France Inter sous la coupe de la censure …

D’après illustration infolibertaire.net

Suite à la suspension de l’humoriste Guillaume Meurice de l’antenne de France Inter, les syndicats de Radio France appellent à la grève le dimanche 12 mai pour « la défense de la liberté d’expression« . D’autant plus que les bouleversements annoncés dans la grille des programmes pour la rentrée prochaine laissent entrevoir un sévère coup de rabot au reportage et à l’écologie

L’humour, pierre angulaire de la liberté d’expression

Un article signé Amaury de Rochegonde publié par RFI le

Guillaume Meurice, humoriste, a été suspendu de l'antenne de France Inter le 2 mai 2024.
Guillaume Meurice, humoriste, a été suspendu de l’antenne de France Inter le 2 mai 2024. © Joël Saget / AFP

C’est un appel à la grève de l’intersyndicale de Radio France qui vise à défendre Le Grand Dimanche, l’émission de Charline Vanhoenacker sur France Inter où officiait Guillaume Meurice jusque fin avril, mais aussi pour mettre en garde contre « un virage éditorial » qui prévoit des économies et la suppression, à la rentrée, de l’émission environnementale La Terre au carré.

Concernant Guillaume Meurice, qui avait comparé en novembre Benyamin Netanyahu à « une sorte de nazi, mais sans prépuce » (sic), c’est la réitération de ses propos, à la suite d’un classement sans suite d’une plainte à son encontre, en avril, qui a provoqué sa mise à pied dans l’attente d’un éventuel licenciement. Ce que n’avait sans doute pas prévu la présidence de Radio France, c’est que tout le groupe se mobiliserait pour « la fin de la répression de l’insolence et de l’humour ».

Quand Rachida Dati défend la direction de Radio France

La ministre de la Culture, Rachida Dati, a apporté son soutien mardi à la présidence de Radio France. Un soutien éminemment politique, car la ministre a dû réaffirmer son appui à la liberté d’expression tout soutenant la direction de France Inter face à Guillaume Meurice.

Pour cela, Rachida Dati a tenté de jouer les bons juristes en disant que certes, l’humoriste bénéficiait d’une plainte classée sans suite, mais que l’Arcom, en novembre, avait mis en garde Radio France qui ne pouvait pas, en conséquence, ne pas réagir. Le risque, c’est vrai, aurait été que le groupe public soit ensuite mis en demeure de respecter son cahier des charges.

Un humoriste n’est pas un journaliste

Ainsi, c’est la vision du gouvernement qui s’est imposée à Radio France. La position de l’Arcom, qui est aussi celle du pouvoir par rapport à la guerre à Gaza, est de favoriser la cohésion de la société française, en particulier du fait de « la recrudescence d’actes antisémites ». Cela peut s’entendre.

Mais, outre le fait que la sanction n’est pas le meilleur moyen d’éteindre une polémique, il est une chose qui a été complètement sous-estimée au sommet, à savoir qu’un humoriste n’est pas un journaliste. Il ne lui est pas demandé d’être équilibré ou même intellectuellement honnête, mais de grossir le trait et de purger par le rire les abcès de notre époque.

Alors, on peut trouver que Guillaume Meurice a fait une mauvaise blague, pas drôle, mais de là à dire qu’elle est antisémite, comme le fait Alain Finkielkraut, c’est grave, car cela vise à faire taire le droit à la caricature comme il existe dans la presse. Et oui, la justice l’a rappelé, on a le droit de dire, à la façon d’un humoriste, que la judéité de Benyamin Netanyahu ne le prémunit pas d’actes barbares


Plusieurs émissions écolos de France Inter, dont « La Terre au carré », disparaîtront à la prochaine rentrée ou seront transformées. Moins de luttes, plus de science : la radio prend un virage qui ne plaît pas à tous.

Il est 14 heures, le lundi 6 mai. À l’antenne de France Inter grésille la voix teintée de tristesse de Jean. Puis celle de Martine, « scandalisée », ou encore Suzanne, « abasourdie ». « Au moment même où les médias ont le devoir de mieux et plus parler d’écologie, on supprime une émission phare sur le sujet », déplore-t-elle. Un brin agacé, Dominique ponctue : « Force à vous, et longue vie ! »

D’ordinaire joyeux et mobilisateur, le répondeur de « La Terre au carré » a changé de ton lundi. Avant que ne débute un nouvel épisode de l’émission écolo de France Inter — à laquelle participe chaque mois Reporterre —, son présentateur Mathieu Vidard a déclaré : « À l’heure où je vous parle, il a été acté que “La Terre au carré” sous sa forme actuelle disparaîtrait à la rentrée. Ça n’est pas un choix de notre part. »

Trois jours plus tôt, le journal Le Monde dévoilait l’atmosphère tempétueuse régnant dans les couloirs de la Maison ronde de Radio France. Convoqués tour à tour, plusieurs journalistes de France Inter ont appris la diminution ou la suppression de leurs émissions ou chroniques, à compter de la saison prochaine. Et l’équipe de Mathieu Vidard n’échappe pas au grand ménage orchestré par la directrice de la station, Adèle Van Reeth.

