L’acte fort d’Antoine Griezmann contre la répression des Ouighours.

Le footballeur Antoine Griezmann vient en 48h de mettre fin à son contrat avec le géant des télécoms Huaweï soupconné d’avoir aidé la Chine dans la répression des Ouighours. « C’est un geste d’un courage et d’un humanisme qu’il faut saluer et estimer à sa juste valeur », confie le député européen Raphaël Glucksmann qui salue « un acte d’autant plus fort qu’il n’est pas seulement symbolique ! »…

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« Suite aux forts soupçons selon lesquels l’entreprise Huawei aurait contribué au développement d’une « alerte Ouïghour » grâce à un logiciel de reconnaissance faciale, j’annonce que je mets un terme immédiat à mon partenariat me liant à cette société. » précise l’international français du FC Barcelone dans un communiqué publié sur ses réseaux sociaux. « J’en profite pour inviter Huawei à ne pas se contenter de nier ces accusions mais à engager au plus vite des actions concrètes pour condamner cette répression de masse et user de son influence pour contribuer au respect des droits de l’homme et de la femme au sein de la société. »

« Un courage qu’il faut saluer » : les dessous du divorce entre Antoine Griezmann et Huaweï

La décision du footballeur français de quitter le sponsor chinois est un geste fort, explique le député européen Raphaël Glucksmann, en partie à l’origine de cette mesure radicale.

Un article signé Noémie Bonnin et Emma Sarango pour FranceTVinfo  du
Le footballeur français Antoine Griezmann a rompu son contrat avec le géant de la téléphonie chinois Huaweï. (JONATHAN NACKSTRAND / AFP)

Comment Antoine Griezmann en est-il arrivé à rompre, jeudi 10 décembre, son contrat avec Huaweï ? Le footballeur français invoque « les forts soupçons » qui pèsent sur le géant des télécoms, à propos d’une participation à un système de reconnaissance faciale des autorités chinoises pour surveiller les Ouïghours. Pékin est accusé d’orchestrer une persécution de grande ampleur à l’encontre de cette minorité musulmane.

Depuis la fin de l’été 2020, le site Ouïghours news s’est mis en tête de dénoncer toutes les marques supposées complices des autorités chinoises quant à cette surveillance de la minorité dans la région du Xinjiang. Chaque fois, les ambassadeurs de ces enseignes sont interpellés sur les réseaux sociaux.

« En 48 heures, il l’a fait »

C’est ainsi qu’il y a trois jours, l’attaquant du Barça reçoit des dizaines de milliers de messages. À l’initiative de ces campagnes, le député européen Place publique Raphaël Glucksmann : « Ils ont interpellé poliment Antoine Griezmann et à notre surprise, en 48 heures, il l’a fait. C’est un geste d’un courage et d’un humanisme qu’il faut saluer et estimer à sa juste valeur », confie l’essayiste et homme politique.

Un acte d’autant plus fort qu’il n’est pas seulement symbolique, se félicite Raphaël Glucksmann : « On parle quand même de dénoncer un contrat qui lui rapportait des millions d’euros. Il ne va pas finir sous un pont, mais c’est plus puissant que ce que font les basketteurs américains, qui est un message politique, mais qui n’implique pas nécessairement un sacrifice personnel. » Les joueurs de la NBA avaient boycotté plusieurs matchs aux États-Unis à la fin de l’été, pour dénoncer le racisme et les violences policières.

« C’est un message qui sera entendu à Pékin. »
Raphaël Glucksmann

Cette décision de Griezmann ne sera pas sans conséquence, espère le député européen : « Griezmann, c’était la tête de pont de Huaweï en Europe, c’était leur star absolue. Quand on sait que Huaweï est une entreprise qui est directement liée à l’État chinois, en fait il les met au pied du mur. » Raphaël Glucksmann souligne que certains politiques déjà interpellés sur leurs liens avec Huaweï n’ont, eux, toujours pas répondu aux différentes requêtes.

Dans un communiqué, Huaweï assure « respecter parfaitement et strictement les principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme ».

 


En savoir plus sur la répression chinoise contre les Ouighours.

« Camps de concentration », cette expression semblait circonscrite aux livres d’histoire et rattachée à une période sombre mais révolue. La voilà qui ressurgit au XXIe siècle. Dans le Xinjiang, une région au nord-ouest du pays, plus d’un million de personnes sont emprisonnées et exploitées, selon des ONG, dont une majorité d’Ouïghours, mais aussi des Kazakhs et d’autres minorités musulmanes. Pékin se défend de toute atteinte aux droits de l’homme, évoquant des « camps de rééducation » assimilables à des « centres de formation ».

