L’architecte urbaniste Philippe Madec appelle à arrêter de « bétoniser la planète »

 

« Il faut qu’on arrête d’utiliser des matériaux qui sont à l’origine de la catastrophe portée par le monde des bâtisseurs », a déclaré l’architecte urbaniste Philippe Madec, pionnier de la construction écologique,  ce jeudi 24 juin sur franceinfo alors qu’a été publié hier les grandes lignes du pré-rapport très alarmiste du groupe d’experts de l’Onu sur le climat, le Giec. Sa cible principale, le béton …

Réchauffement climatique : l’architecte urbaniste Philippe Madec appelle à arrêter de « bétoniser la planète »

« Il y a en fait une quantité incroyable de solutions pour remplacer le béton » dont le principal défaut est d’être beaucoup trop énergivore, selon l’architecte. « Il faut être beaucoup plus radical » aujourd’hui.
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franceinfo : Vous dites notamment que dans la ville de demain, il faudra apprendre à se désintoxiquer du béton. En quoi le béton n’est pas bon et par quoi peut-on le remplacer ?

Philippe Madec : Il faut qu’on arrête d’utiliser des matériaux qui sont à l’origine de la catastrophe portée par le monde des bâtisseurs. En 2018, l’ONU a rendu public le fait que 40 % des émissions de gaz à effet de serre viennent de la construction. Notre manière de faire, comme au siècle passé, est absolument condamnée. Il faut changer non seulement les matières, mais aussi les techniques. En fait, ce n’est pas le béton qui est condamné, c’est le ciment. Le béton est un mélange d’un liant avec des agrégats, c’est une très vieille histoire qui remonte au temps des Romains.

« Ce qui est problématique, c’est le béton armé de ciment ‘Portland’ tel qu’il s’est déployé au point de bétoniser la planète aujourd’hui. »

Celui-là demande beaucoup d’énergie pour fabriquer le ciment, beaucoup d’eau, beaucoup de sable. Et on sait très bien que l’eau, le sable, l’acier sont quasiment des matériaux précieux aujourd’hui. Il faut remplacer tout ça. Il y a mille manières de le faire : la terre elle-même est un matériau très intéressant car il est, lui, hors de l’économie mondialisée et il est disponible sur les sites où l’on vient travailler. Il y a aussi tous les matériaux biosourcés géosourcés, tout le bois, la pierre, toutes les fibres. Il y a en fait une quantité incroyable de solutions pour remplacer le béton.

Vous travaillez aussi sur des systèmes de ventilation naturelle pour rafraîchir les villes. Comment ça marche ?

Si on veut que la ville s’adapte aux changements climatiques, il faut trouver des solutions qui ne demandent pas de moteur. Il ne faut pas qu’on continue, comme avec la climatisation, à produire de la chaleur pour produire du froid, c’est absolument aberrant. Il est nécessaire de simplement revenir à des mécanismes que l’on connaissait depuis très longtemps : pouvoir ouvrir les fenêtres, se protéger du soleil, s’isoler par l’extérieur, faire en sorte que le mouvement du vent et de l’air sur le corps donne un sentiment de fraîcheur bien utile. On peut utiliser des brasseurs d’air, comme on le voit dans les films sous les tropiques. Mais tout ça est évidemment possible aujourd’hui : oui, les solutions existent. Elles sont disponibles. Elles participent de ce qu’on appelle le low tech, les techniques simples.

Y a-t-il aujourd’hui une ville à l’étranger ou un pays sur lequel on pourrait prendre modèle ?

Il y a plein d’exemples un peu partout. Pour maîtriser l’effet d’îlots de chaleur, ce qui est indispensable pour que la ville se prépare à l’évolution du climat, la politique de New York au début des années 2000 de planter un million d’arbres en dix ans est absolument à reproduire un peu partout. On peut aussi regarder ce que fait Genève, par exemple : vous ne pouvez pas y installer une climatisation sans une autorisation. Il y a partout de très bons gestes qui montrent que l’on sait déjà faire et qu’il faut le faire. Le rapport du GIEC arrive à point nommé et on s’attendait à ce qui est dit. On voit bien aujourd’hui qu’il faut être beaucoup plus radical et qu’on arrête de tergiverser.


