Robin Cartier tente de faire bouger le football face à l’urgence climatique …

La Fifa vient de confier l’organisation de la Coupe du monde 2034 à l’Arabie saoudite . Robin Cartier a 25 ans et veut faire bouger le football face à l’urgence climatique. Étudiant, militant et coach, il dénonce les excès de la Fifa et imagine un sport à la hauteur des enjeux actuels. «Rendre le football au peuple, ramener la démocratie dans ce sport . Ce jeu doit appartenir aux supporters, pas aux multinationales.» Reporterre et So Foot racontent son combat …

Robin, le « Greta Thunberg du football » qui défie la Fifa

Un portrait signé Alexandre-Reza Kokabi et NnoMan Cadoret (photo) paru dans Reporterre du 8 février 2025 …

Robin Cartier devant le siège de la Fédération française de football, à Paris, le 8 janvier 2025. – © NnoMan Cadoret / Reporterre

Il a traversé l’Europe en train, dix-neuf heures depuis Malmö, en Suède, pour protester devant le siège de la Fifa à Zurich, en Suisse. Les 10 et 11 décembre, Robin Cartier, un Français de 25 ans, s’est posté seul sous un ciel bas, brandissant ses deux banderoles. Sur l’une, accrochée à la devanture en lettres noires et en anglais : «Non à la Coupe du monde 2034 en Arabie saoudite». Sur l’autre, dans ses mains : «La Fifa tue la planète, les gens et le football». Pendant ce temps, à l’intérieur, l’organisation officialisait l’attribution des Coupes du monde 2030 et 2034 : la première sera disputée sur 6 pays et 3 continents, la seconde en Arabie saoudite.

«Plus c’est gros, plus ça passe», soupire Robin, attablé quelques semaines plus tard dans un bistrot parisien, avant de reprendre son train vers Malmö. Un peu intimidé, enroulé dans une écharpe jaune de l’Ukraine, il porte fièrement le maillot des Forest Green Rovers, le club anglais réputé pour être le plus écolo du monde. Ses cheveux mi-longs rappellent ceux de Héctor Bellerín, le footballeur végane — qui ne mange et n’utilise aucun produit d’origine animale — du Real Betis Balompié, à Séville. Un hasard? Pas vraiment, c’est l’un de ses joueurs préférés.

Au siège de la Fifa, «  c’était tendu, mais je savais pourquoi j’étais là  », certifie Robin Cartier. © NnoMan Cadoret / Reporterre

Aujourd’hui étudiant en master sport et société en Suède, Robin Cartier conjugue son amour pour le ballon rond et son engagement écologiste. Pour lui, le football-business a perdu pied, coupé des enjeux climatiques et des valeurs qui l’ont fait rêver enfant. Ce cheminement, entamé sur les terrains cabossés de la Mayenne, l’a mené jusqu’aux portes de la Fifa, prêt à défier l’organisation qui régit le football mondial.

Contre-la-montre

Robin Cartier a grandi à Sainte-Suzanne, dans la ferme familiale où son père élève des bovins. «J’ai passé mon enfance dehors, à courir après les animaux, à jouer dans le foin», sourit-il. Son rêve d’alors? Travailler dans un zoo. Mais ce qu’il retient rétrospectivement, ce sont les étés de plus en plus secs, rendant le travail de son père plus difficile. «Ces changements, je les ai vus de près. Ça marque.»

À 6 ans, il a pris sa première licence au FC de la Charnie, le club local. Là, il a découvert le plaisir du jeu, les entraînements avec les copains, l’excitation des matchs du samedi matin. Le terrain évoluait au gré des saisons : pelouse brulée et nuages de poussière en été, boue collante et ballons ralentis en hiver. «Mais on jouait, et c’est tout ce qui comptait», dit-il avec nostalgie. Capitaine parfois, impliqué toujours, excessif à l’occasion. «Je prenais tout à cœur. C’était mon équipe, mes copains. Les arbitres m’entendaient souvent râler.»

Robin Cartier a commencé le football dès 6 ans, dans son club en Mayenne. © Robin Cartier

Adolescent, il a rejoint le bureau du club et convaincu la mairie d’entretenir le terrain. Peu après, il a monté une équipe de jeunes avec des amis du collège et du lycée. Quand le village a accueilli une cinquantaine de personnes migrantes après le démantèlement de la jungle de Calais, il leur a organisé des entraînements deux fois par semaine. «C’est là que j’ai perçu toute la dimension sociale du football, ce langage universel qui relie les gens.»

