Un certain Louis Joinet …

La grande famille des Droits humains et celle du Théâtre de rue pleurent Louis Joinet décédé ce dimanche 22 septembre 2019 à l’âge de 85 ans.  Du Chili à l’Uruguay, de l’Iran à l’Algérie, de Haïti à Paris, ce fin juriste, fondateur du syndicat de la magistrature, n’aura eu de cesse, sa vie durant, que de rendre justice aux victimes de tortures ou de « disparitions forcées » …

« D’un côté la barbarie, de l’autre, les Droits de l’homme, il faut choisir son camp. Moi j’ai choisi le mien » Louis Joinet …

« Un certain Monsieur Joinet » …

Ce film dessine l’itinéraire hors-norme de celui qui, à ses débuts de juriste, instruisait l’affaire Ben Barka pour ensuite, porté par ses engagements humanistes, s’impliquer à l’ONU et durant 34 ans sur la question des Droits de l’homme, Aux détours des images, et derrière une personnalité modeste, l’on découvre tour à tour le créateur du Syndicat de la magistrature, l’ex-président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Puis l’authentique amoureux des arts de la rue, Président de l’association Éclat – organisatrice du Festival de théâtre de rue d’Aurillac de 2005 à 2010, militant de la Fédération des Arts de la Rue et Président d’honneur de l’UFISC …

Un documentaire de 52′ réalisé en 2011 par Frantz Vaillant  pour TV5 Monde à découvrir ci dessous en intégralité.


« Louis Joinet, épris de justice »

Un hommage écrit le 22 septembre 2019 par Frantz Vaillant  ( TV5 Monde) …Louis Joinet, chez lui, à Paris en 2011.

Louis Joinet est parti retrouver son ami Stéphane Hessel et tous ses compagnons de lutte. Le sage s’est éteint, entouré des siens.

La veille de sa disparition, samedi à l’hôpital, ses enfants se relayaient pour l’accompagner pour le grand voyage, le dernier. En musique. Babette, l’une de ses filles, lui jouait à l’accordéon « Le tourbillon de la vie » et les autres enfants dans la chambre murmuraient les paroles de la chanson.

« On s’est connu, on s’est reconnu
On s’est perdu de vue, on s’est r’perdu d’vue
On s’est retrouvé, on s’est réchauffé
Puis on s’est séparé « 

Louis Joinet, pourtant très affaibli, souriait.
L’amour de ses cinq enfants et de ses petits-enfants était son trésor. Il y puisait ses réserves de courage.
Le bonheur des siens était sa préoccupation depuis toujours. Lors de conversations avec ses amis, il aimait glisser comme ça, l’air de rien, des nouvelles de chacun d’eux et ses yeux pétillaient de plaisir.

Sur son lit d’hôpital, Louis Joinet avait les traits détendus. Il semblait serein.
Il pouvait l’être. Son travail en faveur des droits humains est son œuvre.
Et elle est considérable.

Stéphane Hessel et Louis Joinet à Paris, en 2012

Stéphane Hessel et Louis Joinet à Paris, en 2012 /Frantz Vaillant

Celles et ceux qui ont accompagné Louis Joinet, que ce soit à l’ONU ou parmi les activistes des ONG, savent combien cet homme au sourire malicieux et à l’intelligence généreuse était unique.

Chose rare, jusqu’à ces derniers mois, les années glissaient sur lui comme l’eau sur un imperméable. Sans jamais l’atteindre vraiment. Certes, il se déplaçait avec difficulté et les multiples scéances de dialyse l’éreintaient. Mais elles contrariaient à peine sa faim de vie et n’entamaient en rien sa passion des autres.
C’est que Louis Joinet avait réussi un exploit : celui d’être un homme âgé sans jamais être un vieux. A 85 ans, le voici qui tire sa révérence.

Mais il faut se pencher sur son existence, aussi tumultueuse que courageuse, pour comprendre combien sa force peut désormais inspirer celles et ceux qui n’ont pas un caillou à la place du cœur.

Louis Joinet avec Shirin Ebadi, première femme à avoir exercé la fonction de juge en Iran et Prix Nobel de la Paix en 2003

Louis Joinet avec Shirin Ebadi, première femme à avoir exercé la fonction de juge en Iran et Prix Nobel de la Paix en 2003 (Frantz Vaillant)

À Nevers, Madame Denise, coiffeuse

Né à Nevers en 1934, ce fils d’épicier restera marqué par deux épisodes au cours de son enfance. En 1944, la guerre connait un tournant. Les Allemands continuent de traquer juifs et maquisards. Son père, résistant, lui demande de garder le silence sur les armes planquées dans un coin de la maison. Mais la ville est bientôt soumise à d’intenses bombardements. Et Louis Joinet, jeune scout, se porte volontaire pour déblayer les gravats. Contre toute attente, ces bombardements qui dévastent des quartiers entiers, ne sèment pas la consternation chez ses parents.

« Moi, je n’arrivais pas à comprendre que mes parents souhaitent la venue des Américains qui nous bombardaient. J’avais du mal à comprendre qu’on nous bombarde pour notre bien » dira-t-il avec un solide goût du paradoxe.