Manifeste pour une frugalité heureuse et créative

En mars 2019, avant sa conférence introductive du 10ème Printemps de l’Architecture en Finistère, interview de Philippe Madec, architecte-urbaniste à Paris et Rennes, lauréat du Global Award of Sustainable Architecture (2012), co-auteur du Manifeste pour une frugalité heureuse et créative (2018)
Une vidéo de 12′ …


L’architecte-urbaniste coordinateur du Trapèze, Philippe Madec a co-écrit avec Dominique Gauzin-Müller (architecte) et Alain Bornarel (ingénieur), un manifeste pour la frugalité heureuse et créative, qui a reçu à ce jour plus de 10 800 signatures partout dans le monde

Le principe partagé à travers ce manifeste, est « de vivre de la récolte des fruits offerts par la Terre » et non de gaspiller les matières premières, de « créer deux fois plus de bien être avec deux fois moins de ressources premières » (Facteur 4, club de Rome, 1987).

Appliqué au domaine de la construction cela signifie se questionner sur le potentiel des bâtiments existants avant de les démolir, sur le choix et l’usage des matériaux utilisés pour les constructions neuves, sur des conceptions sobres en utilisation d’énergie.

L’architecte-urbaniste évoque alors plusieurs pistes d’action :

  • Faire emprunter aux principes de constructions ceux du biomimétisme (imitation technique des processus de la nature), avec pour exemple le principe de thermorégulation des termitières.
  • Appliquer les principes bioclimatiques, c’est-à-dire maitriser le contexte local de construction et tirer le maximum de son potentiel aussi bien en matière d’énergies renouvelables (eau, vent, ensoleillement), que de ressources locales (sol, biodiversité).
  • Limiter les moyens techniques mécanisés et l’emploi d’énergie extérieur au site.
  • Revenir aux fondamentaux de la conception architecturale favorables au bien être : créer des logements traversants et installer des fenêtres dans toutes les pièces pour favoriser un éclairage et une ventilation naturels.
  • Mettre en œuvre des matériaux biosourcés issus de la biomasse d’origine végétale ou animale, comme le bois, la terre (cuite, coulée, crue), la paille ou encore la pierre.

Afin de transmettre, partager les inventions du monde de la construction de demain, d’inviter à réfléchir ou de sensibiliser, un programme de 12 visio-conférences est tenu depuis le 29 septembre jusqu’au 15 décembre 2020, qu’il est possible d’écouter également en replay.

Toutes les informations sont sur le site suivant : www.frugalite.org


 

Pour poursuivre la réflexion, un article paru dans Médiapart : « Les architectes doivent-ils cesser de construire ? »

De récents blocages dans des sites de production de béton du Grand Paris renvoient une question aux architectes : est-il encore possible de construire, comme si de rien n’était ? Réemploi de matériaux, transformation des sites, refus de travailler le béton… Si les pratiques se diversifient, l’emprise de l’industrie du béton reste massive.

 

Nichée sur les hauteurs de Grasse (Alpes-Maritimes), la villa Hélios, construite dans les années 1920 pour accueillir des personnes atteintes de maladies respiratoires, se cherche une nouvelle vie : l’atelier Aïno, l’un des maîtres d’œuvre du projet, est en train de réhabiliter le site, pour livrer une vingtaine de logements. « Nous prenons le bâtiment existant comme une contrainte, en essayant de l’abîmer le moins possible. On voit cela comme une réparation : prendre soin de ce qui nous entoure déjà », avance Élise Giordano, une des cofondatrices de ce collectif marseillais, une Scop lancée en 2016 par trois femmes.

Réhabiliter, plutôt que construire en neuf, éviter les démolitions… Élise Giordano revendique une forme de « retenue » propre à l’économie circulaire, à des années-lumière des bâtiments iconiques et souvent tape-à-l’œil des « starchitectes » (voir le dernier exemple en date, la Fondation Luma à Arles, signée Frank Gehry). « Il y a tout un travail de pédagogie à mener auprès des intermédiaires et collaborateurs du chantier, pour vaincre leurs réticences, leur expliquer que ces partis pris ne vont pas leur compliquer la vie », poursuit cette jeune architecte.

