A l’approche de deux échéances électorales importantes pour les territoires, dans un contexte de crise de confiance envers les pouvoirs politiques, une question doit se poser : « Qui va-t-on élire ? Des élus ou des représentants ? »Intuitivement nous avons tendance à répondre que nous élisons des représentants mais, par magie au moment de l’annonce du résultat, nos concitoyens-candidats qui viennent de remporter le scrutin se transforment en « élus » et bien souvent les concitoyens-électeurs de la veille deviennent des administrés …
Élus ou Représentants ?
Une contribution de Daniel Ibanez, Président du festival du livre des lanceurs d’alertes et de Daniel Cueff à retrouver dans un article de Bretagne Ma Vie.bzh daté du 25 février 2021
A l’approche de deux échéances électorales importantes pour les territoires, dans un contexte de crise de confiance envers les pouvoirs politiques, une question devrait se poser : « Qui va-t-on élire ? Des élus ou des représentants ? »
Intuitivement nous avons tendance à répondre que nous élisons des représentants mais, par magie au moment de l’annonce du résultat, nos concitoyens-candidats qui viennent de remporter le scrutin se transforment en « élus » et bien souvent les concitoyens-électeurs de la veille deviennent des administrés.
Et c’est alors que l’on peut entendre « Les élus ne nous représentent plus ! »
S’interroger sur les questions que soulèvent ces situations est indispensable dans un pays qui a perdu confiance dans ses représentants, voire qui est devenu largement méfiant si ce n’est défiant.
Identifier ce qui ne marche pas et pourquoi, demande de revenir à quelques bases et repères qui semblent avoir été oubliés.
Nous vivons dans une République dont la Constitution repose sur trois textes fondamentaux : La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et la Charte de l’environnement. Comme nous vivons en Europe nous pouvons ajouter la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne.
Un simple exercice montre à chacun d’entre nous que les repères sont flous pour tout le monde en matière de droit républicain.
Vous qui lisez cet essai, pouvez-vous citer deux articles de l’un de ces textes de mémoire ? Vous pouvez faire le test avec votre entourage et avec celles et ceux qui disposent d’un mandat électoral. D’expérience le résultat montre que rares sont celles et ceux qui arrivent à en réciter deux.
Pourtant la question des représentants s’y retrouvent comme à l’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen :
« La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. ».
Lorsque l’on parle de transparence de la vie publique ou de Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA) ou encore de Déclarations d’intérêts auprès de la Haute Autorité de la Vie Publique (HATVP), nous n’avons rien inventé car tout était déjà le 26 août 1789 dans le texte fondateur et référence constitutionnelle.
Encore faut-il savoir que chacun est en droit de demander et d’obtenir copie des actes qui engagent la collectivité. On comprend bien alors que le représentant ne peut pas dans l’esprit s’exonérer de rendre des comptes, mais le citoyen doit les lui demander. La représentation se construit sur ce droit de savoir pour les citoyens et cette obligation de rendre compte pour le représentant élu.
L’article 6 de la lumineuse Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen nous éclaire aussi sur cette confusion entre « élu » et « représentant » :
« La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. »
Tiens donc, les députés et sénateurs ne sont donc pas investis d’un pouvoir supérieur pour établir les lois seuls et les citoyens peuvent donc participer à la formation de la loi. Combien d’entre nous y ont déjà participé ? L’état de notre démocratie s’évalue, au moins pour partie, au regard de la réponse à cette question.
En effet, l’article 14 de la même Déclaration fondatrice nous précise que :
« Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »
Une fois encore, l’engagement de la dépense publique ne serait pas le seul fait du prince… Les citoyens peuvent participer à l’élaboration du budget et donner leur avis sur la nécessité d’engager l’argent de la collectivité.
La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen n’utilise pas le mot élu mais celui de représentant, et pour cause.
Voici donc quelques bases rappelées qui doivent nous permettre de recréer ou faire fonctionner une relation équilibrée entre ceux qui viennent de remporter un scrutin et ceux qui ont voté. Car la proclamation des résultats ne doit pas être, en démocratie, la fin de l’étape mais bien au contraire le début d’un travail en commun.