Député européen Place publique, Raphaël Glucksmann se bat pour que l’Europe réagisse face à ce qu’il qualifie de crime contre l’humanité. Il est notamment à l’origine d’une campagne sur les réseaux sociaux lancée le 1er octobre, jour de la fête nationale chinoise, consistant à poster une image bleue, aux couleurs du drapeau Ouïghour, suivie d’un message ponctué du hashtag « #FreeUyghurs ». A travers le sort réservé à cette minorité se joue une remise en cause de la mondialisation, estime-t-il …


La répression des Ouïghours en Chine

Surveillance extrême, emprisonnement dans des camps, contrôle des naissances… Cette minorité musulmane chinoise est ciblée par Pékin depuis les années 2010. Le pouvoir central dit lutter contre le terrorisme dans la région du Xinjiang.

Article rédigé par Charlotte Causit -pour France tv Info du 11.07.2020.
Lors d'une manifestation de soutien à la communauté ouïghoure, le 27 décembre 2019, à Berlin (Allemagne).  (ABDULHAMID HOSBAS / ANADOLU AGENCY / AFP)

Un nouveau palier dans l’escalade de l’horreur a été franchi : lundi 29 juin, une étude (PDF en anglais) publiée par la Fondation Jamestown met au jour la politique coercitive de contrôle des naissances du pouvoir chinois à l’encontre de la communauté ouïghoure. Après la multiplication de témoignages édifiants de rescapés, et la révélation, en 2019, de plus de 400 documents officiels chinois par le New York Times (en anglais) attestant de l’existence de camps de concentration modernes, cette nouvelle atteinte aux droits de l’homme a conduit plusieurs militants ouïghours et responsables politiques à dénoncer un « génocide culturel ». Mais de qui et de quoi parle-t-on ? Si le drapeau azur du Turkestan oriental ne vous dit encore rien, rassurez-vous, franceinfo vous explique.

Qui sont les Ouïghours ?

Les Ouïghours font partie des 55 minorités ethniques qui peuplent l’immense territoire de la Chine. Dans l’ancien Empire du milieu, 56 groupes ethniques différents coexistent, et les Hans constituent l’ethnie majoritaire et « historique » de la Chine. Les Ouïghours sont turcophones, comme les Kazakhs, et majoritairement musulmans sunnites.

Où vivent-ils ?

Les Ouïghours vivent « principalement dans la pointe du Xinjiang », dans le nord-ouest de la Chine, explique Marc Julienne, chercheur à l’Institut français de relations internationales et spécialiste de la politique intérieure et sécuritaire chinoise. Cette région, également nommée Turkestan oriental, est frontalière de huit pays dont le Kazakhstan, la Mongolie et la Russie. « En 1955, elle est devenue la ‘région autonome ouïghour du Xinjiang’. Mais elle n’a d’autonome que le nom. Elle est dirigée par des Hans, donc par le pouvoir de Pékin », explique le chercheur.

Le gouvernement chinois n’a eu de cesse de tenter de dynamiser cet immense territoire aride et enclavé, grand comme deux fois et demi la France. Pour l’ouvrir, des « campagnes démographiques » sont lancées pour inciter les Hans à venir s’y installer. « En moins de 70 ans, il y a eu un basculement », remarque Marc Julienne. En 1949, les Hans représentaient seulement 6% de la population du Xinjiang et « les Ouïghours étaient la minorité majoritaire du Xinjiang », souligne Marc Julienne. Lors du dernier recensement effectué en 2010, la tendance était nettement différente : les deux populations étaient presque égales.

Pourquoi font-ils l’objet d’une répression ?

Le renversement démographique et le rapport de force exercé par les Hans a contribué à envenimer les relations entre les deux ethnies. « Moins connu en Occident que le problème tibétain, le problème ouïghour n’en constitue pas moins aux yeux de Pékin une question bien plus aiguë », écrivait Rémi Castets, directeur du département d’études chinoises de l’université Bordeaux-Montaigne, dans une étude (PDF) datée de 2004.

En 2009, des heurts opposent des habitants de Urumqi, capitale de la province du Xinjiang, et des militaires, après des émeutes meurtrières entre Ouïghours et Hans. (DAVID GRAY / REUTERS)

La volonté d’indépendance des uns face à la domination des autres cristallise les tensions. Au-delà des velléités nationalistes se développe l’extrémisme religieux : une minorité de Ouïghours intègre les rangs du Parti islamique du Turkestan, affilié à Al-Qaïda. Et dans les années 2010, une vague d’attentats secoue le pays. « C’était quelque chose d’assez nouveau, car cela se produisait aussi à l’extérieur du Xinjiang », note Marc Julienne.