Si la tranche horaire de l’émission est maintenue, quelques voix disparaîtront des ondes. À commencer par Anaëlle Verzaux et sa chronique hebdomadaire « Le Jour où », et Giv Anquetil, dont les grands formats mensuels emmenaient les auditeurs aux quatre coins du monde. Plus surprenant encore, Camille Crosnier, en binôme avec Mathieu Vidard, voit aussi son micro coupé. Jusqu’ici la journaliste intervenait à chaque épisode, en plaçant dirigeants, patrons et élus face à leurs contradictions sur l’écologie. Contactés par Reporterre, les journalistes de l’émission n’ont pas souhaité s’exprimer.

France Inter au tempo de Bolloré

Le nom et le contenu éditorial de ce rendez-vous quotidien risquent par ailleurs d’être bouleversés. Toujours dans Le Monde, un porte-parole de France Inter assure que l’évolution du programme « vers davantage de récits écologiques et scientifiques » est un souhait de Mathieu Vidard. Faux, a rétorqué en direct l’intéressé, le 6 mai. S’il ne cache pas le désir de l’équipe « de faire évoluer l’émission en imaginant une nouvelle formule, […] avec une structure et une narration différente », celle-ci devait comprendre « tous les ingrédients ayant construit l’identité de “La Terre au carré” ».


Malheureusement, cette proposition n’a pas été retenue. Du moins, pour le moment : « Nous n’avons pas parlé de vos luttes sur le terrain depuis cinq ans pour nous arrêter au premier obstacle venu », précise-t-il. Le producteur affirme son envie, plus forte que jamais, « de défendre l’émission pour qu’elle conserve sa colonne vertébrale, sa force, sa vitalité et surtout son engagement au cœur de la crise écologique que nous traversons ».

L’autre justification, évoquée par la direction, est la nécessité de rendre l’information « moins anxiogène ». Un argument douteux dès lors que l’on écoute les auditrices et auditeurs témoigner du bonheur et de l’envie d’agir que leur confère l’émission : « C’est cela qu’il nous faut aujourd’hui, assure à Reporterre l’activiste Mathilde Caillard, connue pour ses techno-manifs. Nous n’avons pas besoin que le service public lisse les informations dramatiques pour préserver notre confort. Nous ne cherchons pas à être confortables vis-à-vis de la crise climatique. Ce que l’on veut, c’est agir. »

Aux yeux de la militante, France Inter « se met au diapason d’une nouvelle ère, dictée par un milliardaire à l’agenda politique clair » : « Le service public ne doit pas tomber dans le tempo de l’extrême droite et de Bolloré », alerte-t-elle. Car bien au-delà de « La Terre au carré », d’autres figures voient approcher le clap de fin à grands pas. Charlotte Perry, et ses portraits de héros du quotidien peint avec sensibilité dans « Des vies françaises », ou encore Antoine Chao et son instantané sonore de 18 minutes à la découverte des luttes environnementales et sociales, baptisé « C’est bientôt demain », s’apprêtent à fermer leur micro.

« Ces émissions ont bercé mon enfance, poursuit Mathilde Caillard. Je les écoutais avec ma mère, sur le chemin de l’école ou à la maison, dans son transistor. Pour beaucoup, ces voix sont comme des amies. Elles tirent parfois de la solitude, donnent de la force et offrent des bouffées d’espoir. D’autant que la direction s’attaque à des émissions engagées, parlant de lutte et de résistance face à des projets climaticides. » Charlotte Perry, Antoine Chao, Anaëlle Verzaux et Giv Anquetil ont d’ailleurs tous les quatre appris leurs gammes aux côtés de Daniel Mermet, dans l’emblématique émission — penchant à gauche — « Là-bas si j’y suis » – qui avait elle aussi, en 2014 , été supprimée de France Inter.

