Pourquoi le club de foot allemand de Leverkusen porte-il le nom de Bayer ?

Le Stade Brestois 29 affronte en Ligue des champions le club allemand du Bayer Leverkusen . Habitué des joutes européennes, ce club est intimement lié à l’entreprise Bayer, géant de l’industrie pharmaceutique et chimique. Ce Bayer qui a racheté pour un montant astronomique en 2016, le fabricant controversé de pesticides Monsanto et qui, aujourd’hui, affiche 34,5 milliards d’euros de dettes …

Le Bayer Leverkusen, un club de foot au secours du géant de la chimie ?

Un article signé Nathalie Versieux dans L’Echo Belge du

Jusqu’au milieu des années 1970, les joueurs du Bayer Leverkusen étaient encore salariés à temps partiel de Bayer. ©AFP

Le Bayer Leverkusen jouait en mai 2024 la finale de l’Europa League, point d’orgue d’une saison parfaite. Le « club des vendeurs de pilules », comme ses adversaires l’appellent parfois avec mépris, appartient à 100% au géant de la chimie Bayer, en grandes difficultés depuis le rachat de Monsanto.

Il y a assurément des villes plus charmantes en Allemagne. Leverkusen, 170.000 habitants, a été taillée sur mesure au croisement des autoroutes A1 et A3 pour les besoins du géant de la chimie Bayer.

La mairie de Leverkusen? Inutile de chercher un bâtiment de prestige. Elle occupe les étages d’un centre commercial, dépourvu de balcon. Ce n’est d’ailleurs pas là que les joueurs de Xabi Alonso brandiront leur trophée fin mai face à 80.000 fans, pour célébrer leur titre en Bundesliga.

Cette année, le Bayer Leverkusen a ravi le titre aux Bavarois, détrônant le Bayern Munich, vainqueur sans interruption du championnat d’Allemagne depuis 2012. « Ce sera la plus grande fête jamais organisée à Leverkusen« , promet le maire de la ville, Uwe Richrath.

Pour fêter le titre, le maire de la ville promet « la plus grande fête jamais organisée à Leverkusen ». ©AFP

Situé au nord de Cologne, sur les bords du Rhin, le « Chempark » de Leverkusen compte 35.000 salariés. La santé du groupe Bayer est donc décisive pour la région.

Un Bayer gagne, l’autre « lutte contre la relégation »

Beaucoup d’habitants de Leverkusen auront bien besoin d’une fête. Pendant que leur club détrône le rival bavarois — et alors que les joueurs de Bayer Leverkusen pourraient également viser un triplé en remportant la finale de l’Europa League et la coupe d’Allemagne – le groupe Bayer, propriétaire du club, « lutte, lui, contre la relégation », selon le magazine der Spiegel. Le géant de la chimie, 100.000 salariés à travers le monde, plombé par le rachat de Monsanto, traverse depuis des années une passe difficile.

Le Bayer 04 Leverkusen est né en 1904, en tant que club multisports, créé pour les salariés de l’entreprise pharmaceutique Bayer. Jusqu’au milieu des années 70, les joueurs étaient encore salariés à temps partiel de l’entreprise. Cette relation historique fait du club l’une des deux équipes (avec Wolfsburg, propriété de Volkswagen), à bénéficier d’une dérogation à la règle dite 50+1 du football allemand, qui stipule que l’actionnariat majoritaire d’une équipe doit rester aux mains de ses membres.

L’histoire de Bayer dans la région remonte à 1891. Cette année-là, l’entreprise Friedr Bayer, trop à l’étroit à Wuppertal, décide de poursuivre son expansion au nord de Cologne, directement sur les bords du Rhin, qui continue aujourd’hui encore d’approvisionner l’usine en matières premières acheminées par péniches. Le « Chempark » de Leverkusen – qui accueille aujourd’hui également d’autres sociétés – compte un total de 35.000 salariés. Autant dire que la santé du groupe Bayer est décisive pour la région.

Le « Chempark » de Leverkusen compte 35.000 salariés. ©Henning Kaiser/dpa
167.000

Depuis 2016, 167.000 Américains ont porté plainte contre Bayer, réclamant des dommages et intérêts à la suite de cancers, liés selon leurs avocats à l’usage du glyphosate.

Le rachat de Monsanto et puis la chute

Les déboires de Bayer remontent au 23 mai 2016. Ce jour-là, le géant du médicament annonce le rachat du géant américain de l’agrochimie Monsanto, pour la somme record de 55,5 milliards d’euros. La direction de l’époque, autour de Werner Baumann, est convaincue que Monsanto permettra à l’inventeur de l’aspirine et de l’héroïne de devenir leader mondial de l’agrochimie. Le rachat est alors la plus grosse acquisition jamais réalisée par une entreprise allemande à l’étranger.

La reprise est un désastre. Depuis 2016, 167.000 Américains ont en effet porté plainte contre Bayer, réclamant des dommages et intérêts à la suite de cancers, liés selon leurs avocats à l’usage du glyphosate, un désherbant de Monsanto dont l’Union européenne a prolongé l’autorisation de dix ans en décembre dernier.

