Quand une bande de copains crée une coopérative ferroviaire …

Rouvrir la ligne Bordeaux-Lyon, abandonnée par la SNCF en 2014,  un rêve fou … Tous habitent dans le Lot et ils partagent le même constat : loin des grandes villes, compliqué de se déplacer en train, pourtant pratique et plus écologique ! Alors, comme le marché du train s’est totalement ouvert à la concurrence en décembre dernier, ils ont créé  Railcoop, la première coopérative ferroviaire citoyenne de France …

« Remettre le ferroviaire au goût du jour »

Railcoop, c’est l’idée d’un groupe de copains du Lot. Elle ressemble à un pari fou : remettre en service quelques-unes de ces petites lignes qui maillaient le territoire de l’Hexagone et ne sont aujourd’hui plus desservies. « Il y a tout un réseau qui est physiquement présent, et pourtant, on ne peut pas l’utiliser », regrette Nicolas Debaisieux.

Cet ancien ingénieur au ministère de l’Environnement a tout quitté pour devenir le directeur général de cette société de train pas comme les autres, au statut de SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif). Ses amis étaient cadre de la SNCF, conducteur de train, artisan, ingénieur du son… Ils tablent aujourd’hui sur l’envie de « plein de citoyens de remettre le ferroviaire au goût du jour ».

Un extrait de 4’46 » extrait du reportage  « Le train de leur rêve » …

Convaincre les régions, départements et municipalités d’investir dans le projet

Il existe un précédent qui leur donne de l’espoir : le Bruxelles-Vienne, abandonné il y a seize ans pour cause de rentabilité soi-disant insuffisante, est aujourd’hui complet. Avec un flux identifié de 690 000 voyageurs annuels potentiels sur la ligne Bordeaux-Lyon, Railcoop pourrait atteindre l’équilibre économique.

En attendant, pour avoir le droit de circuler sur le réseau ferré, la société doit afficher un capital minimum de 1,5 million d’euros. C’est la règle fixée par l’Etat, qui a ouvert le marché du train à la concurrence en décembre 2020. Avec 628 000 euros récoltés fin septembre 2020 (et plus d’un million en janvier 2021), Railcoop est encore loin du compte. Alors il faut convaincre les régions, les départements, et ces petites villes qui ont été rayées de la carte du réseau ferroviaire, année après année… Le conseil municipal de Gannat, dans l’Allier, a par exemple promis un chèque de 20 000 euros.

Peut-être un train à acheter… en Europe de l’Est

Il faut trouver de l’argent, mais aussi des trains à faire rouler. Comment faire, même en empruntant, sachant qu’une rame de train coûte 13 millions d’euros ? Il en faut une dizaine, pour un budget estimé à 5 millions d’euros. La solution ? Partir en Europe de l’Est pour rechercher des wagons d’occasion, comme ceux que le groupe a trouvés près de la gare de Bratislava, en Slovaquie. Avec une bonne surprise à la clé : ces anciens wagons allemands sont plutôt en bon état, et leur « côté un peu vintage » leur apporte même « un petit supplément d’âme ». Au final, ce sont les sociétaires qui décideront… Les premiers trains Railcoop pourraient circuler en juin 2022.

L’intégralité du reportage de Perrine Bonnet, Vincent Piffeteau et Benoît Sauvage diffusé dans « Envoyé spécial » le 14 janvier 2021. Durée : 24’33 »

 


En savoir plus sur …

Le projet est novateur. Une coopérative pour relancer le service ferroviaire : voilà qui ne peut laisser indifférents les milieux autogestionnaires, écologistes, syndicalistes 1 ; pas plus que celles et ceux qui, comme bien des Gilets jaunes mais aussi largement au-delà des Gilets jaunes, réfléchissent aux alternatives en matière de démocratie directe, d’égalité sociale et accessibilité dans tous les territoires. Mais comment conjuguer ce projet coopératif avec le service public ferroviaire ? Comment construire un projet coopératif pour une partie seulement de l’activité ferroviaire (l’exploitation, pas l’infrastructure) ? Qui plus est, dans le cadre d’un réseau qui est national et international ? Qui doit décider de quoi en matière de dessertes, de services, de moyens ? Ces questions, et sans doute bien d’autres, sont réelles. Les ignorer ou s’y confronter ? Notre choix est fait… Une première esquisse avec une courte présentation du projet Railcoop, puis l’interview d’Alexandra Debaisieux, membre de l’équipe opérationnelle de Railcoop.