Une malheureuse femme, tondue en place publique lors de la Libération

Une malheureuse femme, tondue en place publique lors de la Libération
(Extrait du film « Un certain Monsieur Joinet ») de Frantz Vaillant

Plus traumatisant pour son jeune esprit, le sort que la foule réserve à madame Denise, sa coiffeuse, qui se retrouve rasée en place publique parmi les rires d’une foule surexcitée.
On reproche à la malheureuse d’avoir eu une « aventure » avec un soldat Allemand.

Louis regarde ce déferlement de haine et cette joie méchante avec stupéfaction. « Trente ans après, j’ai donc très vite pris mes distances quand le thème douteux d’une justice « populaire » refit surface en Farnce, jusque chez mes amis de tendance maoïste. Non merci, j’y avais goûté, à cette « justice » expéditive, sans procédure ni confrontation. J’en avais été vacciné en cette journée où Nevers se « lâchait ». écrira-t-il dans « Mes raisons d’Etat » (La découverte éditeur).

Premier éducateur de rue en France

En 1952, il décroche son bac grâce à un formidable culot lors de l’oral. Le prof n’a pas pensé à vérifier le sujet que Louis a tiré et qu’il a malicieusement glissé dans sa poche.
Le candidat en profite. Il débite d’une traite le seul sujet qu’il sait par coeur !
Son bac en poche, il débarque à Paris en 1952 et voit un jour une affichette « Educateur de rue : pourquoi pas ? »
Oui, pourquoi pas ?
Hubert Flavigny, psychiatre novateur, entend réformer les pratiques sanitaires vis à vis des délinquants.
Pour Louis, c’est une révélation.
Il devient l’un des premiers éducateurs de rue, en prise directe avec les fameux « blousons noirs  » qui sévissent dans la capitale. Il apprend à bien comprendre le cheminement très complexe de ces jeunes que l’on dit perdus et qu’il va sauver régulièrement, n’hésitant pas à ouvrir la porte de son domicile pour les héberger. « Je vivais dans la rue avec les bandes, ce qui est une expérience extraordinaire pour un futur magistrat, bien que je ne savais pas encore que je le serai un jour. C’était très violent […] Mais quand vous arrivez à avoir leur confiance, c’est extraordinaire ce qu’on peut arriver à faire. Mais je ne me doutais pas à l’époque, que je m’engagerai plus tard dans la défense des droits de l’homme. »

Germaine, l’Algérie et la nuit tragique

Dans un même temps, il devient instituteur et rencontre la femme de sa vie, Germaine.

Germaine Joinet, femme de Louis Joinet, dans les années 50 en Algérie

Germaine Joinet, femme de Louis Joinet, dans les années 50 en Algérie.(archives personnelles Louis Joinet)

Elle est médecin. Il est fou amoureux d’elle.
Germaine est son guide et sa lumière.
C’est une personnalité solide. Ensemble, ils vont vivre plusieurs décennies d’engagements, refusant tout deux le confort d’une situation bourgeoise à laquelle, pourtant, ils pourraient prétendre.
Il n’est pas une décision importante qu’il doit prendre sans qu’il la consulte.

Germaine est celle qui lui donnera cinq enfants et qui saura l’empêcher de « prendre la grosse tête » quand viendra l’heure des choix cruciaux.

Torturés avec de la lessive

Les « évènements en Algérie », comme on dit pudiquement alors,  mobilisent la jeunesse française. Louis Joinet se retrouve à Cherchell, à environ 100 km à l’ouest d’Alger, pour suivre une formation d’officier de réserve.
Mais un jour de mai 1959, dans le cadre d’un « exercice d’embuscade », vers minuit, a lieu un drame. Louis tire sur un militant du FLN. L’homme s’écroule « J’ai tiré. comme par réflexe de survie. L’homme devant moi s’est écroulé, juste avant de pouvoir viser ».
Louis, au petit matin, doit ramener le corps à sa famille. Sa veuve le regarde « avec ses grand yeux rougis par le deuil dont elle contenait fièrement les larmes devant nous. Ses deux jeunes enfants, que j’avais rendus orphelins, se cramponnaient à sa robe brodée ».
Un épisode tragique qui, cinquante ans plus tard, lui faisait monter les larmes aux yeux. Jusqu’à ses dernières semaines de vie, il recherchera en vain cette femme.
Germaine, de son côté,  médecin à l’hôpital de Phillippeville, soigne les personnes torturées à qui l’on a fait boire de force de la lessive.
La guerre et son cortège d’horreurs.

Coupure de presse lors de l'affaire Ben Barka

Coupure de presse lors de l’affaire Ben Barka (capture écran)

L’affaire Ben Barka

En mars 1961, c’est le retour à Paris.
Il suit des cours du soir d’études de droit. En 1966, il sort major de l’École nationale de la magistrature. Auparavant, il aura suivi l’affaire Mehdi Ben Barka en étant l’assistant du juge Louis Zollinger, en charge de ce dossier éminemment politique.
Louis Joinet va de surprises en surprises : « Le code de procédure pénale prévoyait que le parquet, comme la défense, pouvait obtenir copie du dossier de l’instruction. (…) Autrement dit, l’oreille du gouvernement suivait un très léger différé tout ce qui se disait dans le « secret’ du cabinet du juge ».
Ce constat l’amènera à créer le Syndicat de la Magistrature en 1968. Une révolution au Palais de justice.
L’affaire Ben Barka est la première « disparition forcée » dont il aura la charge.

