C’est avec la concentration d’un trapéziste que Jan Rok Achard, grand architecte du développement des arts du cirque au Québec, a suivi ses rêves … Accompagnateur de Jacques Brel et d’Yves Montand, il devint Cofondateur de la Cité des arts du cirque et ancien directeur de l’École nationale du cirque à Montréal au Québec. Et c’est Jérôme Bouvet, cofondateur de 2 Rien Merci qui prend parti en lui rendant hommage …
Jan Rok Achard précise les différences et les liens entre l’École nationale de cirque et le Cirque du soleil. La spécificité de l’école, unique un Amérique du Nord. Les critères pour reconnaître le candidat idéal pour le cirque. Le spectacle annuel 1996 des élèves de l’École nationale de cirque, «La Galerie des vertiges». Source : Les Temps modernes, 9 mai 1995
« Merci, merci, merci pour tout, Jan Rok Achard, puisse ce nouveau voyage être aussi beau que paisible … »Jérôme Bouvet nous invite à consulter l’ensemble de cet entretien de Jan-Rok recueilli par Jean-Christophe Planche pour le Cahier du Channel /Scène Nationale de Calais lors de la « Libertés de Séjour 2 rien merci en 2010″ .
« J’ai voulu tout faire pour permettre au rêve des artistes d’exister ; maudit comme je m’y suis investi. Moi qui avais échoué dans ma scolarité, j’ai pu ainsi, en dirigeant l’école nationale de cirque du Canada, donner un cadre, une forme, dans lesquels les artistes pouvaient s’épanouir…
L’art suppose une transposition, un regard, un langage différent qui veut atteindre et toucher. L’exception est dans la substance même de l’acte artistique. Je peux faire un trait noir et je peux faire des dessins. Cela se peut que ce ne soit pas beau mais, si j’ai une intention, je suis au-delà de l’arbre qui a de belles feuilles jaune et rouge ou de la plante violette. Je pose le geste avec liberté et je m’avance vers quelqu’un dans la rue, sur une place publique, dans un théâtre ou une galerie et je lui dis « je t’expose ma liberté ». Curieusement ma liberté devient la sienne au moment où je l’expose car il va en faire ce qu’il veut. Il y a cette espèce de dichotomie entre la liberté de celui qui est un fabricant d’art au moment où il pose son geste et le fait qu’une fois posé le geste ne lui appartient plus : c’est cela pour moi le côté exceptionnel. »
L’intégralité de cet entretien, c’est par ici …
Carburant aux projets d’envergure en arts de la scène, ce visionnaire a consacré sa vie à la création, la production, la diffusion et la formation artistiques. Cofondateur de la TOHU, Cité des arts du cirque, et du regroupement national En Piste, il a aussi dirigé l’École nationale de cirque, les tournées pour les Jeunes Comédiens du Théâtre du Nouveau Monde et les productions en théâtre du Collège Lionel-Groulx. Sur son CV, Jan Rok Achard a inscrit le flânage parmi ses loisirs. Permettez-nous d’en douter.
Parallèlement à ses mandats, Jan Rok Achard a agi comme consultant, et a accompagné notamment la fondation des 7 Doigts de la main. Pas étonnant que l’expertise de ce détecteur de potentiel inventif ait été sollicitée internationalement et que son influence s’étende des pays nordiques aux terres australes, en passant par l’Argentine et la Palestine.
Jan Rok Achard est animé d’une flamme qui ne s’éteint jamais. Elle est nourrie de rencontres, de débats et même de conflits, qu’il trouve inspirants et estime être des déclencheurs de création idéaux pour stimuler l’expression des différences. Il admet sa dépendance à la passion, sa détermination qui frôle l’entêtement, ses questionnements chroniques et son refus des limites. Pour lui, chaque non est un oui en devenir. Le flânage devra attendre.
Jan Rok Achard « Le cirque, c’était sa vie »
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Le décès de Jan Rok Achard, cofondateur de la Tohu et du regroupement En Piste, qui a dirigé l’École nationale de cirque de Montréal pendant 13 ans, continue de faire réagir la communauté circassienne, qui lui rendra hommage dans une dizaine de jours aux studios des 7 Doigts.
Il n’était pas connu du grand public, mais dans le milieu des arts du cirque, Jan Rok Achard était un pilier et l’un de ses plus ardents défenseurs. Il est décédé mercredi des suites d’une longue maladie à l’âge de 79 ans.
Gaétan Morency, qui a cofondé la Tohu avec lui — ainsi que Charles-Mathieu Brunelle et Marc Lalonde — mais aussi le regroupement En Piste, se souvient d’un homme « engagé 24/7 dans son milieu ». Il a réussi à structurer un milieu qui n’était pas très organisé et à le faire reconnaître auprès des institutions, notamment dans les différents conseils des arts. Il a travaillé activement pour lui donner une voix. Le cirque, c’était sa vie. »
En Piste, qui est, à ce jour, le seul regroupement des arts du cirque au Canada, compte 600 membres et plus de 80 compagnies de cirque. L’organisme a notamment joué un rôle important en mettant des ressources juridiques à la disposition des artistes victimes de violences sexuelles.
