La folle escapade ferroviaire d’Interlude 1996 …

Retour sur un voyage entré dans la légende du théâtre de rue ! Il  est 5H27 en ce matin du 10 novembre et 600 passagers volontaires se présentent en Gare de Brest, tels « de parfaits voyageurs qui ne savent pas où ils vont ». Personne n’a révélé le trajet qu’empruntera la rame, pas même les responsables de la SNCF, les maires du Relecq Kerhuon ou de Landerneau pourtant complices …

« Porter par surprise le théâtre de rue là où, à priori il n’est pas ». Même les habitants des communes traversées n’ont pas été prévenus, même les citoyens bénévoles impliqués dans les coulisses n’ont pas souhaité connaître l’itinéraire … Pourtant, sécurité oblige, cette folle escapade matinale a été préparée au millimètre et à la seconde : 2 TER, 12 cars Labat et un TGV pour le retour.  Il ne reste que peu d’images de ce voyage entré dans la légende …
Ce reportage FR3 de 2’27″ vous en dévoile une partie …

Interlude’96
Le sens du voyage

96 …Interlude ?
Étymologiquement un divertissement dramatique, musical ou filmé entre deux parties d’un spectacle……96 ?
Année située entre 95 et 97…5 h 27 ?
Une référence au rituel matinal Grains de Folie né au Relecq Kerhuon le 14 mai 89 dans les jardins du Gué Fleuri, immolé 6 ans plus tard à l’image de son chameau fétiche, élevé aujourd’hui au rang des événements mythiques.…La gare, le train, le voyage…
Impertinent, provoquant, dérangeant, le Théâtre de Rue se développe et multiplie ses tréteaux. Durant ces années 90, notre folle équipe conçoit les Jeudis du Port puis invente Le Fourneau autour du concept innovant de la fabrique artistique. Pendant que Le Moulin moud à Noisy Le Sec, que Les Abattoirs décarcassent à Marseille, à Brest, Le Fourneau fournit.
« Il ne s’agit pas de remplir Le Théâtre de la Ville, mais de remplir la ville de théâtre » répète Jacques Livchine.
En cette fin d’année 96, la tentation du voyage et de l’itinérance était la plus forte : nous n’avons pas su résister à l’envie de vous faire partager l’expérience.  Bravo et chapeau pour la complicité !Après « Le Sens de la visite » des 26 000 couverts et la Procession Interludienne des Métalovoice, le sens du voyage ferroviaire d’Interlude’96 n’ aura plus de secret pour vous.A 13 h 08, rentrez chez vous et reprenez une activité normale car ce soir, à minuit sonnant, nous fêtons au Fourneau la « No Budget Party ».
Au plaisir de vous y retrouver.

Michèle Bosseur et Claude Morizur
96

 

Ils étaient du voyage…

La Compagnie 26000 couverts

Les 26000 couverts envisagent le théâtre comme une utopie, considèrent «qu’il ne va pas de soi», le revendiquent comme une expression contemporaine et l’installent là où on ne l’attend pas. C’est toucher le spectateur qui s’ignore, détourner le regard et décaler le quotidien, faire des farces et s’emparer du sacré, marier le tragique au burlesque, et développer une nouvelle «esthétique du réel».

Cette création 96 coproduite par les Festivals de Chalon sur Saône et d’Aurillac pointe avec humour ces situations de plus en plus nombreuses où les politiciens viennent disputer le devant de la scène aux comédiens…

Cie 20000 Couverts (Photo F. Tsédri)
Cie 20000 Couverts (Photo F. Tsédri) Cie 20000 Couverts (Photo F. Tsédri)

Les Grooms (Photo F. Tsédri)Les Grooms

Leur capacité à improviser en toute circonstance peut nous faire oublier leurs qualités musicales.
Imprévisibles, ils avaient pour mission de semer la convivialité. Peut-être à cette heure-ci sont ils encore en gare du Rody à pousser la chansonnette pour les beaux yeux de la femme du garde-barrière… Ils devaient à l’origine assurer le service en gare de Pétaouchnok lors de la pause P.P.V.R. (Pain Pâté Vin Rouge dans le langage du personnel roulant).