Il donne son nom aux «principes Joinet» de l’ONU contre l’impunité en cas de violation des droits de l’homme.
Louis Joinet se spécialise dans le droit humanitaire de la guerre et plus spécialement des guerres d’indépendance.A l’initiative du Gouvernement de Salvador Allende, il se rend au Chili. « C’était passionnant pour un juriste.  Enfin, un socialiste était élu démocratiquement, de manière incontestable mais il ne pouvait pas changer la loi. La seule loi qui a été votée à l’unanimité était la nationalisation du cuivre. Donc, pendant toute une période, en attendant que l’équilibre démocratique permette une nouvelle évolution politique, il fallait interpréter la loi existante. D’où le rôle des juges ! C’est le juge qui interprète la loi ».

Les dangers de l’informatique

Dans les années 70, l’informatique entre en piste. L’incontestable progrès dont bénéficient les entreprises apporte aussi son lot de questions. Qui protègera la vie privée des citoyens ? Louis Joinet rédige un rapport qui donnera naissance à la Loi informatique et libertés. Il devient ensuite président de la CNIL, la commission nationale de l’informatique et des libertés.
Mais ses prises de position dérangent. Il ose évoquer publiquement les dangers de l’informatique. Le pouvoir le vire brutalement en décembre 1980 et cette éviction suscite une immense émotion. Un comité de soutien est même crée en sa faveur.
Mais la disgrâce ne dure pas.
Quand François Mitterrand arrive au pouvoir, en mai 1981, il devient conseiller de ses premiers ministres.

Louis Joinet et Martine Anstett, juriste internationale et ex directrice de la communication à Amnesty International

Louis Joinet et Martine Anstett, juriste internationale et ex directrice de la communication à Amnesty International (Frantz Vaillant)

Pas d’intégrisme légaliste

Installé dans le cœur nucléaire du pouvoir, il va prendre en charge un certain nombre de dossiers particulièrement sensibles : la cause des homosexuels,  le plateau du Larzac et, en 1988, alors conseiller de Rocard, il va participer aux accords de Matignon qui mettra fin au conflit en Nouvelle-Calédonie.
Louis Joinet, toujours, restait dans l’ombre. Humble. Le succès de la stratégie et la fin des violences l’emportaient sur l’égo. Toujours.

Avec Luis Moreno-Ocampo premier procureur de la Cour pénale internationale.

Avec Luis Moreno-Ocampo premier procureur de la Cour pénale internationale. Frantz Vaillant

C’est pourtant grâce à son apport décisif et sa parfaite connaissance du droit que ces situations délicates ont  trouvé un épilogue satisfaisant pour toutes les parties. Quand on évoquait avec lui ces dossiers, il souriait : « J’ai fait ce qui devait l’être. Simplement« .
Louis Joinet prendra en charge également la question basque et la question du terrorisme, notamment avec les anciens militants d’extrême gauche italiens passés en France.

Louis Joinet en mission pour l'ONU

Louis Joinet en mission pour l’ONU
archives personnelles de Louis Joinet

Toute sa vie, avec constance et lucidité, il refusera « l’intégrisme légaliste », comme il l’expliquera à Isabelle Rimbert, journaliste à Libération  : « L’application stricte de la loi, qui  est un épouvantable facteur d’immobilisme, voire de régression. La loi, c’est comme l’amour, ça va, ça vient. S’il pressent que la loi évoluera, le juge doit œuvrer pour la légalité future. »

Expert indépendant et bénévole à l’ONU pendant trente-trois ans, à la sous-commission des droits de l’Homme, il n’aura de cesse de parcourir le monde pour rédiger des rapports, dénoncer des violations des droits humains avec une pugnacité impressionnante, jamais prise en défaut.« Je me souviens au Bahreïn, avant que la situation redevienne, hélas, ce qu’elle est de nouveau, on avait réussi à faire libérer la totalité des prisonniers politiques. Il fallu deux ans et demi de négociations. Nous avons fait aussi les premières visites de camps de rééducation en Chine, notamment au Tibet où j’ai des souvenirs terribles de la prison de Lhassa. »
Il n’aura jamais été un notable et pas davantage un homme politique. Tant d’autres autour de lui avaient succombé à la tentation !

