L’aventure éthiopienne d’Oposito en 1998 …

Photo Vincent Muteau

C’est l’histoire de la rencontre de la Compagnie Oposito et du Circus Ethiopia, de « Rhinocéros 98 », une parade avec 150 enfants pour célébrer le centenaire du chemin de fer. Cette rencontre de deux cultures, devenant une aventure pour les uns et un espoir pour les autres a donné naissance à « Together, together », un film documentaire signé Martine Hussenot et Philippe Lachambre

Addis-Abeba, 1998 : les artistes du Circus Ethiopia dirigés par Marc Lachance et Aweke Amiru attendent l’arrivée de la compagnie Oposito, dirigée par Jean-Raymond Jacob. Un documentaire de 54‘ réalisé par Martine Hussenot et Philippe Lachambre (La Luna Productions, 1999).

Pendant leur séjour à Addis Abeba, les membres de la Cie Oposito ont écrit leur Carnet de Bord  sur le site  » www.lefourneau.com » créé à cette occasion. Ces pages témoignent de leurs doutes, de leurs incertitudes mais aussi de leurs avancées et du formidable bonheur qu’ils ont eu à inventer cette histoire.
«Chaque jour, ceux qui étaient là-bas racontaient leur quotidien. Des textes d’abord, qui transitaient par le réseau et qu’Yffic Cloarec enluminait en allant chercher des photos à la bibliothèque, puis des images photonumériques qui illustraient la tournée.» Voir en complément en bas de page  l’article complet consacré par Libération à la création du site internet lefourneau.com …

Extraits du Carnet de bord, Cie Oposito
du 2 au 30 mai 1998

′′ Il est difficile de choisir parmi les meilleurs souvenirs de la Cie Oposito car ils sont si nombreux… Lors du voyage dans le monde, et du passage dans les villes, chaque rencontre avec les habitants d’un certain endroit est très spéciale pour nous. Mais quand même, l’un d’entre eux reste profondément ancré dans nos esprits. En 1998, nous avons joué en Éthiopie devant dix mille spectateurs sur la place principale d’Addis-Abeba …

C’était un tel succès que nous avons improvisé un troisième salut avec toute l’équipe. Mais quand nous sommes revenus sur scène pour les applaudissements, il a commencé à pleuvoir. Le lendemain, un petit garçon écrivait à la troupe ′ le spectacle était si beau que vous avez fait pleurer la lune « . ′ 🌔

Dernière répétition (© Vincent Muteau) « Écrire mes mots à chaud, alors qu’ils se mélangent encore dans ma tête. Vous dire ma joie. D’abord merci à cette équipe qui jusqu’au bout nous a suivis. Ce soir je me sens l’âme à faire du Lelouch, « Together » on leur a mis la patate. Les Rhinocéros ont frappé, ils ont fait craquer le ciel.
D’ailleurs y’a pas qu’eux!! Je me suis pris un pain dans la caméra donc dans l’œil, juste au début de la parade. Un mec a surgi de je ne sais où sur le camion où je me trouvais. Le temps de reprendre mes esprits et un membre de la sécurité de la Mairie m’explique que j’ai filmé la dite Mairie et que c’est interdit. Il me fout la trouille (bon 20 secondes). Aweke me sort de là, il part au poste avec ma caméra et nos autorisations de tournage: tout se termine bien après une petite demie-heure de négociations. Nous avons effacé l’image cause de conflit.
Je laisse la place à mes petits camarades. Je suis certain qu’ils meurent d’envie de vous causer. Ce soir je suis un homme heureux, pensées pour Chloé, Gaétanne, Alexia et Lili »

– Jean Raymond Jacob  –

Attente en costume (© Vincent Muteau) Détente en costume (© Vincent Muteau) 
Les musiciens (© Vincent Muteau)

Départ en bus (© Vincent Muteau) « Good show », « Very good show » se disent les Kids, leurs grands yeux à la pupille noire brillent plus que d’habitude. Plus qu’une parade se fut un spectacle, un « mobil show », 4 kilomètres de bonheur, de rythmes, de sueurs, de souffles. Les muses étaient avec nous, envoyées par les dieux des montagnes. Je les imagine assis sur les nuages nous regardant évoluer sur le bitume brûlant, à chacun de nos pas se fut un peu plus, nous ne pouvions les décevoir. Je les pense satisfaits, ils nous ont bénis au final de quelques gouttes de pluie… et trop émus, ils ont pleuré nous arrosant d’une pluie diluvienne (et vous savez la pluie ici….).
Le convoi (© Vincent Muteau)Ahhh… le retour; deux bus, on s’engouffre, on se tasse, on s’entasse, on pousse. L’équipe technique se précipite pour protéger et ranger du matériel son et lumière. Les bus démarrent, odeur de sueur, buée sur les vitres, on cahote. Les bras se mêlent, on se retient, on se soutient. Certains enlèvent leur costume, on se les passe à l’avant du bus. Arrivés au Circus on se précipite à l’abri de la salle de répétition improvisée en loges. La pluie crépite sur les tôles, les cintres circulent, chacun enlève son costume….. A demain, 3h, au Circus….

