Le nouveau président Gabriel Boric bouscule le protocole au Chili …

Au Chili, une page d’histoire se tourne : ce vendredi 11 mars, au Congrès, à Valparaiso, le président de droite sortant a passé la main au plus jeune président de l’histoire du pays. Gabriel Boric s’est ensuite rendu à Santiago où il a prononcé un discours depuis le balcon du palais de la Moneda devant une foule immense venue l’applaudir. Dès son premier jour de mandat, le nouveau président chilien ancien leader étudiant et héritier de la révolte sociale de 2019, a bousculé le protocole …

Crédit photo: Vania Olivares Muñoz

Enthousiasme et forte émotion ce vendredi 11 mars 2022 dans les rues de Valparaiso, devant le Congrès du Parlement. « En attendant Boric … » Un témoignage vidéo d’1mn réalisé par notre correspondant  local Claudio Martinez Valenzuela ( @Tanto Por Hacer)

Pour vous faire une idée de l’enthousiasme de la foule massée devant le Palais de La Moneda, un extrait du discours prononcé depuis le balcon ( 3’23 »)…

Dès son premier jour de mandat, le nouveau président chilien bouscule le protocole

Un article signé  Yasna Mussa dans Médiapart du 12 mars 2022

Élu en décembre dernier avec plus de quatre millions de voix, Gabriel Boric est devenu, vendredi 11 mars, le plus jeune chef d’État de l’histoire chilienne. Près de 50 ans après la fin tragique du socialiste Salvador Allende, renversé par les militaires, l’ancien dirigeant étudiant, âgé de 36 ans, entend se débarrasser de l’héritage néolibéral de la dictature de Pinochet.

Peu après midi, le vendredi 12 mars, Gabriel Boric est devenu à 36 ans le président le plus jeune de l’histoire du Chili. Le 19 décembre dernier, il avait obtenu un soutien historique pour son élection : 4,6 millions de voix.

La cérémonie, qui s’est déroulée dans le salon d’honneur du Parlement à Valparaíso, ville portuaire située à plus de 100 km de Santiago, a été marquée par des gestes et des symboles cherchant à montrer un changement de direction dans le pays, mais aussi une nouvelle manière de voir le monde.

Vêtu d’un costume mais sans cravate, Gabriel Boric s’est écarté du protocole, fidèle à son image d’ancien dirigeant étudiant. Il y a dix ans, il défilait dans la rue pour réclamer une éducation gratuite et de qualité aux côtés de celles et ceux qui intègrent son gouvernement : Camila Vallejo, militante du Parti communiste, Giorgio Jackson, de Revolución Democrática, et Izkia Siches, qui n’est affiliée à aucun parti politique mais a dirigé l’Ordre des médecins.

Toutes et tous sont des camarades de la même génération qui, depuis ce vendredi, dirigent le pays avec leurs propres codes et naviguent sans problème sur les réseaux sociaux, s’expriment naturellement et prennent des selfies avec leurs partisan·es.

Avant de recevoir l’écharpe présidentielle des mains du nouveau président du Sénat, le socialiste Álvaro Elizalde, Boric s’est réuni avec les chefs de quartier au Cerro Castillo de Viña del Mar, une résidence où se déroulent habituellement les cérémonies gouvernementales et où, selon la tradition, est offert un déjeuner aux dirigeantes et dirigeants internationaux qui assistent à la passation de pouvoir. Là, ses 24 ministres, dont une majorité de femmes, ont posé pour la photo officielle, certaines portant l’écharpe verte féministe, un clin d’œil au droit à l’avortement que le gouvernement actuel espère garantir.

Après cet agenda chargé, Boric est arrivé au Parlement accompagné de sa compagne, Irina Karamanos. Parmi les 500 invité·es, dans le cadre des restrictions dues à la pandémie, une centaine de personnalités étrangères, parmi lesquelles le roi Felipe VI d’Espagne ; des personnes du monde de la culture, comme la romancière chilienne Isabel Allende et la Nicaraguayenne Gioconda Belli ; ainsi que l’intellectuel et homme politique bolivien Álvaro García Linera, une référence pour la gauche latino-américaine.