Louis Joinet au siège de l'association Donde Estan, à Paris, en lutte contre les disparitions forcées

Louis Joinet au siège de l’association Donde Estan, à Paris, en lutte contre les disparitions forcées Frantz Vaillant

Norma Scopise

Une histoire le marquera à jamais, celle de Norma Scopise,  une disparue du Plan Condor. « Nous étions en 1976. Rentrant de mission on me demande d’être rapporteur pour un tribunal d’opinion, le tribunal Russel, qui tenait une session sur les pays du Cône Sud et le Brésil , notamment sur l’Uruguay. Je trouve deux témoins exemplaires, que je connaissais de renommée, dont Norma Scopise, une jeune militante Tupamaros dont le mari avait été assassiné devant elle. Elle avait été affreusement torturée et était exilée en Argentine. Je décide de lui demander d’accepter de témoigner. On avait prévu de filmer son témoignage à Paris, de le flouter et d’anonymiser son nom. Après 10 minutes de tournage, elle craque et refuse de continuer. Elle s’isole et revient en nous disant : « Je veux témoigner à visage découvert parce que, sinon, je fais le jeu de la répression ». (…) Et elle a témoigné à visage découvert devant le Tribunal Russel… Il y avait un silence incroyable dans la salle, c’était extraordinaire d’émotion. Je l’ai raccompagnée à son hôtel et je lui ai dit : « Tu as pris un risque énorme. Tu aurais dû m’écouter et ne pas témoigner publiquement. Elle m’a répondu : C’est ma décision ». Quelques mois après, j’appris qu’un soir, elle était dans son appartement, au quatrième étage de son immeuble, quand elle a vu l’armée encercler la maison. Elle a compris que c’était pour l’arrêter et s’est jetée par la fenêtre. »

Lutte contre l’oubli des « Disparitions forcées »

Elle se produit « quand une organisation, le plus souvent un État, fait disparaître une ou plusieurs personnes par le meurtre ou la séquestration, tout en niant avoir arrêté la personne ou avoir connaissance d’où elle se trouverait « . Point d’orgue d’une carrière hors norme : la rédaction, en 1988, de la première déclaration de l’ONU contre les disparitions forcées, une avancée majeure du Droit International. La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées adoptée le 20 décembre 2006 fut une avancée considérable pour faire reconnaître des crimes jusque-là trop souvent prescrits : les disparitions forcées. Dans cette vidéo de 7′,  Louis Joinet évoque pour nous, par son témoignage exceptionnel, les conditions de cette lutte contre l’oubli.

Son appartement devient le bureau des associations

Toujours au service des autres, il avait transformé son immense appartement de la rue Meslay en bureau des associations. Avec lui, servir n’était pas se servir.

Louis Joinet aimait par dessus tout les arts de la rue. Ils étaient son oxygène, loin des juridictions internationales,  au point d’accepter de devenir, en 2005, président de l’association du Festival de théâtre de rue d’Aurillac. Ce grand ami d’Ariane Mnouchkine jouait volontiers de l’accordéon, son instrument fétiche seul, en famille, pour les amis ou pour célébrer une décision judiciaire de premier ordre.

Dans « le tourbillon de la vie », Louis Joinet aura gardé le cap.
L’humanité vient de perdre l’un de ses plus fidèles représentants mais le ciel gagne une étoile.

Lire aussi …

 

 

 

 

Dans le Quotidien Libération …

Louis Joinet, le Hessel de la justice

Grande figure méconnue d’une gauche des libertés, cet imaginatif a su jouer avec le droit pour faire progresser les droits.

Dans le Quotidien Le Monde …

Louis Joinet, cofondateur du Syndicat de la magistrature, est mort

Tout au long de sa carrière comme magistrat, expert à l’ONU et directeur de la CNIL, Louis Joinet s’était attaché à défendre les droits humains.

Dans le Quotidien Le Figaro …
Décès de Louis Joinet, cofondateur du Syndicat de la magistrature

Dans le Quotidien La Diaria (Montevideo)
Una gran pérdida: Louis Joinet (1934 – 2019)

Dans le Quotidien Naiz (Pays Basque)
Fallece el prestigioso jurista Louis Joinet, implicado por el desarme y los presos vascos

Sur le site d’Amnesty International …
« J’ai pu apporter ma pierre à l’édifice des Droits de l’Homme… »


Et lire encore ,
aux Éditions La Découverte

Louis JOINET

La presse l’a parfois baptisé Louis le Juste ou l’Épris de justice, mais aussi l’Obstiné et l’Ubiquiste. D’autres ont vu en lui un « homme de l’ombre » ou l’un de ces « juges rouges » qui hantèrent les cauchemars des criminels en col blanc. Peu connu du grand public, Louis Joinet a en tout cas joué, depuis la fin des années 1960, un rôle clé au cœur de la République, révélé dans ce livre aussi attachant qu’informé.
Il a été l’un des fondateurs du Syndicat de la magistrature en 1968, puis le premier directeur de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, avant de conseiller cinq Premiers ministres socialistes dans les années 1980. Et, pendant trente-trois ans, il a été expert indépendant de l’ONU, en infatigable globe-trotter de la protection des droits de l’homme. Il avait pourtant commencé par essuyer les plâtres d’un tout autre métier, celui d’éducateur de rue auprès des jeunes délinquants. Et il n’a jamais renié sa passion pour le monde du cirque et les arts de la rue.
Louis Joinet s’est décidé à dire lui-même ses paradoxes et inquiétudes de magistrat : ce qu’il appelle ses « bonnes raisons d’État », dont il dévoile maints aspects inédits lors de ses années à Matignon et à l’Élysée. En conteur-né, il rapporte son expérience, universelle et éclatée, avec une simplicité qui marque toute sa vie, d’une profusion et d’une générosité peu ordinaires.