– Martine Rateau. –


La parade (© Vincent Muteau)
« Je crois que cette traversée d’Addis (5 km de parade) a quelque chose de comparable pour le Circus, toute proportion gardée, à la traversée de Brest avec la Transhumance pour nous. C’est une grande marque laissée dans la Ville par le Circus. Le public était extrêmement chaleureux attentif prêt à rentrer dans l’histoire.
La parade (© Vincent Muteau)L’image réalisée à la gare était superbe. Imaginez la gare d’Addis (où tous les employés parlent français) pavoisée aux couleurs de l’Ethiopie et de La France, la locomotive rhinocéros dans l’entrée comme prête à s’échapper.

Arrêt à la gare (© VIncent Muteau)

Les 200 enfants s’installent devant la gare: rythme d’enfer mené par Rascal des Métalo. Et wou la voilà qui sort et court vers le public, charge, revient. Les gens rient, courent même. Les policiers très présents avec le bâton et le fil électrique pour faire reculer les gens, rient franchement. Le rhino charge une dernière fois vers les officiels (parmi lesquels Monsieur L’Ambassadeur de France, Monsieur l’Ambassadeur du Canada, Monsieur l’Ambassadeur de Hollande) et la parade repart vers le lieu du final où a lieu le spectacle du Circus avec une introduction des enfants ayant participé à la parade. Ils participeront également aux dernières images.
Le show du Circus, place Mescal (© Vincent Muteau)La création lumière de Titiman est à la hauteur de sa réputation, toute en nuances. Eclairage aux néons plus projecteurs bien sûr. Parfois les ombres des performeurs se dessinent sur les grandes toiles de Kiké. Le lion est placé au milieu et à un moment du spectacle il ouvre la bouche pour laisser sortir les acrobates.

Le show du Circus, place Mescal (© Vincent Muteau)Le rhino revient sur la scène laissant s’échapper fumée et artifices de sa cheminée.
Final, applaudissements.Premières gouttes de pluie. Incroyable. Les traductions sont diverses Sister, l’infirmière du circus dira que c’est un signe des dieux (de quels dieux, je ne rentre pas dans les nuances), Aboutchou le fils adoptif de Marc (11 ans) dira tout simplement que le soleil a tellement aimé le spectacle qu’il en a pleuré ! C’est pas beau ça! Puis en 5 minutes , je vous assure en 5 minutes, les 10 000 personnes sont parties. Incroyable. C’est vrai que chez nous quand il pleut, on se presse sans vraiment se presser. Et bien j’ai rapidement compris pourquoi 10 minutes après… (c’est comme si on recevait un seau d’eau sur la tête comme quoi,  foi de bretonne, il y a pluie et pluie !).
Panique pour ramasser ce qui craint le plus. Les enfants se serrent (se coincent) dans les bus, les adultes courent vers les voitures. On ne voit plus que les feux arrières des voitures officielles. A quelques uns on range, on couvre le rhino. Les techniciens du circus, Luc, Titiman, Anto démontent les lights et le son mais en faisant très attention. Le courant (heureusement que hier c’était un jour avec) est toujours branché et ici la terre ils ne connaissent pas.
Le rhinocéros est sorti de la gare (© Vincent Muteau)Les voitures font des rotations pour ramener au campus du circus tous les comédiens. Et on finira au fond d’un container (comme ceux qui traînent sur le port de Brest) à attendre. Heureusement que Marc nous trouve des couvertures ! Vous voyez le tableau ! 6 français SDF, une couverture sur le dos, au fond d’un container sans lumière. Et dehors, il pleut toujours.
D’ailleurs il pleuvra presque toute la nuit et aujourd’hui le temps est très gris, lourd, les moustiques sont de sortie. La suite au prochain épisode. Ce mot a été écrit en plusieurs fois comme vous pouvez le voir. L’électricité est revenue, Marc finit son article. Nous sommes lundi matin.
Ah, au fait ce soir, Le Fourneau offre l’apéritif à toute l’équipe (avec mes frais de mission !). Je vous embrasse tous. »

