14 millions de Chiliens sont appelés aux urnes …

Ce dimanche 25 octobre 2020, 14 millions de Chiliens sont appelés à dire si oui ou non ils veulent une nouvelle Constitution. Un référendum qui constitue l’une des rares exigences satisfaites après les mouvements sociaux de 2019, et qui pourrait mettre un terme à trente ans d’ultralibéralisme institutionnalisé.

Il y a une semaine, les Chiliens étaient de nouveau dans la rue, à la veille d’un référendum qui doit mettre un terme à une Constitution écrite en 1980, en pleine dictature Pinochet, gravant le marbre les théories économiques néolibérales. Une vidéo de 3’09 » signée Arturo Quezada Torres …

Orgulloso del pueblo chileno que dice basta a la Constitución creada en dictadura, basta a los abusos del neoliberalismo, basta a la precariedad de la educación, la salud, la cultura, las pensiones! Viva la nueva constitución de Chile!

Publiée par Adrian Diaz Lopez sur Dimanche 18 octobre 2020


Chili : la semaine qui pourrait ébranler l’héritage institutionnel de Pinochet

Il y a un an, en octobre 2019, la rue chilienne s’enflammait, après une simple hausse du prix du métro à Santiago. Un mouvement populaire, violemment réprimé, qui devait réunir jusqu’à 2 millions de manifestants à travers tout le pays, comme une réponse tardive et massive au pesant héritage économique du régime Pinochet.

Un cri de colère, en tout état de cause, contre un appauvrissement généralisé. Cette semaine, les Chiliens étaient de nouveau dans la rue, à la veille d’un référendum qui doit mettre un terme à une Constitution écrite en 1980, en pleine dictature, gravant le marbre les théories économiques néolibérales. C’est sur cette base qu’ont été privatisés, entièrement ou partiellement, des services publics aussi fondamentaux que l’éducation, la santé ou les retraites.

Un terreau d’inégalités, devenues criantes depuis les années 1990, même si le Chili a connu une croissance économique moyenne annuelle de plus de 3,7 % depuis la fin de la dictature. Les Chiliens ont d’ailleurs dénoncé à plusieurs reprises un système à deux vitesses, mais leurs demandes de réformes sont le plus souvent restées lettre morte …

Un reportage de Justine Fontaine pour France Culture à écouter par ici …


Le référendum du 25 octobre au Chili : un tournant constitutionnel historique ?

Les électeurs chiliens sont appelés aux urnes ce dimanche pour un référendum sur la rédaction d’une nouvelle Constitution en remplacement de l’actuelle, votée en 1980 en plein régime militaire.

Qui aurait pu croire que la simple augmentation du prix du ticket de métro de 30 pesos (4 centimes d’euro) à Santiago enflammerait à ce point le Chili et conduirait ce dernier sur la voie d’un processus constituant inédit visant à remplacer la Constitution héritée de la dictature du général Pinochet ? Après un million de Chiliens dans les rues de Santiago le 25 octobre 2019, ce sont 14 millions d’électeurs qui sont convoqués le dimanche 25 octobre 2020 dans les bureaux de vote, alors que la campagne électorale a dû s’adapter à la crise sanitaire et que les sondages prédisent une large victoire du « oui ».

Une Constitution perçue comme illégitime

Les manifestations dénonçant, parfois violemment, la persistance des inégalités sociales ont duré plusieurs semaines et les revendications se sont cristallisées autour du besoin de changer la Constitution, considérée par beaucoup à la fois comme illégitime et source d’inégalités.

Les deux principaux reproches visant la Constitution de 1980 résident dans son adoption en 1980 sous la dictature militaire et dans sa philosophie néolibérale inspirée des Chicago Boys, un groupe d’économistes chiliens formés dans les années 1970  à l’Université de Chicago par Milton Friedman (prix Nobel d’économie en 1976). Bien que le mot n’apparaisse pas dans le texte constitutionnel, le professeur Alfredo Joignant explique justement que « cette Constitution est très controversée, car elle a explicitement pour philosophie celle de l’État subsidiaire » ; autrement dit, l’État est réduit aux fonctions régaliennes et le secteur privé gère des domaines entiers qui relèvent habituellement du secteur public, comme la santé, l’éducation, les retraites ou encore la gestion de l’eau.