Délibérer avec des compétences.
Les collectivités doivent gérer et administrer des pans entiers de notre quotidien : les routes, les services sociaux, les déchets, la qualité de l’air, les transports, les établissements scolaires, l’assainissement collectif ou non collectif, l’éclairage ou les bâtiments publics, les aménagements urbains, les choix culturels, l’environnement etc…, même les troubles psychiatriques.
Qui peut prétendre connaître tous ces domaines et pouvoir engager des budgets de plusieurs millions d’euros en toute connaissance de cause ? Qui peut prétendre réunir toutes ces compétences, toutes ces connaissances ?
Pourtant, dès la proclamation des résultats les élus vont siéger dans les diverses commissions dans lesquelles ils devront prendre des décisions, ils seront appelés à voter les budgets… Il est indéniable que vu leur nombre une diversité d’expériences professionnelles existent, pour autant que l’on ne soit pas qu’en présence de professionnels de la politique…
Une chose est sure, les compétences se trouvent dans la population car finalement ce que gèrent les collectivités et donc les « élus », ce sont bien des services ou des produits qui sont le fruit des savoirs et des moyens de production qui se trouvent dans la société et ces savoirs se trouvent donc chez l’ensemble des membres de la société.
Mais par un processus magique que l’on peine à identifier, le candidat qui vient d’être élu pour représenter ses concitoyens va trop souvent devenir omniscient. Plus besoin de consulter ses concitoyens pour décider, les assemblées, dans lesquelles il ou elle siège, savent.
D’ailleurs l’élu se sent souvent capable de répondre à toutes les questions, celle du COVID et du confinement comme celle des égouts ou de la dangerosité des pesticides quand ce n’est pas une question de politique internationale… Les médias et sans doute aussi la population, ne comprendraient pas que l’élu ne soit pas capable de répondre instantanément.
Lorsque nous avons élu nos représentants en 2017, personne ne prévoyait une pandémie en 2020. Combien d’élus ont fait appel aux compétences de leurs concitoyens en matière de santé publique, en matière de matériel médical, de gestion … ?
De façon plus générale, combien de Conseils municipaux délibèrent après avoir consulté préalablement la population ou après avoir consulté la population (les contribuables) sur les priorités ou sur les choix d’investissements ?
On comprend bien par ces simples questions que la représentation ne fonctionne pas et finalement que les grands principes républicains ne sont pas respectés.
La responsabilité est sans doute partagée car, à l’inverse, combien de personnes interrogent leurs représentants sur leurs délibérations ou leur mandat ? Il faut évidemment une énergie, du courage et une bonne dose de persévérance pour interroger ou contribuer, même au niveau local.
C’est aussi du temps…
Si personne ne nie qu’il existe une difficulté matérielle et un ralentissement dans le processus de décision publique à consulter, à élaborer en commun les choix de société ou d’investissements, il n’en reste pas moins que le constat est là, si l’on ne se donne pas les moyens de faire vivre la démocratie par la représentation effective alors, la défiance s’installe et s’illustre par un consumérisme de la population qui est amenée à confondre contribution publique avec achat de services publics, à confondre services publics avec fourniture de services, liberté individuelle avec individualisme…
Il ne s’agit pas non plus de renoncer à la responsabilité politique des représentants qui sont élus (normalement) sur un programme et des orientations politiques. Ils portent donc la responsabilité politique de mettre en œuvre les orientations sur lesquelles ils se sont fait élire, ce qui peut les amener à refuser des propositions de la population qui ne s’inscriraient pas dans le programme ou les orientations pour lesquels ils ont été élus.
Il y a donc bien une complexité matérielle et politique et l’on comprend bien la difficulté à faire cohabiter électoralisme et choix politique clair. Cette complexité conduit bien souvent à une facilité électorale, elle a un nom, le clientélisme, il est en effet plus simple de satisfaire des consommateurs que des citoyens qui participent à la vie de leurs collectivités locales.
