Retraites : la mobilisation se poursuit la semaine prochaine …

La grève a  pris racine ce jeudi 5 décembre, avec des taux impressionnants dans l’Éducation nationale, la SNCF, la RATP, l’énergie, ou dans des secteurs plus imprévus comme le commerce, les musées ou les associations. Une journée historique, selon de nombreux militants de terrain. Vendredi, moult secteurs comme les écoles, les transports publics, l’énergie, sont restés très perturbés …

« Et si on ne se laissait pas faire ? » Un texte de Clémentine Autin interpr^été par Jean-Pierre Darroussin … ( Durée 2’01 »)

Et après ?

Un article de et

Quatre confédérations syndicales et les organisations de jeunesse appellent à une nouvelle journée de mobilisation mardi 10 décembre, après le premier round contre la réforme des retraites. Dans les assemblées générales d’Île-de-France, à la suite du succès de jeudi, se pose la question de la grève reconductible. Jusqu’à quand, et comment ?

Et après ? La question est dans toutes les têtes, suite à la mobilisation réussie du 5 décembre. Dans les rues, les manifestants se sont rassemblés à des niveaux que l’on n’avait plus vus depuis des années dans le cadre d’un mouvement social. À Paris, malgré un cortège coupé en deux, mais aussi à Toulouse, Rouen, Lille, Nantes ou encore Strasbourg, la contestation a enfilé les atours des grands jours.

« À quatre organisations syndicales professionnelles seulement, nous avons rassemblé plus de monde que la première journée de mobilisation de 2010 contre les réformes Fillon, contre lesquelles tout le monde appelait », note Éric Beynel, porte-parole de Solidaires, plutôt content. À l’époque, en effet, la CFDT était dans le cortège. Le tour de force est d’autant plus important que les manifestations d’aujourd’hui se sont transformées, sous le coup du changement de doctrine du maintien de l’ordre, à partir de 2016 et des mobilisations contre la loi travail, et a fortiori avec la montée en flèche de la répression et des violences policières constatées au cours de l’année écoulée contre les gilets jaunes.

La grève a également pris racine, jeudi 5 décembre, avec des taux impressionnants dans l’Éducation nationale, la SNCF, la RATP, l’énergie, ou dans des secteurs plus imprévus comme le commerce, les musées ou les associations. Une journée historique, selon de nombreux militants de terrain. Vendredi, moult secteurs comme les écoles, les transports publics, l’énergie, restaient très perturbés .

Fort de ce succès, vendredi matin, les responsables syndicaux CGT, FO, FSU, Solidaires ainsi que les représentants des organisations de jeunesse (Unef, UNL, MNL et FIDL) ont appelé à une nouvelle journée d’action le 10 décembre, la veille des annonces du premier ministre sur les retraites (voir le papier d’Ellen Salvi à ce sujet).

Le haut-commissaire Jean-Paul Delevoye doit de son côté rendre lundi le compte-rendu de la concertation menée depuis des mois sur le sujet, pour que le gouvernement puisse rendre ses « arbitrages ». Une nouvelle rencontre entre organisations syndicales aura lieu mardi à l’issue de la manifestation parisienne, et elle pourrait déboucher sur une troisième journée de mobilisation, jeudi 12 décembre.

D’ici là, les syndicats appellent « à renforcer et élargir encore la mobilisation par la grève et la reconduction de celle-ci, là où les salarié·es le décident dès ce vendredi, ce week-end et lundi », selon le communiqué commun publié à l’issue de leur réunion, au siège de Force ouvrière à Paris. Présente, la CFE-CGC, syndicat composé de cadres ou d’agents de maîtrise, n’a pas signé. « On partage tout à fait l’analyse, mais nous n’avons pas encore le mandat pour nous engager sur une nouvelle journée et une grève reconductible, précise François Hommeril, son président. Nous attendons désormais que le gouvernement s’exprime. »