Mais l’attention a été attirée par deux sièges réservés à Gustavo Gatica et Fabiola Campillai, qui ont perdu la vue lors du soulèvement social de 2019, victimes de la violence policière, invité·es personnellement par le nouveau président. Quelques minutes auparavant, Campillai avait prêté serment dans les mêmes salles du Congrès en tant que sénatrice de la République. Elle est la parlementaire qui a recueilli le plus de suffrages.

Un prédécesseur impopulaire

Mais les symboles ne se sont pas arrêtés là. La nouvelle cheffe du protocole du président, la diplomate Manahi Pakarati, portait la tenue traditionnelle Rapa Nui. Sa nomination s’inscrit dans le droit fil de l’annonce faite par Gabriel Boric de rectifier la dette historique de l’État envers les peuples autochtones.

Un peu plus tôt, alors que Sebastián Piñera faisait ses adieux aux quatre dernières années de son second mandat présidentiel, l’image était claire : il a traversé la cour intérieure du palais de La Moneda à Santiago au milieu d’une file d’officiels et de quelques partisans qui l’ont salué sous les applaudissements.

Dehors, sur la place de la Constitution, l’ambiance était totalement différente. Entourés de barrières et de policiers, celles et ceux qui étaient là l’ont hué et insulté. Un homme a crié « meurtrier ». D’autres se sont joint·es à lui pour réclamer justice, tandis que Piñera continuait à saluer les caméras avec indifférence. Un adieu sous le signe de l’impopularité, bien loin de l’héritage que le désormais ex-président souhaitait laisser.

Sur les réseaux sociaux de la présidence, le changement était aussi visible : le hashtag #CambioCiudadano (« changement citoyen ») a été ajouté et un langage inclusif est apparu : « Dans le gouvernement du président @GabrielBoric, nous marchons toutes et tous ensemble pour réaliser les changements dont le Chili a besoin. »

L’Alameda, une des principales avenues de Santiago et qui traverse la ville d’ouest en est, est interdite aux voitures et sous garde policière, dans l’attente du discours de Boric depuis le balcon de La Moneda.

Fête populaire

À l’extérieur de l’université du Chili, celle où le président a fait ses études, deux femmes prennent un selfie en tenant un drapeau à son effigie et un autre de Magallanes, sa région natale, la plus méridionale du pays. « Il incarne une nouvelle génération, une nouvelle histoire, parce qu’il inspire ceux d’entre nous qui ont participé aux combats des années 1990, celles du retour de la démocratie. C’est une génération à laquelle j’appartiens et nous avons travaillé pour construire un meilleur pays pour tous les Chiliens », déclare María Alejandra Sepúlveda, 73 ans, également originaire de Magallanes et avocate. Avec sa sœur Cecilia, elles sont venues écouter Gabriel Boric.

« Après une si longue période marquée par les abus du système néolibéral, nous avons des espoirs, oui, mais nous devons aussi faire en sorte qu’il y ait plus de justice sociale et de respect des droits humains », dit Cecilia Sepúlveda.

L’avenue s’est transformée en zone piétonnière, miroir inversé du trafic automobile habituel. Ce vendredi, place à la fête populaire. Un homme vend des souvenirs de l’ancien dirigeant étudiant, tandis qu’une femme brandit des drapeaux de toutes les couleurs affichant le nom du président en lettres majuscules.

Je suis émue de voir des femmes. C’est comme ça, je suis très émue de voir des femmes ministres. Sofía, 18 ans

À Santiago le 11 mars 2022, avant le discours de Gabriel Boric. © Photo Cris Saavedra Vogel/Anadolu Agency/AFP

Sur le chemin de La Moneda, une famille de quatre personnes, âgées de 18 à 56 ans, partagent leurs impressions sur la cérémonie de Valparaíso. María Paz, 48 ans, un foulard vert noué autour du poignet, explique que tout au long de la journée, elle a partagé des messages sur le groupe WhatsApp de sa famille. Chacune, chacun d’entre eux a échangé ses émotions. « Personnellement, je ne place pas mes espoirs uniquement sur le nouveau gouvernement, mais aussi sur les citoyens. C’est le moment où nous, citoyens et citoyennes, devons prendre en charge les changements culturels », lance-t-elle.

