L’insoutenable retour des pesticides néonicotinoïdes !

Ce 6 octobre à l’Assemblée nationale, 313 parlementaires ont voté une loi ré-autorisant l’utilisation de pesticides  néonicotinoïdes. Cette mesure censée soutenir la filière de la betterave à sucre en France est critiquée pour ses effets néfastes sur l’environnement, y compris par des député.e.s de la majorité présidentielle. A l’heure où les abeilles continuent à décliner, des alternatives sont proposées par la recherche agronomique …

Observé depuis les années 1990, le déclin des abeilles inquiète de plus en plus. Chaque hiver, ce sont parfois jusqu’à 35 % des colonies qui disparaissent. Cette hécatombe trouve certes de multiples origines, mais les principales causes sont humaines. Une vidéo de 3’49″…


Le retour des néonicotinoïdes ou « pesticides tueurs d’abeilles », n’en finit plus de faire polémique…

Le projet de loi examiné le 5 octobre à l’Assemblée nationale constitue bien plus qu’un reniement. Il crée un précédent : désormais, il suffira d’une difficulté économique dans un secteur pour justifier une annulation des mesures prises précédemment.


Le vote du 6 octobre 2020 à l’Assemblée Nationale provoque une contestation record dans la majorité …

Au total, l’Assemblée a validé le projet de loi sur les néonicotinoïdes par 313 voix pour, 158 contre et 56 abstentions. L’ensemble de la gauche a voté contre, une majorité des LR et MoDem pour, mais la plupart des groupes se sont partagés.
C’est une contestation record dans la majorité : 32 députés LREM ont voté contre et 36 se sont abstenus. Seuls 175 des 271 membres du groupe macroniste ont voté en faveur du texte.

Pourquoi la députée finistérienne Sandrine Le Feur a dit non aux néonicotinoïdes

Un article signé Gwendal Hameury paru dans Le Télégramme du 6 octobre 2020

Pour Sandrine Le Feur, députée LREM de Morlaix (29), le vrai sujet, c’est l’abandon des produits phytosanitaires dans leur ensemble.

Pour Sandrine Le Feur, députée LREM de Morlaix (29), le vrai sujet, c’est l’abandon des produits phytosanitaires dans leur ensemble. (Photo archives Gwendal Hameury)

Ce mardi, à l’Assemblée nationale, Sandrine Le Feur, députée LREM de Morlaix (29) et agricultrice bio, a voté contre la réintroduction des néonicotinoïdes. Pour elle, il faut revenir au sens même du métier d’agriculteur et se passer de tous les produits phytosanitaires.

Pourquoi avoir voté contre la dérogation autorisant l’usage de néonicotinoïdes (insecticides) sur la betterave sucrière ?

D’abord, parce que ce n’est pas la solution aux difficultés de la filière, qui ont commencé par la fin des quotas européens de sucre. Ça a conduit à des productions excédentaires et à un effondrement des cours mondiaux. Lors d’un déplacement dans l’Essonne, récemment, j’ai pu aussi constater les attaques de ce puceron qui transmet le virus de la jaunisse sur la betterave. Et on ne peut pas nier qu’il s’agit d’une catastrophe quand on voit les champs. Pour autant, chaque année, beaucoup d’agriculteurs subissent des pertes. Moi-même, je jette la moitié de ma production de pommes de terre cette année car elles ont été attaquées par le taupin. Mais je ne vais pas demander à l’État des indemnités pour ça ou réclamer la réintroduction d’insecticides. Je connais les risques du métier, climatiques et sanitaires, je les assume. Chez nous, on pourrait parler du problème des choucas, ou du doryphore, très présent dans le Sud-Finistère et qui remonte vers le nord. Le produit qui avait fait disparaître ce coléoptère, c’est le DDT (dichlorodiphényltrichloroéthane, NDLR), interdit depuis des années car très dangereux. Que va-t-on faire demain ? Autoriser de nouveau le DDT ? Ce n’est pas imaginable. Enfin, d’un point de vue démocratique, je ne trouve pas ça bien de revenir sur une loi qui a été votée en 2016. Il faut assumer et avancer.

