Il faut faire payer les milliardaires qui brûlent la planète …

D’après une étude publiée par Greenpeace et Oxfam, les 63 milliardaires français ont à eux seuls une empreinte carbone équivalente à celle de la moitié de la population française. Ces disparités climatiques énormes entre ultra-riches et ménages modestes montrent que toute transition écologique sans justice sociale est impossible …

Un article signé Mickaël Correia dans Médiapart du 23 février 2022

Les résultats sont vertigineux. Le patrimoine financier des milliardaires français émet 152 millions de tonnes équivalent CO2 par an. C’est plus que les émissions du Danemark, de la Finlande et de la Suède réunis. Et autant que les rejets de CO2 du patrimoine financier de 50 % des ménages français.

Dans un rapport publié mercredi 23 février, Greenpeace et Oxfam ont calculé l’empreinte carbone des 63 milliardaires que compte le pays. Les deux organisations se sont penchées sur un angle mort des émissions de gaz à effet de serre : celles issues des actifs financiers de ces ultra-riches. Et pour réaliser ses estimations, le duo d’associations a décidé de se concentrer sur l’entreprise dans laquelle chacun de ces milliardaires détient le plus de parts.

Les deux milliardaires français Xavier Niel et Bernard Arnault à Paris, le 9 avril 2018. © Photo : Eric Piermont / AFP

Auparavant, les émissions des ultra-riches étaient évaluées en se basant uniquement sur leur mode de vie et leurs choix de consommation. Pour exemple, en octobre 2021, une étude scientifique sur une vingtaine de milliardaires à travers le monde avait démontré que le Français Bernard Arnault, patron du groupe LVMH, avait en 2018 émis 10 421 tonnes équivalent CO2, alors que l’empreinte carbone moyenne de consommation d’un·e Français·e est d’environ 8 tonnes équivalent CO2.

Mais comme le notent Greenpeace et Oxfam à propos des milliardaires, les principales sources de leur richesse proviennent de leur portefeuille d’actions : « Au-delà de leur mode de vie, c’est leur patrimoine financier, via leur participation dans des entreprises fortement émettrices, qui est le poste le plus important de l’empreinte carbone totale des milliardaires français. »

Une relance climaticide au profit des plus riches

Les ultra-riches français ont la main sur une part importante de l’appareil de production national, encore fortement émetteur de gaz à effet de serre. Le niveau d’émissions des entreprises du CAC 40 nous conduit en effet tout droit vers un réchauffement planétaire de + 3,5 °C d’ici la fin du siècle. Et quatre des firmes hexagonales les plus émettrices – BNP Paribas, la Société générale, le Crédit agricole et Total – rejettent chacune plus de CO2 que l’ensemble de la France.

Par ailleurs, les deux ONG écologistes soulignent que les milliardaires français sont « les grands gagnants » des politiques de relance industrielle décidées par Emmanuel Macron depuis le début de la pandémie. Dès avril 2020, 20 milliards d’euros ont été injectés par l’État dans les grandes compagnies françaises. En juin de la même année, l’industrie automobile et le secteur aéronautique ont respectivement bénéficié de 8 et 15 milliards d’euros chacun.

Enfin, le plan de relance de septembre 2020 a octroyé 100 milliards d’euros aux entreprises sans les conditionner au respect de l’objectif fixé par l’Accord de Paris de limiter le réchauffement global à + 1,5 °C. Selon le Haut Conseil pour le climat, les deux tiers de l’argent public dégagé par ce dernier plan pourraient avoir « un effet significatif à la hausse sur les émissions de gaz à effet de serre ».

Grâce entre autres à cette manne captée en partie par les groupes dont les ultra-riches sont actionnaires, la fortune des milliardaires français a augmenté plus rapidement en un an et demi de pandémie qu’au cours des dix dernières années. Depuis le début de la crise sanitaire, les cinq premières fortunes du pays ont doublé leur richesse, possèdant désormais à elles seules autant que les 40 % les plus pauvres en France.

« Les ultra-riches posent aujourd’hui une continuité de problèmes à la communauté : ils pilotent des entreprises généralement climaticides, bâtissant ainsi leur fortune sur des investissements qui sont nocifs au climat. Ils en tirent aussi un mode de vie généralement nuisible à la planète », résume Clément Sénéchal, chargé de campagne climat à Greenpeace France

Mulliez, Saadé et Besnier

Parmi la soixantaine de milliardaires français listés dans ce rapport, Gérard Mulliez occupe le haut du podium. L’homme d’affaires originaire de Roubaix a fondé avec sa famille le groupe de grande distribution Auchan. L’empreinte carbone de son patrimoine financier est trois millions de fois plus élevée que celle d’un foyer français moyen.

En deuxième position survient Rodolphe Saadé, qui détient les trois quarts de la compagnie de fret maritime CMA-CGM. Les énormes émissions de gaz à effet de serre du milliardaire-armateur sont dues au fait que le transport maritime est très polluant. Si ce secteur d’activité était un pays, il serait le huitième plus gros émetteur de l’Union européenne.

Extrait du rapport « Les milliardaires français font flamber la planète et l’État regarde ailleurs », février 2021. © Greenpeace / Oxfam

Enfin, en troisième place figure le très discret Emmanuel Besnier, PDG du géant Lactalis, la première multinationale laitière au monde. Or l’industrie agroalimentaire est tout particulièrement climaticide. Le Réseau Action Climat estime que pour atteindre nos objectifs climatiques, il faut diminuer de plus de moitié la production et la consommation de produits animaux d’ici à 2050.