Mobilisation générale

L’écologie et les luttes ne sont pas les seules victimes de cette séquence : la satire politique, incarnée par Guillaume Meurice, encaisse aussi les uppercuts. Le 2 mai, sur son compte X, l’humoriste révélait être convoqué à « un entretien préalable en vue d’une éventuelle sanction disciplinaire ». D’ici là, interdiction pour lui de s’exprimer sur les ondes. La direction de Radio France reproche au chroniqueur d’avoir à nouveau qualifié Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, de « sorte de nazi sans prépuce », le 28 avril dans l’émission « Le Grand dimanche soir ».

Une décision déroutante, alors que les plaintes déposées contre Guillaume Meurice pour cette phrase avaient été classées sans suite par la justice. Dans l’émission du dimanche 5 mai, l’humoriste Djamil Le Shlag a ainsi démissionné en direct : « Il y a plus de liberté sur CNews que sur France Inter, a-t-il ironisé. Je vais envoyer mon CV à Pascal Praud. » Les sociétés des producteurs (SDPI) et des journalistes (SDJ) de la station entendent aussi sonner la rébellion : « Nous refusons ce qui nous apparaît comme une atteinte grave au pluralisme de l’antenne », ont-ils déclaré dans un communiqué commun inédit, diffusé le 3 mai en interne.

Les prémices d’une mobilisation inédite à la Maison ronde ? Une chose est sûre : les prochains jours seront déterminants. Le 6 mai, en fin de journée, la SDPI rencontrait la direction pour dénoncer ces dérives. Si le contenu des échanges n’a pas encore été dévoilé, un producteur de France Inter déplore auprès de Reporterre que les échanges ne se soient pas bien déroulés. Dans la soirée, un préavis de grève intersyndical a été déposé pour le dimanche 12 mai par les syndicats de Radio France, « pour la défense de la liberté d’expression ».


À France Inter, un élan de solidarité inédit contre la direction

Un article signé Yunnes Abzouz dans Médiapart du
Toujours pas convaincus par les arguments avancés par la direction pour justifier la mise à pied de Guillaume Meurice et les chamboulements à venir dans la grille des programmes, la rédaction de France Inter et des producteurs organisent la riposte. Les syndicats appellent à la grève dimanche.

La colère ne retombe pas dans les studios de France Inter. Presque une semaine après la mise à pied de Guillaume Meurice, les salarié·es de la radio la plus écoutée de France sont toujours aussi remonté·es contre leur direction, qu’ils soupçonnent de vouloir affadir la liberté de ton et l’irrévérence sur l’antenne, « marques de fabrique » de la station. Les bouleversements annoncés dans la grille des programmes pour la rentrée prochaine, qui portent un sévère coup de rabot au reportage et à l’écologie, sont venus renforcer les craintes de voir disparaître des émissions emblématiques, broyées par une « politique de casse sociale ».

Un élan de solidarité inédit parcourt les couloirs de la station, où les journalistes de la rédaction et ceux des programmes, pas toujours sur la même longueur d’onde, multiplient les actions communes pour préserver la liberté d’expression, indissociable de l’identité de France Inter. « Que ce soit les journalistes en CDI ou les reporters et chroniqueurs en contrats plus précaires, on a l’impression de ne plus reconnaître France Inter », déplore un briscard de la rédaction, journaliste sur la station depuis plus de 30 ans.

Conséquence de ces inquiétudes partagées, les six grands syndicats de Radio France (CFDT, CGT, FO, SNJ, SUD et Unsa) ont appelé à une grève dimanche de minuit à minuit, jour de l’émission de Charline Vanhoenacker. Un mouvement pour « la fin de la répression de l’insolence et de l’humour » et en défense « de la liberté d’expression » sur les antennes de la radio publique.

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© Jean-Marc Barrere / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Les syndicats demandent à la direction de Radio France « la défense du personnel contre toute forme de pression et de dénigrement extérieurs », « la préservation de l’identité et de la singularité de ses chaînes », ainsi que « la résorption de la précarité sur les antennes ». Une assemblée générale doit également se tenir la semaine prochaine, réunissant l’ensemble des métiers de la station.

Le communiqué conjoint, chose inédite, de la Société des journalistes (SDJ) et de la Société des producteurices de France Inter (SDPI), publié vendredi dernier, donnait déjà la mesure de l’unanime fureur et de l’agitation qui règnent dans les bureaux de la Maison de la radio. Au premier rang des griefs portés par les personnels contre leur direction, la suspension de Guillaume Meurice du « Grand dimanche soir », et l’amputation d’un tiers de son budget pour la saison prochaine.

En interne, la direction d’Inter évoque la nécessité de réduire le coût « faramineux » de l’émission, dont elle avait consenti à augmenter le budget l’année passée pour apaiser les tensions liées à la suppression de la quotidienne « Par Jupiter ».