RAILCOOP SE PRÉSENTE 2

La complémentarité avec le service public
Notre objectif est de renforcer l’usage du train dans sa globalité. Nous ne nous inscrivons donc pas en concurrence avec les services organisés par les autorités organisatrices de transport, mais nous fournissons des services complémentaires qui ne sont pas, ne sont plus ou ne sont que partiellement fournis dans le cadre du service public.

L’égalité des territoires face à la mobilité
Le développement d’une offre ferroviaire nouvelle doit permettre de renforcer le maillage des territoires, c’est-à-dire les connexions directes entre territoires, et non une centralisation de l’offre autour de métropoles, afin de contribuer au désenclavement des territoires.

La garantie de conditions de travail dignes
La recherche de nouveaux modèles économiques pour la desserte ferroviaire de territoires ne doit pas se faire au détriment des conditions de travail des salariés. Grâce à son statut coopératif, les salariés de Railcoop sont directement impliqués, au côté des usagers, dans la définition de nouveaux services qui respecte les besoins de chacun.

La préservation de l’environnement
Complémentaire des mobilités douces et consommant jusqu’à 12 fois moins d’énergie à masse égale que le transport routier, le transport ferroviaire est un maillon essentiel de la transition écologique en cours. Mais des progrès peuvent encore être accomplis, Railcoop s’engage donc à innover pour réduire encore plus l’empreinte écologique du transport ferroviaire.

Une gouvernance démocratique et transparente
Une personne = une voix. Quel que soit le niveau d’engagement dans le projet, l’opinion de chacun des membres est respectée. Concrètement, toutes les décisions des organes de direction de Railcoop sont publiques et chaque membre de Railcoop peut consulter à tout moment les comptes.

 


Interview d’Alexandra Debaisieux

– D’où vient le projet ?
Le projet est né début 2019 dans la tête de plusieurs personnes d’horizons différents : des cheminot·es ou anciens cheminot·es, des acteurs et actrices de l’économie sociale et solidaire, des acteurs et actrices de la transition écologique et du développement local. S’inspirant de ce qui s’est passé lors de l’ouverture à la concurrence dans le secteur de l’énergie et convaincu·es que le rail est un maillon essentiel de la transition énergétique, les hommes et les femmes à l’origine du projet ont souhaité développer une offre alternative, coopérative, capable à la fois de challenger un modèle ayant largement montré ses limites (diminution de 37% de l’offre Intercités entre 2017 et 2018 pour ne citer qu’un exemple) et d’éviter l’amplification d’une désertification ferroviaire que l’ouverture à la concurrence peut engendrer (recentrage des offres sur la grande vitesse et le transport de masse), comme cela a pu être constaté dans certains pays européens.

Le postulat de départ est donc double :
1) Le train est une solution d’avenir, notamment pour lutter contre le changement climatique et l’hyper métropolisation, mais encore faut-il associer pleinement et à un même niveau d’engagement ceux et celles qui ont intérêt à son développement (cheminot·es, collectivités locales, citoyen·nes, entreprises, associations…) pour concevoir des offres nouvelles, pertinentes pour les territoires ;
2)  Le train produit de la richesse là où il passe et il faut que cette richesse soit partagée entre tous et toutes.

C’est donc sur ces bases qu’est née officiellement la SCIC Railcoop le 30 novembre 2019.

– Quels sont les objectifs de Railcoop : à court terme et à plus terme ?
Railcoop a pour objectif de remettre des trains partout où cela est possible (trains de fret, trains de voyageurs de jour et de nuit, liaisons grandes lignes province-province, dessertes locales).
A court terme, l’objectif de Railcoop est de faire croitre la communauté de sociétaires. Aujourd’hui (29 juillet 2020), Railcoop compte plus de 1500 sociétaires, essentiellement réparti·es dans le collège des bénéficiaires « personnes physiques ». L’enjeu est de diversifier le sociétariat, notamment en embarquant plus de collectivités et de personnes morales (entreprises, associations, organisations syndicales, etc.). Cette croissance du sociétariat doit permettre à Railcoop d’atteindre le seuil de capital social nécessaire à l’obtention de sa licence d’opérateur ferroviaire voyageurs (aujourd’hui le capital social de Railcoop permet déjà l’obtention d’une licence fret), mais aussi de mettre en place véritablement l’intelligence collective nécessaire à la pérennité du modèle.
Dès 2021, Railcoop opérera ses premiers services fret et les premières lignes voyageurs devraient démarrer mi-2022 (notamment la ligne Bordeaux-Lyon).