– Michèle Bosseur –

 

Un moment important de la vie du Fourneau …

Pour l’équipe du Fourneau, la rencontre du Circus Ethiopia remontait à l’été 96 en terre auvergnate où 30 jeunes artistes talentueux d’Addis Abeba présentaient pour la 1ère fois en France leur tonique spectacle dans le cadre du Festival d’Aurillac.
Début 97, la Cie Oposito saisit l’opportunité d’un échange avec Addis Abeba en complicité avec Xavier Croci du Forum de Blanc-Mesnil (Seine St Denis). En avril, Marc Lachance et Aweke Emiru effectuent un voyage en France, poussent jusqu’à Brest avec J. Raymond Jacob et découvrent l’esprit et les gens qui animent le grand hangar d’alternatives du Port de Commerce nommé Le Fourneau. Le toit de répétition dont rêvent Marc et Aweke pour leur cirque à Addis Abeba est là devant leurs yeux : les coups de foudre sont réciproques !

Le final Rhinocéros 98, à Addis Abeba (© Vincent Muteau)La suite de l’histoire se nomme Rhinocéros 98, 6 semaines d’aventure de la Cie Oposito à Addis Abeba, un voyage de Michèle Bosseur à travers l’Ethiopie dans la foulée de Marc Lachance, des échanges soutenus via Internet entre l’Ethiopie, la France et la Pointe de la  Bretagne (Le Fourneau de Brest, le Collège du Vizac de Guipavas, Les Arts dans la Rue de Morlaix…)

 

Enfin du 23 au 26 avril, une tournée à Brest et dans l’Ouest 
Ce qui se prépare à Brest dépasse l’offre culturelle traditionnelle. Partie de Brest à bord du bateau Transhumance le 25 octobre 97, la Cie Oposito revient d’Ethiopie et ouvre les pages de son « Carnet de bord », livre d’images, d’émotions, d’impressions, d’odeurs, de couleurs…
Dans le même temps, un nouveau Lieu de Fabrication et de résidence pour les Arts de la rue ouvre ses portes dans le Magasin C du Port de Commerce… Un nouvel acte, une nouvelle aventure qui se tisse…A Morlaix, Le Circus Ethiopia présentera son spectacle en plein air, sur la Place Allende chère à tous les Mordus des Arts dans la Rue.

En complément : « Les artistes de rue ont trouvé leur maison sur site. A Brest, le lieu de vie du Fourneau se prolonge sur le Web. »

Brest, envoyé spécial.

Il faut aller dans la ville d’en bas, longer les quais de la zone portuaire, passer le Foyer du marin et se retrouver dans une petite artère transversale, la rue Porstrein. A droite, un gigantesque entrepôt, le Fourneau, transformé en salle de spectacle, et en lieu de bienvenue pour les troupes d’arts de la rue, qui peuvent y séjourner et y travailler. En face, une boutique, sobrement intitulée Lefourneau.com.

Cantine. L’accueil y est chaleureux. Claude Morizur, chemise rouge, gilet de cuir noir, et Michèle Bosseur, élégance discrète, sont à l’origine de l’association Grains de folie qui, depuis un sac d’années, déroule ses spectacles magiques, des performances urbaines qui marquent les esprits. «Les arts de la rue? Ça va de Royal de Luxe au cracheur de feu et aux jongleurs à trois balles.» Vaste spectre pour le Fourneau, qui tire son nom de ces cantines économiques «qui donnaient à manger aux ouvriers et leur évitaient de boire». Depuis le début des années 80, c’est la vie qui va qui vient, les projets qui se montent, puis un lieu qui se trouve, pour amarrer les existences: ballottée, l’association échoue finalement au fin fond du port de commerce de Brest déjà, pour développer les talents, les histoires, les spectacles.

Mais l’endroit vieillot s’effrite, le béton lâche, ce bout de zone devient dangereux. Il faut fermer, espérer l’attribution d’un nouveau lieu. «Nous n’avions plus de toit. Comment continuer à communiquer avec les gens, comment poursuivre les échanges avec les artistes de rue, les compagnies amies?», s’interrogent les sans-domicile. Un jeune homme se présente: Yffic Cloarec, un ingénieur qui développe des simulateurs de sous-marins pour la Royale. «J’avais envie de créer un site, mais sans tomber dans les pages personnelles, la famille. Et comme j’avais suivi tous les « Grains de folie, ces fêtes magiques qui commençaient à quatre heures du matin, je me suis dit que c’était une bonne idée que de leur proposer mes services.»