 

Louis Joinet : « Obstinez-vous ! »

Parce qu’il croit qu’on peut changer le monde en changeant l’institution dans laquelle on est, Louis Joinet a toujours revendiqué ses engagements. Sous son allure modeste, cet homme de 77 ans a les convictions acérées et un CV long comme le bras. Expert indépendant à l’Onu pendant trente-deux ans, fondateur du Syndicat de la magistrature, président de la Commission nationale informatique et liberté (Cnil), avocat général à la Cour de cassation, il a également été chargé de la justice, des libertés publiques et des droits de l’homme à Matignon, de Mauroy à Bérégovoy, puis nommé conseiller de François Mitterrand.

Siné Mensuel – C’est à Stéphane Hessel que vous devez votre nomination à l’Onu. Vous partagez de nombreux combats avec lui, vous avez rencontré bon nombre de militants persécutés ou prisonniers qui ont fini par prendre le pouvoir.

Louis Joinet – Je dirais plutôt qu’ils ont « accédé au pouvoir ». « Prise de pouvoir », ça a un côté « coup d’État » auquel je suis allergique. Quand elle tourne, la roue de l’Histoire réserve d’étonnantes surprises. Tel militant, qualifié d’ennemi public n°1 ou de terroriste parce qu’il résistait à l’oppression, se voit quelques années plus tard dérouler le tapis rouge de réception des chefs d’État. J’ai connu Levon Ter-Petrossian, emprisonné sous l’URSS, que j’ai retrouvé président de l’Arménie, Xanana Gusmão, que j’ai visité en prison à Djakarta sous la dictature indonésienne, devenu le premier président de la République du Timor ou encore l’ex-Tupamaro José Mujica, dit « El Pepe », élu président de l’Uruguay après avoir été emprisonné pendant quinze ans sous la dictature dans la tristement célèbre prison dénommée, ça ne s’invente pas, Penal Libertad…

En tant qu’expert indépendant des Nations unies, vous avez visité 174 lieux de détention. Est-il vrai que vous avez découvert une prison clandestine en Iran ?

À l’époque, je présidais la commission d’enquête de l’Onu sur la détention arbitraire. Après un an de discussions avec les autorités iraniennes, nous avons été autorisés à effectuer une mission dans le pays. C’était l’époque Rafsandjani, marquée par une timide ouverture. Nous savions par les ONG que, dans l’énorme complexe pénitentiaire d’Evin, il existait une prison secrète où les détenus étaient en « confinement solitaire », ce que le gouvernement niait farouchement. En prouver l’existence était devenu pour nous une priorité.

Pendant l’année qui a précédé, j’ai interviewé d’anciens prisonniers en exil et reconstitué petit à petit le plan des lieux pour localiser cette prison secrète. J’ai eu finalement la chance inouïe de rencontrer un ancien détenu architecte qui a dressé un plan détaillé de l’itinéraire menant à cette prison. Je savais qu’il fallait se diriger vers tel bâtiment, prendre tel escalier pour arriver face à une grande porte métallique verrouillée par un gros cadenas. Pendant notre visite, nous sommes tombés pile sur la porte. Je demande à visiter le local. On me répond négligemment qu’il ne s’agit que d’un débarras. Après une heure d’âpres discussions avec la menace de rentrer à Genève et de faire état dans notre rapport de ce refus de coopération, nous avons finalement obtenu que la porte soit entrouverte. Il s’agissait bien de ce lieu clandestin dont le nom de code était « Secteur 209 ». Nouvelles discussions pour rencontrer quelques-uns de ces prisonniers au secret. Alors que nous commencions les entretiens, deux pasdarans ont fait irruption et – sous le regard gêné de la délégation officielle – nous ont enjoint, matraque à la main, de quitter immédiatement les lieux. Ce que nous avons fait après avoir protesté pour la forme, notre but – prouver l’existence de ce centre secret – étant atteint.

Faire de la publicité et signer des pétitions protège-t-il ou aggrave-t-il le sort des prisonniers politiques ?

C’est un débat récurrent qui, par exemple, a récemment divisé le comité de soutien aux deux journalistes français otages en Afghanistan, Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, qui ont été récemment libérés. À la lumière de mon expérience, la publicité est pour moi la règle. Que ne m’a-t-on traité de « pétitionnaire d’habitude » ! Il faut toujours partir du postulat selon lequel le prisonnier, tôt ou tard, apprendra que l’opinion se mobilise pour sa liberté. L’histoire des marins de Valparaiso est emblématique. Après le coup d’État de Pinochet en 1973, des marins chiliens hostiles à la dictature avaient été jetés à fond de cale et affreusement torturés. Quelques semaines après, la sœur de l’un d’entre eux me propose de présider un comité de soutien qui venait de se créer à Paris. Sur Radio Suisse Internationale, je me contente de présenter brièvement ce comité. Trois ans plus tard, lors d’un meeting de solidarité, un jeune homme s’approche de moi et me raconte qu’il était un de ces marins de Valparaiso, qu’ils avaient construit un petit poste à galène et que, grâce à cela, ils avaient capté mes propos. Cette nouvelle avait tout changé. Ils s’étaient organisés pour résister. Le pire, c’est le sort de celui qui est au fond de son cachot et qui croit que personne ne le sait. Alors, n’hésitez pas à devenir des « pétitionnaires d’habitude ».