Malgré un succès économique reconnu pendant de nombreuses années, le Chili connaît des inégalités sociales importantes et persistantes qu’il n’arrive pas à réduire.

Il est classé comme le pays le plus inégalitaire par l’OCDE.

Cette situation est devenue intenable pour beaucoup de Chiliens qui voient, dans le remplacement de leur Constitution, l’occasion de participer à l’élaboration d’un texte plus légitime car débattu par le peuple.

Une Constitution rigide

Au premier abord, il semble paradoxal de qualifier de rigide la Constitution du 11 septembre 1980 puisqu’elle a été révisée 30 fois en 40 ans. En effet, après la victoire du « non » au référendum d’octobre 1988, la Constitution a été modifiée à diverses reprises pour la rendre compatible progressivement avec les exigences d’un État démocratique. Les trois plus grandes réformes sont intervenues en 1989, 1994 et 2005 : la première a permis la transition pacifique d’un gouvernement militaire vers un gouvernement civil ; la deuxième a diminué la durée du mandat présidentiel de 8 à 6 ans ; la troisième a supprimé les dernières « enclaves autoritaires » selon l’expression de l’ancien président Ricardo Lagos.

Malgré de nombreux amendements, la Constitution de 1980 prévoit une majorité qualifiée élevée pour sa révision qui, jusqu’à l’an dernier, a empêché de remettre en cause sa colonne vertébrale. En effet, en application de son article 127, toute réforme de la Constitution doit être approuvée par un vote des 3/5 des membres de chaque chambre du Parlement. Et, si les dispositions à modifier relèvent de certains chapitres bien particuliers de la Constitution, la majorité requise est portée aux 2/3 des parlementaires en exercice : il en va ainsi des dispositions relatives aux bases de « l’institutionnalité » (principes supérieurs du système constitutionnel), aux droits et devoirs constitutionnels et au Tribunal constitutionnel.

Par ailleurs, pour s’assurer définitivement que le cœur de la Constitution ne serait pas réformé, la junte militaire a instauré en 1989, juste avant le transfert du pouvoir à un gouvernement civil, un système électoral biaisé empêchant tout parti ou coalition de mouvements politiques de pouvoir obtenir une majorité des 2/3 des membres du Congrès : « Le rôle que joue le système électoral au Chili consolide donc une forme limitée de démocratie, plutôt qu’une forme libérale ».

Par un jeu complexe de circonscriptions binominales et de scrutin proportionnel, la dictature a légué un système électoral cadenassé.

Qualifié parfois de Constitution « piégée » ou de « carcan », le texte de 1980 provoque depuis plus de 20 ans, malgré ses révisions, une crise de la représentation et une désaffection des citoyens pour la chose publique.

Pour mémoire, l’idéologue du général Pinochet en matière constitutionnelle était le professeur et sénateur Jaime Guzmán, qui avait conçu la Constitution de telle manière que si les adversaires de la junte militaire devaient arriver au pouvoir, ils seraient contraints d’agir d’une manière « pas si différente ».

Un processus référendaire exceptionnel et original

Le 15 novembre 2019, l’ampleur de la crise sociale et politique a conduit la plupart des partis politiques représentés au Parlement à signer un « Accord pour la paix sociale et la nouvelle constitution » : ce compromis prévoit l’ouverture d’un processus référendaire devant permettre aux citoyens de choisir ou non une nouvelle Loi fondamentale. Un comité technique a été mis en place pour définir les modalités et le calendrier de rédaction. Le tout a fait l’objet d’une loi constitutionnelle complétant le chapitre XV de l’actuelle Constitution, votée par le Parlement et promulguée par le chef de l’État le 24 décembre 2019 (loi n° 21.200).

Dans une tribune, 262 professeurs de droit et de science politique ont défendu l’idée que l’accord précité ouvre une véritable page blanche de l’histoire constitutionnelle du pays : le processus référendaire engagé ne doit pas seulement réviser la Constitution en cours, il doit la remplacer. Le travail de l’Assemblée constituante pourrait donc aboutir à la reconnaissance de nouveaux droits sociaux, à la reconnaissance des peuples indigènes (comme les Mapuche qui mènent une lutte en ce sens depuis de nombreuses années). Cependant, à bien y regarder, la feuille n’est pas tout à fait vierge car la loi constitutionnelle du 24 décembre dernier apporte des limites au pouvoir constituant : le respect du caractère républicain de l’État, de son régime démocratique, des décisions judiciaires définitives et des traités internationaux ratifiés par le Chili (Constitution, art. 135). Les futurs rédacteurs du nouveau texte pourront d’ailleurs s’inspirer, entre autres, du projet déposé au Parlement par l’ancienne présidente Michèle Bachelet, 5 jours avant la fin de son mandat en 2018, issu d’une participation des citoyens via une plateforme Internet.

