Au Chili, explosion de plaintes contre les carabineros

Après deux mois de contestation sociale au Chili, la mobilisation contre le gouvernement ne faiblit pas face à une répression sauvage. En un mois 22 personnes sont mortes, 2381 ont été blessées et 217 ont subi des blessures oculaires graves causées par des balles en caoutchouc. Les plaintes pour violences sexuelles envers les autorités ont explosé depuis la mi-octobre. En quatre semaines, au moins 93 personnes, parmi lesquelles 23 mineures, ont dénoncé de tels actes.
Les organisations de défense des droits de l’homme et associations féministes et LGBT annoncent 346 actions judiciaires en cours dont 246 cas de tortures et 58 pour des violences sexuelles … Les personnes éborgnées sont parmi les symboles de la répression policière …
Une vidéo de 2’13 » datée du 15 novembre 2019

Le dernier bilan présenté par l’Institut national des droits humains (INDH), un organisme public indépendant, est effarant. « La police chilienne a toujours réprimé les mouvements sociaux plus fortement que dans les autres pays de la région, explique Lucia Dammert, sociologue à l’université du Chili spécialisée dans les questions de sécurité, mais le niveau de violation des droits de l’homme auquel on assiste aujourd’hui est sans précédent depuis la dictature militaire [1973-1990]. »


Au Chili, des policiers et militaires accusés de violences sexuelles contre les manifestant.e.s

Des dizaines de cas de violences sexuelles commises par la police et l’armée, dans le cadre du soulèvement populaire qui embrase le pays, sont dénoncés par des associations féministes et LGBT ainsi que des organisations de défense des droits de l’homme.

Un article de Aminata Niakaté paru le jeudi 14 novembre dans Révolutionpermanente.fr

Crédit photo : DR

Alors que de nombreuses plaintes déposées décrivent des actes de torture et de violences sexuelles, la ministre chilienne de la femme et de l’égalité de genre, Isabel Plá, n’a pas eu honte de parler de « Tolérance zéro envers les violences faites aux femmes. », dans un tweet publié ce lundi 11 novembre. En quelques secondes, un déferlement de colère s’est propagé sur le réseau social : « Combien de femmes agressées sexuellement par la police avez-vous accompagnées ? », régit une utilisatrice ; « Rendez-nous service et démissionnez », s’indigne une autre. Ce n’est pas pour rien qu’on trouve le portrait de la ministre placardé sur les murs avec l’inscription « Plá dehors ! ».

Une répression brutale en réponse à la grande rébellion populaire qui secoue le Chili

Lucia Dammert, sociologue à l’université du Chili spécialisée dans les questions de sécurité explique dans les colonnes du Monde : « La police chilienne a toujours réprimé les mouvements sociaux plus fortement que dans les autres pays de la région, mais le niveau de violation des droits de l’homme auquel on assiste aujourd’hui est sans précédent depuis la dictature militaire ».

Pour ne citer que quelques exemples de ces derniers jours, à Coyhaique, ville située au Sud du Chili, la police-militaire (carabineros) a demandé aux autorités des lycées de fournir une liste avec les noms des étudiants participant aux manifestations. A Villa Alemana, ville proche de Valparaiso, cinq jeunes de moins de 14 ans ont été violemment réprimés et embarqués dans un fourgon de la police-militaire, mercredi soir, a dénoncé la commission de droits de l’homme de la ville.

Depuis le commencement de la rébellion populaire il y a un mois, on dénombre 18 personnes qui auraient été tuées, 2 000 blessées, dont 200 éborgnés, ainsi que plus de 10 000 personnes arrêtées.

Une répression particulière pour les femmes et diversités de genre

L’Institut national des droits humains (INDH), un organisme public indépendant, a dénoncé, parmi les nombreux cas de violation de droits de l’homme, une explosion de victimes de violences sexuelles : au moins 93 personnes, dont 23 mineures, ont dénoncé auprès de l’organisation des « traitements cruels, inhumains et dégradants avec violence et connotation sexuelle » commis par la police-militaire et par l’armée. Plusieurs femmes ont disparu.

L’INDH a déjà présenté une cinquantaine de plaintes pour violences sexuelles devant la justice. « Certaines pratiques illégales reviennent régulièrement dans les témoignages, et ce à travers tout le pays. C’est comme si la police les avait institutionnalisées », explique dans Le Monde Danitza Pérez Cáceres, membre de l’Association des avocates féministes (Abofem). « Les manifestants arrêtés par la police sont souvent forcés de se déshabiller entièrement. C’est quelque chose de complètement interdit, tant au niveau international que national », explique Camila Troncoso, membre de la même association. Les avocates parlent aussi des scènes d’humiliation racontées par leurs clientes : des jeunes femmes auxquelles on aurait interdit de remettre leurs sous-vêtements alors qu’elles avaient leurs règles, par exemple.

Une femme détenue a dénoncé avoir été plaquée au sol et qu’un membre de l’armée l’a menacé de la tuer si elle bougeait ; il l’a pointée avec un fusil et lui a dit qu’il allait « la pénétrer avec l’arme ». La plainte a été reprise par l’INDH. Une autre plainte connue est celle de Pamela Maldonado, détenue et menacée d’agression sexuelle par un policier, au cours de son transfert dans un commissariat : « Voyons si ça te plaît dans le cul », lui aurait-il dit. Josué Maureira, 23 ans, étudiant en médecine, raconte dans un poignant témoignage comment il a été victime d’insultes homophobes pendant qu’on le torturait, violait et menaçait de mort.