Au-delà des bouleversements subis par l’émission d’humour politique, c’est le tableau d’ensemble, se dessinant ces derniers jours au gré des changements de grille annoncés ou pressentis, qui fait craindre aux journalistes « un virage éditorial plus large ».

La crainte d’assister à l’extinction du reportage dans les programmes

Comme nous le rapportions déjà la semaine passée, plusieurs rendez-vous incontournables de la station publique vont disparaître de la grille à la rentrée. Les portraits de héros ordinaires dressés par Charlotte Perry et diffusés le samedi dans l’émission « Des vies françaises », de même que « C’est bientôt demain », le créneau hebdomadaire d’Antoine Chao consacré à l’actualité des luttes et mobilisations environnementales et sociales en cours, disparaîtront à la fin de la saison.

L’émission la plus durement frappée par ces aménagements de grille, décidés et annoncés individuellement aux concernés par la directrice de la station Adèle Van Reeth, reste « La Terre au carré », le rendez-vous quotidien consacré à l’écologie et à l’environnement.

Mathieu Vidard conservera la tranche de 14 heures à 15 heures, mais sera séparé de son binôme, Camille Crosnier, coproductrice de l’émission et chargée d’une chronique qui mettait des dirigeant·es, patron·nes comme élu·es, face à leurs contradictions sur l’écologie. La direction souhaite bâtir une nouvelle émission « moins anxiogène », axée sur l’environnement et la science. Les chroniques « Le jour où » d’Anaëlle Verzaux et les grands formats reportages de Giv Anquetil vont également disparaître avec l’émission dans son format actuel.

Les producteurs et productrices de la station, ainsi que les journalistes, se rejoignent aussi sur la crainte d’assister à l’extinction progressive d’un genre journalistique, celui du reportage sonore au long cours, plus à même de prendre le pouls de la société et de rapporter la réalité du terrain.

« Ils passent plus de temps sur le terrain que les journalistes de la rédaction, s’autorisent plus à se laisser surprendre par les gens qu’ils rencontrent, ils font un vrai travail sur le son, c’est plus élaboré, avance une journaliste. Leur travail et celui de la rédaction sont complémentaires. Renoncer à l’un d’eux serait comme priver la radio de l’un de ses membres. »

Adèle Van Reeth dénonce un procès d’intention à son égard

La colère retombe d’autant moins dans les couloirs de France Inter que la direction de la station peine à expliquer ses choix, en dehors des arguments budgétaires. « Pourquoi on tape sur le reportage et tout ce qui est estampillé de gauche ? Si ce n’était qu’une question pécuniaire, l’effort serait partagé entre tous les programmes », remarque une journaliste chevronnée de la station.

Lors de la réunion avec la société des producteurs et des productrices, organisée lundi, la directrice de la radio Adèle Van Reeth a assumé être à l’origine des changements concernant la grille, tout en renvoyant à Sibyle Veil, la patronne de Radio France, la responsabilité de la mise à pied de Guillaume Meurice.

Selon le compte rendu de la réunion que Mediapart s’est procuré, la directrice de France Inter, épaulée de son nouveau directeur des programmes, Jonathan Curiel, a assuré ne faire l’objet d’aucune pression extérieure, a réfuté tout virage politique de la station et a dénoncé un procès d’intention à son encontre. Sans donner de cap ni d’orientation claire, elle a affirmé vouloir sanctuariser les reportages de la rédaction, dont les coûts ont augmenté du fait de l’actualité internationale très chargée.

Le lendemain, Adèle Van Reeth et Sibyle Veil se sont finalement présentées devant leurs troupes, après avoir esquivé la conférence de rédaction de vendredi dernier. Refusant de s’étendre sur la procédure en cours visant Guillaume Meurice, Sibyle Veil a rappelé l’avertissement que l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) avait adressé à Radio France pour le sketch de l’humoriste sur le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou. Un avertissement intervenu avant que le parquet de Nanterre décide de classer sans suite les plaintes visant l’humoriste.

« À partir du moment où la justice s’est prononcée et n’a trouvé rien à redire sur la blague de Meurice, le dossier est clos, fulmine un journaliste syndiqué de la rédaction. La limite de la liberté d’expression est définie par la loi, plutôt que par l’Arcom. »

Interrogée sur le cas de Guillaume Meurice à l’Assemblée nationale mardi, la ministre de la culture, Rachida Dati, a jugé que « Radio France ne pouvait pas ne pas réagir » et a invoqué, comme Sibyle Veil, l’avertissement du régulateur de l’audiovisuel. « Malgré cela […], Guillaume Meurice a refait sa chronique à l’identique », ce qui exposait potentiellement Radio France « à une sanction de l’Arcom », a-t-elle poursuivi. Même si Radio France n’avait donc « pas d’autre choix » que de convoquer l’humoriste, a estimé la ministre, cette affaire « peut interroger sur la liberté d’expression », a-t-elle concédé.