Ces événements terroristes traumatisent la société chinoise et particulièrement Xi Jinping. Celui-ci arrive à la tête du Parti communiste chinois en 2012 et devient président en 2013. Le 30 avril 2014, pour le dernier jour de déplacement du chef d’Etat dans le Xinjiang, un attentat à la bombe fait un mort et 79 blessés à Urumqi, la capitale de la province, selon le New York Times.Dès lors, « Xi Jinping veut régler le ‘problème ouïghour’. Il veut faire disparaître toute forme de contestation qui remettrait en question la souveraineté de l’Etat chinois. Il ne veut plus en entendre parler, il veut l’écraser », analyse Rémi Castets, interrogé par franceinfo.

Cette crainte a provoqué une réaction totalement démesurée, que le régime appelle ‘lutte contre le terrorisme et contre l’extrémisme’. Marc Julienne 

Un nouveau tournant dans la répression se dessine en 2016, avec l’arrivée de Chen Quanguo, ancien militaire et haut cadre du Parti communiste chinois, à la tête de la province du Xinjiang. Chen Quanguo a « fait ses armes » au Tibet et s’est illustré dans la « pacification » de cette autre région dite « autonome ». Il devient l’exécutant d’une politique d’extermination de l’opposition, extrêmement violente, « sans commune mesure avec le Tibet », dénonce Rémi Castets. Peu après son arrivée sont construits les premiers camps de « rééducation », selon les termes de Pékin. « Après 2016, la situation a changé », se rappelle Ershat Alimu, originaire de Urumqi et résidant en France. « La famille nous a conseillé de ne pas rentrer cet été-là, pour notre sécurité. Début 2017, ils ont commencé à enfermer les gens. »

Quelles sont les exactions commises par Pékin ?

La liste est longue : contrôle des naissances, actes de stérilisation forcés, internement arbitraire dans des camps de travail, mariages contraints entre femmes ouïghoures et hommes hans, surveillance continue, contrôle des déplacements… Selon une enquête du magazine Vice (en anglais), des organes de prisonniers seraient vendus sur le marché illégal de la vente d’organes halal. Les éléments de cette répression de masse, à la mécanique orwellienne, sont progressivement documentés, en dépit du contrôle absolu qu’exerce Pékin sur la région et sur la communauté ouïghoure.

En 2020, entre 1,5 et 3 millions de Ouïghours seraient détenus dans des camps, estiment plusieurs associations. Le père d’Ershat Alimu, Alimu Hashani, en ferait partie. Ce linguiste ouïghour reconnu, aujourd’hui âgé de 65 ans, a été arrêté à Pékin en août 2018. « Je ne sais rien », se désole son fils, sans nouvelles de lui depuis près de deux ans. Il ne connaît ni les raisons de son arrestation, ni le lieu de sa détention, ni même son état de santé. « Il est diabétique. Je ne sais même pas s’il a accès à de l’insuline », confie-t-il.

"Libérez mon frère", clame cette pancarte. Fin 2019, des milliers de musulmans ont manifesté devant l'ambassade chinoise en Indonésie, à Jakarta pour demander la libération de Ouïghours. (DONAL HUSNI / NURPHOTO / AFP)

La surveillance de masse de la population ouïghoure aurait commencé à partir de 2013 via des logiciels espions, révèle le New York Times (en anglais). Grâce à la reconnaissance faciale et des contrôles d’identité récurrents, ces technologies ont permis de créer une gigantesque base de données permettant d’épier tous les faits et gestes des Ouïghours et de fournir des justifications à leur arrestation. Selon l’ONG Chinese Human Rights Defenders, ces dernières ont explosé pour atteindre « 21% de toutes les arrestations en Chine en 2017, bien que la population du Xinjiang ne représente environ que 1,5% du total de la population chinoise ».

Visibles par satellite, les camps de concentration apparus à travers le Xinjiang depuis 2017 restent impénétrables. Quelques personnes ont pu les quitter, après avoir purgé leur peine, et en livrent des témoignages édifiants : apprentissage forcé du mandarin, actes de torture, agressions sexuelles, injections forcées de substances médicamenteuses… « Il y a clairement de la torture, qu’elle soit physique ou psychologique », lâche Marc Julienne.

Peut-on parler de génocide ?

