L’État français condamné pour inaction climatique …

Dans son jugement sur « l’Affaire du Siècle », prononcé ce 3 février 2021, le tribunal administratif de Paris reconnaît la responsabilité de l’État français dans la crise climatique et juge illégal le non-respect de ses engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’État est également reconnu responsable de “préjudice écologique”. Les ONG requérantes dans l’Affaire du Siècle se félicitent de cette première victoire …

La Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace France et Oxfam France espèrent un jugement plus historique encore au printemps : l’État pourrait être condamné à prendre des mesures supplémentaires sur le climat.
Une vidéo de 2’43 » …

Pour les organisations de l’Affaire du Siècle : “Plus de deux ans après le début de notre action, soutenue par 2,3 millions de personnes, cette décision marque une première victoire historique pour le climat et une avancée majeure du droit français. Ce jugement marque aussi une victoire de la vérité : jusqu’ici, l’État niait l’insuffisance de ses politiques climatiques, en dépit de l’accumulation de preuves (dépassement systématique des plafonds carbone, rapports du Haut Conseil pour le Climat, etc.). Alors que le nouveau projet de loi Climat de ce gouvernement est, de son propre aveu, insuffisant pour atteindre les objectifs fixés [1], nous espérons que la justice ne se limitera pas à reconnaître la faute de l’État, mais le contraindra aussi à prendre enfin des mesures concrètes permettant a minima de respecter ses engagements climatiques.”

Pour la première fois, l’État français reconnu fautif en matière de lutte contre les changements climatiques

La justice a tranché : l’État français commet une faute en n’adoptant pas les mesures suffisantes pour lutter contre les changements climatiques et réduire les émissions de gaz à effet de serre, conformément aux objectifs qu’il s’est lui-même fixés. C’est la première fois que la justice reconnaît que la France est responsable d’inaction climatique.

Avec cette reconnaissance de la faute de l’État, toutes les victimes directes des changements climatiques en France pourront désormais se tourner vers la justice et s’appuyer sur ce jugement pour demander réparation des préjudices qu’elles subissent. L’État va enfin devoir assumer les conséquences de décennies d’inaction sur le climat.

L’inaction climatique de l’État porte atteinte à l’environnement
Le Tribunal a également reconnu le préjudice écologique, c’est-à-dire les dommages causés à l’environnement, par le dépassement par la France de ses plafonds annuels d’émissions de gaz à effet de serre. C’est une première en droit français : avec cette décision, le tribunal administratif estime qu’une personne publique, au même titre qu’une personne privée, peut être tenue responsable d’un dommage causé à l’environnement.

L’État bientôt contraint par la justice à réparer les conséquences de son inaction ?
Une nouvelle décision du Tribunal au printemps [2] pourrait condamner l’État à prendre des mesures supplémentaires pour lutter concrètement et efficacement contre la crise climatique. La reconnaissance de la faute que constitue son inaction climatique était une condition indispensable pour contraindre l’État à agir. Cette première étape historique désormais franchie, la justice doit maintenant statuer sur la façon dont l’État doit s’y prendre pour mettre fin à ses actions illégales, et, au-delà, réparer les dommages causés par les gaz à effet de serre émis en trop, par rapport à ses objectifs.

Notes aux rédactions

Le Tribunal a également reconnu le préjudice moral causé par l’inaction de l’Etat aux quatre organisations co-requérantes (Notre Affaire à Tous, la Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace France et Oxfam France).

Le jugement du Tribunal administratif de Paris

1. Une étude d’impact réalisée par le gouvernement lui-même montre que la loi ne permettra de n’atteindre que la moitié, voire les deux tiers des objectifs

2. Le Tribunal a rouvert l’instruction pour deux mois afin de permettre à l’Etat et aux ONG d’échanger de nouveaux arguments sur la réparation du préjudice écologique

Cette seconde décision pourrait intervenir après le jugement du Conseil d’État attendu dans le dossier porté par la commune de Grande-Synthe et soutenu par l’Affaire du Siècle, dans lequel il est demandé à l’État de prouver qu’il pourra se conformer à ses objectifs climat à l’horizon 2030 [3]. En l’absence de preuves satisfaisantes apportées par l’État, le Conseil d’État pourrait le condamner à prendre des mesures supplémentaires.

3. La décision du Conseil d’État du 19 novembre 2020 dans le dossier Grande-Synthe


Affaire du siècle : l’État condamné pour inaction climatique

Un article de Justin Carrette et Alexandre-Reza Kokabi   paru dans Reporterre du 3 février 2021 …

Victoire pour les organisations requérantes de l’Affaire du siècle : mercredi 3 février, l’État français a été reconnu coupable d’inaction climatique. Le tribunal enjoint à l’État de prendre « toutes les mesures permettant d’atteindre les objectifs que la France s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre ».

« Aujourd’hui, on est 2,3 millions de personnes à avoir gagné. Cette décision met fin au débat : non, l’État n’en fait pas assez pour lutter contre le réchauffement climatique ! » Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France, l’une des associations requérantes, affiche un grand sourire en conférence de presse. Le mercredi 3 février, le tribunal administratif de Paris a rendu une décision historique. La juridiction a enjoint à l’État de prendre « toutes les mesures permettant d’atteindre les objectifs que la France s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre », et ce « afin de faire cesser pour l’avenir l’aggravation du préjudice écologique constaté ».