Jan Rok Achard a également dirigé l’École nationale de cirque de Montréal pendant 13 ans — de 1986 à 1999 — succédant au fondateur de l’école Guy Caron.
Il était très proche de ses étudiants, qui l’adoraient. C’est là qu’il a connu les jeunes artistes qui ont fondé le Cirque Éloize ou encore les 7 Doigts. C’est pour ça qu’ils lui rendent hommage aujourd’hui.
Marc Lalonde, qui a cofondé la Tohu et dirigé l’École nationale de cirque tout de suite après Jan Rok Achard (de 1999 à 2015), se souvient d’un homme d’une «grande générosité». Il estime que le milieu du cirque lui doit beaucoup. «Jan Rok était un visionnaire, nous dit-il, et quand j’ai pris la direction de l’école, je n’ai eu qu’à mettre en place sa vision. Le concept de la cité des arts du cirque, avec la Tohu, l’école, le Cirque du Soleil, ça vient de lui. L’idée d’un festival de cirque aussi. Donc, c’est quelqu’un qui a bien fait paraître ses successeurs.»
Gaétan Morency, qui a aussi été vice-président au Cirque du Soleil, rappelle que c’est le Cirque qui finançait la Tohu avant qu’elle ne soit reconnue par le gouvernement et qu’elle obtienne un financement public.
Une réputation au-delà du Québec
Jan Rok a également défendu bec et ongles la formation collégiale des élèves de l’École nationale de cirque — que le Cirque souhaitait quelquefois former uniquement pour des numéros spécifiques.
« C’était l’époque où les compagnies de cirque avaient leurs propres écoles, se rappelle Gaétan Morency, mais j’étais au Cirque à ce moment-là et j’étais sensible aux arguments de Jan Rok, donc j’ai un peu joué un rôle de médiateur pour que les élèves complètent leur formation. »
Marc Lalonde rappelle que Jan Rok Achard s’est rapidement fait connaitre des autres directions d’écoles de cirque dans le monde avec qui il a partagé son expertise. «Il ne faut pas oublier qu’il a présidé la Fédération européenne des écoles de cirque. Qu’un Québécois se retrouve à la présidence d’une fédération européenne est quand même incroyable.»
Isabelle Chassé, cofondatrice des 7 Doigts, a étudié à l’École nationale de cirque à l’époque où Jan Rok la dirigeait — à la Gare Dalhousie (aujourd’hui occupée par le Cirque Éloize). Elle se souvient d’un directeur qui était «beaucoup dans le dialogue» avec ses étudiants.
Il avait souvent des conversations très profondes et intenses avec nous. Il s’exprimait de façon très honnête et il était toujours en quête de vérité. Il nous posait beaucoup de questions sur les raisons qui nous poussaient à faire ce qu’on faisait.
Pourquoi les 7 Doigts ont pris l’initiative de lui rendre hommage dans leurs studios? «Jan Rok nous a accompagné dès le début de notre collectif, répond Isabelle Chassé. Il nous a guidé et il nous a beaucoup aidé à nous structurer. Encore une fois, il savait poser les bonnes questions. Donc, c’était vraiment naturel pour nous de lui rendre hommage.»
Au mois de juin dernier, affaibli par la maladie, Jan Rok Achard avait reçu l’insigne de Compagnon des arts et des lettres du Québec.
L’hommage à Jan Rok Achard aura lieu le dimanche 11 décembre au Studio des 7 Doigts (2111, boul. Saint-Laurent).
En bonus dans le rétro : Jérome Bouvet de 2 Rien Merci interrogé par Kevin Morizur le 28 mai 2003 !
Jerôme Bouvet, franco québécois d’adoption depuis son passage à l’Ecole Nationale de Cirque de Montréal, revient en Bretagne pour mettre en scène la Boostin’ Fanfare de la compagnie « 2 Rien Merci ». Tombé tout petit dans la marmite du spectacle, il nous raconte son histoire Québécoise et sa vision du spectacle vivant Outre-atlantique … Rencontre à Guerlesquin lors du Mai des Arts dans la rue
La Boostin’ Fanfare est une création toute chaude qui a été jouée pour la première fois ce soir. Est-ce ta première mise en scène ?
Non, j’ai dirigé l’Ecole de Cirque de Genève durant un an et demi, c’est de là que sont notamment sorties les compagnies Les Arrosés, Les enfants du placard, le Cirque sans raison… Ce n’est pas ma première, c’est quelque chose que j’aime beaucoup, et en même temps ça me donne encore plus envie de jouer. Avec les 2 Rien Merci, on demande toujours de l’aide (Yves Neveu, Didier André ). On veut faire les trois-quarts du bout de chemin seul, et puis demander des appuis extérieurs, en laissant la possibilité au gars de faire un vrai travail de mise en scène avec des choix.
