« Très chers élus », une BD qui explore les rapports entre argent et pouvoir …

Une enquête sur 40 ans de financement politique signée Elodie Guéguen et Sylvain Tronchet  journalistes de la Cellule investigation de Radio France. La BD est illustrée par Erwann Terrier et colorée par Degreff. Zoom sur des dérives qui empoisonnent la démocratie et alimentent la défiance à l’égard de toute la classe politique. Si la loi régit strictement les rapports entre argent et pouvoir, la transparence est loin d’être acquise …

Élodie Guéguen : « La transparence n’est pas dans la culture politique française »

Publié dans Le Télégramme du 17 septembre 2022

« Ces sujets d’investigations sont souvent arides et techniques. La bande dessinée permet de vulgariser sans trop simplifier. C’est une forme narrative intéressante pour toucher un nouveau public », a
« Ces sujets d’investigations sont souvent arides et techniques. La bande dessinée permet de vulgariser sans trop simplifier. C’est une forme narrative intéressante pour toucher un nouveau public », avance la Morlaisienne Élodie Guéguen, journaliste à la cellule investigation de Radio France. (Photo Chloé Vollmer-Lo)

Journaliste à la cellule investigation de Radio France, la Morlaisienne Élodie Guéguen cosigne « Très chers élus, 40 ans de financement politique ». Une bande dessinée qui rappelle que si la loi régit strictement les rapports entre argent et pouvoir, la transparence est loin d’être acquise.

Pourquoi avoir choisi de restituer votre enquête sous forme de bande dessinée ?

Cela fait cinq ans que l’on travaille en duo avec Sylvain Tronchet sur les questions de financement, avec, pour point de départ, l’enquête sur les assistants parlementaires du MoDem, qui avait notamment conduit à la démission de François Bayrou. Ces sujets d’investigations sont souvent arides et techniques. La bande dessinée permet de vulgariser sans trop simplifier. C’est une forme narrative intéressante pour toucher un nouveau public.

Vous y apparaissez, dialoguant avec un M. X. Est-ce une personne en particulier ou un ensemble de sources ?

Il fallait un fil narratif. Ce M. X est une idée du dessinateur. C’est un personnage fictif, qui est la somme des nombreux témoins que nous avons pu rencontrer et qui nous ont raconté, souvent de manière anonyme, ce qu’il se passait dans les arrière-cuisines des partis politiques.

Élodie Guéguen : « La transparence n’est pas dans la culture politique française »

Votre ouvrage retrace 40 années de vie politique française sous l’angle de son financement, avec son lot d’affaires marquantes. Quel est, pour vous, l’épisode le plus rocambolesque ?

Celui qui nous a le plus marqués, c’est celui de la présidentielle de 1995. 25 ans après les faits, nous avons été les premiers à avoir accès aux comptes rendus du Conseil constitutionnel, qui était chargé à cette époque de valider les comptes des candidats. C’est une campagne où beaucoup d’argent liquide, de provenance incertaine, a circulé. On se doutait qu’il y a avait eu une forme de tambouille pour valider les comptes d’Édouard Balladur. Mais, en épluchant l’intégralité des PV du Conseil constitutionnel, nous avons découvert l’étendue des manœuvres pour sauver Jacques Chirac, dont les comptes présentaient aussi de graves anomalies. Que les garants de notre Constitution (qui n’étaient pas unanimes sur la question) aient pu se livrer à de telles manipulations, au motif de ne pas déstabiliser la République, est assez incroyable.

Cette histoire pose une question. Peut-on vraiment imaginer qu’on puisse invalider les comptes d’un président élu ?

Depuis, on a créé une commission des comptes de campagne. Mais les failles restent les mêmes. Les comptes des candidats à la présidentielle sont examinés a posteriori, bien après l’élection. Quelles que soient les irrégularités constatées, le président élu sera protégé le temps de son mandat, puisqu’il bénéficie d’une immunité. Dans certains pays, l’organisme de contrôle peut demander les factures en temps réel, pendant la campagne. Si la commission avait eu les moyens de regarder ce qu’il se passait du côté des meetings de Nicolas Sarkozy en 2012, il n’y aurait peut-être pas eu d’affaire Bygmalion.

