Comment la manifestation du 12 décembre 2020 a été sabotée …

Médiapart a collecté et analysé des centaines de vidéos prises le 12 décembre à Paris lors de la manifestation contre la loi « Sécurité globale ». L’enquête démontre le caractère illicite de plusieurs dizaines de charges policières effectuées ce jour-là et documente les arrestations arbitraires de manifestants, les coups portés sans raisons et la communication mensongère de Gérald Darmanin, notamment au regard du bilan judiciaire …
Une vidéo de 9’01 » particulièrement édifiante rendue publique par Médiapart le 3 janvier 2021 . Une enquête signée Sébastien Bourdon, Camille Polloni, Antton Rouget et Antoine Schirer .

« La communication mensongère de Gérald Darmanin » dénoncée par une enquête de Médiapart

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Le 12 décembre, des milliers de personnes avaient défilé dans les rues pour la troisième semaine consécutive contre la proposition de loi « Sécurité globale ». À Paris, la police avait effectué de multiples charges sur des manifestants pourtant calmes.

"La communication mensongère de Gérald Darmanin" dénoncée par une enquête de Médiapart

© AP
Le 12 décembre 2020, nombreux étaient les journalistes et photojournalistes qui ont suivi la manifestation contre le projet de loi « Sécurité globale ». Certains avaient déjà dénoncé les charges des forces de l’ordre sur des manifestants pacifistes et souligné les contradictions entre leurs observations de terrain et la communication du ministre de l’Intérieur français, Gérald Darmanin.
Hier, dimanche 3 janvier 2021, le site d’informations français Médiapart a publié une enquête qui démontre « le caractère illicite de plusieurs dizaines de charges policières effectuées ce jour-là et documente les arrestations arbitraires de manifestants, les coups portés sans raisons et la communication mensongère de Gérald Darmanin ». Pour ce faire, le site d’informations a collecté et analysé plusieurs centaines de vidéos.Il a également confronté les déclarations du ministre aux poursuites judiciaires qui ont eu lieu. En aval de la manifestation, le ministre a estimé que la « stratégie anti-casseurs » et les 142 interpellations avaient permis de protéger les commerçants. Sur ces 142 personnes interpellées, Médiapart déclare que 18 n’ont pas été placées en garde à vue, 49 ont bénéficié d’un classement sans suite et 46 ont reçu un rappel à la loi, c’est à dire un classement sans suite accompagné d’une avertissement. Pour 23 autres, les procédures sont encore en cours. Une personne a été relaxée et cinq ont été condamnées, dont deux pour des faits de violence.


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Une dizaine de manifestants interpellés le 12 décembre à Paris portent plainte contre le préfet de police

Publié dans Le Monde avec AFP daté du 07 janvier 2021

 Au moins huit personnes interpellées lors de la manifestation du 12 décembre à Paris contre la proposition de loi « sécurité globale » ont porté plainte, jeudi 7 janvier, contre le préfet de police de Paris, Didier Lallement, selon leur avocat, Arié Alimi.

Plusieurs associations, syndicats et élus avaient dénoncé des « arrestations arbitraires » à la suite de l’interpellation de 150 manifestants, parmi lesquels au moins deux journalistes. Parmi les 124 personnes qui avaient fait l’objet d’une garde à vue, près de cent avaient vu la procédure les visant être classée sans suite, dont près de la moitié après un rappel à la loi.

Dans leurs plaintes, dont l’Agence France-Presse (AFP) a eu copie, ces manifestants estiment que « le caractère systématique des interpellations sans raison dans le cadre de bonds offensifs [effectués par les forces de l’ordre, qui fondent ainsi sur des manifestants], eux-mêmes non légitimes, permet de penser que l’utilisation de cette technique résulte d’ordres donnés par l’autorité civile de commandement en complicité avec le procureur de la République » de Paris.

Ils portent donc plainte auprès de ce même procureur contre X et contre le préfet de police de Paris pour diverses infractions, parmi lesquelles « entrave à la liberté de manifestation », « violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique », « dénonciation calomnieuse » ou encore « faux en écriture publique ».Ils rappellent que la manifestation, déclarée, avait fait l’objet d’un dispositif policier de grande ampleur, annoncé comme visant à interpeller toute personne soupçonnée de vouloir constituer un « bloc ».

Des charges et des interpellations « au hasard »

Mais pour les plaignants, les forces de l’ordre « chargeaient le cortège et procédaient à des interpellations au hasard », « accompagnées d’actes de violences injustifiées » et revêtant un caractère d’autant plus « abusif » qu’« aucune infraction n’était commise ».

Pour eux, les placements en garde à vue qui ont suivi étaient « arbitraires », car des « procès-verbaux rédigés par des fonctionnaires de police [leur] imputaient la commission d’infractions » alors même « qu’aucune suite judiciaire n’[a été] donnée à [leur] procédure ».
Parmi ces huit interpellés plaignants, âgés entre 21 et 50 ans et provenant de toute la France, sept affirment avoir été relâchés sans poursuites. Le tribunal correctionnel de Paris a relaxé le dernier.