Sofía, 18 ans, porte aussi un foulard vert et acquiesce aux propos de sa mère. « Je suis émue de voir des femmes. C’est comme ça, je suis très émue de voir des femmes ministres. »

La foule s’approche de la place de la Constitution, sur laquelle donne le balcon du palais présidentiel, de plus en plus nombreuse. Un jeune homme grimpe à un arbre pour avoir une meilleure vue.

Lorsque sonnent 19 heures, heure prévue pour le discours, il n’y a toujours aucun signe du président. Les gens s’agitent et commencent à applaudir, en signe d’impatience. Une femme âgée arbore un énorme drapeau du Parti communiste, une des formations qui a fondé en 2017 le Frente Amplio (le Front Large) avec Boric.

Gladys Acosta, une retraitée venue avec ses filles, ses gendres, ses petits-enfants et ses camarades du parti, se souvient qu’elle était là le jour de la prise de fonction de Salvador Allende, président socialiste renversé en 1973 par les militaires. « C’est ma deuxième occasion de venir voir un président à La Moneda. Nous avons des rêves, nous avons de l’espoir, nous croyons qu’il va tenir ses promesses et nous exigeons qu’il les tienne, car le peuple en a assez d’être trompé. Nous avons tellement de besoins en tant que Chiliens parce que nous continuons d’être volés tous les jours », explique celle qui est venue de Conchalí, une commune de la banlieue.

« J’ai souffert de la dictature, mon père est mort sous la torture, poursuit-elle. La première chose à faire est de garantir que tous les prisonniers politiques de la révolte seront réellement libérés, parce qu’ils sont allés se battre pour ce que nous, les personnes âgées, n’osons pas faire, ils se sont levés pour nous. Par conséquent, ils méritent leur liberté. Je pense que tous ceux qui ont été mutilés, qui ont perdu leurs yeux ou leur vue, devraient également être indemnisés. »

L’ambiance ressemble aussi aux débuts du gouvernement de Michelle Bachelet, le 11 mars 2006, lorsqu’elle était devenue la première femme présidente. La fête s’était prolongée jusqu’au petit matin.

Avec près d’une heure de retard sur le programme, Boric apparaît. « Chiliennes et Chiliens, habitants de notre patrie, peuple du Chili. Cet après-midi, pour la première fois, je m’adresse à vous en tant que président de la République, président de toutes celles et de tous ceux qui habitent dans ce pays. » Son émotion est palpable.

Dans son discours de près d’une demi-heure, il remercie ses soutiens et met en avant les laissé·es-pour-compte, les autochtones, et les luttes auxquelles il s’est consacré. « Mon rêve est que lorsque nous aurons terminé notre mandat, et je parle au pluriel parce qu’il ne s’agit pas de quelque chose d’individuel, il ne s’agit pas de moi seulement, il s’agit du mandat que le peuple nous a donné pour ce projet collectif, lorsque nous aurons terminé ce mandat, nous pourrons regarder nos enfants, nos sœurs, nos parents, nos voisins, nos grands-parents et nous sentirons qu’il existe un pays qui nous protège, qui nous accueille, qui prend soin de nous, qui garantit des droits et récompense équitablement la contribution et le sacrifice que chacun d’entre vous, les habitants de notre pays, fait pour le développement de notre société », lance-t-il sous les applaudissements.

Passant en revue les bouleversements que traverse le pays, avec une économie frappée par la pandémie et une crise sociale qui n’a pas encore été totalement surmontée, le nouveau président a réitéré ses promesses de campagne. « Comme l’avait prédit Salvador Allende il y a presque 50 ans, nous sommes à nouveau, mes compatriotes, en train d’ouvrir les grandes avenues où passent l’homme et la femme libres pour construire une société meilleure. »

Yasna Mussa


Pour vous faire une idée de l’enthousiasme de la foule massée devant le Palais de La Moneda, un extrait du discours prononcé depuis le balcon ( 3’23 »)…


Le reportage complet de l’arrivée en voiture de Boric et du discours prononcé depuis La Moneda (1H45′)

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Chili: premier discours présidentiel pour Gabriel Boric depuis le Palais de la Moneda

