l’élection présidentielle et avec un candidat du parti au pouvoir en baisse dans les sondages, prendre la sécurité et la violence comme chevaux de bataille fait partie des armes politiques traditionnellement dégainées  pour affronter les moments difficiles …

Chili : l’état d’exception décrété dans deux régions du Sud

Le président du Chili, Sebastian Piñera, a décrété mardi l’état d’exception dans deux régions du sud du pays, théâtres d’un conflit avec des autochtones mapuche, qui revendiquent la restitution de leurs terres ancestrales. « Nous annonçons aujourd’hui (…) que nous avons décidé de décréter l’état d’exception » dans quatre provinces des régions de Biobio et de l’Araucanie (sud), situées à 600 km au sud de Santiago, a déclaré le président Piñera.

L’annonce a été assortie d’un déploiement militaire : cela « comprend la désignation de chefs de la Défense nationale » qui seront responsables de rétablir l’ordre public qui souffre de « graves perturbations », a-t-il ajouté. Les militaires, présents dans ces deux régions, participeront au maintien de l’ordre, en fournissant un appui logistique à la police et en participant à des patrouilles.

Cette annonce a été faite à l’occasion d’un bref message à la nation, le jour même où l’Amérique latine, sur fond de polémiques avec les peuples autochtones, commémore l’arrivée du navigateur espagnol Christophe Colomb en 1492. « Sont de notoriété publique les graves et répétés actes de violence liés au trafic de drogue, au terrorisme et au crime organisé, commis par des groupes armés » dans ces quatre provinces où sont mortes « des personnes innocentes » et des policiers, a ajouté le président conservateur.

L’état d’exception est pour l’heure décrété pour quinze jours dans les provinces de Biobio, Arauco (région de Biobio), Malleco et Cautin (région de l’Araucanie). La mesure, qui requiert un vote au Parlement pour être prolongée au-delà d’un mois, « n’est en aucun cas dirigée contre un peuple ou un groupe de citoyens », a assuré Sebastian Piñera.

Un combat pour la restitution de terres

Les Mapuche, soit 1,7 million de personnes sur 19 millions de Chiliens, surtout présents dans le Sud, réclament de longue date la restitution de leur terres aux mains de propriétaires terriens ou de forestiers. Face à l’impasse, le conflit a entraîné ces dernières années une escalade de la violence, avec des vagues d’incendies criminels sur des propriétés privées par des groupes militants.

Dimanche, des affrontements ont éclaté à Santiago entre manifestants et forces de l’ordre au cours d’une « Marche pour la résistance mapuche et l’autonomie des peuples », faisant un mort et 17 blessés.

La présence de réseaux de trafiquants de drogue et d’organisations d’autodéfense a été mise en évidence, ainsi que des manipulations policières destinées à piéger les populations autochtones. « Le gouvernement a été incapable de mettre en œuvre une politique efficace et équitable » pour régler le conflit et la militarisation pourrait provoquer « une escalade de la violence », a dénoncé auprès de l’AFP la politologue Lucia Dammert, de l’Université de Santiago. Le gouverneur de l’Araucanie, Luciano Rivas, membre du parti au pouvoir, a dit soutenir la mesure, évoquant « une crise sécuritaire très profonde » dans sa région.

Les revendications des Mapuche, dont beaucoup vivent dans la pauvreté, ont commencé à émerger dans le débat public à la fin de la dictature (1973-1990). Elles ont gagné en force après la vague de contestation sociale qui a secoué le Chili fin 2019. L’Assemblée constituante, mise en place en juin, est présidée par une universitaire mapuche et 17 de ses 155 membres sont des représentants des dix peuples autochtones du Chili. Mais certains dirigeants mapuche doutent que la nouvelle Constitution réponde à leurs demandes de restitution de terres et d’autodétermination.

Au XVIe siècle, les Mapuche ont résisté à l’expansion des Espagnols. En 1870, ils ont été soumis par l’armée chilienne, qui a commencé à installer des colons sur leurs terres. Biobio et l’Araucanie sont des régions fertiles de plus de 55 000 km2 où vivent 2,7 millions de personnes.

Avec AFP


Pour comprendre la longue lutte des Mapuche pour leurs terres …

Un reportage de 16’56 » réalisé en octobre 2018 signé Ingrid Piponiot et Vincent Rimbiaux diffusé par France 24 le 

Dans le sud du Chili, le conflit historique qui oppose les indigènes Mapuche aux forces de l’ordre se radicalise : incendies, menaces et confrontations armées se sont multipliés ces derniers mois. À tel point que les autorités n’hésitent pas à parler de « terrorisme » dans la région, et font usage de la force pour mater la rébellion. Des pratiques largement condamnées par l’ONU et les défenseurs des droits de l’Homme.

Les reporters de France 24 se sont rendus à Temuco, dans le sud du Chili, bastion historique de la lutte des Mapuche, un peuple indigène qui représente 10 % de la population chilienne. Depuis l’arrivée des colons espagnols au XVIe siècle, les Mapuche ont perdu 95 % de leur territoire dit ancestral, aujourd’hui principalement aux mains de grands groupes qui exploitent les ressources forestières et hydrauliques.

Peu convaincus par les maigres concessions territoriales de l’État chilien dans les années 1990, certains groupes d’activistes indigènes se sont radicalisés, allant jusqu’à réclamer l’autonomie. Ils ont pris pour cible les entreprises installées sur des territoires revendiqués par leur communauté. À force de sabotages de machines et d’incendies volontaires, ces groupes masqués ont instauré un climat de peur dans la région.