Deux fois par semaine, Robin entraînait des personnes migrantes. © Robin Cartier

Après un bac et une filière Staps, Robin s’est orienté vers le management du sport. Il a vite déchanté : «Tout tournait autour de la rentabilité. Comment gagner de l’argent avec le sport. Ça ne me parlait pas.» C’est lors de sa troisième année à Birmingham, en Angleterre, qu’il est tombé sur le rapport Playing Against the Clock («Jouer le contre-la-montre») de David Goldblatt, critique acerbe des émissions de CO2 du football. Une révélation. «J’ai compris qu’il y avait un énorme enjeu à créer des ponts entre le football et la lutte contre le changement climatique

Lors de son séjour en Angleterre, il a visité le club des Forest Green Rovers. «Le stade fonctionne à l’énergie verte, la nourriture est végane, même l’éclairage est optimisé. Si ce petit club le fait, pourquoi pas les autres?»

Poursuivant ses études à Oslo, puis à Malmö, il a approfondi sa réflexion. Ses cours l’ont amené à questionner la Fifa et à envisager des alternatives au modèle dominant. «J’ai découvert à quel point le football mondial est éloigné des valeurs qu’il prétend incarner.» En parallèle, il a entraîné, jusqu’à fin 2024, l’équipe féminine des moins de 17 ans du FC Rosengård, le plus grand club de Suède.

«Le foot ne doit pas appartenir aux multinationales»

L’idée de manifester devant la Fifa a mûri progressivement. Un jour, en classe, une camarade l’a interpelé : «Pourquoi tu n’y vas pas directement?» Il a alors fondé la Climate Action Football Association, une organisation dédiée à sensibiliser les amateurs de football et à dénoncer les décisions climaticides. Il a publié une lettre ouverte pour expliquer sa démarche.

Deux pancartes, trois trains et une nuit blanche plus tard, il s’est retrouvé seul devant le siège de la Fifa. Quelques passants se sont arrêtés pour échanger. Des supporters marocains, venus célébrer l’attribution de la Coupe du monde 2030, l’ont accusé de gâcher la fête. «C’était tendu, mais je savais pourquoi j’étais là. Trois continents représentés, ça signifie une explosion des déplacements en avion. L’Arabie saoudite, c’est un pays qui se sert du football pour promouvoir le pétrole.»

Il dénonce notamment le partenariat entre la Fifa et le géant pétrolier saoudien, Aramco. © NnoMan Cadoret / Reporterre

Depuis Zurich, il a participé à des réunions avec Fossil Free Football, un réseau militant européen qui le soutient, destiné à expulser les industriels fossiles du football. «Robin incarne cette frustration grandissante des amateurs de foot face à une institution qui refuse de se réformer, estime Frank Huisingh, fondateur de Fossil Free Football. Rien ne changera sans la pression extérieure de gens comme lui.»

La presse suédoise et française le surnomme le «Greta Thunberg du football», en référence à l’activiste suédoise. S’il trouve cela flatteur, il refuse de s’en approprier le titre : «Il y a déjà plein de Greta du football, qui mériteraient d’être mieux connues. Des joueuses comme Katie Rood dénoncent déjà les partenariats de la Fifa avec des entreprises polluantes comme Aramco», le géant pétrolier saoudien.

À la limite, il préfère être le «Robin des bois du football». «Rendre le football au peuple, ramener la démocratie dans ce sport, c’est ça qui me motive. Ce jeu doit appartenir aux supporters, pas aux multinationales.»

«On n’a pas trop le choix»

Stéphane Blanchard, éducateur mayennais et ancien formateur de Robin Cartier, a découvert son action dans la presse. Il n’a pas été surpris. «Il ne fait pas les choses à moitié quand il croit en une cause. Robin vient du football populaire, et voir ce football ultra-commercial se couper de la réalité et des crises que le monde traverse, c’est une catastrophe à ses yeux. Il a lancé un pavé dans la mare. Il est courageux, et il mérite qu’on le rejoigne dans son combat.»

Robin, en revanche, ne manifestera plus seul. «Ce combat doit être collectif. Mon objectif est de créer un contre-pouvoir face à la Fifa, en mobilisant des figures publiques et en inspirant les amateurs à s’engager.»

Ses prochaines cibles? Les fédérations nationales, et notamment la Fédération française de football. C’est devant elle qu’il pose pour notre séance photo. «La Fifa a du pouvoir, parce qu’on lui en donne. Si les fédérations arrêtaient d’applaudir, ce pouvoir s’effriterait. Il faut que notre football français s’engage sur ces questions.»