Mais les pertes des producteurs de betterave sucrière sont colossales…

Je ne le nie pas. Mais la réalité, c’est qu’en Essonne, par exemple, il y a un problème de biodiversité – des hectares et des hectares de betteraves à perte de vue – et de sécheresse. À mon sens, la diversité culturale n’est pas assez forte pour maintenir une agronomie adéquate pour produire de la betterave. Je pense que la conversion en agriculture biologique doit être favorisée, d’autant que la demande en sucre bio est croissante. Là-bas, j’ai rencontré un producteur bio qui me disait qu’il avait fait ce choix en toute connaissance de cause, que c’était un risque qu’il assumait et que la diversité de cultures sur son exploitation lui permettait justement d’assumer les pertes économiques actuelles. C’est le discours que je porte à l’Assemblée nationale.

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Voir et écouter ci dessous son intervention intégrale à l’Assemblée nationale.


Quimperlé-Concarneau. Néonicotinoïdes : le député Erwan Balanant a également voté contre …

Brève  publiée dans l’Ouest France du Erwan Balanant, député Modem de la majorité, a lui aussi  « voté contre le texte de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques, en cas de danger sanitaire, qui permet une dérogation de l’utilisation des néonicotinoïdes pour la culture de la betterave sucrière. »

Erwan Balanant, député Modem.
Erwan Balanant, député Modem. | ARCHIVES OUEST-FRANCE

Au passage, le député de la huitième circonscription de Concarneau-Quimperlé salue le remarquable travail du ministre de l’agriculture, son courage et sa détermination à engager notre pays vers l’agroécologie et la souveraineté alimentaire de notre pays. Toutefois, j’ai la conviction profonde, et depuis de longue date, que nous devons sortir des pesticides et tout particulièrement des néonicotinoïdes. La France doit s’engager dans la transition agricole. C’est la volonté d’une large partie de la population, mais aussi le souhait du monde agricole qui, en responsabilité, a déjà engagé des mutations profondes. Nous devons les accompagner et nous devons en tirer les leçons.
Pour Erwan Balanant, nous ne pouvons plus légiférer en prononçant des interdictions, sans les mesures et les financements de la transition. Collectivement, nous devons passer d’une écologie de l’incantation à une écologie de la solution.


« Il y a plein de méthodes alternatives pour cultiver la betterave », assure Jean-Marc Bonmatin, chercheur au CNRS

Il s’oppose au projet de loi visant à ré-autoriser les néonicotinoïdes, notamment pour la culture de la betterave.

Arrachage de betteraves en Limagne, à Ménétrol (Puy-de-Dôme), le 1er octobre 2019.
Arrachage de betteraves en Limagne, à Ménétrol (Puy-de-Dôme), le 1er octobre 2019. (CLAUDIE HAMON / FRANCE-BLEU PAYS D’AUVERGNE)

Les députés examinent à partir de ce lundi un projet de loi visant à autoriser par dérogation les néonicotinoïdes à nouveau pendant trois ans. Ces pesticides, décriés pour leurs effets sur l’environnement, avaient été en partie interdits à partir de 2016, et définitivement en 2020. Néanmoins, ils sont réputés pour lutter efficacement contre la jaunisse de la betterave, transmise par des pucerons, qui fait des ravages cette année sur la production française. Pourtant, « il y a plein de méthodes alternatives qui permettent de cultiver la betterave », assure Jean-Marc Bonmatin, chercheur pour le CNRS, invité de franceinfo ce lundi 5 octobre, et opposé à la réintroduction du produit.

Une course à la rentabilité

« La culture de la betterave n’est pas alliée avec les néonicotinoïdes », explique le chercheur. « C’est une culture ancienne et traditionnelle ». Face au retour possible des néonicotinoïdes, Jean-Marc Bonmatin accuse surtout la course à la rentabilité. « Le problème, c’est que les betteraviers font aujourd’hui face à une concurrence effrénée des pays de l’Est et de l’Amérique latine. Ils sont amenés à essayer de produire le moins cher possible et les néonicotinoïdes permettent ce type de productions intensives ».