Sur le chantier, un code couleur a été mis en place : le vert pour les éléments à conserver et rénover – ici, par exemple, les garde-corps de la villa, qui ont été consolidés pour répondre aux normes de sécurité –, le bleu pour les matériaux à retirer mais qui pourront être « réemployés » ailleurs dans le bâtiment ou sur d’autres chantiers – ici, les faïences des espaces sanitaires, qui seront réinvesties dans les espaces communs –, et enfin le rouge pour les pièces à déconstruire ou démolir – ici, les faux plafonds. Du travail d’orfèvre, appliqué au bâti.

L'ancienne maison de repos Hélios à Grasse (Alpes-Maritimes). © Atelier Aïno L’ancienne maison de repos Hélios à Grasse (Alpes-Maritimes). © Atelier Aïno

Alors que la crise climatique s’intensifie, le monde de l’architecture est sous pression. Le recours au béton est de plus en plus critiqué. Aux conséquences de l’extraction massive de sable et de gravier sur les milieux naturels (plages et déserts) s’ajoutent ses effets massifs sur les émissions de CO2 (le béton est responsable de 4 à 8 % de ces émissions, chaque tonne de béton produite équivalant à une tonne de CO2). Est-il encore responsable, dès lors, de construire en béton, voire de construire tout court ?

« Bâtir est un acte violent qui alourdit chaque jour un peu plus notre paysage. Une nappe construite s’étend peu à peu sur le monde », s’inquiète, dans un livre collectif récent, Bernard Desmoulin, un architecte qui a notamment rénové les Arts décoratifs ou le musée de Cluny, deux institutions parisiennes. Dans sa charge récente contre le béton, Anselm Jappe mène une démonstration vivifiante contre les réflexes pro-béton de tout un milieu architectural. Mais le philosophe marxiste reste évasif sur les pistes de sortie de crise : tout au plus s’en tient-il à un éloge de William Morris, l’un des inspirateurs du mouvement Arts and Crafts au Royaume-Uni, ou à une défense de l’artisanat et de l’architecture vernaculaire

Les architectes sont-ils en train de faire évoluer leurs pratiques, à la hauteur des enjeux ? Le prestigieux prix Pritzker d’architecture, décerné en mars aux Français Lacaton et Vassal, qui, s’ils n’hésitent pas à recourir au béton, revendiquent aussi une économie de moyens rare dans la réalisation de leurs projets, pourrait annoncer un tournant.

Enseignant à l’École de Paris-Belleville, Cyrille Hanappe, qui avait participé à l’aménagement du premier camp d’accueil des migrants de Grande-Synthe (Nord), reste prudent : « On en est au tout début. Les méthodes de construction actuelles restent exclusivement centrées sur le béton. On met un peu plus de bois, sur les façades en particulier. Pour le reste, c’est epsilonesque… Le chantier du Grand Paris, c’est malheureusement tout ce qu’il y a de plus traditionnel. »

Se poser la question d’un bâtiment léger ouvre un champ énorme des possibles / Cyrille Hanappe

Hanappe dénonce l’emprise de la « filière du béton » et de ses lobbies sur les marchés français, centrée sur un matériau moins cher que les autres et aussi plus disponible. Une pénurie de bois déstabilise ainsi les chantiers de construction en France ces dernières semaines, alors qu’Américains et Chinois acquièrent à prix d’or les productions de bois hexagonal.

« Je rappelle souvent à mes étudiants cette question qu’un architecte utopiste des années 1960, Richard Buckminster Fuller [le constructeur du Dôme de Montréal pour l’exposition universelle de 1967 – ndlr] avait posée à Norman Foster : “Quel est le poids de votre bâtiment ?” C’est une question que Foster ne s’était jamais posée, il n’a pas su répondre. Mais c’est une question essentielle, le poids du bâti, qui est aussi son poids en CO2… Se poser la question d’un bâtiment léger ouvre un champ énorme des possibles », insiste Hanappe.

Des dalles de béton récupérées lors de la démolition d'une tour à Stains (Seine-Saint-Denis) en 2016, avec le collectif Bellastock. © Alexis Leclercq / Bellastock Des dalles de béton récupérées lors de la démolition d’une tour à Stains (Seine-Saint-Denis) en 2016, avec le collectif Bellastock. © Alexis Leclercq / Bellastock