« La ministre de la culture parle au nom de la direction de France Inter, et assume ses choix à sa place. On ne pouvait mieux résumer les enjeux (et les objectifs) de la réforme de l’audiovisuel public. Bienvenue à l’ORTF ! », a résumé l’historien des médias Alexis Lévrier sur son compte X.

Beaucoup font en effet le rapprochement entre ces ajustements dans la grille de France Inter et le projet de réforme de l’audiovisuel public engagé par la ministre de la culture, qui pourrait conduire à la fusion des entités Radio France et France Télévisions. « On a de bonnes raisons de penser que la fusion déstabilisera la radio et en fera le parent pauvre de l’audiovisuel public », prédit un syndicaliste d’Inter.

Des inquiétudes loin d’entamer la liberté de ton et l’esprit corrosif de la bande de Charline Vanhoenacker, qui a consacré toute son émission de dimanche au sort réservé à leur acolyte Guillaume Meurice, lui exprimant toute sa solidarité. « Je rassure nos dirigeants à Radio France, cette chronique a été relue par un avocat, parce que, comme je sens bien que les ressources humaines sont très débordées à virer des collègues, je leur évite des réunions inutiles », a ironisé l’humoriste belge.
Son collègue Djamil Le Shlag a même répété les propos de son collègue sur Benyamin Nétanyahou, sous les applaudissements du public, puis a annoncé qu’il quittait France Inter.
« Vous pensez faire peur à qui avec vos menaces de mise à pied ? Perso, je suis un Arabe en France, j’ai toujours été menacé de me faire virer. […] J’en tire les conclusions en me retirant du service public après l’émission, c’était ma dernière chronique. […] Dans cette station, je ne me sens plus dans mon safe space », a-t-il lancé. Chassez par la porte l’esprit de satire à France Inter, il reviendra par la fenêtre.

Yunnes Abzouz


À France Inter, la direction balaie les voix de gauche

La colère couve à France Inter. Tous les corps de métiers confondus se sont doublement émus de la convocation, ce mardi 7 mai, de l’humoriste Guillaume Meurice par la direction, mais aussi de son éviction de l’antenne, malgré l’abandon par la justice des poursuites à son encontre, après sa plaisanterie sur le Premier ministre israélien Benjamin Natanyahou. Ses collègues du « Grand Dimanche soir » ont été fer de lance de cette mobilisation, lors de leur émission du 5 mai. « À force de passer plus de temps aux RH et à la PJ (police judiciaire) qu’à écrire des blagues, on va finir par donner raison aux gens qui disent que l’argent public est mal dépensé », a notamment lancé Charline Vanhoenacker, ironisant sur un Guillaume Meurice « envoyé en internat pour le remettre dans le droit chemin », avant que l’humoriste Djamil Le Schlag présente sa démission en direct.

En amont du rendez-vous hebdomadaire, d’autres annonces inquiétantes sont tombées : la suppression d’un tiers du budget de « Grand Dimanche soir », l’émission de Charline Vanhoenacker déjà rétrogradée le week-end l’an dernier, la refonte de « la Terre au carré », de Mathieu Vidard, l’arrêt des quatre émissions ou chroniques de reportage de Giv Anquetil, Antoine Chao, Charlotte Perry et Anaëlle Verzaux, anciens du rendez-vous phare de Daniel Mermet, « Là-bas si j’y suis », et auteurs, pour les trois premiers, de l’émission sociale du samedi « Comme un bruit qui court ». Serait également visée l’émission littéraire d’Emmanuel Khérad, « la Librairie francophone ».

« On n’a pas à ramper à la moindre critique de l’extrême droite »

La conférence de rédaction du jeudi 2 mai a été particulièrement houleuse, racontent les journalistes. En cause, le probable licenciement de l’humoriste Guillaume Meurice pour « faute grave ». « En ce moment, on a bien conscience que le service public audiovisuel est attaqué, par le JDD, par Hanouna ou Pascal Praud sur CNews… On doit être un rempart. France Inter, c’est l’impertinence, la différence, on y est très attachés. On n’a pas à ramper à la moindre critique de l’extrême droite, c’est un aveu de faiblesse », juge un membre de la société des journalistes.