Avant de nous quitter, sac à la main, il imagine des chemins désirables pour le football d’après, plus sobre et plus juste. Réduire le nombre de compétitions, limiter les déplacements, revoir les formats pour concilier inclusion et environnement : des solutions existent. «On n’a pas trop le choix, de toute façon! Si on continue ainsi, le football risque de disparaître, étouffé par ses propres excès.» Tout passionné du football qu’il est, il compte bien se battre pour éviter le hors-jeu climatique.


Robin Cartier : « La crise climatique n’existe pas pour la FIFA »

Un article signé Mathias Jobert dans SoFoot du

Seul face à la FIFA et au monde du football-business, Robin Cartier, étudiant français à Malmö, s’est rendu à Zurich pour protester contre l’attribution de la Coupe du monde 2034 à l’Arabie saoudite. Surnommé par les médias suédois le « Greta Thunberg du foot », il n’a pas hésité à braver les interdictions pour porter seul son message sur l’écologie, la démocratie et les valeurs du ballon rond. Entre désillusion et colère, il raconte son combat face à une organisation qu’il juge sourde à la crise climatique et aveuglée par l’argent.

Mercredi 11 décembre, direction Zurich pour Robin Cartier, le « Greta Thunberg du foot », comme aiment l’appeler Ouest-France et les médias suédois. Étudiant en master sport et société à l’université de Malmö, ce Mayennais de 24 ans a quitté son campus scandinave pour monter au front contre l’attribution de la Coupe du monde 2034 à l’Arabie saoudite. « Un non-sens », selon lui. Ancien coach de foot féminin et fan du Stade lavallois, Robin ne compte pas rester sur la touche. Il nous explique son initiative.


Tu t’es donc retrouvé tout seul à Zurich à protester devant le siège de la FIFA ?

Ouais, j’étais tout seul. C’était un peu fou. J’en ai très peu parlé autour de moi parce que j’avais assez peur. J’ai pris quatre trains, ça m’a pris 19 heures depuis Malmö. J’ai rejoint une amie d’Extinction Rebellion Suisse la veille pour faire quelques photos, mais le jour même j’étais tout seul. Le jour de l’attribution des Mondiaux 2030 (Argentine, Espagne, Maroc, Paraguay, Portugal et Uruguay) et 2034 (Arabie saoudite), il y avait toutes sortes de personnes : des officiels, des journalistes, même des fans marocains ou saoudiens. Tous étaient contents. Moi, j’étais là un peu pour gâcher la fête avec mes pancartes « Stop Coupe du monde Arabie saoudite 2034 », « Le pétrole tue » et « La FIFA tue le football, les gens, et la planète ».

Tu as pu échanger avec ces gens ?

Je n’étais pas le bienvenu, très clairement. Des fans marocains sont venus me voir et on a eu des échanges houleux, ils voulaient que je parte avec mes pancartes. Des officiels et journalistes saoudiens m’ont pris en photo. J’ai demandé pourquoi ? Mais il n’y avait aucune discussion. Je les ai interpellés : « Combien de personnes vont mourir pour cette Coupe du monde ? Vous êtes en train de tuer la planète » devant l’entrée de la FIFA, alors qu’ils célébraient avec le drapeau saoudien. J’ai essayé de m’incruster sur leurs photos avec ma pancarte. Ils refusaient de parler, mais à un moment, il y en a un qui m’a menacé en disant qu’ils me retrouveraient et qu’ils savaient où j’habitais. Quelques minutes plus tard, la police est arrivée. J’étais tout seul parce que le trajet avait un certain coût, mais surtout il y avait une forme d’inconnu. Si la manifestation réunissait plus d’une personne, il fallait une permission du pouvoir suisse. Quand la police est venue, justement, ils m’ont dit que je n’avais pas le droit de partager des messages politiques sur le sol suisse sans permission, mais pour avoir cette permission, il faut être citoyen suisse. Ils m’ont dit que j’avais 5 minutes pour partir et sinon c’était une amende et je pouvais être banni de Zurich. Ça reste une expérience marquante, mais surtout frustrante, j’aurais voulu me rapprocher de la FIFA, mais c’était trop risqué. Je voulais vraiment être pacifiste et non violent. J’ai pris un peu goût à cette expérience. La prochaine fois, je veux ramener plus de monde, mais auprès des fédérations nationales.

Cette attribution de la Coupe du monde à l’Arabie saoudite était jouée d’avance : ton action était donc bien réfléchie ?