Au moins sept autres plaintes de manifestants doivent être déposées prochainement, selon M. Alimi. Le décalage entre le nombre d’interpellations et les poursuites effectivement engagées fait régulièrement l’objet de critiques de la part des défenseurs des libertés publiques comme de policiers, mais pour des raisons opposées.

RSF dépose une troisième plainte contre Didier Lallement

Le même jour, l’organisation non gouvernementale (ONG) Reporters sans frontières (RSF) a également porté plainte contre M. Lallement, pour la troisième fois en deux mois, pour « violences volontaires aggravées contre une photojournaliste indépendante » lors de la « marche des libertés » du 5 décembre.
RSF a également porté plainte contre X, comme la journaliste blessée, « qui collabore régulièrement avec une agence de presse française » et préfère rester anonyme « par peur des représailles de la police », fait savoir l’ONG, qui a transmis un certificat de dépôt de plainte. Selon RSF, la photoreporter a été « agressée par les forces de l’ordre » alors qu’elle couvrait la manifestation parisienne contre la proposition de loi « sécurité globale ».

« La journaliste s’est déplacée dans le sens de la foule pour laisser place à une charge de police », rapporte RSF. « Malgré cette précaution et son brassard presse bien visible, une grenade de désencerclement a atterri à ses pieds, puis une balle de LBD [lanceur de balles de défense] tirée à moins de 10 mètres a touché son avant-bras droit, provoquant un large hématome et une paresthésie [trouble du toucher] de la main » et nécessitant « un suivi médical », ajoute l’ONG.

« Déjà victime de deux autres tirs de LBD ces deux dernières années », la journaliste « a fait un signalement » auprès de l’inspection générale de la police nationale (IGPN), précise RSF. « La récurrence des violences contre les journalistes couvrant les manifestations en France et la quasi-routinisation de ces atteintes à la liberté de la presse ont de quoi inquiéter », a déclaré le responsable du bureau UE-Balkans de RSF, Pavol Szalai, cité dans le communiqué.

Le Monde avec AFP daté du 07 janvier 2021


Le témoignage de Mélanie, manifestante arrêtée trois jours pour un parapluie

Dans une vidéo de 35’42 » diffusée par L’Humanité, Mélanie Ngoye-Gaham martèle son innocence, et revient en détail sur les conditions de son arrestation, de sa détention, ainsi que le comportement des policiers à son égard dans cette affaire.

Le 12 décembre, Mélanie Ngoye-Gaham, une habituée des manifestations se rend à Paris pour protester contre le projet de loi « séparatisme » un texte dont elle juge les dispositions « très dangereuses pour la société ». Au départ de Châtelet, le cortège dont elle fait partie s’engage pacifiquement sur le boulevard Sébastopol, après une petite dizaine de minutes. C’est à ce moment-là qu’elle se fait brutalement interpeller par des forces de l’ordre présentes en nombre, qui se dirigent dans un premier temps vers son amie Moun et son parapluie arc-en-ciel, « appelant à la haine ». Les policiers reprochent à cette manifestante- figure du mouvement des gilets jaunes d’Amiens – d’avoir tenu ce fameux parapluie arc-en-ciel en signe de déclenchement des violences du black bloc, ce qu’elle dément fermement, de même que son amie Moun.
Selon cette gilet jaune, il s’agit plutôt d’une façon pour les policiers de « décrédibiliser son histoire », alors qu’en avril 2021, Mélanie Ngoye-Gaham se retrouvera en procès contre un CRS l’ayant violemment frappée à la nuque lors d’une manifestation à Paris, le 20 avril 2019.
S’en suivent alors trois jours d’arrestation pour les deux manifestantes, dont deux en garde à vue dans des commissariats du 18ème et du 19ème arrondissements. Dans cette vidéo, Mélanie Ngoye-Gaham martèle son innocence, et revient en détail sur les conditions de sa détention, ainsi que le comportement des policiers à son égard dans cette affaire.
Horodatage
00:00 – Présentation
00:40 – Interpellation
05:26 – Arrivée au commissariat du 18ème
08:03 – Transfert dans un commissariat du 19ème
09:10 – Problème d’avocat
10:55 – « Mélanie, où es-tu ? »
13:32 – « Ils pensent vraiment que Moun est à la tête du bloc ! »
16:19 – « Ils essayent de nous façonner à leur image… »
17:08 – Qui est Moun ?
20:14 – « Je me suis accrochée à cette femme pendant 70 heures »
20:51 – Au bout de 48 heures de GAV
23:38 – Une tentative de discréditation ?
24:28 – « Ils ont refusé de m’ouvrir les toilettes »
25:10 – Rencontre avec le procureur
26:00 – Téléphone disparu
26:36 – Racisme dans la police ?
28:25 – « Je suis très fière de m’appeler Ngoye-Gaham »
30:30 – « Il disait que la manifestation était interdite »
32:03 – « J’apprends que je suis fichée S »
32:58 – « A travers nous, ils veulent donner l’exemple »
33:40 – « Ça n’a pas entaché ma détermination »
34:58 – « Merci pour votre soutien ! »