Le vendredi 11 mars, Gabriel Boric s’est rendu à Santiago où il a prononcé un discours depuis le balcon du Palais de la Moneda devant une foule immense venue l’applaudir.
Le vendredi 11 mars, Gabriel Boric s’est rendu à Santiago où il a prononcé un discours depuis le balcon du Palais de la Moneda devant une foule immense venue l’applaudir. REUTERS – IVAN ALVARADO

Sur la place de la Constitution, des milliers de Chiliens ont écouté le discours de Gabriel Boric. « Ce soir, pour la première fois, je m’adresse à vous en tant que président de la République », a commencé par dire le nouveau président chilien. Pour Sulema, venue voir le nouveau président, il y a de l’espoir avec ce nouveau gouvernement qui entre en fonction: « Ça signifie beaucoup pour moi d’être là aujourd’hui. Il y a énormément d’espoir avec l’arrivée de cette nouvelle génération. »

Obtenir la majorité au Parlement

« On attend un changement de génération politique, ça fait des années, des années et des années que l’on attend. Maintenant, c’est l’occasion, il faut être là », estime Juan-Luis. Ce retraité vit en France depuis 40 ans, mais il a voyagé exprès pour l’investiture de Gabriel Boric, qu’il admire beaucoup: « C’est quelqu’un de très spontané, de très intelligent et surtout il lit beaucoup, c’est rare aujourd’hui. »
Mais Juan-Luis n’est pas dupe, il sait que les quatre prochaines années ne seront pas simples pour le nouveau président: « Le défi le plus important, c’est vraiment d’avoir une majorité qui l’appuie pour ses décisions politiques. C’est ça le grand problème, avoir la majorité dans le Parlement. »

La promesse de grandes réformes sociales

Même les jeunes, comme Maria-Eugenia, ne sont pas naïfs: « Son programme va demander beaucoup d’argent et ça va être difficile de trouver un équilibre. »

Gabriel Boric a promis de grandes réformes sociales. Il est attendu sur de nombreux dossiers comme celui des retraites ou encore son importante réforme fiscale.


Gabriel Boric, 36 ans, devient le plus jeune président du Chili et se place dans les pas de Salvador Allende

Publié le 12 mars 2022 par Le Monde avec AFP

Le nouveau président chilien, Gabriel Boric, fait le signe de la victoire après sa cérémonie d’investiture au Parlement, à Valparaiso, vendredi 11 mars 2022.

A 36 ans, Gabriel Boric est officiellement devenu le plus jeune président de l’histoire du Chili, après une cérémonie d’investiture marquée par un hommage à l’ancien président Salvador Allende.

« Comme l’avait prédit Salvador Allende il y a presque cinquante ans, nous voici de nouveau, chers compatriotes, en train d’ouvrir de grandes avenues où passeront l’homme et la femme libres pour construire une société meilleure. Vive le Chili ! », a lancé le jeune chef de l’Etat en clôture de son allocution à la nation devant la présidence, une référence claire au dernier discours de l’ex-président socialiste, prononcé juste avant son suicide, le 11 septembre 1973, depuis ce palais de La Moneda alors encerclé par les forces putschistes du général Augusto Pinochet.

« Nous ne serions pas ici sans vos mobilisations », a aussi avancé l’ex-leader étudiant, en allusion notamment à la révolte sociale qui a secoué le pays en 2019, devant une foule de dizaines de milliers de personnes euphoriques massées place de la Constitution.

La première journée a été riche en gestes symboliques. Lors de l’investiture pour succéder à Sebastian Piñera (2010-2014, 2018-2022), M. Boric a juré, selon la tradition, de respecter la Constitution « devant le peuple chilien », mais en ajoutant : « Tous les peuples chiliens », une référence aux peuples autochtones, notamment les Mapuches.

Les 24 ministres de son gouvernement, de 42 ans de moyenne d’âge et majoritairement composé de femmes (14 sur 24), notamment aux postes régaliens de l’intérieur, la défense ou des affaires étrangères, ont ensuite prêté serment.