Vous soutenez que si le rôle du juge est d’appliquer la loi, il est aussi de « promouvoir la légalité future ». Qu’entendez-vous par là ?

Je parle du rôle que le juge peut – devrait – jouer pour promouvoir l’émergence de la légalité future. Je m’explique. Le rôle du juge est d’appliquer la loi et, pour cela, il doit l’interpréter. Il peut en donner une interprétation progressiste ou conservatrice. Les magistratures sont en général plutôt conservatrices, d’où l’importance des juges progressistes. Ils jouent un rôle essentiel et à risque sous les régimes autoritaires, spécialement lorsque émerge une période de transition vers la démocratie. Prenons le cas de l’élection de Salvador Allende qui a accédé au pouvoir non par la violence mais par les urnes. Problème : son gouvernement n’avait pas une majorité législative suffisante pour réformer les lois dans le sens voulu par le peuple qui l’a élu. Il a fallu former les magistrats démocrates à interpréter la loi existante à la lumière des normes du droit international qui sont généralement plus progressistes que les lois nationales. Mais quelques mois plus tard, Allende disparaît avec le coup d’État pinochetiste et le noyau de juges progressistes se dissout dans l’exil.
Même chose en Argentine où les juges progressistes réunis dans une association clandestine ont été pour partie liquidés par la junte, en particulier mon collègue et ami disparu après avoir été enlevé, Diaz Lestrem.

Vous évoquez le Chili, l’Argentine. Mais en France, vous avez contribué à créer le Syndicat de la magistrature (SM) en 1968. On était pourtant dans un pays démocratique.

C’était la même idée. Contribuer à changer le monde par la transformation de l’institution quelle que soit l’institution dans laquelle on est. On peut toujours rêver, non ? Avec le recul, on peut se demander si le Syndicat de la magistrature a changé quelque chose dans la justice en France. Certains pensent que non, moi je pense que oui.

Pourquoi ?

D’abord parce qu’on a oublié d’où l’on vient. Quand je suis entré dans la magistrature, en 1963, c’était la « grande muette ». Un monde guindé, très vieille France. J’ai connu les « thés » de la Première présidente(1) qui, deux fois par an, recevait les nouveaux magistrats chez elle. À l’époque, pour effectuer une perquisition, il fallait demander une voiture à la police, présenter un bon d’essence et donner l’adresse… Tout cela paraissait naturel. Comme il semblait naturel de transmettre au pouvoir politique copie des PV d’interrogatoire. Le hasard incroyable de la vie a fait que trois jours après ma prise de fonction comme magistrat stagiaire, éclate l’affaire Ben Barka et que je sois affecté au cabinet du juge d’instruction chargé du dossier. Dès que la greffière avait fini de taper une page d’interrogatoire, j’étais chargé d’en porter une copie au procureur. Et qui y avait-il dans son bureau ? Le magistrat du cabinet de la Défense, celui de l’Intérieur, celui de la Justice et celui de la Coopération ! La dépendance semblait alors quasi naturelle. C’est quand même de moins en moins le cas quand on voit dans l’actualité récente le nombre de juges qui se rebellent.

C’est donc pour s’opposer à cette dépendance que le Syndicat de la magistrature, dont vous avez été le premier secrétaire général, est né ?

L’idée première était de créer un antidote au risque d’énarchie, à son oligarchie galopante. Nous voulions aussi briser deux tabous. Celui de la « grande muette » que j’ai déjà évoquée, en prenant la parole de l’intérieur, et un autre selon lequel le syndicalisme serait interdit dans la magistrature. Nous avons aussi créé très vite des sections locales, car si le juge estime que son rôle est de contribuer à une dynamique de changement, il ne peut pas le faire seul. Ses décisions vont inévitablement provoquer des réactions plus ou moins violentes selon les intérêts mis en cause. Pour réagir, il faut être solidaires.

Pensez-vous que la justice en France est indépendante du pouvoir politique ?

Peut toujours mieux faire. Mais si, comme je viens de le dire, je compare la situation actuelle avec celle de 1963, date de mon entrée dans la magistrature, elle s’est améliorée. Lors de la création du syndicat, nous avons obtenu qu’il soit mis fin à une règle ubuesque : les juges étaient notés par les procureurs ! Avec la généralisation de la transparence sociale, grâce notamment au Web, il devient de plus en plus difficile d’étouffer ou d’enterrer une affaire, ainsi que le montre l’actualité récente. Voyez par exemple l’affaire Bettencourt ! Certes, les juges subissent toujours des pressions dans certaines affaires, c’est inhérent à leur fonction et le signe qu’ils sont indépendants. Le pire, c’est lorsque le pouvoir n’a pas besoin d’exercer des pressions, d’où sa constance à maintenir son influence sur les nominations.