Le Quartet Buccal (Photo F. Tsédri)Le Quartet Buccal 

Ces quatre nanas cherchent toutes un mari. Elles ont écumé tous les grands festivals de Rue… mais en vain. Alors c’était ce matin ou jamais. On les dit toutes amoureuses du plus petit et du plus ancien des contrôleurs. En 1ère partie de Fred et Pierre-Claude, elles nous auront livré leurs toutes dernières confidences, leurs grandes causes… et leurs petits tracas.

Fred et Pierre-Claude (Photo F. Tsédri)Fred et Pierre-Claude

Au cœur de ce voyage matinal qui oscille entre le vrai et le faux, il est un moment sincère interprété par deux chanteurs sincères : Fred et Pierre Claude. Dans ce show situé à un degré d’humour non encore répertorié, d’aucuns voient l’émergence d’un nouveau mouvement artistique : celui de l’Art Navrant. C’est navrant, en effet…

Métalovoice (Photo F Tsédri)Métalovoice

Une intervention imaginée par les Métalo à partir de l’expression « Du bruit à Pétaouchnok ». Cette expression aurait pour origine le « charivari des veuves », une cérémonie païenne typique qui consistait à éloigner l’esprit du défunt en lui faisant peur pour qu’il ne revienne pas perturber la vie de ceux qui restent. On pratiquait les charivaris avec des cris, des hurlements, un tintamarre affreux…
Mais la politique du clergé a consisté à récupérer l’ancienne cérémonie animiste pour en faire une odieuse brimade. Sous la Restauration, les charivaris eurent pour seul but de culpabiliser les veuves dont la conduite était jugée trop joyeuse. Le charivari se faisait généralement le dimanche matin : justicières et justiciers bien endoctrinés par leur recteur, escortaient la pêcheresse jusqu’à l’église en la huant, lui lançant des légumes pourris, dans un tintamarre de casseroles heurtées, de marmites trainées au bout d’une ficelle…
Aujourd’hui : l’expression « du bruit dans Landerneau » se dit plaisamment d’une nouvelle de peu d’importance, mais néanmoins de nature à piquer la curiosité…

Les Contrôleurs (Photo F. Tsédri)Les contrôleurs

Direction d’acteurs : Thierry Lorent
Costumes : Philippe Jacob et toutes les petites mains du Fourneau.
Contact :  Bar Les Fauvettes, port de commerce de Brest, le dimanche 10 novembre entre 23 h 30 et minuit.
Honneur et gloire à ces 14 valeureux hommes à tout faire. Leur courage et leur bravoure leur valent d’être dans tous les (mauvais) coups de ce théâtre de Rue qui leur en fait voir de toutes les couleurs (de leur casquette). Leur sérieux est là… où on ne l’attend pas ! Pour eux, « le boulot, c’est le boulot, le bistrot, c’est le bistrot! »

Les Contrôleurs (Photo F. Tsédri) Les Contrôleurs (Photo F. Tsédri)

Photos : Fred Tsedri



Le voyage insolite du train d’Interlude 96

Publié dans Le Télégramme du 30 octobre 1996

 600 passagers pour une destination inconnue Le petit train-rébus de la fameuse émission télé « Interlude » reprend du service. Le convoi, qui stationnait sur une voie désaffectée de la gare de Brest, va embarquer 600 passagers pour une destination inconnue à l’aube du 10 novembre. On connaît l’heure de départ – 5 h 27 – et celle d’arrivée – 13 h 08 – mais personne, pas même les responsables de la SNCF, ne connaît le trajet qu’empruntera la rame. Claude Morizur et Michèle Bosseur, les deux conducteurs de cette manifestation placée sous le signe du Fourneau, lieu de fabrique artistique voué au théâtre de rue, gardent jalousement leurs secrets.