J’avais pris mes billets déjà il y a un mois, il n’y avait aucune surprise, ça fait déjà plus d’un an que la FIFA a promis cette Coupe du monde à l’Arabie saoudite, le fait de mettre les deux candidatures ensemble (2030 et 2034), tout est parfaitement bien mené par Gianni Infantino pour que ça revienne à ses copains saoudiens. Je pense que ce qui caractérise le plus cela, c’est le partenariat entre la FIFA et Aramco, qui est finalement une façon pour l’Arabie saoudite d’acheter la Coupe du monde 2034 à la FIFA. Ils sont tout simplement en train de vendre le football à l’Arabie saoudite.

Rien n’empêche n’importe quelle fédération de s’opposer à la FIFA. Du côté de la Fédération française de football, c’est un silence total.

Philippe Lahm a critiqué le processus de désignation. Qu’en as-tu pensé ?

Il n’y a même pas un semblant de démocratie dans ce vote, tout est déjà décidé, tout est déjà falsifié par la FIFA. On n’a plus qu’à applaudir. Infantino est un dictateur total, comme rarement vu.

Selon le Guardian, la raison pour laquelle tout était fait en distanciel était pour un objectif de diminuer les émissions de CO2 liées aux vols.

Ça, c’est une belle blague quand on vote pour une Coupe du monde en Arabe saoudite. Le problème, c’est la manière dont ça a été amené : il n’y a pas eu de vote réel, si ce n’est un vote par applaudissement. C’est là où la FIFA est intouchable, ils font ce qu’ils veulent, mais là où je suis en colère, c’est par rapport aux fédérations membres.

En effet, il n’y a que la Norvège qui s’est opposée, publiquement.

Toutes les autres fédérations applaudissent, ou elles ne disent rien. Le processus de vote ne permet pas de s’opposer sur le moment de la visio, mais rien n’empêche n’importe quelle fédération de communiquer avant ou après ou de s’opposer à la FIFA. Du côté de la Fédération française de football, c’est un silence total. Ils ont peur des retombées financières d’une prise de position ou alors ils sont juste naïfs par rapport à l’Arabie saoudite… Le président de la fédération suédoise dit avoir rencontré les dirigeants saoudiens, qui ont promis de faire attention aux droits humains, etc. Ça paraît impensable d’avoir une telle naïveté, surtout après avoir vécu le Qatar en 2022.

On est en train de perdre le match contre le changement climatique, et la FIFA se permet de faire des choix lunaires.

Quelle est la menace écologique de l’attribution de la Coupe du monde 2034 à l’Arabie saoudite ?

L’Arabie saoudite subit déjà la crise climatique avec plus de 1000 morts en juin dernier à La Mecque avec 55°C enregistré. Mais elle y participe aussi. Les nouveaux stades, les hôtels, les transports, la ville Neom… tout doit être construit. J’ai vu les images des stades : je trouve ça répugnant et complètement irréaliste. Ce n’est pas le football que je souhaite. Ce n’est plus que du business. En fait, la crise climatique n’existe pas pour la FIFA. Elle a même eu l’audace de qualifier la Coupe du monde au Qatar de neutre en carbone, parce qu’il y a eu des compensations qui sont ultra douteuses.

Sur le plan écologique, la Coupe du monde en Amérique du Nord ne sera pas plus reluisante…

On passe de 32 à 48 équipes. De 64 matchs à 104 matchs. Donc on a plus de fans, plus de voyages, plus d’émissions. Là, on sera sur trois pays ; en 2030 sur trois continents ; en 2034 en Arabie saoudite. Chaque année, on va battre le record d’émissions CO2. Il faut savoir qu’en 2022, au Qatar, c’était 10 millions de tonnes de CO2. Ce qui équivaut aux émissions de l’Uruguay sur une année. Alors que si on fait une métaphore : on est dans le temps additionnel, on est mené au score, on est en train de perdre le match contre le changement climatique, et la FIFA se permet de faire des choix lunaires. Être sponsorisée par une des compagnies qui pollue le plus au monde tout en s’engageant à réduire ses émissions de CO2 pour 2030, c’est un vrai paradoxe.

Qu’est-ce que tu aurais comme idée pour inverser la tendance ?

L’idée ce serait de créer un contre-pouvoir à la FIFA avec des joueurs, fans, équipes, fédérations, sponsors qui peuvent faire pencher la balance. Ce qui a le plus d’impact sur le public, ça reste les joueurs, mais ceux qui sont plus à remettre en question pour moi, ce sont les fédérations. Ce sont à elles que j’ai envie de m’attaquer dans cette dimension activiste.


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