– Pourquoi une coopérative ? Pourquoi une SCIC ?
Comme évoqué plus haut, pour permettre le développement du ferroviaire, il nous semble essentiel de pouvoir associer à un même niveau d’engagement tous les acteurs et actrices qui ont un intérêt à ce développement. Les SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) fonctionnent sur la base du multi sociétariat et sur le principe 1 sociétaire = 1 voix, peu importe son apport en capital.
Railcoop est structuré autour de 5 collèges de sociétaires, chaque collège ayant 20% des voix en AG :
* le collège des salarié·es : tout salarié qui le souhaite, après une période donnée dans l’entreprise, peut devenir sociétaire de Railcoop ;
* le collège des bénéficiaires personnes physiques : toute personne mineure ou majeure peut être sociétaire de Railcoop ;
* l collège des collectivités locales : toute collectivité locale peut devenir sociétaire de Railcoop, la mobilité ferroviaire venant renforcer la plupart des compétences des collectivités, notamment des collectivités infrarégionales (développement économique, insertion, aménagement du territoire…). Les collectivités locales ne peuvent toutefois pas détenir plus de 50% du capital social. Pour 1 euro public investi, il faut donc 1 euro provenant des autres composantes de la coopérative. Cela permet donc de faire effet levier sur l’investissement public;
* le collège des bénéficiaires personnes morales : toute entreprise ou association qui va bénéficier directement ou indirectement du service peut devenir sociétaire de Railcoop. Il peut s’agir par exemple des entreprises ayant des besoins logistiques (chargeurs), des entreprises des territoires traversées ayant un enjeu d’accessibilité pour leurs salarié·es, client·es et fournisseurs, des organisations syndicales interprofessionnelles parce qu’elles sont concernées par les sujets transport, aménagement du territoire, écologie, etc.
* le collège des partenaires techniques et financiers : ce collège associe celles et ceux qui peuvent apporter une expertise particulière à la coopérative dans le cadre d’un développement convergent de services (par exemple, l’Association française des voies vertes et des vélos routes  (AF3V) qui vient apporter son expertise sur l’articulation train/mobilité douce pour un développement de services au bénéfice des adhérents de l’AF3V et des usagers de Railcoop), des organisations syndicales du secteur ferroviaire, ou des organismes qui apportent des financements importants (institutions financières, fonds à impact…).

Le modèle SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) offre également un autre avantage : il permet de garder en réserve impartageable 57,5% des bénéfices. Cette réserve sert à financer l’objet social de l’entreprise, c’est-à-dire qu’elle doit permettre de financer le développement de nouvelles lignes, de nouveaux services ferroviaires. La richesse produite ne sert donc pas majoritairement à rémunérer des actionnaires, mais bien à venir produire de nouvelles richesses (pas forcément monétisables) dans les territoires au bénéfice de tous.

Comment Railcoop se situe par rapport au service public ferroviaire, aujourd’hui incarné (en France) par la SNCF ? En quoi Railcoop est différent des autres entreprises ferroviaires qui visent à « prendre des parts de marché » à la SNCF ?
Railcoop vise à renforcer la part modale du ferroviaire. Son objectif n’est donc pas en effet de prendre des parts de marché à l’opérateur historique. C’est notamment la raison pour laquelle Railcoop ne se positionnera pas sur les délégations de service public. L’objectif de Railcoop est d’imaginer de nouvelles offres, en complémentarité avec les services existants. Le ferroviaire est un marché de l’offre et non de la demande. Plus les offres ferroviaires sont nombreuses, plus les gens prennent le train. Railcoop souhaite donc contribuer au renforcement de cette offre globale. Et d’ailleurs, si la SNCF ou d’autres opérateurs ferroviaires veulent demain devenir sociétaires de Railcoop, ils sont les bienvenues ! La gouvernance de l’entreprise permet en effet un engagement équivalent de chacun et chacune, sans possibilité de prise de pouvoir par un ou plusieurs sociétaires (cf. plus haut).