Au total, ces trois milliardaires français émettent à eux seuls plus de CO2 que près d’un quart des ménages français.

« Pour garantir une transition écologique socialement juste, le changement de logiciel est simple : le poids de la transition écologique doit être transféré des consommateurs les plus précaires, qui polluent le moins, aux producteurs les plus riches, qui polluent le plus et ont les moyens de transformer ces outils de production », explique Alexandre Poidatz, chargé de plaidoyer chez Oxfam France.

Face à ces inégalités climatiques démesurées, son association et Greenpeace recommandent l’instauration d’un impôt sur la fortune climatique – qui, selon leurs calculs théoriques, pourrait rapporter au moins 6,8 milliards d’euros en 2022 – ou encore une taxation des dividendes pour les firmes qui ne respectent pas l’Accord de Paris.

À l’heure actuelle, d’après le ministère de l’économie, la fiscalité carbone pèse proportionnellement quatre fois plus sur les 20 % de foyers les plus précaires que sur les 20 % de ménages les plus riches.

Mickaël Correia


Selon un nouveau rapport d’Oxfam France et de Greenpeace France, le patrimoine financier de 63 milliardaires français émet autant de gaz à effet de serre que celui de 50% de la population française. Cette nouvelle étude inédite pose la question du partage de l’effort dans la transition écologique à accomplir, surtout après un quinquennat marqué par le mouvement des Gilets jaunes.

Empreinte carbone du patrimoine financier des milliardaires : les chiffres-clés

L’analyse d’Oxfam France et Greenpeace France révèle que :

  • Le patrimoine financier de 63 milliardaires français émet autant de gaz à effet de serre que celui de 50 % des ménages français. Avec au moins 152 millions de tonnes équivalent CO2 en une année, le patrimoine financier de ces 63 milliardaires émet autant que le Danemark, la Finlande et la Suède réunis.
  • Trois milliardaires français émettent, via leur patrimoine financier, plus qu’un cinquième des Français.
  • À elle seule, la famille Mulliez (Auchan) émet autant que 11 % des ménages français, soit plus que tous les habitants d’une région comme la Nouvelle-Aquitaine.

Lire le rapport

Patrimoine financier des milliardaires : une empreinte carbone vertigineuse !

Jusqu’à présent, plusieurs études ont calculé les émissions associées au style de vie et de consommation (yachts, jets privés…) des milliardaires. Mais ce n’est ici que l’arbre qui cache la forêt. Au-delà de leur mode de vie, c’est leur patrimoine financier, via leur participation dans des entreprises polluantes, qui est le poste le plus important de leur empreinte carbone totale.

Le rapport de Greenpeace France et Oxfam France révèle ainsi que les émissions carbone du patrimoine financier des 63 milliardaires français est égale à 152 millions de tonnes CO2 eq soit l’empreinte du patrimoine financier de 50 % des ménages Français.

Par leurs soutiens financiers à des entreprises en France ou à l’international, les milliardaires rendent possible et encouragent des projets  émetteurs d’émissions de gaz à effet de serre sur l’ensemble de la planète. Ce sont donc eux qui ont la capacité de transformer ce modèle insoutenable en décarbonnant ces entreprises.

Des investissements dans des secteurs parmi les plus polluants

Notre rapport montre que, dans le top 3 des empreintes carbones des milliardaires, se trouvent des secteurs particulièrement polluants :

  • Gérard Mulliez, dans la grande distribution (Auchan)
  • Rodolphe Saadé, opérateur de transport maritime
  • Emmanuel Besnier, propriétaire de Lactalis (agro-alimentaire)

Alors que la population française est appelée à faire de plus en plus d’efforts face au changement climatique, les grandes entreprises ne sont aujourd’hui soumises à aucune obligation climatique.

ISF climatique : pour une fiscalité climatique efficace et équitable

Ces inégalités vertigineuses posent la question du partage de l’effort dans la transition écologique à accomplir. Aujourd’hui, la fiscalité carbone pèse 4 fois plus lourd en proportion de leurs revenus sur les 20 % de ménages les plus modestes, par comparaison avec les 20 % de ménages les plus aisés.

L’empreinte carbone démesurée des milliardaires appelle à une correction aussi radicale que pragmatique. Greenpeace France et Oxfam France préconisent ainsi l’instauration d’un ISF climatique dès 2022. Son idée est simple : il s’agit d’inclure dans le calcul de l’impôt des plus fortunés un malus assis sur l’empreinte carbone de leur patrimoine financier. Le calcul de l’ISF prendrait donc en compte deux variables : d’une part le niveau de patrimoine (la taille de la fortune), d’autre part, la quantité de CO2 qu’il contient (son impact sur le climat).

Oxfam France et Greenpeace France appellent par ailleurs à une taxe supplémentaire sur les dividendes pour les entreprises qui ne respectent pas l’Accord de Paris, qui rapportera au minimum 17 milliards d’euros aux finances publiques.

Lire le rapport


En savoir plus …

Dans une vidéo de 19’2″, Le Média décortique concrètement, comment les vacances des riches détruisent la planète. Avec la participation de :
– Frédéric Thiebaut, chargé de mission à l’espace maritime de la communauté de communes du golfe de Saint-Tropez
– Jean-Philippe Morin, chef du service Espace maritime de la communauté de communes du Golfe de Saint-Tropez
– Charles-François Boudouresque, Président d’honneur du GIS Posidonie, une structure spécialisée sur le suivi et l’étude de l’espèce
– Grégory Salle, sociologue, chargé de recherche au CNRS et auteur de « Superyachts, luxe, calme et écocide ».