Sans grand espoir : « Jeudi soir, ministres et députés de la majorité se sont dévoués sur les éléments de langage, avec des arguments qui sont les mêmes depuis deux ans, peste le syndicaliste. Mais la pédagogie, pour nous, c’est terminé. Si le projet du gouvernement, c’est de réduire la part des retraites dans les dépenses publiques, sous couvert de régime plus universel, il faut le dire, sans plus attendre. »

Houleuse à d’autres occasions, la rencontre a cette fois-ci été plutôt cordiale entre les syndicats, requinqués par ce premier round. « La force de la journée d’hier montre que le discours comme quoi certains seraient des privilégiés n’a pas fonctionné, remarque Éric Beynel (Solidaires). Ce qui veut dire aussi que les cheminots et les grévistes de la RATP se sentent soutenus par le reste de la population, ils n’ont pas la crainte de la grève par délégation, ce qui renforce leur détermination. »

Mais si le mouvement doit se durcir, la dynamique tiendra sur deux jambes : à la fois la direction que donneront les centrales syndicales, mais aussi les décisions prises localement, dans chacun des secteurs clés, voire au sein de chaque établissement, comme dans l’Éducation nationale.

Jeudi soir, après la manifestation parisienne, l’assemblée générale Éducation nationale Île-de-France s’est réunie, avec plus de 120 établissements représentés, dans le bâtiment industriel occupé par la coopérative artistique, politique et sociale La Générale, près de la mairie du XIe arrondissement. Une immense banderole rouge, portant les mots « Grève générale, soutien sans faille aux grévistes et zones à défendre », barre la façade, toute de verre poli et de métal.

Assemblée générale interprofessionnelle et fronts de lutte, le 5 décembre à La Générale à Paris. © MG Assemblée générale interprofessionnelle et fronts de lutte, le 5 décembre à La Générale à Paris. © MG

À l’intérieur, malgré la nudité des lieux et le thermomètre guère plus élevé qu’au dehors, l’ambiance est survoltée. Les enseignants scandent « révolution » et reprennent les chants popularisés cette année par les gilets jaunes. L’AG vote la reconduction de la grève vendredi, mais adopte également l’idée d’une grève illimitée jusqu’au retrait de la réforme Delevoye.

Le vote, porté par une assemblée galvanisée, est de l’ordre du symbole. Il n’engage pas les dizaines de milliers d’enseignants du premier et second degré en région parisienne, répartis dans quelque 8 600 établissements. Mais l’affluence à l’AG parisienne n’en reste pas moins exceptionnelle : « D’habitude, nous sommes 30, alors voir près de 400 personnes réunies ce soir, après une manifestation qui a duré des heures dans le froid, c’est hallucinant », souligne un participant.

« Ce sursaut que vit l’Éducation nationale, ces jours-ci, c’est un peu ce qui se passe à l’hôpital ces derniers mois. Ces institutions sont tellement rongées de l’intérieur que beaucoup ont l’impression que c’est le moment ou jamais avant la destruction », explique un formateur enseignant, présent dans la salle. Les grévistes du vendredi, dans nombre d’établissements scolaires franciliens, ont d’ailleurs profité des AG locales plus matinales pour organiser des « tournées » dans les établissements, appelant à la reconduction de la grève lundi 9 décembre.

À La Générale, quelques minutes plus tard, une partie du public laisse la place à l’Assemblée générale interprofessionnelle et fronts de lutte  organisée par ceux qui plaident depuis des mois pour une convergence « par la base » des différents acteurs du mouvement social. Là encore, plusieurs centaines de personnes. Jérôme Rodriguez, fameux gilet jaune francilien éborgné cette année, est acclamé. « Jamais je n’aurais pensé que ce jour arriverait, lance-t-il, en référence à l’hostilité manifeste, il y a un an, entre syndicats et gilets jaunes. Ce que j’ai vu aujourd’hui est magnifique. Il faut que ce mouvement soit une bascule vers un nouveau mieux vivre et c’est en marchant ensemble qu’on y arrivera. »

Devant les locaux de La Générale, jeudi 5 décembre, alors que s'achève l'AG Éducation nationale d'Île-de-France © MGDevant les locaux de La Générale, jeudi 5 décembre, alors que s’achève l’AG Éducation nationale d’Île-de-France © MG