Le chemin de fer est d’une part un système intégré (infrastructure et exploitation sont liées) et d’autre part fonctionne en réseau : comment une société n’intervenant que sur une portion du réseau et uniquement comme entreprise exploitant le réseau peut concilier cela ?
Cela rejoint la question précédente. L’enjeu de Railcoop est de développer des offres complémentaires de l’existant. La logique de Railcoop n’étant pas une logique capitalistique classique, des partenariats avec d’autres opérateurs sont envisageables, voire souhaités. Quant à la question de l’infrastructure, le fait d’associer dans la gouvernance de Railcoop des collectivités locales intervenant par ailleurs sur le financement de l’amélioration de l’infrastructure peut permettre de penser l’articulation service/réseau de manière plus optimale. Par ailleurs, à ce stade, Railcoop a d’excellentes relations avec SNCF Réseau.

– La question des conditions de travail (au sens large) des cheminotes et cheminots est un sujet important. Comment se situe Railcoop?
Tout d’abord, il est important de souligner que la gouvernance la coopérative est régie par un principe d’horizontalité, chaque collège de sociétaires ayant un poids équivalent dans les décisions prises. Les salarié·es (cheminotes et cheminots) ont 20% des voix en AG, au même titre que les autres collèges de sociétaires. Ils ont également la possibilité de siéger au Conseil d’administration de Railcoop.
Ce principe étant posé, Railcoop s’est mis en conformité dans ses statuts avec l’agrément ESUS (Entreprise solidaire d’utilité sociale) et à ce titre, Railcoop s’engage à mener une politique de rémunération qui satisfait aux deux conditions suivantes, définies dans l’article L.3332-17-1 du Code du travail :
* la moyenne des sommes versées, y compris les primes, aux cinq salariés ou dirigeants les mieux rémunérés ne doit pas excéder, au titre de l’année pour un emploi à temps complet, un plafond fixé à sept fois la rémunération annuelle perçue par un salarié à temps complet sur la base de la durée légale du travail et du salaire minimum de croissance, ou du salaire minimum de branche si ce dernier est supérieur ;
* les sommes versées, y compris les primes, au salarié ou dirigeant le mieux rémunéré ne doivent pas excéder, au titre de l’année pour un emploi à temps complet, un plafond fixé à dix fois la rémunération annuelle citée ci-dessus.

Les règles de fonctionnement de la coopérative permettent par ailleurs à 5 sociétaires au moins de proposer des cercles de travail pour venir nourrir le projet collectif et le travail de l’équipe opérationnelle. Il est tout à fait envisageable qu’un cercle de travail se constitue pour travailler plus spécifiquement sur la question des conditions de travail au sens large. Dans ses statuts, Railcoop affirme son intention d’innover non seulement techniquement, mais également socialement. C’est aux sociétaires de Railcoop de construire un cadre social favorable aux salarié·es, mais également aux usagers (avec des tarifs sociaux notamment, une accessibilité universelle…).

– Quelles relations y-a-t-il entre Railcoop et les organisations syndicales du secteur ferroviaire ? Et avec l’organisation patronale du secteur (UTP) ?
Plusieurs sociétaires de Railcoop sont également engagés dans des organisations syndicales du secteur ferroviaire. Certaines d’entre elles ont communiqué à propos de notre projet ; de premiers échanges ont eu lieu avec des représentants de la fédération SUD-Rail, celle-ci étant d’ailleurs membre du réseau FERINTER comme Railcoop.
Nous avons eu l’occasion d’échanger avec l’UTP. Aujourd’hui certaines prises de position de l’UTP nous semblent aller à l’encontre des valeurs de Railcoop (sur les enjeux d’accessibilité universelle notamment).
Nous sommes bien évidemment ouverts à poursuivre les échanges avec chacun.

– Quelles relations a (ou souhaite avoir) Railcoop avec d’autres coopératives ?
Railcoop est membre du Collectif pour une transition citoyenne (CTC) qui fédère plusieurs coopératives, notamment Enercoop, Biocoop, Mobicoop, la Nef, Telecoop, etc. Certaines d’entre elles (dont Railcoop) se sont réunies au sein du groupe dit « des Licoornes » pour partager expériences et moyens et co-construire des projets ensemble. Par ailleurs, beaucoup de sociétaires de Railcoop sont également sociétaires d’autres coopératives.