La direction semblerait particulièrement réactive à un compte Twitter, @medias_citoyens, qui cumule les critiques sur la station jugée « trop militante » et à « l’extrême gauche »… Comme l’émission écologique « la Terre au Carré ». « Il faudrait qu’on soit là pour réconcilier tout le monde. Alors qu’on doit parler à tous et assumer quelques blagues. On peut être plus fort que ça. On est leader, on est la première radio de France, on peut assumer », s’insurge une journaliste.

Mais pour Adèle Van Reeth, actuelle directrice de France Inter, qui reste silencieuse depuis vendredi, les voix de gauche seraient de trop : les quatre anciens de Mermet ont tous été reçus dans son bureau cette semaine, en tête à tête sans DRH, avant qu’ils ne reçoivent leur lettre de licenciement. Lionel Thompson, membre CGT du conseil d’administration de Radio France, relate que pour Antoine Chao, l’entrevue s’est déroulée en « cinq minutes », et a été « violente ».

« Une reprise en main politique »

Le climat est d’autant plus tendu que l’ancien directeur des programmes, Yann Chouquet, vient de quitter ses fonctions, alors que son successeur, Xavier Curiel, venu de M6, n’arrive que cette semaine. Pour une représentante de la société des « producteurices » de France Inter (SDPI), « ce qui arrive est réfléchi ». Selon elle, « quand Adèle Van Reeth et Sibyle Veil parlent de pluralisme, c’est plus de place au libéralisme. On leur a reproché d’être trop à gauche, donc elles vont à droite ». Sans complexe. Et d’ajouter : « Les journalistes ne sont pas dupes et craignent que les restrictions sur les programmes touchent aussi la rédaction. Ce qui semble déjà être le cas sur la question Israël-Palestine. »

« L’éviction de Meurice, la communication piteuse à propos de Nassira El Moaddem, [une journaliste qui a travaillé pour la station, harcelée depuis mardi par l’extrême droite, N.D.L.R.], le remodelage de « la Tête au carré » et les suppressions de reportages qui touchent principalement les anciens de Mermet sont autant d’indicateurs d’une reprise en main politique, sous la pression du pouvoir et des droites extrêmes, au détriment de l’antenne et des auditeurs », abonde Lionel Thompson. « Adèle Van Reeth licencie ce qui constitue le pluralisme de cette antenne et ses voix dissonantes. En cédant aux pressions des médias de Bolloré, ça donne le sentiment qu’on leur donne raison », s’agace le cégétiste. Qui ajoute : « À force de dire qu’on est trop de gauche, on n’a jamais été si peu de gauche. »

Assemblée générale et appel à la grève

L’argument officiel avancé pour stopper les reportages est d’ordre budgétaire, dans le contexte de la holding de l’audiovisuel public relancé par la ministre de la Culture Rachida Dati. « Ils cherchent des économies partout pour anticiper la fusion. Ils cassent les modes de production de la radio et prévoient de redéployer les emplois », s’alarme Lionel Thompson. Une délégation de la CGT Spectacle a été reçue par la ministre, qui leur a annoncé une accélération du calendrier, avec la création de la holding en janvier 2025, et la fusion de Radio France et France Télévisions en janvier 2026.

Célia Quilleret, du SNJ, relate l’entrevue avec la délégation intersyndicale à l’Assemblée nationale, vendredi 3 mai. « Les rapporteurs du projet nous tiennent un discours contradictoire : ils veulent un audiovisuel public plus fort. Mais nous sommes déjà le premier groupe de France. Quand on leur dit que pour être meilleurs, il faudrait pérenniser notre budget, ils bottent en touche. On n’a pas besoin de cette nouvelle entité qui va nous affaiblir, d’autant qu’il faudra aligner les conventions collectives, ce qui va coûter très cher. » L’intersyndicale de Radio France (CGT, CFDT, FO, SNJ, SUD et UNSA) appelle à une assemblée générale le 14 mai contre la holding, ainsi qu’à une grève des personnels de la Maison ronde le 22 mai. Le personnel de France Inter a prévu de se réunir en agora mardi 7 mai, jour de la convocation de Guillaume Meurice.


Fin de France Inter, la radio sombre dans le macronisme et l’extrême droite

Article paru dans Ricochets  du 9 mai 2024

Un nouveau média de masse est en train de passer “l’arme à droite toute” : France Inter.

La tyrannie macroniste purge méthodiquement cette radio publique de tout élément subversif ou dérangeant. Les ultra-capitalistes de droite extrême et d’extrême droite se préparent sans doute pour les élections de 2027, en détruisant ou phagocytant les médias de masse qui ne sont pas complètement avec eux afin d’asséner leur propagande de manière toujours plus hégémonique.