À la marge, certains collectifs ont pris le sujet à bras-le-corps. Issu d’un festival dont la première édition s’est tenue en 2006, le collectif Bellastock s’est spécialisé dans le réemploi de matériaux. Il est par exemple intervenu, à partir de 2016, pour aider à la démolition de tours d’immeuble du quartier du Clos Saint-Lazare à Stains (Seine-Saint-Denis). « Nous avons diagnostiqué les tours avant leur démolition, pour identifier les lots que l’on pouvait réutiliser, décrit Quentin Chansavang, 35 ans, l’un des codirecteurs de la structure. Par la suite, il s’agit de scier, plutôt que de concasser les blocs identifiés. Cela évite de devoir racheter de nouveaux parpaings, qui consomment énormément d’énergie pour être fabriqués. »

Bellastock s’est ainsi fait connaître dans le développement de techniques pour réutiliser sur d’autres chantiers des matériaux issus de démolitions. À l’endroit de l’une des tours démolies de Stains, un site de fabrication de prototypes pour le réemploi a vu le jour. C’est aussi un lieu de vie – et de mémoire – pour les habitants du quartier. Sur le papier, les régulations sont aussi en train de bouger. Les groupes de BTP français sont censés commencer à mettre en place un système de tri des déchets (le « tri sept flux », qui comprend le plâtre et les fractions minérales), afin d’améliorer le recyclage des déchets. S’il juge que l’« on continue à construire trop », Grégoire Chansavang veut croire que « quelque chose a commencé à bouger », lors de la pause forcée imposée par le Covid, dans les milieux de l’architecture.

À Bruxelles, Rotor – qui avait occupé avec panache le pavillon belge de la Biennale de Venise dès 2010, autour de la thématique de l’usure – a également investi ce créneau de la préservation des matériaux anciens et des savoir-faire qui leur sont associés, avec un succès croissant. Ce groupe d’une trentaine de personnes s’est forgé une solide expertise dans le recyclage (recherche, maîtrise d’ouvrage, etc.) : « Nous travaillons avec tout une filière du réemploi, déjà très structurée dans l’Europe du Nord-Ouest, avec des revendeurs de pavés, briques, bois, planchers, carreaux de ciment… », explique Susie Naval, chargée de projet à Rotor.

Comment se fait-il que les édifices de la Rome antique tiennent toujours aussi bien, et résistent presque à tout ? Alice Grégoire et Clément Périssé

À la seule échelle de la Belgique, la quantité de déchets générés par la construction et la démolition du bâti, revers de l’activité du secteur BTP, a explosé, passant de 11 millions de tonnes en 2004 à près de 20 millions en 2016, selon les chiffres avancés par Rotor. Le groupe estimait il y a deux ans que 1 % seulement de ces matériaux de construction sont remis en circulation… Faut-il prôner un moratoire sur les constructions ? « Nous défendons l’idée de construire quand c’est nécessaire, quand cela répond à un besoin de société. Oui à des logements. Mais des bureaux, par exemple, il y en a déjà beaucoup à Bruxelles, qui ne sont pas utilisés. Nous avons déjà refusé d’être maître d’ouvrage sur des projets de villa individuelle, qui ne nous semblaient pas compatibles avec nos valeurs. »

En fin de résidence à la Villa Médicis à Rome, les architectes Alice Grégoire et Clément Périssé prolongent, à leur manière, ces discussions. « Comment se fait-il que les édifices de la Rome antique tiennent toujours aussi bien, et résistent presque à tout, quand le ciment de Portland [ciment quelconque dont la France est le plus gros producteur européen – ndlr] s’abîme très vite ? Pourquoi ne sommes-nous plus capables de produire des ruines mais uniquement des déchets ? », s’interroge Périssé. « Le béton a créé un monopole, qui détourne l’attention sur d’autres matières possibles. On perçoit un désir manifeste pour ces matériaux, qui ont été écartés, un désir de construire autrement », renchérit Alice Grégoire, passée par OMA, l’agence de Rem Koolhaas.

Durant leur séjour italien, ils ont travaillé l’argile ou encore la pouzzolane, cette pierre volcanique très présente dans la péninsule, à l’origine d’un ciment qui explique en partie la longévité de certains bâtiments romains. Alice Grégoire veut croire qu’un « élan commun » se forme, partagé par des architectes, politiques et industriels, pour construire différemment. Elle insiste aussi sur l’ébullition qu’elle perçoit chez les étudiants en architecture, avec nombre de diplômes consacrés, ces dernières années, aux manières de déconstruire intelligemment un bâtiment.