Notes:

  1. A ce sujet, voir « Sur la voie (ferrée) de l’autogestion », Francis Dianoux et Christian Mahieux, Les Utopiques n°10, printemps 2019, Éditions Syllepse (www.lesutopiques.org/sur-la-voie-ferree-de-lautogestion/). Texte repris dans le volume 7 de l’Encyclopédie internationale de l’autogestion (www.syllepse.net/autogestion-l-encyclopedie-internationale-_r_76_i_648.html).
  2. us reprenons ici les arguments mis en avant sur le site de la coopérative : « 5 bonnes raisons de rejoindre Railcoop ».

    heminot retraité et auteur de cet article, Christian Mahieux est membre de SUD-Rail [Union syndicale Solidaires], de l’association pour l’autogestion et de l’équipe des Editions Syllepse.


    Lire par ailleurs

    Railcoop, la coopérative qui fait renaître les lignes de train abandonnées

    Un article signé Marie Astier dans Reporterre du 2 juillet 2020

    C’est un nouvel acteur qui bouscule le petit monde ferroviaire : Railcoop a choisi une gouvernance coopérative et de relancer des lignes abandonnées par la SNCF, plutôt que de se tourner vers celles considérées comme rentables. Une initiative permise par l’ouverture à la concurrence du ferroviaire prévue pour la fin de l’année.

    La proposition est inattendue : dans un monde ferroviaire qui demande des investissements aussi lourds que des locomotives, un poids léger a décidé de tenter de se faire une place. Railcoop, comme son nom l’indique, est une société coopérative ferroviaire. Si les amoureux du train l’avaient rêvée, ils n’auraient sans doute pas fait mieux. Elle compte réinvestir plusieurs pans de l’offre ferroviaire peu à peu délaissée par la SNCF et les politiques publiques ces dernières années : trains entre régions permettant d’éviter la centralisation parisienne, fret et train de nuit.

    Ses premiers trains de fret pourraient rouler dès 2021, et surtout, la première ligne voyageurs devrait s’ouvrir mi-2022, entre Bordeaux et Lyon. Tout un symbole, alors que la liaison avait été abandonnée par la SNCF en 2014. Le projet est permis par l’ouverture totale à la concurrence du trafic ferroviaire, prévue pour fin 2020. « C’est l’occasion de proposer un modèle alternatif, estime Alexandra Debaisieux, directrice générale déléguée de la société. Nous partons du principe que le ferroviaire est un maillon important de la transition énergétique. »

    L’idée a germé début 2019. À la manœuvre, un conseil d’administration rassemblant des personnes issues de l’économie sociale et solidaire, de l’associatif, un ancien cheminot, ou encore des consultants sur les questions de climat et de mobilité (mais seulement des hommes…). Les compétences se sont associées, pour aboutir à la création d’une Scic (société coopérative d’intérêt collectif). Dans cette coopérative, une personne égale une voix, quel que soit le nombre de parts de la société qu’elle possède.

    Six trains par jour et de nombreux services

    Pour choisir le trajet Bordeaux-Lyon, « on a regardé les flux aériens de voyageurs de province à province, explique encore la directrice déléguée. Puis on a croisé avec les données sur l’augmentation du trafic routier ». Leurs études de marché prédisent que la ligne, malgré un temps de trajet annoncé de 6 h 47, a un potentiel de 690.000 voyageurs par an et sera rentable. « Certes, la SNCF l’a fermée en disant qu’il n’y avait plus assez de voyageurs. Mais elle n’investissait plus. Si vous ne proposez pas un service performant en matière de confort et de ponctualité, vous découragez les gens. » Railcoop veut à l’inverse proposer des wagons confortables, de la place pour stocker vélos, poussettes ou skis, ainsi que des partenariats avec des événements dans les territoires traversés, comme les festivals. Le prix de base a été fixé à 38 euros. Ainsi, le trajet serait plus long qu’en prenant le TGV avec une correspondance par Paris… Mais coûterait bien moins cher. Six trains circuleraient chaque jour, soit trois dans chaque sens.