Ni l’Etat ni le Capital ne peuvent/veulent maintenir une pluralité conséquente des médias, et encore moins une pluralité qui incluerait les courants de gauche subversifs.
Les médias publiques fluctuent au gré des gouvernements et restent soumis aux normes et intérêts de l’Etat. Les médias privés se concentrent dans les mains des pires capitalistes.

- France Inter coupe le micro à l’écologie et aux luttes – Plusieurs émissions écolos de France Inter, dont « La Terre au carré », disparaîtront à la prochaine rentrée ou seront transformées. Moins de luttes, plus de science : la radio prend un virage qui ne plaît pas à tous.

🎙️ FRANCE INTER : LA GRANDE PURGE

« Les Français n’ont jamais été aussi nombreux à écouter France Inter. 7.180.000 auditeurs chaque jour… c’est tout simplement un record absolu en radio ces vingt dernières années » se félicitait le site de Radio France au mois d’avril 2024.
Cette audience de masse dépasse en effet largement celles de Cnews ou l’émission de Cyril Hanouna, qui empoisonnent pourtant l’actualité politique en imposant quotidiennement des sujets islamophobes et réactionnaires, souvent repris par les autres chaînes de télé et par la classe politique.

Ce succès de France Inter est en partie dû à l’extrême droitisation des médias. Alors que l’écrasante majorité des grandes chaînes d’information est possédée par des milliardaires d’extrême droite, et que l’empire Bolloré étend son emprise sur la presse et l’édition, les français sont de plus en plus nombreux à se « réfugier » chez France Inter, ou règne encore une certaine liberté de ton et où l’on trouve encore quelques voix, de moins en moins nombreuses, qui ne servent pas totalement la soupe du pouvoir.

On aurait pu se dire qu’avec un succès aussi insolent, la direction de France Inter allait valoriser ses contenus à succès, ceux qui se démarquent des autres médias. Mais non, elle a décidé de faire tout l’inverse, en détruisant ce qui marche le mieux, ce qui fait le plus d’audience.

On nous a répété pendant des années que la présence de Zemmour sur France 2 était là « pour faire de l’audimat », que ce n’était « pas un choix politique ». Gros mensonge : si ce qui « fait de l’audimat » était mis en avant, alors il y aurait beaucoup plus d’humoristes se moquant du gouvernement ou de propos anticapitalistes dans les médias. Mais passons.

Par exemple, l’émission satirique « Si tu écoute j’annule tout », plus tard renommée « Par Jupiter », animée par Charline Vanhoenacker et Guillaume Meurice, existait depuis 2014 sur France Inter. Diffusée tous les jours et se moquant régulièrement des dirigeants à une heure de grande écoute, elle avait atteint, en 2022, la meilleure audience de la station avec 1,3 million d’auditeurs en moyenne. Et devinez ce qu’a fait la direction ? Elle a tué l’émission. À présent, elle n’existe que sous un format rabougri et beaucoup moins corrosif, seulement le dimanche soir. Et même sous ce micro-format, elle est menacée, puisque son humoriste phare, Guillaume Meurice, vient d’être suspendu pour avoir plaisanté sur Netanyahou.

Mais ce n’est pas tout. En réalité, c’est une immense purge de la radio publique qui est en cours.
L’émission quotidienne « La Terre au carré », qui parle d’écologie et d’environnement en début d’après-midi, riposte aux discours climato-sceptiques et donne de l’audience à différentes causes écologistes est supprimée. Elle n’était pourtant pas très virulente, mais très écoutée. C’était l’une des rares émissions nationales et sérieuses sur ce sujet. La direction de France Inter annonce « faire évoluer le format de l’émission et lui donner une autre narration ». La co-productrice de l’émission, Camille Crosnier, qui animait une chronique dénonçant régulièrement les grandes multinationales et les décideurs politiques qui nuisent à l’écosystème, est virée. Elle explique sobrement : « cette décision ne procède pas de ma volonté ».

Un autre format nommé « Des vies françaises », qui dresse le portrait de « héros » ordinaires méconnus, par exemple d’anciens résistants antifascistes, des parcours d’exilés, des militantes associatives, des personnes sortant des normes, est supprimé. Une capsule hebdomadaire, « C’est bientôt demain », animé par un journaliste historique de la radio, Antoine Chao, et qui traite de l’actualité des luttes et mobilisations environnementales et sociales, va lui aussi disparaître cette saison. Table rase sur le social et l’écologie.

Enfin, l’émission littéraire « La Librairie francophone » d’Emmanuel Khérad, qui permettait chaque samedi de réunir des auteurs et des libraires de différents pays francophones autour de nouveaux ouvrages, est supprimée. C’est pourtant l’émission littéraire la plus suivie de France.