« Rester bien mobilisés, sinon on va morfler »

Une femme prend à son tour le micro : « Comme beaucoup de gens payés au Smic, j’ai touché ce mois-ci grâce aux gilets jaunes ma prime d’activité. Donc je veux leur dire merci. Merci aussi aux grévistes pour cette journée historique, malgré le battage médiatique qui nous prévoyait le pire. Merci à Emmanuel Macron de nous avoir pondu une réforme des retraites tellement dégueulasse qu’elle permet à tous le monde d’être là aujourd’hui. » L’oratrice insiste sur le futur du mouvement : « Il faut prendre le meilleur des gilets jaunes, leur radicalité, et le meilleur de notre mouvement ouvrier, pour gagner. »

Dans la même veine, le syndicaliste Sud PTT Gaël Quirante, aujourd’hui au chômage après avoir été licencié sur décision de la ministre du travail Muriel Pénicaud, appelle à déborder le calendrier fixé en haut. « Oui, c’est étrange de se retrouver ici, avec des écolos, des syndicalistes, des gilets jaunes, des étudiants, des sans-emploi… Mais il ne faut pas que l’intersyndicale officielle nous fasse le coup de 2016, de négocier secteur par secteur. Si on veut éviter ça, malgré nos points de départ idéologiques différents, on doit converger. Sinon ce sera Macron et les directions syndicales qui vont gagner. »

Même ovation pour cet étudiant de Tolbiac, qui témoigne : « Je n’ai pas connu le CPE, je n’ai pas connu 1995, je n’ai connu aucune victoire donc le 5 décembre doit être le mouvement victorieux de ma génération, comme au Chili, comme à Hong Kong ». Mélanie Luce, présidente de l’Unef, jointe au téléphone par Mediapart, confirme que des assemblées générales se tiendront dans les facultés lundi prochain.

Les votes et les appels à la grève générale se succèdent, de manière de plus en plus chaotique. « Ce ne sont pas deux jours de grève qui changeront quoi que ce soit ! Notre historique c’est 68, c’est 36 ! », crie un homme au mégaphone, puisque le micro est en carafe. L’appel à occuper La Générale achève de diviser la salle, et de raviver les clivages propres à l’extrême gauche, largement représentée.

« Bien sûr qu’il faut un endroit pour se battre, se réunir, mais ce soir on vous accueille, et vous parlez de nous occuper, sans jamais nous en avoir parlé c’est un peu chelou », euphémise l’une des personnes chargée de La Générale, qui doit rendre très prochainement les clés à la mairie de Paris, cette dernière prévoyant d’y installer un cinéma. Faites ça et vous aurez dans la minute douze cars de CRS devant ! » Après deux heures agitées, Julien Coupat, militant de gauche radicale, hurle : « Ce n’est pas au NPA de noyauter cette AG ! » Fin de la soirée, avec simplement prises les décisions de rejoindre les cortèges précaires et gilets jaunes samedi 7 décembre à Paris, et celui dimanche des Mamans de Mantes-la-Jolie, dont les enfants ont été humiliés par la police, il y a un an.

L’autre secteur, scruté comme du lait sur le feu, est celui des transports publics. À la RATP, pas de surprise, les agents poursuivent la grève au moins jusqu’à lundi, comme annoncé. À la SNCF, l’AG de « gare du Nord la rouge », vendredi matin, n’a pas failli à sa réputation d’être un bastion de cheminots déterminés : l’assemblée a voté la reconduction de la grève jusqu’à lundi, avec comme objectif le retrait du projet sur les retraites.

A l'assemblée générale de Vaires-sur-Marne, le 6 décembre. © DI A l’assemblée générale de Vaires-sur-Marne, le 6 décembre. © DI

Mais tous les cheminots franciliens, loin de là, ne se déplacent pas jusqu’à Paris. Les agents SNCF qui travaillent par exemple dans le « secteur Paris-Est », dépendant de la gare de l’Est, habitent pour la plupart à plusieurs dizaines de kilomètres de la capitale. Faute de transports disponibles, ou parce qu’ils travaillent sur place, les grévistes qui veulent se rendre en assemblée générale se retrouvent donc en nombre aux abords des technicentres disséminés sur le réseau, principalement à Vaires-sur-Marne (Seine-et-Marne), à une trentaine de kilomètres de la gare de l’Est, ou à Château-Thierry (Aisne), à 100 km de Paris.