    Railcoop a ainsi notifié à l’Autorité de régulation des transports, le 9 juin dernier, son intention d’opérer sur cette ligne. Ce n’est qu’une des nombreuses étapes qui restent à franchir. La coopérative doit, pour faire rouler ses trains, obtenir un certificat de sécurité et une licence ferroviaire, qui ne sera décernée que si elle atteint au moins 1,5 million d’euros de capital social d’ici la fin de l’année. La société s’est donc lancée dans une campagne de recrutement de nouveaux sociétaires. Particuliers, associations, entreprises, collectivités locales peuvent acquérir des parts sociales, chacune coûtant 100 €. Le 19 juin, 785 sociétaires avaient déjà été recrutés. « Au vu de la montée en puissance du capital social, je pense que d’ici la fin de l’année on aura dépassé les 1,5 million nécessaires », se réjouit Alexandra Debaisieux.

    La ligne Bordeaux-Lyon que Railcoop entend remettre en service.

    Et puis, il faut aussi trouver des trains — du « matériel roulant », comme on dit dans le milieu. Railcoop en a besoin de six, qui valent 11 millions d’euros chacun. Difficile de rassembler 66 millions d’euros, la coopérative cherche donc une société capable de les acheter, pour ensuite les leur louer. « On est en discussion avec deux loueurs, explique la directrice déléguée. Avant la crise du Covid, ils demandaient des garanties accessibles. Désormais, nous sommes en discussion avec le cabinet du secrétaire d’État aux Transports et avec des régions pour voir s’ils peuvent se porter garants sur le matériel. »

    L’ouverture à la concurrence, sujet de débats

    Le projet paraît donc en bonne voie et il convainc écolos et associations de voyageurs, telle que la Fnaut (Fédération nationale des associations d’usagers des transports). « C’est une bonne nouvelle, la radiale Lyon-Bordeaux manque vraiment et trop de personnes sont poussées à prendre l’avion », approuve Anne Lassman-Trappier, chargée des questions de transport à France Nature Environnement. « Railcoop va démontrer qu’il y a un modèle économique pour le ferroviaire, et tordre le cou à l’idée que le train est un gouffre économique qui ne survit que grâce à l’argent public », espère Valentin Desfontaines, responsable du dossier mobilité au Réseau Action Climat.

    Côté CGT cheminots, où l’ouverture à la concurrence a été fortement combattue, l’accueil est plus mitigé. Localement, les cheminots de la CGT Bordeaux, qui s’étaient opposés à l’abandon de la ligne, ne cachent pas une petite amertume et ont publié un communiqué. « Si un opérateur ferroviaire se positionne sur cette liaison Bordeaux-Lyon, c’est qu’il y a un besoin, c’est ce qu’on a toujours dit, se félicite David Plagès, de la CGT cheminots régionale. Mais si l’ouverture à la concurrence était la solution, cela se saurait. Sur le fret, cela n’a pas fonctionné. » Il aurait préféré que ce soit la SNCF qui rouvre la ligne, avec un véritable investissement dans la rénovation des voies vieillissantes. « Il n’y aura pas le report tant souhaité de la voiture vers le train s’il n’y a pas d’amélioration de la ligne, pour que le train puisse aller plus vite », poursuit-il.

    « Ce projet apporte plusieurs choses positives, reconnaît au niveau national le secrétaire général de la CGT cheminot, Laurent Brun. Ils veulent faire avec les gens des territoires, partent des besoins des voyageurs, affichent que les bénéfices seront totalement réinvestis… C’est rafraîchissant ! »

    « Mais j’ai quand même de gros doutes sur la faisabilité, estime cet expert du rail. Par exemple, ils disent que la SNCF a un fonctionnement trop lourd et qu’ils feront mieux, qu’ils vont doubler le niveau d’utilisation des locomotives. Mais, dans ce cas, soit ils vont enchaîner les pannes, soit le matériel va vieillir à vitesse grand V. Je les trouve aussi ambitieux sur la fréquentation annoncée. »

    Surtout, c’est la question du financement qui interpelle le syndicaliste cheminot. Le financement prévoit que les parts sociales achetées par des particuliers ne suffiront pas, il faudra des aides publiques. « Railcoop va devoir frapper à toutes les portes — villes, départements, régions — et s’ils attribuent des subventions, on se demande alors pourquoi ils ne les ont pas données avant pour éviter que la ligne soit fermée par la SNCF ? » « Je suis étonné de la façon dont les politiques se saisissent du sujet dans ce contexte d’ouverture à la concurrence, alors qu’ils ne l’avaient pas fait avant », enchérit David Plagès depuis Bordeaux. « J’y vois un dogme. »

    « Prendre des parts de marché à la voiture individuelle, à l’autocar, à l’avion »

    Railcoop, de son côté, dit proposer aux collectivités qui le souhaitent un autre modèle que celui de la subvention, via l’achat de parts sociales de la coopérative. « Les collectivités locales seront copropriétaires de l’outil, on coconstruit le service ferroviaire en associant les usagers et les territoires », explique Alexandra Debaisieux. Au moins une collectivité d’importance pourrait s’engager.