« Le tombeau du néolibéralisme »

Une vingtaine de dignitaires internationaux ont assisté à l’adoubement du représentant d’une nouvelle génération de la politique chilienne, dont les présidents argentin, Alberto Fernandez ; péruvien, Pedro Castillo ; uruguayen, Luis Lacalle Pou ; bolivien, Luis Arce ; et le roi Felipe VI d’Espagne.

A l’issue de la cérémonie d’investiture au siège du Parlement, à Valparaiso (150 km au nord-ouest de Santiago), d’où le nouveau président est sorti au bras de sa compagne, la nouvelle première dame, Irina Karamanos, Gabriel Boric est monté à bord d’une voiture décapotable conduite, pour la première fois dans le protocole, par une femme.

L’ex-leader étudiant, député depuis 2014, qui, comme à son habitude, ne portait pas de cravate, doit maintenant dépasser les symboles et s’attacher à tenir ses promesses et répondre à l’espoir. Il s’était dit « convaincu que la grande majorité des Chiliens exigent des changements structurels ».

Héritier politique de la révolte de 2019, le président, élu en décembre à la tête d’une coalition de gauche, doit trouver des réponses aux demandes de transformation des systèmes de santé, d’éducation et de retraite, ainsi qu’aux exigences de réduction des inégalités. Selon lui, la solution passe par l’instauration d’un Etat-providence inspiré de la social-démocratie européenne et la rupture avec le néolibéralisme, dont le Chili a été le laboratoire sous la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990). « Si le Chili est le berceau du néolibéralisme, il sera aussi son tombeau », avait-il ainsi lancé le soir de sa victoire aux primaires de la gauche face au candidat communiste, Daniel Jadue, en juillet.

Absence de majorité au Parlement

Si les résultats économiques du Chili depuis trente ans ont été salués et enviés, ils ont été obtenus au prix de grandes inégalités (1 % de la population possède 26 % des richesses, selon l’Organisation des Nations unies) et ont conduit aux violences de 2019.

Le président sortant avait été forcé de céder à la demande de rédaction d’une nouvelle Constitution. Après l’élection des membres d’une Assemblée constituante, son élaboration est en cours et sa nouvelle version sera soumise à référendum dans le courant de 2022.

« Boric commence dans un climat favorable de l’opinion publique, grâce au capital politique qu’il a obtenu lors des élections et avec la nomination de son gouvernement » ouvert à diverses sensibilités, augure Marco Moreno, directeur de l’Ecole de sciences politiques de l’Université centrale du Chili.

Mais il devra réformer sur fond de ralentissement économique et en rassemblant un Parlement loin d’être acquis à sa cause : « Le grand défi que Boric devra relever est d’instaurer un dialogue pour surmonter les obstacles législatifs afin d’avoir la capacité de financer ses désirs d’Etat-providence », estime M. Rodrigo Espinoza, professeur à l’université Diego Portales.

Le Monde avec AFP


Chili: l’investiture de Gabriel Boric, un nouveau président porteur d’espoir

Le candidat de la gauche Gabriel Boric a été élu président du Chili, le 19 décembre 2021.
Le candidat de la gauche Gabriel Boric a été élu président du Chili, le 19 décembre 2021. AFP – MARTIN BERNETTI

Le Chili s’apprête à écrire une nouvelle page de son histoire: à seulement 36 ans, Gabriel Boric devient ce vendredi le plus jeune président que le pays n’ait jamais eu. Son arrivée au pouvoir suscite un immense espoir au Chili et de l’enthousiasme chez les voisins latino-américains. Quelles seront les priorités politiques de ce représentant de la gauche et quels défis l’attendent ?

L’investiture de Gabriel Boric est en quelque sorte l’aboutissement politique du soulèvement social qui a secoué le Chili en 2019. Cet avocat et ancien leader étudiant a été l’une des figures de proue de ce vaste mouvement de protestation contre les graves inégalités qui traversent la société chilienne.

Gabriel Boric a réussi à s’imposer à la primaire de la gauche, puis à remporter l’élection présidentielle contre un candidat d’extrême droite. Son discours séduit: il promet un État plus protecteur.