Les dernières révélations, faisant état d’actes de stérilisation forcée, permettent de parler de génocide, selon les militants ouïghours, car il y a une volonté de réduire démographiquement la population en question. En agissant de sorte à ce qu’elle soit réduite, la Chine passe d’une politique assimilationniste à une politique visant frontalement à détruire les individus pour ce qu’ils sont. C’est le sentiment que partage Ershat Alimu : « Pour moi, c’est un génocide », souffle-t-il.

Un génocide est un acte « commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux », selon la définition de la Convention des Nations unies du 9 décembre 1948. Il peut s’agir d’un meurtre, mais aussi une atteinte grave à l’intégrité mentale ou une mesure antinatalité, l’essentiel étant que l’acte soit dirigé intentionnellement contre un groupe donné.

Une dénomination qui ne fait toutefois pas l’unanimité auprès des spécialistes de la cause ouïghoure. Pour Raphaël Glucksmann, par exemple, « on vise à la disparition des Ouïghours en tant qu’identité culturelle et religieuse ». L’eurodéputé, qui s’efforce de porter la cause des Ouïghours au Parlement européen et dans le débat public, préfère donc parler d’« ethnocide » ou de « génocide culturel ».

Pour Rémi Castets, le régime de Xi Jinping a procédé à une « pathologisation de toute idée divergente » et cherche à supprimer toute opposition probable, plutôt qu’un groupe humain. Pour parler de génocide, il faudrait prouver la volonté méthodique de destruction des Ouïghours. Par ailleurs, « ces qualifications par les institutions internationales, je les prends avec des pincettes », confie le politologue, soulignant l’inaction de l’ONU dans la question tibétaine.

Qu’en dit le pouvoir central chinois ?

« Depuis que ces mesures ont été prises, il n’y a pas eu un seul incident terroriste au cours des trois dernières années », s’est défendue en novembre 2019 l’ambassade de Chine au Royaume-Uni dans le journal britannique The Guardian. Celle-ci a juré que « la liberté religieuse [était] pleinement respectée dans le Xinjiang ».

Interrogée fin juin 2020 après la publication du rapport de la Fondation Jamestown, un porte-parole de la diplomatie chinoise a réfuté les accusations de stérilisation forcées, assurant qu’elles étaient « sans fondement » et que le Xinjiang était désormais « stable et harmonieux ».

Comment réagit la communauté internationale ?

« Les grands crimes ont besoin d’un grand silence pour se faire », condamne l’eurodéputé Raphaël Glucksmann. « Tout le monde a peur de la Chine », regrette Rémi Castets. En octobre 2019, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et une vingtaine d’autres pays des Nations unies ont demandé à la Chine de mettre fin à la détention des Ouïghours et des autres membres de minorités musulmanes de la province du Xinjiang. Sans succès.

Un mois plus tard, le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a demandé à la Chine d' »inviter dans les meilleurs délais » la Haut-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU Michelle Bachelet « afin de rendre compte de manière impartiale de la situation ». En vain.

Face aux violations documentées des droits de l'homme, des manifestations en soutien à la communauté ouïghoure se sont multipliées, comme ici en Turquie, le 20 décembre 2019.  (ALI ATMACA / ANADOLU AGENCY / AFP)

Et en mai 2020, le département américain au Commerce a pris de nouvelles sanctions commerciales à l’encontre d’une organisation gouvernementale et de huit entreprises chinoises, estimant que celles-ci étaient complices de violations des droits humains de la communauté ouïghoure en Chine.

Je n’ai pas eu le temps de tout lire, vous pouvez me faire un résumé ?

Les Ouïghours sont une des minorités ethniques de Chine. Turcophones et musulmans, ils vivent dans le Xinjiang (ou Turkestan oriental), dans le nord-ouest du pays. Cette immense région dite « autonome » est en réalité dominée par le pouvoir central de Pékin. En réponse aux volontés indépendantistes ouïghoures et à la radicalisation d’une frange de la population qui a entraîné dans les années 2010 une vague d’attentats, le régime chinois a mis en place une politique inédite de répression contre les Ouïghours. Entre 1,5 et 3 millions d’entre eux sont emprisonnés dans des « camps de rééducation », selon des ONG. L’existence de camps de travail forcés, de prélèvement d’organes et de politiques coercitives de contrôle des naissances est également dénoncée par des chercheurs et militants associatifs. La Chine nie en bloc les accusations et explique lutter contre le terrorisme sur son sol. Et la cause des Ouïghours trouve bien peu d’écho au sein de la communauté internationale. La puissance économique chinoise paralyse en effet toute opposition politique et seuls les Etats-Unis se dressent à leur encontre, s’emparant de la question ouïghoure dans leur bras de fer commercial avec la Chine.

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