    Par ailleurs, la coopérative rappelle, dans ce contexte d’ouverture du rail à la concurrence, qu’elle a fait le choix de ne pas se positionner sur des lignes déjà exploitées par la SNCF. [1] Elle veut plutôt ajouter de nouvelles liaisons. « Notre positionnement n’est pas de concurrencer la SNCF, mais de venir compléter le maillage ferroviaire. Notre objectif est de prendre des parts de marché à la voiture individuelle, à l’autocar, à l’avion », assure Alexandra Debaisieux.

    Le parcours de ce nouvel acteur, original dans le monde du rail, devrait être suivi de près. Et quel que soit le résultat, « l’intérêt est que ça fait débattre autour de l’enjeu de relancer le train, et cela va obliger les politiques à se positionner, à dire s’ils croient au rail », ajoute Laurent Brun, de la CGT cheminots, qui n’exclut pas de proposer une rencontre à la coopérative.


    En Bretagne, ils veulent relancer une ligne de train fermée depuis 30 ans

    Un article de Ninnog Louis paru dans Reporterre du 21 juillet 2020

    Fermée depuis trente ans, la ligne de chemin de fer TER qui traverse la Bretagne du nord au sud pourrait reprendre du service. À l’initiative de cette possible renaissance, un collectif de cheminots et un passionné de trains qui militent pour le retour du rail en zone rurale.

    • Pontivy (Morbihan), reportage

    Le ballet des cars TER fait vibrer les vitres des immeubles autour de la gare routière de Pontivy (Morbihan). Les voyageurs se protègent du soleil de juillet sous l’unique abribus, planté au coin du parking. Depuis la fermeture de la gare en 2014, c’est le seul lieu où patienter. Mais plus pour longtemps. Dans quelques mois, le bâtiment, refait à neuf, rouvrira ses portes au public, grâce à Jean-Philippe Van Walleghem. Ce chef d’entreprise passionné de trains a investi 1 million d’euros pour racheter et rénover la gare de cette sous-préfecture de 15.000 habitants, laissée à l’abandon depuis l’effondrement d’une partie de son plafond.

    Les travaux avancent bien. Ce matin-là, les ouvriers installent avec mille précautions la nouvelle horloge sur le fronton. « Une horloge, c’est le cœur d’une gare », sourit le nouveau propriétaire. Dans quelques mois, un guichet SNCF y sera installé. Et Jean-Philippe Van Walleghem ne compte pas s’arrêter là. « La réouverture de la gare, c’est la première étape. L’objectif final, c’est le retour du train de voyageurs ! »

    Voilà trente ans que Pontivy n’en a plus accueilli un seul. La ligne de chemin de fer allant de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor) à Auray via la ville ne voit plus circuler que quelques wagons de fret. C’est donc en car que les habitants se rendent dans le département voisin, pour un bilan carbone près de deux fois supérieur. « Il faut faire revenir des trains ici. Racheter la gare, c’est un acte militant », affirme Jean-Philippe Van Walleghem, casque de chantier orné de l’inscription « chef de gare » sur la tête.

    « L’égalité de traitement entre citoyens passe aussi par la mobilité, et les liaisons par bus ne sont pas une solution d’avenir »

    Et il n’est pas seul. À ses côtés, une cinquantaine d’élus, de militants associatifs et de citoyens sont réunis au sein du collectif « Centre-Bretagne en train », fondé il y a deux ans pour relancer la liaison ferroviaire entre le nord et le sud de la Bretagne. L’enjeu est double : augmenter le fret et, surtout, remettre des voyageurs sur les rails. À la clé, un désenclavement du territoire et une réduction du trafic routier.

    « Quand vous regardez la carte du réseau ferroviaire de la région, il y a un gros trou au milieu. C’est le centre de la Bretagne », décrit Simon Brunet, cheminot adhérent à la CGT et fondateur du collectif. « C’est un territoire qui souffre, qui périclite même. L’égalité de traitement entre citoyens passe aussi par la mobilité, et les liaisons par bus ne sont pas une solution d’avenir. » 140.000 personnes vivent le long de la ligne. Autant de passagers potentiels.