L’occupation territoriale, principale arme de résistance

Nos journalistes sont allés à la rencontre des activistes autonomistes radicalisés, qui, malgré leur grande médiatisation, ne représentent qu’une petite minorité de la population mapuche. Extrêmement méfiants, ils refusent catégoriquement tout entretien devant des caméras. Nous avons tout de même obtenu un accès rare à Héctor Llaitul, leader de la principale organisation autonomiste, la CAM.

Hormis ces groupes de résistance radicalisés, la majorité des communautés mapuche vivent de façon pacifique – bien qu’illégale – sur des terres privées appartenant à des entreprises forestières ou hydrauliques. Plus que les sabotages et les incendies, l’occupation territoriale est devenue l’arme principale de la lutte mapuche. Ces communautés espèrent gagner leur combat contre les propriétaires terriens par l’usure, au risque d’être délogées par les autorités.

Dialogue de sourds

Mais pour faire face aux revendications des Mapuche, l’État chilien a mis en place une répression systématisée. Aujourd’hui, la région est fortement militarisée. Des voitures blindées, parfois accompagnés de chars ou d’hélicoptères, patrouillent quotidiennement sur les chemins d’accès aux communautés. Les Mapuche sont régulièrement confrontés à la justice, qui leur oppose la loi antiterroriste, héritée de la dictature de Pinochet.

Durant ce tournage, nos reporters ont parfois eu l’impression d’être face à un dialogue de sourds. La lutte ne cesse de s’enflammer, pourtant ni les activistes autonomistes mapuche, ni les autorités chiliennes ne se montrent ouvertes à la négociation. À l’heure actuelle, aucune brèche en faveur de la paix ne semble se dessiner.


Lire par ailleurs

L’ article signé José Martín publié dans Le Courrier International du 
À Santiago du Chili, lors d’une manifestation de militants mapuches qui a fait un mort et dix-sept blessés, le dimanche 10 octobre. PHOTO / IVAN ALVARADO / REUTERS
À Santiago du Chili, lors d’une manifestation de militants mapuches qui a fait un mort et dix-sept blessés, le dimanche 10 octobre. PHOTO / IVAN ALVARADO / REUTERS

Le Chili déclare l’état d’urgence dans des zones amérindiennes mapuches

Mardi 12 octobre, le président chilien, Sebastián Piñera, a décrété l’état d’exception dans quatre provinces du sud du pays situées dans des territoires des Mapuches, peuple amérindien qui lutte depuis longtemps pour son autonomie et la restitution de ses terres.

À quelques semaines des élections présidentielle et législatives du 21 novembre, le chef de l’État chilien, le conservateur Sebastián Piñera, a décrété l’état d’urgence dans quatre provinces des régions du Biobío et de l’Araucanie.

Des provinces situées dans le territoire historique des Mapuches, un peuple amérindien avec lequel les relations s’étaient à nouveau tendues ces dernières semaines, même si Sebastián Piñera s’est bien gardé de les citer.

Repris notamment par le site de BioBíoChile, il a dénoncé “des actes de violence qui ont causé la destruction de maisons, d’églises, d’équipements industriels et agricoles, et de nombreuses installations et infrastructures publiques”. Avant de préciser :

L’état d’exception est prévu par la Constitution, et il a été décrété aujourd’hui afin de mieux lutter contre le terrorisme, le narcotrafic et le crime organisé. Il n’est dirigé en aucun cas contre un peuple particulier ou des groupes de citoyens pacifiques.”

L’état d’urgence doit durer quinze jours, prolongeables une fois et éventuellement  plus, mais avec l’accord du Congrès. Il prévoit notamment d’envoyer des renforts militaires dans les zones concernées, mais simplement en appui de la police et des carabiniers.

“Les missions des forces armées dans ces zones porteront sur quatre volets : la dissuasion, la surveillance, le transport et la logistique”, écrit le quotidien La Tercera, qui signale que l’armée a déjà “envoyé un hélicoptère, dix véhicules blindés et doublé ses effectifs dans les provinces concernées” pour les porter à 900 hommes.

Attaque d’une exploitation forestière

Une partie des organisations mapuches revendique depuis longtemps plus d’autonomie, la restitution de leurs territoires et la fin des grandes exploitations forestières sur ces mêmes territoires. Le quotidien El Mostrador signale une “première attaque incendiaire à Traiguén [Araucanie] après l’annonce de l’instauration de l’état d’urgence : trois camions et quatre machines forestières ont été détruits”.

Selon la version des carabiniers, “six individus cagoulés et portant des armes à feu ont menacé les ouvriers forestiers, puis versé un liquide inflammable sur plusieurs machines. Ils sont repartis en tirant des coups de feu en direction des ouvriers”.

Dimanche 10 octobre, des affrontements ont éclaté à Santiago entre manifestants et forces de l’ordre lors d’une Marche pour la résistance mapuche et l’autonomie des peuples, faisant un mort et dix-sept blessés.

Mercredi 6 octobre, relate BioBíoChile, dans une vidéo, “un groupe armé appartenant à la Resistencia Territorial Mapuche a sillonné les alentours de la ville de Collipulli [Araucanie] pour […] faire savoir qu’il était prêt à résister par les armes”.

“Personne ne nie l’augmentation des actes de violence autour d’Arauco et en Araucanie, où le décret d’exception déclarant l’état d’urgence devrait entrer en vigueur, écrit El MostradorLe problème, c’est le moment où il intervient, ainsi que ses conséquences et ses motifs.” Et le quotidien en ligne ajoute :

À moins d’un mois de l’élection présidentielle, avec un chef d’État sortant visé par une enquête pour corruption [dans l’affaire des Pandora Papers] et le candidat du parti au pouvoir en baisse dans les sondages, prendre la sécurité et la violence comme chevaux de bataille fait partie des armes politiques traditionnellement dégainées par son camp pour affronter les moments difficiles.”

José Martín