L’acceptation est immédiate. «Au départ, on ne savait pas trop ce que ça allait donner. Il y a un an, je n’avais jamais mis le doigt sur un clavier, reconnaît Claude. Et puis on s’est mis à exister à travers ce biais-là.» Surtout à travers une opération, menée avec la troupe complice Oposito, de Noisy-le-Sec. Circus Ethiopia est une expédition dans ce pays de la corne de l’Afrique, pour former aux arts de l’acrobatie des jeunes talents locaux. «Chaque jour, ceux qui étaient là-bas racontaient leur quotidien. Des textes d’abord, qui transitaient par le réseau et qu’Yffic enluminait en allant chercher des photos à la bibliothèque, puis des images photonumériques qui illustraient la tournée.» Malgré les pannes de courant, ou de téléphone, à Addis-Abeba. «Ici, ça a provoqué quelque chose.»
Du bon, «on s’est aperçu que chacun d’entre nous avait sa propre vie, que l’avenir passait par la personnalisation des histoires de chacun.» Du moins bon, «des couples ont failli se séparer», dit Claude. Abus d’écran. «Les hommes sont plus accros à l’Internet que les femmes, vous êtes surfeurs dans l’âme, nous on l’est moins», lui réplique Michèle. «Le soir du réveillon, on était cinq ou six autour de l’ordinateur pour être en contact avec l’Ethiopie.»

Mais c’est ainsi qu’au lendemain de la Saint-Sylvestre, lefourneau.com prend son envol. «On s’est approprié cette aventure. Parce qu’au départ, on n’avait aucune perspective, on affirmait juste notre fourneau virtuel, où on pouvait accueillait les artistes.» C’est toujours la conception maison de l’hébergement. «Quand les artistes de rue seront sur Internet, ils ne seront plus à la rue», plaide Yffic. Aujourd’hui, dans de nouveaux locaux, offerts par la mairie avant démolition future, on accueille des troupes, mais on prend aussi garde de bien guider leurs premiers pas sur le réseau. «On crée ensemble les premières pages de leur futur site, ensuite, à eux de voler de leurs propres ailes», explique l’ingénieur. «On s’est aperçu que l’Internet est pour nous, comme pour eux, un moyen de se raconter, d’exister, de se faire reconnaître», rajoute Claude. C’est ainsi qu’on retrouve la bande de lurons lors de la première fête de l’Internet au printemps dernier. Un ancien docker est déguisé en Gill Bates et apostrophe les passants, la rue «est surbaptisée, non rebaptisée» et devient la rue Porstrein de l’Internet. En direct. Et ce n’est qu’un début. L’été dernier, durant les «Jeudis du port», manifestations où se mélangent arts de la rue, musiques des mondes et libations nocturnes, des stagiaires du Télégramme de Brest suivent en direct la fête et la racontent immédiatement sur le site du fourneau. «Sans filtre, comme pour nos spectacles. A la fin des représentations, les acteurs venaient lire les papiers, regarder les photos, en pleine nuit.» Car lefourneau.com se veut le média des arts de la rue, qui manquent de reconnaissance, de lecture, de traitement. Mais pas seulement: l’envie se fait pressante, dans cet environnement portuaire dont l’âme change, d’essaimer, de former, d’enseigner. Mardi dernier, lefourneau.com a obtenu du ministère de la Culture l’appellation «espace culture multimédia». Et aura donc le droit de former, de démontrer, d’enseigner les bienfaits du Web. «Au début, le propriétaire des bureaux nous prenait pour des cracheurs de feu, la dernière fois, il est resté trois heures à parler avec nous. Et on pourra peut-être récupérer la boutique vide du coiffeur d’à côté, pour s’équiper en salles de formation.»

Visite en Poddémie. En attendant, il est opportun de faire un saut sur la vitrine virtuelle du prochain spectacle monté par le Fourneau (1). La Poddémie, petite île francophone de l’Atlantique Sud, avec ses coutumes, son folklore, est en visite dans cette Bretagne ouverte aux autres. Pour en savoir plus, car cela le mérite, il suffit d’un simple clic.

(1) www.lefourneau.com

Rémy FIERE

1998, L’année Internet

L'équipe du Fourneau au départ de l'année 1998 (Photo Michel Prigent / Scanner de Brest)
 

Brest, le 31 décembre 1997, « Midi moins d’quart », cour de la rue de Bassam
Photo spécialement dédiée à ceux qui font rêver le monde !
«Les parfaits voyageurs ne savaient pas où ils allaient. L’instant d’une photo, ils se sont donné la main»