« Je comprends le souci des betteraviers » affirme Jean-Marc Bonmatin mais ajoute que ce n’est selon lui « pas la mort de la filière », dont la production est menacée à hauteur de « 10 ou 15% », alors qu’elle a été « multipliée par deux ou par trois sur les 30 dernières années ». « Je pense qu’il vaudrait mieux aider les betteraviers à passer ce mauvais cap plutôt que de réintroduire des néonicotinoïdes, qui ont été interdits au bout de 20 ans de recherches et sur décision des parlementaires en 2016 ».

Des pesticides dangereux pour l’environnement et la santé humaine

Jean-Marc Bonmatin rappelle les effets néfastes du produit sur l’environnement. « Ils se débarrassent de tous les ravageurs bien sûr. Mais ce faisant, ils contaminent l’environnement gravement et la biodiversité en souffre également ». Les néonicotinoïdes sont d’ailleurs connus pour être particulièrement néfaste aux abeilles. « Et il y a aussi des impacts sur la santé humaine ! », explique le chercheur.

Ces pesticides peuvent être retrouvés pour les plus résistants 30 ans après leur dernière utilisation, et se retrouve dans toute l’alimentation. « Les néonicotinoïdes ont eu un tel succès commercial que 100% quasiment de la nourriture qui est produite dans le monde en contient », alerte-t-il. « Nous avons publié récemment une étude qui montre que 50% de la nourriture dans le monde qui en comporte est au-dessus du seuil de danger pour le public. Donc, je vous mets au défi de faire un seul repas dans l’année sans en consommer, que ce soit dans les fruits, dans les légumes, dans les boissons, le vin et même l’eau », détaille Jean-Marc Bonmatin.


Trois questions pour comprendre le débat sur le retour des néonicotinoïdes dans les champs de betteraves sucrières

Les députés ont approuvé, mardi, une dérogation à l’interdiction de cette catégorie d’insecticides. Portée par le gouvernement, la mesure est censée soutenir la filière, mais est critiquée pour ses effets néfastes sur l’environnement.

Publié dans Le Monde du 6 octobre 2020

 

Manifestation contre la réautorisation des néonicotinoïdes devant l’Assemblée nationale, le 23 septembre 2020.

« C’est un texte difficile », a admis le ministre de l’agriculture, Julien Denormandie, devant les députés. Mardi 6 octobre, l’Assemblée nationale a approuvé un projet de loi autorisant l’utilisation dans les champs de betteraves sucrières d’une catégorie d’insecticides, les néonicotinoïdes, pourtant interdite en France depuis 2018. Porté par le gouvernement, le texte a été adopté à 313 voix (158 députés s’y sont opposés), et doit encore être examiné par le Sénat.

La filière française du sucre et les betteraviers plaident depuis plusieurs mois pour une telle décision, présentée comme la seule manière de sauver le secteur, mis en péril cette année par une épidémie de jaunisse touchant les plants. Les opposants, dont nombre d’organisations écologistes, considèrent que le gouvernement tolère ainsi la diffusion d’une substance qui fait l’objet d’un consensus scientifique en sa défaveur, pour ses effets néfastes sur l’environnement.

Lire l’analyse : La majorité, divisée, valide le retour des néonicotinoïdes en France
  • Que contient le projet de loi ?

Sans revenir sur l’interdiction en vigueur depuis 2018, le texte soumis au vote mardi exploite la possibilité laissée par la réglementation européenne de continuer, sous conditions, d’utiliser un produit dépourvu d’autorisation de mise sur le marché. Une dérogation, explique l’Union européenne (UE), tolérée lorsqu’un « danger ou une menace compromettant la production végétale (…) ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables ». En 2016 et jusqu’à l’interdiction des néonicotinoïdes, 98 % de la surface betteravière était plantée de semences enrobées d’insecticides. L’absence d’alternative chimique immédiate à ce modèle justifie, selon le gouvernement, l’urgence une telle dérogation – renouvelable jusqu’en juillet 2023.

Lire aussi : Les ONG s’alarment d’un affaiblissement de la réglementation européenne sur la protection des abeilles aux effets des pesticides

Le second article de la proposition de loi précise que la dérogation vise uniquement les betteraves sucrières. Le texte prévoit aussi la création d’un conseil de surveillance et l’interdiction, sur des parcelles où ont été utilisés des néonicotinoïdes, d’implanter des cultures attirant les abeilles, particulièrement fragilisées lorsqu’elles sont exposées à ces substances. La pulvérisation de tels insecticides, elle, reste interdite : seule l’utilisation de semence enrobée est de nouveau autorisée.