Comment faire et quelles propositions formuler ? Les engagements des candidats, des orientations claires, une méthode pour délibérer, une évaluation pluraliste.
Les engagements.
Tout d’abord un véritable engagement de mettre les moyens pour faire vivre le lien bidirectionnel qui découle du mandat de représentation est nécessaire. Ces moyens sont humains, matériels et financiers car s’appuyer sur les compétences de la population et les prendre en compte implique de pouvoir susciter, consulter, analyser les propositions pour délibérer.
Inciter la population à participer à la définition des priorités, à proposer des solutions et des moyens, c’est respecter l’article 14 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen cité plus haut.
Là où la divergence ne s’exprime pas il n’y a pas ou plus de démocratie. La citoyenneté c’est évidemment l’exercice des droits associé à la responsabilité et chacun propose des solutions avec l’objectif de pouvoir les réaliser, c’est-à-dire en imaginant les moyens nécessaires et les conditions de réalisation pour la collectivité. L’engagement des représentants de convoquer le pluralisme avant la décision est indispensable.
Notons car nous assistons à une tendance lourde, la nécessaire communication des décisions politiques ne doit pas être confondue avec une politique fondée sur les seuls messages de communicants. La concertation ne doit pas, comme c’est trop souvent le cas, consister à une étape dans la communication pour l’apparat démocratique, mais permettre l’émergence de la diversité voire de la divergence et sa prise en compte.
Les orientations et le programme
L’engagement de s’inscrire dans une logique d’écoute, de partage et de coopération avec la population ne peut se dissocier d’un programme et d’orientations politiques clairs qui permettront au cours du mandat d’évaluer les propositions y compris sur des sujets qui n’étaient pas connus au moment de l’élection.
Evidemment tous les candidats se gargarisent des principes et valeurs de la République, de l’intérêt général. Qui pourrait faire une campagne électorale en annonçant qu’il s’en moque ?
Toutefois, dès que l’on pose la question d’une définition plus précise de ces formules qui devrait prendre la forme simple de « on entend par … » les candidats deviennent mutiques. C’est la différence entre la communication politique et la pratique politique.
Alors proposons au moins une définition pour l’intérêt général :
On entend par « intérêt général » les intérêts, valeurs ou objectifs qui des textes qui forment le bloc constitutionnel et résultent des principes énoncés dans Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, dans la Charte de l’environnement, ainsi que, pour la dimension européenne, dans la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne.
Citons quelques passages de ces textes qui, finalement, constituent sans doute aujourd’hui des orientations politiques trop souvent oubliées :
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789
« …afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous. »
« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. »
« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. »
« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. »
« La garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. »
Charte de l’Environnement
« Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. »
« Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement. »
Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
« La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme. »
« Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République. »
« Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. »
« Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. »
« La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. »
« Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. »
La Constitution de 2008
« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »
« La devise de la République est « Liberté, Égalité, Fraternité ». Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. »
La méthode
Le cadre et les préalables
La méthode qui est intrinsèque au mandat de représentation doit refléter concrètement les orientations et les engagements
Si l’on considère que les priorités sont définies ensemble, alors même la disposition de la salle où se rencontrent les participants doit le traduire. Il n’y a pas le présentateur et le public en face comme dans une salle de classe avec le sachant et ses élèves, mais un cercle qui place chacun au même niveau.
Chacun apporte ses idées et les solutions pour les réaliser en gardant à l’esprit que la collectivité devra en supporter la charge.
L’analyse pluraliste
Vient ensuite le temps de l’analyse des propositions. L’analyse doit être pluraliste, car si la construction de routes est une question évidemment technique notamment sur le choix des enrobés, le choix pose également les questions des flux de circulation, des typologies de véhicules, d’émissions polluantes, de dépôts dans les plaines agricoles, de passage de la faune, des transports publics….
Sans analyse pluraliste, les choix techniques sont guidés par des spécialistes qui lorsqu’ils sont formés à l’utilisation du marteau ne pensent les assemblages qu’avec des clous…
Délibérer
La délibération est l’acte qui engage la collectivité. Le choix, in fine, est de la responsabilité des représentants élus qui doivent décider de façon éclairée, à savoir, en ayant acquis une connaissance suffisante des motifs et des conséquences de leur choix.
