Quand les ultrariches d’Hollywood découvrent la crise climatique …

Le feu ronge Los Angeles, la cité des Anges devenue un enfer pour ses habitants. Plus de 14 700 hectares partis en fumée, des dizaines de milliers de personnes évacuées, des pertes humaines et animales … Zoom sur les nouveaux riches de Malibu qui ont construit « de plus en plus haut dans les montagnes » et sur le scandale des sociétés de pompiers privés réservées aux plus riches …Les flammes qui ravagent les quartiers de stars, en banlieue de Los Angeles, provoquent une onde de choc dont la portée symbolique est colossale.
Un article signé Erwan Manac’h dans Reporterre du 10 janvier 2025 …

Une maison ravagée par les flammes lors d’un incendie dans la région d’Altadena, dans le comté de Los Angeles, en Californie, le 8 janvier 2025.
 

Ce sont certaines des maisons les plus chères des États-Unis qui sont parties en flammes, dans les incendies qui ravagent depuis le 7 janvier les abords de Los Angeles. Le quartier huppé de Pacific Palisades, qui héberge de nombreuses célébrités, a été ravagé par les flammes et le feu s’est attaqué aux collines de Hollywood, à quelques centaines de mètres du célèbre Hollywood Boulevard.

Parmi les stars touchées, Læticia Hallyday, qui a vu sa maison « partir en cendre », ou encore Paris Hilton, qui déclare avoir vu sa maison « brûler en direct à la télévision : c’est quelque chose que personne ne devrait jamais avoir à vivre ».

« Le feu révèle les vulnérabilités du monde dans lequel nous sommes plongés aujourd’hui. Alors que l’argent et la célébrité peuvent entretenir une forme de déni et l’illusion d’invulnérabilité », analyse Joëlle Zask, philosophe et autrice de Quand la forêt brûle (éd. Premier Parallèle, 2019).

La symbolique, renforcée par les images spectaculaires de la catastrophe, ne doit pas effacer le bilan déjà lourd : dix morts et 180 000 personnes évacuées. Mais elle a de quoi créer une onde de choc.

Urbanisme insouciant et opportuniste

Les mégafeux ne sont pas nouveaux en Californie, y compris dans les quartiers les plus bling-bling. Les « tempêtes de feu » portées par les vents dits de Santa Ana, secs et puissants qui descendent des montagnes vers la côte en Californie du Sud, ont marqué l’histoire de la région. Elles ont détruit 403 maisons, dont un ranch appartenant au gouverneur Reagan, en septembre 1970. Ou plus récemment, en 2018, causé l’incendie le plus meurtrier de l’histoire de la Californie (85 morts, 11 disparus et 13 500 maisons détruites) dans la ville de Paradise.

La ville de Malibu, proche du sinistre actuel, « a été définie par le feu dans l’imaginaire étasunien, tout au long du XIXe siècle et jusqu’à aujourd’hui », écrit l’historien étasunien Mike Davis, dans un texte daté de 1998 particulièrement éclairant sur la genèse de la catastrophe actuelle. L’auteur décrit comment les plus riches, notamment grâce au soutien public aux sinistrés, ont profité des incendies pour accroître leur emprise sur la « ceinture de feu » qui aurait dû être préservée des constructions pour prévenir les dégâts futurs. Et comment la protection de leurs villas mobilise une « armée de pompiers » alors que les quartiers populaires apparaissent démunis et enregistrent les plus lourdes pertes.

« Les nouveaux riches de Malibu ont construit de plus en plus haut dans les montagnes »

Malgré les incendies de 1978, 1982 et 1985, « les nouveaux riches de Malibu ont construit de plus en plus haut dans les montagnes, sans se soucier des conséquences inévitables des incendies », écrit Mike Davis.
La catastrophe est également symbole de la perte de la « culture du feu » dans les pays riches, estime Joëlle Zask. « Dans les pays pauvres, la forêt est davantage habitée et entretenue pour prévenir les incendies. À l’inverse, les plus riches qui vivent dans des régions comme la Californie y habitent un peu comme des touristes qui visitent un pays. Ils l’occupent, mais ils ne s’en occupent pas », observe la philosophe.

