Puisque les institutions sont fermées, la ville peut-elle devenir le lieu de la création artistique ? Pour Pascal Le Brun Cordier, universitaire et directeur artistique, « les projets artistiques dans l’espace public ont le pouvoir de nous sortir de notre anesthésie sensorielle et politique ». Pour expliquer ce qu’il entend par « la ville sensible », il évoque la parade du dragon de François Delarozière à Calais …
Penser la ville autrement en ces temps où les institutions sont fermées, c’est envisager l’espace public comme lieu possible pour la création artistique.
Pascal Le Brun Cordier, directeur artistique et responsable du Master « Projets culturels dans l’espace public » à Paris 1, explique au micro de Marie Sorbier ce qu’est une ville sensible, un concept qu’il développe dans un article paru récemment dans la revue L’Observatoire.
L’émission de France Culture d’une durée de 9′ est à écouter par ici …
Quelques phrases extraites de l’interview …
« Aujourd’hui, il est évident que ne nous sommes pas arrivés à une ville sensible. Avant tout parce que nous sommes dans une forme d’anesthésie, où nos cinq sens sont affaiblis : le toucher est compliqué, l’odorat est affecté par le port du masque, voire supprimé quand on est infecté par le Covid-19, de même pour le goût. Il n’y a que la vue et l’ouïe qui ne soient pas aussi affectés. »
« Il y a aussi une forme d’anesthésie politique dans la ville, du fait de la gestion techno-sanitaire de la pandémie : des activités sociales sont qualifiées d’essentielles ou de non-essentielles sans le moindre débat préalable, l’Etat d’urgence sanitaire permet à l’exécutif de court-circuiter le législatif. Les questions éthiques et politiques sont éclipsées. »
Pour remédier à cette situation atone, il faudrait favoriser et soutenir des démarches artistiques et culturelles capables de réveiller la sensibilité esthétique et politique des citadins. Pascal Le Brun Cordier donne l’exemple de la ville de Calais, mettant en parallèle la difficulté de l’accueil des migrants et la parade du dragon de François Delarozière :
» Un dragon de 12 mètres de haut, 25 mètres de long, constitué d’acier et de bois sculpté pour un poids total de 72 tonnes, qui se lève, déambule dans les rues de Calais en crachant feu, eau et fumée. Ce dragon est une touche de poésie et d’étrangeté qui amène du développement touristique à Calais tout en travaillant les imaginaires de ses habitants. C’est la figure symbolique de l’étrange étranger dans une ville traversée par des flux de population, de réfugiés et de migrants qui sont très mal accueillis.
Incarnation d’un travail culturel dans l’espace public porté sur l’accueil et l’hospitalité face à une figure étrangère, surprenante mais finalement adoptée par la population, le projet de François Delarozière a néanmoins été contrarié dès le jour de son inauguration par la maire de Calais, qui a décidé d’interdire dans le centre-ville le ravitaillement destiné aux migrants.
« Pour la maire de Calais, il fallait éloigner ces étrangers-là et les maintenir dans les marges de la cité. Il faut donc être vigilant : l’art dans l’espace public a une capacité à interroger nos imaginaires, à poser des questions, mais peut aussi être instrumentalisé et révéler des contradictions du politique. C’est ce qui s’est passé à Calais, avec cet incident politique qui révélait les intentions véritables de la maire : ne garder dans la ville que les étrangers acceptables, et rejeter les autres… »
Qu’est-ce qu’une ville sensible ?
Pour Pascal Le Brun Cordier, la ville sensible se définit selon trois dimensions : une dimension esthésique, une dimension éthique et une dimension politique.
Esthésique (ce qui mêle la sensorialité et l’esthétique), la ville sensible est celle qui offre la possibilité de vivre des expériences sensorielles riches, intéressantes, troublantes et profondes. Une ville dont le cadre de vie intensifie le sentiment d’existence de ses habitants.
Ethique : la ville sensible est une ville qui se soucie de tous ses habitants et toutes ses habitantes en leur donnant une place.
Politique : la ville sensible est celle qui pense un partage de l’espace public entre les inclus et les exclus, entre les citoyens et les autres. Il s’agit d’une conception développée par le philosophe Jacques Rancière, où penser le partage est une manière de le rendre plus ouvert.
Pour aller plus loin : Le 11ème numéro de la revue Klaxon, intitulé « Des artistes dans la fabrique urbaine » et dirigé par Pascal Le Brun Cordier est disponible gratuitement en ligne.
En savoir plus sur Le Dragon de Calais, spectacle de François Delaroziere & Compagnie La Machine …
Le 1er novembre 2019, Calais découvre une nouvelle machine monumentale, conçue par la compagnie La Machine et François Delaroziere. Venu de la mer, le Dragon de Calais parcoure la ville, animé par 17 personnes qui lui donnent vie. Accompagné d’une formation musicale, cet animal légendaire aux dimensions extraordinaires est le héros d’un spectacle conçu sur trois jour. Apprivoisé par les habitants de Calais, le Dragon a finalement élu définitivement domicile dans la ville. Depuis ce jour, le Dragon de Calais arpente le Front de mer de Calais, embarquant sur son dos une cinquantaine passager. Pensé comme un élément structurant de la ville, le gigantesque saurien maille le centre-ville par ses déplacements et interagit avec les habitants et les visiteurs. Un Iguane Sentinelle s’est également récemment installé sur le Parvis des Dragon. Ils seront rejoints dans les mois à venir par d’autres sauriens … Une vidéo de 2’45 »
La grande histoire du Dragon de Calais racontée …
Virginie Demange, depuis Calais, vous fait revivre toute l’histoire de la création de ce Dragon de Calais, depuis les maquettes jusqu’à la parade du dimanche après-midi. Un magazine de 52 minutes pour vivre ensemble « La grande histoire du Dragon de Calais« .
Crachant feu, eau et fumée, le dragon gigantesque « venu d’un autre monde » est entré vendredi dans Calais : haut de 15 mètres, long de 25, l’attendu monstre mécanique imaginé par François Delarozière est au centre d’un « spectacle urbain » de trois jours, avant de devenir attraction touristique.
Capable de marcher jusqu’à 4 km/h, cracher du feu, se coucher, bouger la langue ou les oreilles et même battre des ailes, « ce dragon des mers » est un enjeu important pour la ville.
En savoir plus sur la Compagnie La Machine …
Au cœur de la démarche artistique de la compagnie La Machine, le mouvement est interprété comme un langage, comme source d’émotion. A travers chacune de ces architectures vivantes, il est question de rêver les villes de demain et de transformer ainsi le regard que nous portons sur nos cités.
La Machine développe aujourd’hui de nombreux projets aussi bien dans le domaine de l’aménagement urbain (Les Machines de l’Ile à Nantes, Les Animaux de la Place à la Roche sur Yon…) que celui du spectacle de rue (Long Ma Jing Shen, Les Mécaniques Savantes, La Symphonie Mécanique, L’Expédition Végétale, Le Dîner des Petites Mécaniques…).
La compagnie est née de la collaboration d’artistes, techniciens et décorateurs de spectacles autour de la construction d’objets de spectacle atypiques. Elle est dirigée par François Delaroziere. Pour réaliser ses constructions, la compagnie La Machine s’est dotée de deux ateliers à Nantes et Tournefeuille. De multiples métiers y sont représentés, du spectacle aux métiers d’art en passant par l’industrie et les technologies de pointe. L’homme et ses savoir-faire sont l’essence même du processus de création.
Plus d’infos via le site internet de la Compagnie …
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