En finir avec un modèle hérité de la dictature Pinochet

« Il faut bien comprendre que le Chili actuel, c’est un modèle en partie hérité de la dictature Pinochet et ensuite de trente années d’un néolibéralisme très inégalitaire où presque tous les espaces publics ont été privatisés », explique Franck Gaudichaud, professeur à l’Université Toulouse Jean Jaurès ..
Pour ce professeur spécialiste du Chili, beaucoup de Chiliens attendent de Gabriel Boric qu’il construise un État social pour essayer de ramener un peu d’égalité, de gratuité sur les questions centrales qui sont l’éducation par exemple, la santé, mais aussi les retraites qui sont entièrement capitalisées au Chili depuis la dictature.

La réforme fiscale: le nerf de la guerre

Mais pour pouvoir rendre l’accès aux écoles et universités gratuit ou pour améliorer l’accès aux soins, l’État chilien a besoin de revenus. Le sol chilien regorge de cuivre, d’or, de lithium ou encore de pétrole. « La question est de savoir comment redistribuer ces richesses », souligne Olivier Compagnon, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Sorbonne Nouvelle.

« Le principe de la redistribution, au Chili comme ailleurs, c’est que l’État soit doté de ressources pérennes. Le seul moyen pour y arriver ce sont les impôts, que ce soit l’impôt sur le revenu des individus, l’impôt sur les entreprises ou encore l’impôt sur la succession. Or, au Chili, les taux d’imposition sont extrêmement bas », précise Olivier Compagnon.

Dans ce contexte, la grande réforme fiscale promise par Gabriel Boric sera en quelque sorte « le nerf de la guerre » du nouveau gouvernement. Mais cela ne sera pas facile, prévient Olivier Compagnon: « Parce que cela demande un certain consentement à l’impôt, à la fois des individus, mais aussi des industriels. Et il est très probable que Gabriel Boric rencontrera de très fortes oppositions. »

Un président sans majorité au Parlement

Ces « fortes oppositions », le nouveau président va devoir les affronter au Parlement aussi. Le jeune chef de l’État chilien sait qu’une majorité de Chiliens attendent de lui des réformes sociales profondes. Il sait aussi qu’il lui faudra probablement faire des concessions politiques, « puisque sa coalition de gauche est tout à fait minoritaire au niveau de la Chambre des députés et encore plus au Sénat », relève Franck Gaudichaud.

« Par conséquent, Gabriel Boric va avoir besoin d’accords permanents avec des partis qui sont extérieurs à sa coalition, notamment la Démocratie chrétienne et le Parti socialiste. Il y aura des tensions permanentes, entre les demandes sociales et un gouvernement qui a très peu de marge de manœuvre et qui a déjà commencé à reculer sur ses promesses de campagne », précise ce professeur à l’Université Toulouse Jean Jaurès.

Si ce pragmatisme affiché par le nouveau président fait d’ores et déjà quelques déçus au sein de sa propre coalition politique, ailleurs sur le continent, on voit en lui la star d’une nouvelle gauche latino-américaine, engagée autant dans la lutte contre les inégalités que dans la défense des valeurs démocratiques.

Processus constituant: le baptême du feu

Alors que Gabriel Boric prend les rênes du pays, une Assemblée constituante est en train de rédiger une nouvelle Constitution. Le texte final doit être soumis au référendum, probablement au mois de septembre. Selon Franck Gaudichaud, cette Assemblée « se situe politiquement très à gauche et est très influencée par les mouvements sociaux. Ceux qui ont élu Gabriel Boric ont l’espoir qu’il protégera ce processus constituant et aidera à sa mise en place. Mais les difficultés seront multiples ».

Les difficultés sont multiples puisque tout d’abord, comme le rappelle aussi Olivier Compagnon, « 44% des Chiliens ont voté au second tour de la présidentielle pour le candidat d’extrême droite. Ce sont des nostalgiques de la dictature qui vont voter contre ce nouveau texte constitutionnel. Et si par hasard celui-ci n’était pas approuvé, cela placerait le gouvernement Boric dans une situation pas loin de l’ingouvernabilité ».

Si la nouvelle Constitution était adoptée lors du référendum, il n’existe pour l’instant pas encore de calendrier pour « la mise en place de cette transformation profonde du Chili et de ses institutions », renchérit Franck Gaudichaud.