C’est la raison pour laquelle, du fait même de ce mandat de représentation, le débat suite aux analyses pluralistes doit être ouvert et transparent. Cela ne veut pas dire que le représentant doit être dépossédé de sa responsabilité politique dans le choix et la décision, mais que ce choix doit intervenir après avoir pris les avis le plus largement possible et avoir débattu des alternatives qui sont proposées.
Ces conditions feront apparaître immanquablement des divergences et des convergences ; il n’est jamais facile (est-ce souhaitable ?) de mettre tout le monde d’accord. Mais si tout le monde ne sera pas convaincu que la décision prise est la bonne, au moins personne ne pourra, de bonne foi, considérer qu’elle a été prise en catimini ou sans débat préalable.
Il est donc essentiel de délibérer en ayant fait appel aux compétences de celles et ceux qui acceptent de faire profiter la collectivité de leurs savoirs et ne pas considérer que l’élection a rendu par miracle le représentant élu omniscient.
Accès aux informations
Une fois la délibération actée, la démocratie veut que les citoyens, qu’ils aient ou non participé à l’élaboration de la décision, puissent disposer des informations qui ont prévalues au choix. C’est toujours le principe fondamental de l’article 14 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
Prévoir l’accès aux informations dès l’origine suppose des moyens et de la méthode. Loin de considérer cela comme une charge, les représentants doivent le considérer comme la contrepartie de la contribution publique que verse chaque citoyen, que ce soit par l’impôt direct ou indirect.
Évaluer les choix faits.
Tirer les leçons des situations que l’on a créées devrait être naturel. L’un des reproches faits aux représentants est leur inconséquence ou leur irresponsabilité ou encore leur impunité qui leur permettrait de ne pas assumer les conséquences de leurs décisions.
En matière d’infrastructures financées en tout ou partie par l’argent public, il y a une obligation de réaliser un bilan des résultats économiques et sociaux au-delà d’un certain seuil financier. Ces bilans font souvent ressortir des surévaluations dans les prévisions de fréquentation, des augmentations tarifaires supérieures aux prévisions, des coûts supérieurs à ceux annoncés, mais surtout, alors que ces bilans doivent être publiés cinq ans au plus tard après la mise en service, il est fréquent qu’ils ne soient pas réalisés ou bien réalisés avec des retards de plusieurs années.
Cette absence d’évaluation des décisions prises, alors que l’argent public a été engagé, ne fait que renforcer la défiance de la population. La conséquence de cette défiance est le refus de la contribution publique ou au moins sa remise en cause, mais c’est aussi de façon irrationnelle la préférence pour la gestion privée que pour le service public avec le sentiment que le statut de client est plus confortable que celui de contribuable.
C’est ainsi que l’on assiste à une politique de plus en plus répandue de délégation de services publics ou de Partenariats Public/Privé au motif que la gestion en serait plus rigoureuse. Vraiment ?
Quelle collectivité, après avoir concédé l’exploitation de services au privé, a conservé la capacité technique et financière d’analyse ? Quasiment aucune car la concession ou la délégation entraîne dans la plupart des cas le transfert des contrats de travail et des compétences qui y sont liées, opportunément repris par le privé.
Une nouvelle fois la possibilité pour les représentants d’avoir une idée juste du bilan coût/avantage résidera dans un appel aux compétences de leurs concitoyens qui pourront aider à analyser et évaluer.
On le voit, la collectivité a bien plus à gagner à partager la décision et l’évaluation qu’à la déléguer à des exécutifs omnipotents et se croyant « l’élite ». La représentation est un processus bidirectionnel dont les citoyens et les représentants doivent se saisir dans une démocratie. Les entraves à l’information du public ou le refus de l’expression divergente ne sont pas compatibles avec le mot représentant et les prochaines élections doivent intégrer cet enjeu.
Daniel Ibanez et Daniel Cueff
A vous de jouer …