Symbole d’une impasse du « capitalisme vert »

Ironie de l’histoire, l’État de Californie a été, de par sa vulnérabilité et l’importance de sa contre-culture, un des berceaux du mouvement écologiste aux États-Unis. « Cette histoire a positionné la Californie un peu à la pointe en termes de politique climatique, avec un positionnement favorable à un “capitalisme vert” », retrace Édouard Morena, chercheur en sciences politiques à l’université de Londres et auteur de Fin du monde et petits fours.
L’ex-maire de Los Angeles, Éric Garcetti, a d’ailleurs présidé le réseau international de villes actives sur le climat, C40, entre 2019 et 2021. « L’actualité est donc également, d’une certaine manière, symbolique de l’impasse de ces politiques », juge Édouard Morena.

Par sûr, néanmoins, que cette catastrophe accélère l’évolution des consciences. « Il y a déjà eu beaucoup d’alertes dans les pays riches. Les feux se sont rapprochés des grandes capitales comme Sydney [Australie] ou Washington [États-Unis] et l’idée qu’ils puissent être un jour incontrôlables progresse, rappelle Joëlle Zask. Ça ne génère pas de changement à grande échelle. Nous désignons des coupables, au lieu de voir que ces mégafeux sont dus à une pluralité de facteurs. »

C’est ce qu’a fait Donald Trump sans attendre la fin du brasier, en affirmant que la Californie manquait d’eau à cause des politiques environnementales démocrates qui détourneraient l’eau de pluie pour protéger un « poisson inutile ». Un réflexe là aussi symbolique du moment politique que traversent les États-Unis, alors que Donald Trump doit être investi président le 20 janvier et promet de saper les politiques de lutte contre le changement climatique.

« L’ampleur du feu n’a d’égale que l’ampleur du déni de Donald Trump et d’Elon Musk, réagit Joëlle Zask. Nous constatons sous nos yeux que le monde qu’ils sont en train de préparer, avec la brutalité qu’on leur connaît, est un monde qui brûle. »


Incendies à Los Angeles : le scandale des sociétés de pompiers privés réservées aux plus riches

« Business is business ».  Un article publié dans Marianne du

Des pompiers privés à la rescousse de villas de luxe ? C’est le scandale qui divise aux États-Unis, alors que la ville de Los Angeles est touchée par de violents incendies depuis ce mardi 7 janvier. Si la pratique n’est pas nouvelle outre-Atlantique, elle a le vent en poupe depuis la recrudescence des feux en Californie ces dernières années …

Aux États-Unis, des incendies dévastateurs et « hors de contrôle » continuent de frapper la Californie. C’est le chaos dans plusieurs quartiers emblématiques de Los Angeles depuis mardi 7 janvier. En témoignent les images qui nous parviennent notamment de Pacific Palisades, dévoilant des scènes apocalyptiques après le passage des flammes. Selon les pompiers locaux, il s’agirait de l’« une des catastrophes naturelles les plus destructrices de l’histoire » de la ville.

Dans ce marasme, un commentaire publié sur X a particulièrement agité les internautes ces dernières heures : celui d’un certain Keith Wasserman. Alors que ce millionnaire américain à la tête d’une société d’investissement immobilier a vu les feux ravager sa villa, il s’est saisi du réseau social pour solliciter de l’aide dans la soirée de mardi.