Rêve et étrange
Seules certitudes, le rêve et l’insolite seront du voyage. « Tel un vaisseau qui quitterait son port à la recherche de nouveaux lieux, le train d’Interlude propose à tout un chacun de quitter pour quelques heures ses marques et repères habituels. De simple client transporté, le voyageur devient l’acteur d’une démarche qui consiste à semer des spectacles là où, a priori, il n’y en a pas, surtout à une heure si matinale.
Ce dimanche 10 novembre, le faux va côtoyer le vrai, le théâtre de rue va croiser les habitants d’une ville qui se réveille ».  Attention, le nombre de places est limité et près de 300 voyageurs ont déjà réservé leur siège.

Un car de Quimper
La location des billets est ouverte au Quartz (02.98.44.10.10.) et au Fourneau (02.98.46.19.46.) au tarif plein de 150 F. Des tarifs « Joker » sont proposés au guichet spécial de la gare SNCF de Brest : 100 F pour les adultes et 75 F pour les moins de 20 ans, les étudiants et demandeurs d’emploi. Tarif unique pour les moins de 15 ans : 50 F. Le guichet spécial est ouvert de 17 h à 19 h . A noter que l’équipe du Label Nocturne de Quimper organise un déplacement en car à Brest le 10 novembre. Départ de la gare routière de Quimper à 4 h 32. Inscriptions à la MPT de Penhars au 02.98.55.20.61.


Gare SNCF – 5 h 30 : « En voiture ! »

Publié dans Le Télégramme Brest du 11 novembre 1996

 Qui a dit « désert comme un hall de gare » ? L’imbécile, le cave. Il ne connaissait pas l’équipe du Fourneau, capable de tout, et notamment de drainer 600 personnes, un dimanche matin à 5 h 30, pour un voyage ferroviaire vers une destination inconnue. Inconscience, aveuglement, masochisme ? Pourtant, bien avant l’heure, plus ponctuels qu’un garde-barrière, ils sont tous là, souriants et impatients. Des vieux, des jeunes, des femmes et des enfants d’abord. Des valises sous les yeux On croit rêver, notamment d’une couchette. Mais là, il faut s’asseoir dessus. « Pas de bagages », ils avaient dit. « Abandonnez derrière vous tout ce que vous avez pu vivre auparavant et laissez vous porter par une envie de dépaysement ». Certains n’ont pourtant pas pu s’en empêcher et arrivent avec d’impressionnantes valises sous les yeux. « Bon monsieur, ça ira pour cette fois, mais n’oubliez pas de composter vot’ billet. Allons pressons le train va partir », interpellent les contrôleurs portant casquette de peluche rouge faite sur démesure. Quant à savoir où on va, il respectent la consigne et répètent inlassablement « dans le même sens que vous ». Il ne prendront pas le risque de mettre qui que ce soit sur la voie. Sur les wagons, un pannonceau indique « Brest-Petaouchnok ». C’est malin, bien avancés.
Le train somnolent avale ses visiteurs de l’aube. Parmi eux Enrique, Jean-Raymond Jacob et ses sbires, pourvoyeurs de rêve et de délires lors des années passées. Comme tout le monde, ils prennent place parmi les passagers. Bizarre, tout cela ne serait-il pas en train de dérailler ? Interlude 96 en bonne voie « Tiens t’es invité toi aussi », demande un cheminot à son collègue. « Invité ? Ouais, à conduire la loco », réplique Jean-Yves Tanguy, le chauffeur du jour. Dans les couloirs, les contrôleurs finissent de remplir les wagons et sourient à ceux qui les traitent de rigolos. En coulisses, la SNCF, la vraie, veille au grain et attend l’embellie météo pour donner le signal du départ. Non sans avoir au préalable bloqué tout trafic entre Brest et…? Le train démarre. La rumeur enfle. On aurait laissé Grains de Folie sur les quais. Tant pis, trop tard pour faire machine arrière. « Interlude 96 » est déjà loin.