  • L’utilisation des néonicotinoïdes suffira-t-elle à sauver la filière sucrière ?

En raison de la prolifération d’un puceron vert (Myzus persicae) dans plusieurs régions, de nombreux plants de betteraves sont atteints de jaunisse. S’ils ne peuvent pas utiliser des semences enrobées avec des néonicotinoïdes pour s’en protéger, les professionnels prévoient une baisse de rendement élevée, jusqu’à 50 % des récoltes. De quoi menacer la pérennité de la filière sucrière française et ses 46 000 emplois – dont une bonne partie dans des usines de transformation –, estime le ministère de l’agriculture.

Les opposants au texte critiquent cette présentation des néonicotinoïdes comme seul moyen de sauver le secteur et pointent le fait que ce dernier était déjà, avant l’arrivée de la jaunisse, largement fragilisé par l’arrêt des quotas européens sur le sucre. La fin des limites d’exportation hors UE et l’alignement sur les cours mondiaux du sucre, fin 2018, sont intervenus dans une période de surproduction internationale. La conjoncture a déclenché une chute massive des prix, dont le niveau peine à remonter.

Lire la tribune : « La réautorisation des néonicotinoïdes en France constituerait un recul démocratique majeur »

« La fermeture annoncée des sucreries en France n’a d’ailleurs pas attendu l’apparition de la jaunisse de la betterave ; elle résulte en fait de la faible compétitivité de nos systèmes betteraviers actuels face à la concurrence de la canne à sucre brésilienne », soulignait au mois d’août, dans une tribune au Monde, l’agronome Marc Dufumier.

Les grands industriels de la transformation ont, depuis, revu leurs investissements à la baisse en France. Certains producteurs locaux, comme c’est le cas en Alsace, ont décidé de ne plus planter de betteraves pour préférer des cultures plus rémunératrices. Plusieurs élus, comme la députée Génération écologie des Deux-Sèvres, Delphine Batho, se disent prêts en conséquence à soutenir un plan de transformation de la filière plutôt qu’une nouvelle autorisation des néonicotinoïdes.

  • Quels sont les risques pour l’environnement ?

Pour défendre l’utilisation de l’insecticide, les betteraviers arguent du fait que la récolte de la betterave à sucre intervient avant toute floraison de la plante, ne laissant pas le temps aux abeilles et autres pollinisateurs d’être attirées sur les parcelles concernées.

Un argument réfuté par de nombreuses études, selon lesquelles l’insecticide est présent sur toute la betterave, pas seulement au moment de sa floraison, et demeure dans le sol bien après la récolte, jusqu’à contaminer, l’année suivante, des semences non traitées.

Ses effets sur les abeilles sont, par ailleurs, largement documentés : des travaux français ont montré que l’exposition d’une abeille à environ un milliardième de gramme d’un néonicotinoïde, couramment utilisé, réduisait sensiblement sa capacité de retrouver le chemin de sa ruche, fragilisant la colonie dans son ensemble.

Lors des débats sur le texte devant l’Assemblée nationale, lundi, le ministre Julien Denormandie s’était dit en accord avec l’ensemble de ces constats scientifiques. « Nous sommes tous favorables à l’arrêt des néonicotinoïdes, nous sommes tous favorables à la transition agroécologique », avait-t-il déclaré, avant de compléter : « Cela ne peut pas être au prix de tuer une filière française. »

Lire notre analyse : Avec ou sans floraison, les néonicotinoïdes représentent des risques pour les pollinisateurs

Le Monde


Visionner par ailleurs l’Intervention de Jean-Luc Mélenchon à l’Assemblée nationale le 5 octobre 2020

. Le président du groupe « La France insoumise » a rappelé les conséquences sur le temps long de l’usage des pesticides, notamment la destruction de la biodiversité des sols qui augmente le ruissellement de l’eau lors des pluies torrentielles ainsi que les effets sur la santé avec des malformations de plus en plus fréquentes … Une vidéo de 12’30 »