Décision du tribunal administratif de Paris

Le tribunal administratif de Paris a condamné l’État à verser aux quatre organisations requérantes — Oxfam France, Notre affaire à tous, la Fondation pour la nature et l’Homme et Greenpeace France — la somme d’un euro chacune en réparation de leur préjudice moral. Les demandes de versement d’un euro symbolique en réparation du préjudice écologique ont, en revanche, été rejetées.

Il s’agit « d’un jugement « avant-dire droit », a précisé l’avocat Arnaud Gossement sur Twitter. Le jugement définitif sera rendu après un supplément d’instruction de 2 mois. Il faut attendre ce 2e jugement pour savoir s’il sera « historique » ». Les associations demandaient en effet au tribunal d’enjoindre à l’État d’adopter des mesures concrètes pour lutter contre le changement climatique. Pour le tribunal, « l’état de l’instruction ne permet pas (…) de déterminer avec précision les mesures qui doivent être ordonnées à l’État à cette fin ». La juridiction laisse donc deux mois aux ministres compétents pour fournir des « observations non communiquées » lors de l’instruction et prouver qu’il agit. Pour Cécile Duflot, « un nouveau débat de deux mois s’ouvre sur l’injonction de l’État à agir. Le tribunal ne peut pas se substituer à lui, mais peut le pousser à agir, notamment avec des décrets, circulaires ou projets de loi ».

Les conclusions du tribunal administratif de Paris vont en tout cas au-delà des réquisitions de la rapporteuse publique. Durant l’audience, elle avait déjà constaté « la carence de l’État à adopter des mesures publiques contraignantes », dont résulte « un surplus annuel d’émissions de gaz à effet de serre qui aggrave le préjudice écologique ». La présentation de ses conclusions avait été largement étayée par des données scientifiques, notamment les derniers rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Le non-respect de la trajectoire que s’est lui-même fixée l’État, transcrite par la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), a beaucoup pesé dans sa recommandation.

Si l’État décide de faire appel du jugement, l’affaire sera portée devant la Cour administrative d’appel de Paris. « Un appel est possible, mais ce serait un signal assez désastreux de la part de l’État, sachant que le tribunal a reconnu ses carences dans la lutte contre le réchauffement climatique », estime l’avocat de Greenpeace, Clément Capdebos.

C’est en tout cas une première victoire pour les organisations requérantes de l’Affaire du siècle, qui avait été lancée le 17 décembre 2018. Les associations avaient alors envoyé une demande préalable indemnitaire — une étape obligatoire avant toute procédure au tribunal — à plusieurs ministres, dont le Premier ministre de l’époque, Édouard Philippe. « Cette lettre démontrait l’inaction de l’État et demandait une réparation des préjudices écologiques et moraux causés par cette inaction », racontait Célia Gautier à Reporterre, début janvier. L’État avait alors deux mois pour y répondre.

En parallèle, une pétition de soutien à l’Affaire du siècle avait recueilli plus d’un million de signatures en moins de 48 heures, et dépassé la barre des deux millions en moins de trois semaines, devenant la mobilisation en ligne la plus massive de l’histoire de France. « La pression sociétale était telle qu’il est devenu impossible et intenable pour le gouvernement de ne pas faire l’effort de nous répondre, poursuivait le directeur général de Greenpeace. Édouard Philippe et François de Rugy, alors ministre de l’Écologie, nous ont reçus pour nous expliquer la “différence de vision philosophique” qui nous séparait. Ils nous ont dit qu’ils faisaient leur part, que les citoyens devaient faire la leur. »

Pourtant mis sous pression par la pétition, le gouvernement avait rejeté la demande préalable indemnitaire des ONG. Le 14 mars 2019, à la suite de ce rejet, les quatre organisations requérantes avaient déposé un recours « en plein contentieux » devant le tribunal administratif de Paris, complété deux mois plus tard par un mémoire compilant l’ensemble de leurs arguments.

Le 23 juin 2020, à la fin du délai imparti, l’État avait répondu à l’Affaire du siècle en déposant un mémoire en défense de quarante pages. Le 3 septembre 2020, les organisations ont contre argumenté avec un mémoire en réplique et y ont joint une centaine de témoignages de victimes de la crise climatique.

Le tribunal administratif a clos l’instruction le 9 octobre 2020 et avait fixé l’audience au jeudi 14 janvier — audience durant laquelle les avocats des associations et de l’État avaient pu plaider. Les organisations corequérantes ont signifié leur soulagement à Reporterre. « Cette décision prouve que l’action citoyenne par le droit peut permettre de faire changer les choses et de lutter contre le réchauffement climatique, a déclaré Arié Alimi, avocat de l’ONG Oxfam France. Cette décision ouvre aussi la porte à d’autres actions en justice. »


A propos de « L’Affaire du siècle », lire par ailleurs sur PrendreParti.com …

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