En clair : toujours moins de satire, toujours moins d’émissions sur le terrain, qui montrent la réalité sociale du pays, toujours moins de paroles indépendantes et de culture, et toujours plus d’experts et d’éditorialistes qui « commentent » l’actualité avec un point de vue macroniste. Comme sur BFM. Une reporter explique à Mediapart : « Tout ce qui porte la marque du reportage est menacé. Le reportage a le défaut de coller à la réalité et n’est pas dogmatique. Il donne à voir un pays fracturé, qui va mal et s’appauvrit ».

En revanche, on ne s’inquiète pas pour les émissions de Léa Salamé, compagne de Glucksmann, qui accueille les grands patrons avec de grands sourires et aboie sur le moindre invité de gauche, ni pour les nouvelles émissions nulles sur la « sexologie », qui elles, devraient rester… La direction est en train de suicider la radio.

La situation pourrait même s’aggraver, puisque la réforme de l’audiovisuel public, qui prévoit de rapprocher Radio France et France Télévisions, sera discutée au mois de mai. Sachant que la Macroniste hardcore Aurore Bergé est dans le conseil d’administration de France télévision.

Cette purge avait commencé en 2014, quand l’émission de Daniel Mermet, « Là bas si j’y suis », avait été déprogrammée. Cette émission quotidienne donnait depuis 1989 la parole à des auditeurs et auditrices et couvrait les luttes sociales, allait sur le terrain, diffusait des propos contre le capitalisme et le colonialisme, n’hésitant pas à dénoncer le gouvernement. L’un de ses reporters était… François Ruffin. Une autre époque où il n’était pas interdit d’être de gauche. Impensable aujourd’hui, alors que l’extrême droite a imposé son hégémonie partout. La chute en quelques années de la pluralité médiatique est vertigineuse.

Ces derniers jours, la nouvelle direction a montré l’ampleur de sa lâcheté et de sa connivence avec l’extrême droite. Alors qu’une ancienne journaliste de la radio, Nassira El Moaddem, subissait une campagne diffamatoire raciste lancée par Cnews, France Inter s’est désolidarisée dans un communiqué, disant « nous avons bien reçu vos messages [réclamant le licenciement de la journaliste] et nous les comprenons » et précisant qu’elle « n’est pas, à ce jour, salariée de l’antenne ou de Radio France ».
Le message envoyé est gravissime. Au lieu de défendre une journaliste face à l’extrême droite au nom de la liberté de la presse, Radio France la lâchait aux chiens. Maintenant, les fascistes savent qu’ils peuvent lancer des campagnes pour briser qui bon leur semble. France Inter a discrètement modifié son communiqué depuis, mais le mal est fait.

Qui est derrière cette purge violente et ce recadrage politique ? D’abord Sibyle Veil, une énarque et copine de promotion de Macron, qui a été nommée à la tête de Radio France. Ensuite, la nouvelle cheffe de France Inter se nomme Adèle Van Reeth, en couple avec Raphaël Enthoven, faux philosophe et vrai propagandiste macroniste, dévoré par la haine de la gauche et violemment pro-israélien, qui avait dit en 2022 qu’il préférerait voter Le Pen que Mélenchon. Depuis l’arrivée de Van Reeth à France Inter, le nombre d’invités d’extrême droite a explosé et des émissions trop critiques à l’égard du pouvoir ont été évincées. Bref, la direction de la radio publique est désormais 100% macroniste, fréquente le même monde, vient du même milieu que les millionnaires au pouvoir.

Ce qui se joue à France Inter est un symptôme. Plus aucune parole dissidente n’est tolérée : les manifestations sont réprimées dans le sang, le plus grand mouvement de gauche, pourtant sobrement social-démocrate, la France Insoumise, est traité d’antisémite et inquiété pour « apologie du terrorisme », les médias indépendants sont menacés. Peu à peu, la dictature s’installe tranquillement, à pas feutrés. Et l’extrême droite bénéficie, elle, de plusieurs radios et télévisions nationales. Le spectre médiatique autorisé n’ira bientôt plus que de Macron à Zemmour.

Six syndicats de Radio France ont déposé ce soir un préavis de grève pour le 12 mai afin de « défendre la liberté d’expression ». On leur souhaite de faire trembler la nouvelle direction et de parvenir à stopper la purge en cours.

Mais en parallèle, financer, partager, soutenir les médias indépendants comme Contre Attaque et bien d’autres, est plus vital que jamais pour notre camp social. L’horizon se rétrécit. Source: Ricochets.cc