« Je paierai n’importe quel prix »

« Quelqu’un a-t-il accès à des pompiers privés pour protéger notre maison de Pacific Palisades ? Nous avons besoin d’agir vite ici. Toutes les maisons autour brûlent. Je paierai n’importe quel prix. Merci », a-t-il ainsi publié. Il n’en a pas fallu davantage pour que la polémique éclate dans un contexte particulièrement tendu pour nombre d’Américains sur place…

Le post du P.-D.G. californien a été vu plus de 8 millions de fois avant sa suppression. « Quelle audace, s’est notamment indigné un internaute. Sa famille est évacuée et il essaye d’embaucher des pompiers privés qui risqueraient leur vie pour sauver la maison pour laquelle il est certainement assuré. Incroyablement hors sol. »

La « déconnexion » de cet Américain demandant les services de pompiers privés pour protéger sa maison – alors que cinq morts pris par les flammes sont à déplorer – a été fustigée outre-Atlantique, provoquant des débats enflammés sur la toile. D’autant plus qu’en fouillant dans les publications passées du millionnaire, des utilisateurs de la plateforme X ont découvert que Keith Wasserman s’était déjà vanté… de ne pas payer d’impôts.

De quoi décupler encore la colère de certains internautes. L’agent immobilier affirmait d’ailleurs être contre la taxe foncière… C’est pourtant cette dernière qui finance les pompiers à Los Angeles. Face au scandale suscité, le PDG a été contraint de supprimer à la fois ses messages postés sur le réseau social puis son compte X.

« Je ne protège que les maisons qui sont sur ma liste »

Reste qu’en Californie, région particulièrement touchée par de violents incendies depuis quelques années, un tel service de pompiers privés existe bel et bien depuis les années 2000. Face à ce risque grandissant, certains riches propriétaires de villas de luxe n’hésitent plus à faire appel à ce genre de sociétés spécialisées dans la protection contre les feux de forêts pour protéger leur demeure. Pour quelques milliers de dollars, il est ainsi possible de s’offrir les services d’une équipe de combattants du feu privés pour complémenter l’action des pompiers.

Un fonctionnement qui désorganise les secours publics. « Je ne protège que les maisons qui sont sur ma liste. C’est ça la différence entre moi et les pompiers de l’État. Eux vont protéger chaque maison. Moi je ne protège que les maisons qui sont inscrites dans notre programme », pouvait-on ainsi lire dans un reportage de l’Agence France presse en Californie publié en novembre 2019.

Ce genre de sociétés privées avaient été mises sous les projecteurs par la presse américaine un an plus tôt. Et pour cause, la star de télé-réalité Kim Kardashian et le rappeur Kanye West avaient révélé avoir utilisé leurs services pour protéger leur villa de 60 millions de dollars dans la banlieue de Los Angeles lors des violents incendies de 2018.

Au-delà du scandale suscité par la mise en lumière de ce type de prestation, les tarifs particulièrement élevés pour en bénéficier ont aussi provoqué un tollé. Pour un camion spécialisé dans la lutte contre les incendies et une équipe de professionnels, il faut compter… jusqu’à 25 000 dollars par jour, soit environ 22 000 euros.

Les compagnies d’assurances derrière cet essor

Aux États-Unis, l’essor des sociétés de pompiers privés est poussé… par les compagnies d’assurances. De fait, il revient parfois moins cher de payer des pompiers privés que de financer la reconstruction de maisons de luxe coûtant des millions. Après les incendies ravageurs de 2018 en Californie, réduisant en cendres nombre de villas de ce type, les sociétés d’assurances ont commencé à refuser de couvrir certaines habitations… Et leurs habitants à se tourner vers les services de pompiers privés.

Bien sûr, cela ne va pas sans soulever des questions éthiques. « Notre seul but à nous, c’est de sauver cette maison et éviter qu’elle brûle. Si la maison d’à côté brûle et qu’elle risque par effet domino de contaminer la nôtre, alors oui, on agira chez les voisins. Sinon, on ne fera rien », expliquait par exemple l’un de ces pompiers privés qui côtoient les pompiers de l’État sur le terrain dans un reportage sur France 2 en 2019 – ce dernier précisant être mandaté par une compagnie d’assurances. De quoi ouvrir à nouveau la brèche du débat sur les inégalités aux États-Unis dans un pays plus divisé que jamais.