    Jean-Philippe Van Walleghem, le propriétaire de la gare de Pontivy.

    L’idée de relancer cette liaison en train n’est pas nouvelle, mais l’urgence climatique a accéléré la réflexion. « Le contexte écologique a été déclencheur pour monter le collectif », affirme le cheminot. Une réunion publique organisée à Pontivy en novembre 2019 a attiré une soixantaine de personnes. Le 14 juillet, Emmanuel Macron a annoncé vouloir développer les petites lignes de train, le fret et les trains de nuit. Parallèlement, les initiatives citoyennes visant à défendre ou promouvoir le train se multiplient. La coopérative Railcoop, avec laquelle le collectif breton est en contact, veut ainsi relancer la ligne de train Bordeaux-Lyon, abandonnée par la SNCF. « On sent bien qu’on a une ouverture, que le contexte est favorable au débat », se réjouit Simon Brunet, « et on va s’en saisir ».

    « Ce sont ceux qui tiennent le cordon de la bourse qu’il faut convaincre »

    De sa gare en chantier, Jean-Philippe Van Walleghem sent lui aussi cet engouement. « Il ne s’agit pas de faire partir des trains avec trois voyageurs, il faudrait une étude de marché, des horaires convenables… Mais la communauté de communes [Pontivy communauté] compte 45.000 habitants, ça fait quand même du monde ! » Le collectif espère une réouverture de la ligne bretonne aux voyageurs d’ici cinq ans.

    Ce ne serait d’ailleurs pas une première. En 2016, un tronçon de la ligne de TER entre Oloron-Sainte-Marie et Bedous, dans les Pyrénées-Atlantiques, a été remis en fonctionnement après cinquante ans de fermeture. Le coût de 102 millions d’euros a été pris entièrement en charge par l’ancienne région Aquitaine. En Bretagne, le projet Auray-Saint-Brieuc est soutenu par de nombreux élus locaux du nord au sud de la ligne. À Saint-Brieuc, la nouvelle équipe municipale de gauche écologiste y est favorable, tout comme celle de Pontivy.

    « Mais ce sont ceux qui tiennent le cordon de la bourse qu’il faut convaincre », rappelle Simon Brunet. Le collectif estime à 100 millions d’euros le coût de la modernisation et du fonctionnement de la liaison en train. Une somme que se partageraient SNCF Réseau, propriétaire de l’infrastructure ferroviaire, et la région Bretagne, compétente en matière d’organisation du transport.

    « Vivre au pays, c’est un droit »

    Cette dernière n’envisage pas de rouvrir la ligne pour l’instant. « À ce stade, la région Bretagne n’a participé à aucune discussion sur le sujet », précise le vice-président aux transports, Gérard Lahellec. Il rappelle que la collectivité a « consenti à cofinancer des travaux d’infrastructure pour permettre aux trains de marchandises de continuer à desservir les entreprises du centre de la Bretagne » depuis 2007. La région Bretagne a par ailleurs massivement investi dans le TER, dépensant 160 millions d’euros pour rénover plusieurs lignes.

    « Nous comprenons cette position, affirme Simon Brunet. Cette ligne étant d’importance nationale pour le fret, l’État doit également prendre ses responsabilités. » Le collectif entend profiter des élections régionales de mars 2021 pour mettre en avant le sujet de la rénovation et de la création de petites lignes. « On ne veut pas que la question du train se cantonne à accélérer les liaisons avec Paris, souligne le syndicaliste. Vivre au pays, c’est un droit. Pour assurer l’égalité entre les territoires, il faut une solidarité entre les lignes rentables et celles qui ne le sont pas. Le “monde d’après” passe aussi par là. »

    La gare de Pontivy, elle, rouvrira ses portes dans un an. Casquette, sifflet et badge SNCF, la tenue de chef de gare Jean-Philippe Van Walleghem est déjà prête. Il en est persuadé : le train sifflera de nouveau trois fois dans le centre de la Bretagne.

     Source : Ninnog Louis pour Reporterre

    Photos :. chapô : la gare de Pontivy où passe un train de fret. DR
    . portrait : © Ninnog Louis/Reporterre