La campagne électorale se déroule essentiellement sur les écrans dans le contexte de la pandémie. Selon l’article 130 de la Constitution, les chaînes gratuites de télévision doivent consacrer 30 minutes d’antenne par jour au référendum. Avec près de 495 000 cas de Covid-19 et 13 700 décès à ce jour, le Chili se situe au 14ème rang mondial des pays les plus touchés. Santiago vient d’être déconfinée il y a seulement un mois et la participation va être regardée de près car beaucoup de Chiliens ont d’autres priorités que le scrutin. De son côté, le président Piñera a lancé une campagne civique sur les 15 derniers jours pour favoriser la participation citoyenne au référendum.

L’institution chargée d’organiser le scrutin a établi un protocole sanitaire strict afin d’assurer la sécurité des votants. Chaque électeur doit être masqué (sauf pendant 3 secondes pour la vérification de son identité) et apporter son propre stylo bleu pour remplir les bulletins de vote et signer la liste d’émargement. Il doit utiliser obligatoirement du gel hydro-alcoolique avant et après le vote et maintenir une distance d’au moins un mètre dans la fille d’attente. Le scrutin se déroule de 8h00 à 20h00, avec un horaire réservé aux personnes de 60 ans et plus (14h00-17h00).

Une fois dans le bureau de vote, les électeurs répondent à deux questions sur deux bulletins de vote distincts. Sur le premier, ils doivent cocher « Approuver » ou « Rejeter »  la rédaction d’une nouvelle Constitution. Sur le second, ils doivent choisir la forme de l’Assemblée constituante, l’organe chargé d’écrire la nouvelle Loi fondamentale du pays dans un délai de 9 mois : soit une Convention constitutionnelle de 155 membres (élus directement par les citoyens), soit une Convention constitutionnelle mixte de 172 membres (dont 86 élus directement par les citoyens et 86 parlementaires choisi par leurs pairs). Les membres de cette Assemblée constituante seront élus à l’occasion des élections régionales et municipales programmées le 11 avril 2021.

Le processus référendaire pourra enfin aboutir :

  • soit à un succès, dans une seule hypothèse : si, après un référendum d’entrée réussi, une nouvelle Magna Carta est élaborée en moins d’une année avec une majorité qualifiée des 2/3 au sein de l’Assemblée constituante (Constitution, art. 133) et qu’elle est approuvée par un second référendum dit de « sortie » pour lequel le vote sera obligatoire ;
  • soit à un échec, dans trois hypothèses : 1. le peuple chilien refuse de changer de Constitution lors du référendum d’entrée du 25 octobre prochain / 2. l’Assemblée constituante ne parvient pas à un accord dans le délai prévu (notamment en raison de la majorité qualifiée requise) / 3. malgré le succès du référendum d’entrée et de l’assemblée constituante ayant produit un texte de consensus, le « non » l’emporte lors du référendum de sortie.

Dans ces trois cas, la Constitution actuelle resterait en vigueur.

David Biroste
Docteur en droit, Vice-président de l’association France-Amérique latine, LATFRAN (www.latfran.fr)


Le Chili comme exemple

Le Chili comme exemple

Capture d’écran

« Le 24 octobre, le Chili fêtera le 50ème anniversaire de la victoire démocratique de Salvador Allende. Le lendemain, son peuple est convoqué aux urnes pour un référendum historique sur la convocation d’une assemblée constituante. Le Chili fait partie de ces pays entrés en révolution citoyenne à l’automne 2019.
Je suis lié politiquement au peuple chilien depuis longtemps par ma participation modeste à la lutte contre la dictature. J’ai parmi mes camarades et amis de nombreux Chiliens issus de cette histoire commune. J’ai donc suivi avec enthousiasme et fraternité le retour magnifique du peuple du Chili sur la scène de sa propre histoire. Mais un intérêt intellectuel supplémentaire s’est ajouté. Celui d’étudier les évènements chiliens pour nourrir de connaissances la théorie de la Révolution citoyenne.