Mais ces étudiants pourront-ils pousser ces logiques, une fois embauchés dans des agences, prises, elles, dans la tenaille des marchés et des commanditaires ? Alice Grégoire plaide pour le temps long : « En architecture, rien n’est rapide. Je ne parle pas d’une maison individuelle, que l’on construirait sur une ZAD [zone à défendre – ndlr], mais de l’évolution d’un système industriel et de ses normes. Les normes de sécurité, par exemple, doivent s’adapter à de nouveaux matériaux, insiste-t-elle. Je ne peux pas dire : “Demain,  je ne construirai plus comme ça”, tout simplement parce que je n’en ai pas encore le droit. »

Un exemple de "transformation" par l'agence Canal : l'ancienne chocolaterie Poulain de Blois (Loir-et-Cher), devenue le siège de l'École nationale supérieure de la nature et du paysage. © Canal Un exemple de « transformation » par l’agence Canal : l’ancienne chocolaterie Poulain de Blois (Loir-et-Cher), devenue le siège de l’École nationale supérieure de la nature et du paysage. © Canal

Umberto Napolitano est à la tête, avec Benoît Jallon, de l’une des agences les plus en vue du moment, LAN, qui vient de livrer le nouveau théâtre du Maillon à Strasbourg – et qui était chargée de la transformation du Grand Palais à Paris, avant l’abandon du projet. La crise des dettes, la bulle immobilière et l’urgence climatique ont toujours été des contraintes pour son travail, assure-t-il : « Nous sommes devenus architectes après la crise de 2008. Nous avons eu accès à la commande quand on nous expliquait que tout était en crise. »

Et l’architecte napolitain de plaider pour une approche « complexe » pour penser la transition, au-delà des oppositions anti ou pro-béton : « Si l’architecture devient dogmatique, elle devient bête et méchante, elle perd le sens même du métier. La mono-fonctionnalité est bête. » Il assume la construction d’un lieu de culture comme le Maillon, tout en béton, mais multifonction : « Nous avons créé une infrastructure capable de lutter avec le temps. Nous leur avons fourni une machine, une fabrique du théâtre plutôt qu’un simple théâtre, et il se trouve que le béton, réalisé à partir de granulats locaux, permettait de faire exister cet outil-là. »

Napolitano, dont l’agence vient aussi de livrer des immeubles de logements dans l’îlot Saint-Urbain à Strasbourg, résume : « On ne peut plus construire comme autrefois, sans réinterroger intégralement la chaîne. Mais cela ne veut pas dire forcément que d’entrée de jeu il faut éliminer le béton. » Il insiste : « Le sujet sur le béton, ce ne sont pas les théâtres, mais les millions de logements et de bureaux qui continuent d’être construits, de telle manière que c’est la taille du coffrage du béton qui dessine l’architecture… »

Architecte et activiste habitant depuis quatre ans sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, Tibo Labat cultive, lui, un regard plus critique sur les pratiques de nombreuses agences, et l’étendue du greenwashing dans le secteur : « Aujourd’hui, qui n’a pas un discours green en architecture n’existe pas dans le jeu imposé. Tu es obligé d’avoir un discours là-dessus, que tu construises des maisons en paille ou des quartiers d’affaires en verre. »

Avec le comité Défendre.Habiter (lire l’un de leurs textes dans le Club de Mediapart), il s’inquiète du risque d’un repli vers les marges d’architectes refusant les logiques du marché, alors que les bétonnières du Grand Paris tournent à fond : « Beaucoup de collectifs réfléchissent à des formes de sobriété ou de frugalité, mais ils ne prennent pas position contre les destructions en cours. Si l’on se contente de construire des maisons en paille de notre côté, on laisse alors les groupes de BTP faire le reste… »

Plaidant pour des alliances avec des artisans partout sur le territoire, il insiste : « L’idée n’est pas d’inciter tous les architectes à devenir zadistes, mais plutôt de les inviter à mettre un pied dans une forme de résistance et de lutte. […] L’architecte ne devrait plus répondre à des commandes publiques ou privées venues d’en haut, mais travailler à partir d’irruptions, de révolutions. » De son côté, Cyrille Hanappe résume la tension du moment, en appelant, lui aussi, à une forme de « révolution » : « La bonne nouvelle, c’est qu’il y a de la marge, que techniquement des solutions existent, mais la mauvaise, c’est que le marché bloque et qu’il faut le révolutionner. »