Au matin du 6 décembre à Vaires-sur-Marne, malgré le froid et la pluie fine, environ 150 personnes sont rassemblées à l’extérieur du centre d’action sociale des cheminots, à quelques pas de la gare Vaires-Torcy. Une immense majorité d’agents SNCF côtoient quelques enseignants, venus du collège Arche-Guédon, à Torcy, ou du lycée Gaston-Bachelard, à Chelles, deux communes voisines.

Tractage à Vaires-sur-Marne après l'AG cheminote, le 6 décembre 2019. © Dan Israel Tractage à Vaires-sur-Marne après l’AG cheminote, le 6 décembre 2019. © Dan Israel

« Dans mon collège, nous étions 26 enseignants en grève sur 31 à avoir cours jeudi, et aujourd’hui encore 11 sur 26, témoigne Sylvain, enseignant d’histoire-géographie. Les collègues ne sont pas très chauds pour se mettre en grève à nouveau lundi, mais dans les cars de retour de la manif parisienne de jeudi, on parlait pas mal de la journée de mardi comme nouvelle date de mobilisation forte. » Avant même, donc, que les dirigeants syndicaux ne désignent le 10 décembre comme le prochain jour de manifestation.

Au micro, Sylvain dit combien il semblait déterminant à ses camarades et lui « d’être aux côtés des cheminots qui nous montrent la voie à suivre : celle de la grève reconductible, jusqu’au retrait pur et simple du projet du gouvernement ». Il les appelle à rester massivement mobilisés, pour entraîner les plus indécis : « Les collègues regardent beaucoup ce qu’il se passe chez vous et comment vous allez réagir. »

Pour les cheminots de Vaires, la suite immédiate est claire : prolongation du mouvement jusqu’à lundi matin, où ils se retrouveront en AG pour reconduire vraisemblablement le mouvement. « On attend que le gouvernement reconnaisse qu’il n’était pas bien préparé et qu’il s’est planté, résume Jean-François Denoyelle, responsable Sud Rail. Dans la police, la poste, les hôpitaux, dans les gares et les trains, les gens se suicident, vivent mal. Il faut prendre en compte ce mal-être, ne pas continuer dans les réformes comme si tout cela n’existait pas. »

Devant l’AG, l’élu CGT Régis Ragon, se félicite de la forte mobilisation de la veille. « C’était magnifique à voir ! Il y avait de tout, du privé, du public, tous les secteurs, et on était tellement nombreux qu’on a attendu deux heures avant de commencer à avancer ! », se réjouit-il. Il rappelle le « double enjeu » qui occupe les employés de la SNCF : combattre le projet de réforme des retraites, mais aussi « peser au maximum » pour obtenir des avancées sur la future convention collective  des cheminots, qui devrait entrer en vigueur en janvier pour la SNCF et tous ses futurs concurrents privés. « Les négociations, c’est la semaine prochaine, après c’est plié, il faut rester bien mobilisés, sinon on va morfler », harangue-t-il.

Comme dans toutes les AG, dans tous les mouvements qui démarrent, se pose pour les cheminots la question du lien à tisser avec d’autres professions, et avec la population qui les entoure. « Les AG, c’est sympa, on discute, on fait connaissance, mais il faut aller au contact avec des gens qui ont moins la culture de la grève, on sait depuis des années que c’est ça qui est compliqué », rappelle un militant SUD.

Le signal du départ est donc donné pour aller distribuer des tracts dans le petit centre-ville de la commune, puis dans la gare, sifflets, sono et drapeaux syndicaux bien en avant. « Bon courage, sourit un retraité en lisant dans sa voiture l’appel à la mobilisation qu’ils viennent de lui distribuer. Il va en falloir pour les jours qui viennent. »