Le mouvement populaire là-bas a débuté le 18 octobre 2019. Son facteur déclencheur est typique de l’ère du peuple. D’abord par son apparence totalement anodine. En l’occurrence, il s’agissait d’une augmentation du prix du ticket de métro à Santiago. Il était bien sûr totalement imprévisible qu’une telle mesure déclenche le mouvement révolutionnaire le plus important pour ce pays depuis un demi-siècle. Il vient en écho du motif de déclenchement de la révolution au Venezuela à la fin des années 1990. Cette mesure vient bien sûr après une longue série de décisions de type néolibérales qui avaient martelé les esprits et agit comme le dernier grain de sable qui fait basculer d’un coup la colère populaire en énergie mobilisatrice.

La deuxième raison pour laquelle j’avais trouvé le début de cette révolution remarquable est l’objet même de l’évènement fortuit. Il s’agit d’une entrave mise à l’accès au réseau de transport. Or, dans l’ère du peuple, nous décrivons comment le peuple devient l’acteur de l’histoire. Je lui donne une définition matérielle : l’ensemble de ceux qui, au-delà de leur diversité, dépendent absolument des réseaux du collectif pour produire et reproduire leur existence matérielle. L’accès à l’eau, à la nourriture, à l’énergie, à la santé, au savoir sont tous conditionnés par l’accès à des réseaux. Et la capacité de se transporter n’est pas le moindre quand l’accès au réseau en est la condition. En France, c’est déjà un obstacle financier à la mobilité qui avait donné les gilets jaunes. Et en Équateur le mouvement de révolte contre le pouvoir actuel.

Les manifestations chiliennes débutées à l’automne 2019 sont donc pleinement inscrites dans le cycle mondial caractéristique des révolutions citoyennes. On y a repéré sa phase instituante durant laquelle le peuple prend conscience de son existence politique pour la première fois. Ses enjeux sont alors la visibilité et l’unité. D’où la présence dans les cortèges de symboles unifiants comme le drapeau national, avec le drapeau indien Mapuche en plus au Chili. Ils ont supplanté totalement les drapeaux se rapportant à des partis politiques ou des syndicats. On voyait aussi au Chili, en cette période, les masques « anonymous », devenus des symboles mondiaux de contestation du néolibéralisme. La révolution chilienne aura aussi vécu sa phase constituante avec sa revendication dégagiste à l’égard des milieux politiciens et d’argent.

Mais désormais, le référendum du 25 octobre ouvre une nouvelle étape. La plus décisive qui soit politiquement : la tenue d’une constituante. Le vote est issu d’un accord signé par tous les partis politiques en novembre 2019. Il avait été obtenu par la pression populaire. Car, après le ticket de métro, les Chiliens se sont intéressés à l’ensemble du système économique qu’ils subissent. Le capitalisme chilien est l’un des plus durs du monde. Les retraites, la santé, l’eau, les principales ressources naturelles sont privatisées. Toutes les revendications construites dans la lutte, autour de la propriété collective des biens communs et de la sécurité sociale collective se sont cristallisées dans la demande de changer la Constitution. Il faut dire que l’actuelle a été adoptée sous la dictature militaire de Pinochet et sous l’influence des « Chicago boys », ces évangélistes du libéralisme.

Deux questions sont posées au peuple chilien par voie référendaire. D’abord, sur l’opportunité de changer la Constitution. Puis sur celle de le faire par une nouvelle assemblée, constituante, spécialement élue pour cela. Il va de soi que tous les acteurs de la révolution plaident pour le « oui » dans les deux cas. Les sondages indiquent qu’ils sont largement majoritaires. Si cela se confirme, des élections seront convoquées pour le 11 avril. Puis, l’assemblée constituante se réunira pour 12 mois avant de soumettre la nouvelle Constitution à un nouveau référendum. C’est une page excitante de son histoire qu’ouvre le peuple chilien. À chaque étape, il faudra observer et apprendre. Car bientôt viendra le tour de notre peuple de se redéfinir dans un processus constituant.

Jean Luc Mélenchon, le


 La contribution d’Anita Tijoux …

« Rebelión de Octubre « , un titre et clip vidéo de 4’06 »

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