La discipline du genre est devenue un outil de la violence de l’État à l’égard des femmes et diversités de genre. Les agressions sexuelles perpétrées par les membres des forces répressives ont pour objectif de marquer les corps, de les punir et de discipliner, tant physique, psychologique que politiquement. Car ces violences ne cessent pas avec les abus mais se poursuivent ensuite par l’étouffement des dénonciations, le fait de réduire les victimes au silence par peur de représailles, comme l’explique l’avocate Danitza Pérez Cáceres, d’Abofem au Monde « Beaucoup ont peur. Les policiers disent souvent aux manifestants qu’ils savent où ils habitent, qu’ils peuvent les retrouver, les tuer »

Le gouvernement chilien ne finit pas de s’enfoncer dans les mensonges. Lundi dernier, il y a eu une audience spéciale des représentants du gouvernement chilien devant la Cour interaméricaine des droits humains à Quito, Equateur. Ils ont nié toute violation des droits de l’homme sur leur sol et se sont contentés, sans vergogne, de condamner les dommages matériels causés par les manifestants.


Chili. Amnesty International dénonce les violations des droits humains devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme

Chili Amnesty International / 11 nov 2019

Les autorités chiliennes continuent de commettre des violations des droits humains de façon généralisée, montrant ainsi que le gouvernement du président Sebastián Piñera n’a pas pris de mesures efficaces pour faire face à la crise, a déclaré Amnesty International devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme lors d’une audience qui a eu lieu à Quito, en Équateur, le 11 novembre 2019.

Amnesty International continue d’enquêter sur les graves violations des droits humains et les possibles crimes relevant du droit international commis dans le contexte des manifestations au Chili, mais les informations recueillies jusqu’ici permettent déjà de conclure de façon préliminaire qu’il ne s’agit pas de faits isolés et que le recours excessif à la force par les autorités chiliennes a été une constante.

« Il est évident que le président Sebastián Piñera n’a pas pris toutes les mesures à sa disposition pour faire cesser les graves violations des droits humains et les possibles crimes relevant du droit international qui ne cessent d’être commis au Chili depuis le début des mouvements sociaux. La violente répression qui vise les manifestants persiste et pourrait même s’intensifier à la suite de la proposition de nouvelles mesures de sécurité émise par le président le 7 novembre », a déclaré Erika Guevara Rosas, directrice d’Amnesty International pour les Amériques.

« Il est évident que le président Sebastián Piñera n’a pas pris toutes les mesures à sa disposition pour faire cesser les graves violations des droits humains et les possibles crimes relevant du droit international qui ne cessent d’être commis au Chili depuis le début des mouvements sociaux. » Erika Guevara Rosas, directrice d’Amnesty International pour les Amériques

« Cette continuité prouve qu’il n’existe aucune réelle volonté de changer de stratégie, malgré l’échec de cette dernière, et de répondre aux demandes de la population dans le plein respect de ses droits. Une fois encore, Amnesty International lance un appel au président : il n’y a pas de temps à perdre, ordonnez que les forces de sécurité cessent immédiatement de provoquer des dégâts. Sans cela, il sera impossible d’établir un véritable dialogue sur les préoccupations de la société relatives aux droits humains. Les yeux du monde restent braqués sur le Chili. »

L’équipe d’Amnesty International chargée des crises et de la réponse tactique pour les Amériques effectue une mission de deux semaines sur le terrain ; en collaboration avec Amnesty International Chili, elle rassemble minutieusement des informations sur les graves violations des droits humains et les crimes relevant du droit international. L’équipe d’investigation a rencontré les autorités chiliennes, des organisations de la société civile, des victimes de violations des droits humains et leurs proches. En à peine une semaine, Amnesty International a reçu plus de 10 000 signalements et de très nombreux éléments audiovisuels concernant le recours excessif à la force de la part de militaires et de carabineros (policiers en uniforme) ; les spécialistes du numérique et des armes au sein de l’organisation vérifient actuellement toutes ces informations. Les résultats de cette enquête seront présentés prochainement.

« Ce qui se passe au Chili est tragique. En trois semaines, l’État a fait un usage excessif et, bien souvent, inutile de la force, fréquemment contre des personnes qui participaient à des manifestations majoritairement pacifiques ou qui se trouvaient à proximité. Soyons bien clairs : nous ne parlons pas de faits isolés. Les cas se comptent par milliers et se produisent dans pratiquement tout le pays », a déclaré Ana Piquer, directrice exécutive d’Amnesty International Chili.

3Comment le gouvernement chilien peut-il minimiser la gravité de ces faits qui se produisent quotidiennement ? Il est urgent de prendre des mesures pour que cela cesse. » Ana Piquer, directrice exécutive d’Amnesty International Chili

« Il est effrayant de constater qu’en l’espace de quelques jours, plus de 20 personnes ont perdu la vie, dont cinq, semble-t-il, aux mains d’agents de l’État. Il faut ajouter à ces chiffres les centaines de personnes ayant subi des lésions irréversibles, comme la perte d’un œil, dues aux tirs de balles en caoutchouc ou de bombes lacrymogènes qui les ont atteintes directement à la tête. Amnesty International a également relevé des cas de torture et de violence sexuelle. Comment le gouvernement chilien peut-il minimiser la gravité de ces faits qui se produisent quotidiennement ? Il est urgent de prendre des mesures pour que cela cesse. »

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