Comment pouviez-vous être expert indépendant à l’Onu tout en servant cinq Premiers ministres – Mauroy, Fabius, Rocard, Cresson et Bérégovoy ?

Quand j’ai été appelé à Matignon, puis à chaque renouvellement, j’ai remis une note donnant sans ambiguïté ma position. Je précisais que si le Quai d’Orsay estimait que mes positions étaient incompatibles avec les intérêts de la France, je démissionnerais en toute discrétion, sans jouer les martyrs du genre « Joinet a été viré, etc. ». Il y a bien eu quelques frictions (l’occupation soviétique en Afghanistan, le Timor, la Palestine, l’apartheid, l’Arménie…) mais l’histoire évoluant le plus souvent dans le sens de mes positions, on ne m’a finalement jamais demandé expressément de partir.

Toujours dans votre souci d’« organiser la légalité future », vous vous êtes occupé de faire cesser la lutte armée, le terrorisme, en traitant des dossiers sensibles comme les Basques de l’ETA, les Arméniens de l’Asala, les Italiens des Brigades rouges ou de Prima Linea.

Tout repose sur cette phrase de François Mitterrand : « Le problème politique du terrorisme est certes de savoir comment on y entre mais il est surtout de savoir comment on en sort. » Derrière cette phrase, toute une série de problèmes se posent. Peut-on ou non admettre une amnistie ? Les victimes ? Sans dialogue préalable, il n’y a pas de réconciliation possible entre les auteurs de la violence politique et leurs victimes. Dialogue difficile, j’en conviens, mais incontournable. Sinon, on sombre dans l’intégrisme juridique qui neutralise toute marge de manœuvre. Je sais ce point de vue discutable mais il est le fruit de mon expérience. J’ai toujours été un facilitateur et non un médiateur de paix.

C’est-à-dire ?

Faire que les gens se rencontrent, sans se mêler du fond de leurs discussions et négociations, c’est déjà la moitié de la solution…

Diriez-vous que vous êtes un homme de l’ombre ?

Non. Je suis un homme de conseil mais pas de pouvoir. On me répondra que ceux qui conseillent ont le pouvoir.

Les sans-papiers, les immigrés, la justice sociale… Que vous inspire notre grand pays ?

Il faut changer de gouvernement. Le prochain ne fera peut-être pas mieux, mais je suis certain qu’il fera moins mal. J’entends dire que la France est « la patrie des droits de l’homme »… Quand on a vécu la guerre d’Algérie, on éprouve plus que de la gêne. Pourquoi faudrait-il que les droits de l’homme aient une patrie, puisqu’ils sont universels ?


Parmi les réactions

« Un grand monsieur s’en est allé, de ceux qui vous donne l’envie de croire en l’humanité, Monsieur Joinet merci vos combats vos causes étaient toujours nobles , vous étiez un épris de justice ici et partout dans le monde . »


[ A LOUIS JOINET]

 

 

❝ J’ai eu l’immense joie de tutoyer un grand Homme !
J’ai appris tellement à ses côtés,
comme j’ai badé à l’écouter…
Envié sa simplicité et sa force naturelle,
à renverser les situations,
afin de pousser les promoteurs des injustices
à mettre un genou à terre !

Comment expliquer qu’un homme aussi humble suscitait le respect, même chez ses opposants…

C’était tellement simple, à ses côtés,
de démêler l’écheveau administratif !
Il ne lâchait rien ! Avec charisme et malice…
Je n’ai jamais ressenti chez lui une once de méchanceté,
toujours dans son rôle de magistrat, résoudre, résoudre, résoudre!
Dans la légalité et le droit … le bon droit!
Il prenait du temps à nous aimer et se délectait à le mettre en musique dans des veillées réveillées… Quel bonheur!
Il nous remerciait, nous, les électrons libres, de rester un homme de la rue…
Il nous a appris à nous sociabiliser, dompteur de nos impatiences, crocheteur de cadenas administratifs rongés par la rouille de l’incompréhension.

Il a rhabillé la justice et réhabilité nos délinquances en œuvres !

J’ai dévoré son livre « MES RAISONS D’ETAT » Mémoires d’un épris de justice, j’avais en main la saga d’un héros contemporain, pour lequel j’ai tremblé à chaque page.
Quelle vie, quel parcours, quelle énergie, quel suspens…
Véritable justicier – globe trotter!

Et pour plagier Mitterrand : « Laissez faire. C’est du Joinet typique ! »

Merci Louis ! De tant de beautés d’âme et de lumière… fraternelles !

Pierre Berthelot – Générik Vapeur



Hommage à Louis Joinet,
Homme à qui la rue doit beaucoup !

« Il est certains hommes, rares sans doute, dont on peut retenir le bilan et la belle humanité.