Ce qu’on peut aussi regretter, c’est qu’il faille à chaque fois un scandale retentissant, comme l’affaire Cahuzac, pour qu’une nouvelle loi accouche dans la douleur.

Le financement de notre vie politique est-il plus vertueux aujourd’hui qu’il y a 40 ans ?

Énormément de progrès ont été faits. Mais le système est toujours faillible, avec un certain nombre de trous dans la raquette. Ce qu’on peut aussi regretter, c’est qu’il faille à chaque fois un scandale retentissant, comme l’affaire Cahuzac, pour qu’une nouvelle loi accouche dans la douleur. Les résistances restent très fortes, la transparence n’étant pas dans la culture française. En 2017, Macron avait dit qu’il voulait des élus exemplaires qui rendraient des comptes. Cinq ans après, le thème de la probité a disparu des radars. Il me semble important de maintenir une forme de pression, car il s’agit d’argent public.

Quel est le problème n° 1 ? Celui auquel il faudrait s’attaquer en priorité ?

Au fil des lois, on a créé des institutions pour contrôler. Mais ces organismes manquent de moyens. Ils sont submergés. Ce qui donne au grand public l’impression que les enquêtes n’avancent pas et que les personnalités politiques mises en cause ne seront jamais jugées. Il faudrait aussi que les élus se rendent compte que c’est dans leur intérêt de rendre publics leur compte. Ils ne sont pas tous pourris, loin de là, mais les agissements d’une minorité rejaillissent sur l’ensemble de la classe politique. Si rien ne bouge, il ne faudra pas s’étonner que s’aggrave encore la défiance à l’égard du pouvoir politique.

Ce que décrit aussi votre livre, c’est un système verrouillé, qui rend difficile l’émergence de nouvelles formations…

Tout le système serait à repenser. Le financement des partis résulte des scores aux législatives. Conséquence : une formation qui obtient de mauvais résultats ou un parti qui émerge va être contraint de se débrouiller par lui-même. Cela peut expliquer certaines dérives. Comme la combine des assistants parlementaires fictifs, payés par l’Assemblée, le Sénat ou le Parlement européen mais qui travaillaient uniquement sur les questions militantes au sein de partis politiques.

La fusée Emmanuel Macron a réussi à décoller en très peu de temps, en 2016-2017. Quel est son secret ?

Il a été le premier à profiter du fait qu’il est désormais possible de faire campagne à moindres frais, grâce à la numérisation de la communication. Avec davantage de vidéos sur les réseaux et moins de grands meetings. Mais ce qui lui a permis de faire une campagne confortable, c’est qu’il a réussi à faire des levées de fonds importantes, en convainquant de généreux donateurs.

Avec ce soupçon d’être le président des riches et que ces dons ont pu avoir une contrepartie…

En France, on ne peut pas savoir qui fait des dons aux candidats et aux partis politiques. Faut-il lever cet anonymat ? C’est une vraie question, sur laquelle je n’ai pas d’avis tranché. Le vote dans l’isoloir est secret, peut-être que les dons aux partis politiques doivent aussi rester anonymes. Le problème avec cette situation, c’est qu’il est impossible de s’assurer qu’il n’y a pas de contrepartie aux dons. Peut-être faudrait-il s’inspirer des États-Unis, où ceux qui donnent les sommes les plus importantes doivent rendre publique leur identité.

Propos recueillis par Martin Vaugoude pour Le Télégramme


Le financement politique en France : l’enquête en BD d’Élodie Guéguen

Un podcast de 10’48 » diffusé par Radio Nova à écouter par ici …

Si les histoires de financement occulte de partis politiques vous font des nœuds au cerveau, la BD « Très chers élus », une enquête des journalistes Élodie Guéguen & Sylvain Tronchet, pourra sans doute vous aider à y voir plus clair…

Le financement de la vie politique française, c’est toute une histoire. C’est même plein d’histoires, des histoires folles et pas jolies jolies, faites de valises, de billets, de rétrocommissions, d’emplois fictifs, de recomptages pas très clairs… La BD Très chers élus, 40 ans de financement politique des journalistes Élodie Guéguen & Sylvain Tronchet, dessinée par Erwann Terrier, revient sur 40 ans de financement politique… Élodie Guéguen, de la cellule investigation de Radio France, est notre Héroïne du Nova jour.

Le financement politique en France : l’enquête en BD d’Élodie Guéguen