Aux États-Unis, Bayer qui jure de l’innocuité du produit sur la base de plusieurs études, encaisse revers judiciaire sur revers judiciaire. Chaque année, Bayer doit dépenser des milliards en dommages et intérêts, frais d’avocats et amendes aux États-Unis. Des sommes qui manquent notamment pour le développement de nouveaux médicaments alors que tombent les uns après les autres les brevets des « blockbuster » qui ont fait la fortune du groupe.

En 2023, le laboratoire Boehringer Ingelheim, une entreprise familiale, a pour la première fois dépassé la division pharmaceutique de Bayer en termes de chiffre d’affaires.

« Bayer est en feu, et vous, le maître de la maison, vous voulez ranger au lieu d’éteindre l’incendie. »

Un titre qui tombe à pic?

Le titre de Leverkusen tombe à pic pour les salariés de Bayer, habitués à un flot de mauvaises nouvelles. Les actions du groupe ont chuté de 70% depuis le rachat de Monsanto. Après l’arrivée aux manettes du Texan Bill Anderson en juin 2023, l’heure est aux coupes claires et aux plans d’économies. Un « examen stratégique approfondi » est en cours.

Des milliers d’emplois sont menacés, et la direction n’exclut plus à terme un scénario de découpage du groupe en trois unités (médicaments, santé sans ordonnance, agrochimie). 12.000 suppressions de postes avaient été décidées en 2018. Une nouvelle vague de 1.500 départs a été annoncée au premier trimestre, des départs volontaires, et des pré-retraites.

Le Texan Bill Anderson est aux commandes du groupe Bayer depuis juin 2023. ©REUTERS

La convention collective signée avec les représentants du personnel interdit en effet tout plan social avant 2026. Mais les salariés s’attendent au pire après. La direction parle de 2 milliards d’euros d’économies par an, à compter de 2026. Les suppressions de postes concernent pour l’instant les cadres – 17.000 postes – non protégés par la convention collective. « Entre le client et moi, je compte douze étages dans la hiérarchie, c’est tout simplement trop », dénonce Bill Anderson qui juge Bayer « en pleine forme », malgré 34,5 milliards d’euros de dettes.

Les actionnaires se contenteront cette année de 11 centimes d’euro par action, contre plus de 2 euros par le passé. Le mot d’ordre de la nouvelle direction s’appelle DSO, pour « Dynamic Shared Ownership »: les salariés doivent travailler en petites équipes – concentrées chacune sur un client ou un produit – et gérées comme des PME. « Bayer est en feu, et vous, le maître de la maison, vous voulez ranger au lieu d’éteindre l’incendie », s’est emporté Ingo Speich, de Deka Investment, lors de la dernière assemblée générale.

« Si le Bayer 04 ne nous livrait pas chaque semaine un aussi beau football, l’ambiance serait bien pire dans la ville. Le club de la ville est son élixir de vie, sa nouvelle estime de soi. » Un manager de Bayer

Un « élixir de vie » pour la ville

Dans un climat délétère, la nouvelle directrice des ressources humaines, Heike Prinz, mise sur la nouvelle organisation. Et sur les valeurs de Bayer Leverkusen. « Les valeurs du club – l’esprit d’équipe, le courage, la performance – peuvent être transposées au groupe. » 600 postes sont non pourvus chez Bayer, et les perspectives ne sont guère propices à attirer les jeunes.

« Si le Bayer 04 ne nous livrait pas chaque semaine un aussi beau football, l’ambiance serait bien pire dans la ville, assure à la presse allemande un manager anonyme du groupe. Le club de la ville est son élixir de vie, sa nouvelle estime de soi. »

Florian Wirtz, la pépite du Bayer Leverkusen, soulève le trophée de Bundesliga. ©REUTERS

De fait, le club n’est pas concerné par les restructurations. Le bilan du Bayer 04 n’est pas public, mais selon les estimations, Bayer investit chaque année 25 millions d’euros dans son équipe phare. Une victoire en Europa League procurerait des recettes supplémentaires de plusieurs dizaines de millions d’euros. La valeur de l’équipe est estimée à 600 millions d’euros, dont 110 millions pour la jeune star Florian Wirtz.

Au sein du championnat d’Allemagne, seul l’équipe du Bayern pèse plus lourd, avec 930 millions d’euros. Cette année, le club a dépassé les 50.000 membres, contre 300.000 pour le Bayern Munich. « Notre équipe de football est un moyen important de promouvoir notre image dans notre pays et à l’étranger« , avait l’habitude de dire Werner Wenning, – président du Conseil de Surveillance à l’époque du rachat de Monsanto – devant ses actionnaires. Le club pourrait aussi aider le groupe à assainir ses finances. « Tous les grands joueurs prennent de la valeur », rappelait récemment le directeur financier de Leverkusen Wolfgang Nickl.

Chiffres clés
  • Bayer : 100.000 salariés dans le monde.
  • Stade BayArena : 30.210 spectateurs.
  • Capital du Bayer Leverkusen : 6% Bayer, 94% filiale de Bayer.
  • Chiffres d’affaires en 2023 : 47,6 milliards d’euros (-6%).
  • Pertes en 2023 : 2,9 milliards d’euros (bénéfices en 2022 : +4,2 milliards d’euros).
  • Dettes de Bayer : 34,5 milliards d’euros.