Les hommages qui lui ont été rendus le 30 septembre ont été à la mesure de l’homme exceptionnel qu’il a été toute sa vie, très émouvants. De l’homme public à l’homme en privé, Louis Joinet est l’un de ceux que nous ne devons pas oublier, bien au contraire  il nous faut nous en inspirer et poursuivre ce chemin qu’il nous a grandement aidé à tracer.

L’un des combats de la Fédération nationale des arts de la rue est celui de la reconnaissance des Droits Culturels, et s’il est un homme qui les a intégré dans sa chair, dans sa pensée et vécu tout au long de son parcours de vie, c’est bien Louis Joinet. Son combat pour le droit à la dignité de l’Être et contre l’injustice est formidable et très impressionnant, et il serait trop long de relater ici ce qu’il a si bien écrit dans son livre « Mes raisons d’état » (mémoires d’un épris de justice), publié aux éditions « la Découverte ».

Le Cirque et les arts de la rue viennent de perdre un amoureux fidèle, mais plus encore, un visionnaire, un partenaire, et un compagnon-bâtisseur des arts de la rue.    

Tour à tour, président de Hors les Murs, président d’Eclat d’Aurillac, pédagogue et conseiller avisé pour les statuts de la première association des arts de la rue, puis témoin et conseiller avisé pour la naissance de la Fédération nationale des arts de la rue, puis initiateur et conseiller pour la naissance de l’Ufisc, Louis Joinet n’aura eu de cesse de nous aider à nous regrouper, à nous constituer sans que nous n’y perdions nos âmes. Éducateur de rue, magistrat, fondateur du syndicat de la magistrature, conseiller de François Mitterrand … il n’aura eu de cesse d’interpréter le Droit avec nuance et traductions diverses. A l’inverse des trop zélés de la République, tels certains préfets d’aujourd’hui, il a toujours su interpréter le Droit et les textes de loi de la manière la plus humaine ou humaniste possible. Ses « Mémoires d’un épris de justice » sont passionnantes, tant il est à des endroits de l’Histoire récente, toujours discret mais d’une grande efficacité dans le conseil et le Droit.
A propos des arts de la rue, dans son livre, Louis Joinet écrit : » C’est tout un pan de mon histoire, viscéralement lié à mes souvenirs d’enfance, que cet amour des arts de la rue. » – « Les arts de la rue m’électrisent. Les comédiens forains et les cirques, de ville en ville, me furent très tôt un ailleurs promis. Parmi les films de Fellini, j’entretiens un penchant spécial pour La Strada, pour des raisons les plus intimes. Et la rue, après tout, fut mon premier métier (nb : un des tout premiers éducateurs de rue) » et puis encore, à propos d’Aurillac : » Je ne rate jamais ce rendez-vous incontournable, chaque année au mois d’août, du Festival des arts de la rue. Je l’aurai présidé longtemps, de 2005 à 2010, m’efforçant de régler les mille problèmes politiques, sécuritaires et juridiques de ces professions improbables. Multipliant les concertations, j’ai veillé à ce qu’Aurillac reste un ‘Must’, grâce aux talents des participants et à l’autonomie d’un programme artistique qui préserve les droits à l’improvisation. Ces artistes, y compris les rois de « l’impro », ont besoin de statuts juridiques très solides et j’ai pu les aider un peu à ce propos. »

L’homme est modeste, trop modeste, lui qui nous écrit dans une lettre du 27 mars 1995  alors qu’il préside Hors les Murs : » Il faut d’abord se demander si le Théâtre de rue, passé un premier engouement, a vraiment acquis pignon sur rue, c’est à dire représente un lobby suffisamment fort pour se faire entendre budgétairement. Je ne le pense pas ; en tout cas pas encore…… Il faudra encore du temps. Peut-être conviendra-t-il d’intégrer un jour l’opportunité de créer un syndicat des compagnies pour mener des actions plus offensives. Hors les Murs est en effet dans l’incapacité de jouer efficacement ce rôle, compte tenu de sa composition statutaire… Que le bouillonnement continue ! »

Loredana Lanciano se souvient de la question épineuse, au sein de la fédération nationale des arts de la rue, de la pertinence de « siéger » ou pas, de participer ou pas aux Entretiens de Valois (2008/2009).
Elle écrit : » C’était une première d’y être invité.  AG houleuse sur ce sujet avec des réflexions en cascade : vendre son âme pour gagner rien ou des miettes, ou y aller pour à la fin devenir « comme les autres » ?  Jouer leur jeu fumeux alors que nous avons toujours été critique et maintenant nous irions manger leurs petits fours…?

Alors Monsieur Joinet se lève et, avec sourire et bonhommie, dit simplement : « Si vous n’y allez pas, personne ne remarquera votre absence, si vous y allez, vous pourrez toujours vous en aller en claquant la porte, et ça, ça se remarquera !! »

La Fédération nationale des arts de la rue, tous ses adhérents et toutes ses adhérentes envoient un grand message d’amour à toute la famille Joinet, si présente dans les arts de la rue et les assurent de poursuivre au mieux le chemin tracé par Monsieur Louis Joinet. »

Jean-Luc Prévost
(au nom du bureau de la fédération nationale et de son  C.A.)