Cette fanfare aboutit d’un long travail musical dans la rue…
Pendant 4 ans on s’est éclaté à faire de la musique et à avoir une démarche avec « très peu ». Yann, qui est un musicien très curieux a eu envie de faire cette fanfare. Stéphane vient des Charentaises de Luxe et est habitué à la rue. Les deux autres découvrent totalement ça. C’était un peu un défi et ce soir je pense qu’il y a matière à faire un « truc bien ! ». Ca va mûrir avec le temps. Avec la fanfare, l’espace donne une grande liberté, tout un travail d’écoute et d’adaptation.
Il faut réussir à capter l’attention des gens, c’est une mini fanfare très intimiste. Cela constitue-t il un manque de repères pour le spectateur ?
Non, je ne pense pas. Je crois que l’on se cache un peu derrière le matériel. Peter Brook dit toujours « Tout est dans le comédien », la lumière, les décors, les costumes, tout est en lui. Plus on prend de la bouteille moins on a besoin de matériel.
On vient de recevoir Burat qui nous expliquait qu’avec l’âge, il voulait un décor de plus en plus majestueux, et parfait techniquement…
Burat’, c’est Burat’. Il a envie de traîner quelque chose de tradoche, forain, qu’il fait super bien. C’est pas vraiment dans la parodie, il y a vachement de respect dans ce qu’il fait, on sait jamais si Burat’ est une arnaque ou pas. Moi, je suis toujours vachement ému par son humanisme d’origine foraine.
Tu as des projets à côté de cette fanfare ?
Un lieu itinérant qui s’appellerait Le Moulin à Cirque, sous une yourte, avec une jauge de 50 à 80 personnes Pour l’instant on bataille … On devrait le sortir pour printemps ou automne 2004. L’idée est d’accueillir 49 personnes dans un mini mini-chapiteau qui se démonte en 3 heures, de ce côté là, on a quasiment la dynamique des arts de la rue, au niveau de l’adaptation, on peut le jouer presque n’importe où, sur une plage ou dans un clairière, en autonomie totale. C’est difficile de le monter au Québec, on n’a pas trouvé de fonds, et puis au niveau alternatif là bas c’est difficile, il y a beaucoup de chemin à faire. C’est la production qui est maître, tu arrives avec une idée ça leur fait peur. Alors on va le faire ici.
Quel est ton regard sur le théâtre de rue Québécois ?
Les gens sont attirés par ça, ils montent des festivals, mais en même temps ce sont des producteurs, ils mettent de la braise sur la table, ils réunissent des créateurs, des artistes, te donnent un délai, et voilà. Mais quand toi tu as un projet, quand des artistes se réunissent pour réunir des idées et avoir des propositions, c’est très rares qu’ils suivent, parce que ça ne leur appartient pas, et parce que ça les dépasse un peu. Il y a une vraie fausse dimension alternative. C’est carré, il faut être entrepreneur avant d’avoir une démarche artistique… L’intermittence du spectacle, ça nous permet de chercher, de patauger, de s’arrêter trois mois pour, là bas les gens bossent pour bouffer. Ils n’ont pas le temps de penser création.
Mais c’est en train de changer, ça fait quelques années qu’il y a quelque chose, ça brasse, mais ca va être long. Et en termes de public, de possibilités ça marcherait au moins aussi bien qu’ici, j’en suis persuadé.
En France, les luttes et les défis ont changé dans le Théâtre de rue
Oui, je pense qu’au Canada, il y a dix ans de retard, et on n’a pas les mêmes furieux pour décoller un peu les choses. Notre projet de Moulin à Cirque, devait se faire à Montréal, l’idée étant d’inviter pendant trois mois, en plus de notre création, une compagnie de la rue, les arts du Cirque et les arts Frères. Le projet intéressait tout le monde, mais aucun n’a fait le pas. Un projet imaginé avec Jan Rok Achard, directeur de l’école Nationale de Montréal pendant 14 ans, directeur du TNM, dix ans en tant que directeur de tournée de Jacques Brel, du métier quoi ! Et Jean a quelque part plus de poids en Europe qu’au Canada, parce qu’il rentre dedans, en faisant peur aux producteurs.
En même temps, il y a une vrai qualité de vie là-bas, c’est une presqu’île dans ce grand continent de fous ! Avec Orange Guinguette et Le Petit Cirque à Bretelles, on a fait plus de cent spectacles en trois mois. On est allé dans pleins de petits bleds, et les gens hallucinaient, ils n’avaient jamais vu de spectacles de rue. On a eu un accueil monstrueux, les gens en veulent.
Ce soir aussi, à Guerlesquin les gens sont là !
Je trouve que l’on se rencontre de moins en moins, et les Arts de la Rue prennent un peu à contre courant. Y’a cinq ans, je parlais avec ma caissière. L’année dernière, ils ont installé un lecteur de cartes devant son nez, la dernière fois, j’arrive, elle me fait le total, et ne me dit rien, même pas bonjour. Elle ne bouge plus. Pensant que sa caisse était bloquée, j’attends moi aussi. Ca a duré trente secondes, et je n’ai même pas dit au revoir. C’était glauque. Mais quelque part on amène quelque chose de contemporain avec une démarche populaire. Les gens qui n’ont pas l’habitude, ça les bouge un peu. Et je trouve ça génial.