7 h, il ne fait pas chaud sous la pluie de novembre

Suite du voyage publiée dans Le Télégramme du 11 novembre 1996 en rubrique Le Relecq-Kerhuon …

 � Allo ? La gendarmerie. C’est pour signaler la présence d’un train en gare du Relecq-Kerhuon ». « Madame, nous sommes dimanche, il est 6 h du matin. Les omnibus ne s’arrêtent qu’en semaine et le dernier TGV a fait étape ici en 1990, pour Grains de Folie. Vous pouvez vous recouchez ».
Un convoi fantôme a pourtant bien « relâché » au Relecq, dimanche. Dans la confidence le maire Marcel Dantec avait pris un arrêté, justifié au vu des circonstances, officialisant cette incongruité dominicale. Grelottant dans la cellophane d’un jour nouveau à consommer de suite, 600 spectres assaillent une noria de bus.
Du « reuz » à Kergleuz
Direction Kergleuz. Près de la communauté Emmaüs une fanfare bat la semelle à défaut de la mesure. Un podium attend la puissance invitante. Le public, transi, s’impatiente un peu. Juste à côté de la réalité, à deux pas de la comédie sociale de tous les jours, la parodie a pourtant déjà commencé, sourde et féroce. Le candidat Roubieux, son assistante bavarde, l’adjoint aux affaires culturelles n’auraient-il pas un air de famille avec… Non, pas possible ! « Chers amis, un spectacle va naître. Nous allons sortir des sentiers battus et réveiller les esprits. Que la fête commence ».
Un riverain intervient
On ferait bien un feu avec une telle langue de bois. Mais déjà, ailleurs, la mèche est allumée ; elle court dans le quartier traversé par la horde, avide de sensations, pour le moment plus captive que captivée. Au détour de la rue de la Goule, l’incident est proche. Une pelle à la main, bardé d’un peignoir mauve et bleu un riverain prend la parole. « Des anecdotes sur l’histoire de la rue ? Y a bien la ligne à 20.000 volts. Depuis qu’il l’ont enterrée on ne vit plus. Maintenant mon fils… Christophe… capte la radio dans son appareil dentaire. Fais c… cette ligne à 20.000 volts ».
Ému le témoin transpire, balbutie et arrache un rire jubilatoire à l’assistance enfin conquise. « Interlude 96» vient de prendre son envol.
La farce, grotesque, finement préparée, fonctionne. L’inénarrable est à venir Pendant 200 minutes, habitée par une compagnie « 26.000 couverts » inventive et drôle, le Relecq-Kerhuon va vivre clandestinement des moments de théâtre de rue d’une rare qualité. Les images abondent lorsque se déploient des ombres chinoises sur un écran à double face. L’horrifique histoire d’un pâtissier aux appétits de Gilles de Rais fait frissonner le matin. L’inénarrable est encore à venir sous la forme d’un « reality show » consacré à l’ « Omniscient de la Bourboule ». La caricature semble épaisse. Et pourtant. Au-delà du rire, revient en filigrane la bénédiction, bien réelle, facilement accordée aux représentants de la puissante religion cathodique. Le clou enfoncé Puis le spectacle trébuche sur les arguments dissonants du candidat Roubieux. « Nous n’avons pas d’argent, pour payer ces insanités », lance-t’il aux comédiens furieux, qui dilapident illico ce qui restait de crédit à la chose politique. Ils enfoncent alors le clou du spectacle : une fresque sans son ni lumières sur le combat de Saint-Georges et du Dragon. Quand des outils de chantier, l’imagination et le burlesque croisent Millet, Jérôme Bosch ou la geste médiévale on est proche du chef-d’œuvre. Du rêve avec trois fois rien. C’est peut-être ce qui reste lorsque l’affliction a dépassé la réalité.
L’art de faire grandiose avec trois fois rien, mais beaucoup de talent. ..Jean Luc Germain

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