Jacques Brel immortalise Jaurès

Une date, le 31 juillet . Un vibrant hommage, celui du poète à l’homme politique. Quand Jacques Brel pose en 1977 la question du « Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?« , il nous remet en mémoire une classe ouvrière sacrifiée et s’interroge sur ce que les générations suivantes font et feront de cet héritage. Il est alors loin de se douter de l’émotion que continue à déclencher cette chanson bouleversante …

Paroles de « Jaurès » ( Jacques Brel)

Ils étaient usés à quinze ans
Ils finissaient en débutant
Les douze mois s’appelaient décembre
Quelle vie ont eu nos grands-parents
Entre l’absinthe et les grand-messes
Ils étaient vieux avant que d’être
Quinze heures par jour le corps en laisse
Laissent au visage un teint de cendres
Oui notre Monsieur, oui notre bon Maître

Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?
Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?

On ne peut pas dire qu’ils furent esclaves
De là à dire qu’ils ont vécu
Lorsque l’on part aussi vaincu
C’est dur de sortir de l’enclave
Et pourtant l’espoir fleurissait
Dans les rêves qui montaient aux cieux
Des quelques ceux qui refusaient
De ramper jusqu’à la vieillesse
Oui notre bon Maître, oui notre Monsieur

Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?
Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?

Si par malheur ils survivaient
C’était pour partir à la guerre
C’était pour finir à la guerre
Aux ordres de quelque sabreur
Qui exigeait du bout des lèvres
Qu’ils aillent ouvrir au champ d’horreur
Leurs vingt ans qui n’avaient pu naître
Et ils mouraient à pleine peur
Tout miséreux oui notre bon Maître
Couverts de prèles oui notre Monsieur
Demandez-vous belle jeunesse
Le temps de l’ombre d’un souvenir
Le temps de souffle d’un soupir

Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?
Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?

En 1903 dans son discours à la jeunesse, prononcé à Albi, Jaurès lançait:
« Le courage, c’est d’aimer la vie et de regarder la mort d’un regard tranquille; c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ; c’est d’agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l’univers profond, ni s’il lui réserve une récompense. Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques. »


En 2009, à l’occasion du 150ème anniversaire de la naissance de Jean Jaurès, Zebda choisit symboliquement de réinterpréter « Jaurès » de Jacques Brel …

Zebda réveille «Jaurès»… et vice-versa

Par Jean-Manuel Escarnot
paru dans Libération du

Toulouse. Pour célébrer les 150 ans de la naissance de l’homme politique, le groupe sort un clip.

L’époque aime les commémorations et les icônes qui vont avec. A Toulouse, la question ne s’est pas posée. Repassée à gauche (PS) aux dernières municipales, la ville célèbre haut et fort les 150 ans de la naissance de Jean Jaurès. Normal : le député du Tarn, né le 3 septembre 1859 à Castres, défenseur des mineurs de Carmaux, père fondateur du parti socialiste et du journal l’Humanité, a commencé sa carrière politique à la mairie du Capitole.

Dans ces conditions, les devoirs de mémoire vis-à-vis de l’enfant du pays se devaient d’être remplis. Entre une cuvée spéciale de rosé et une pièce de théâtre reprenant ses discours à l’Assemblée, Zebda a enregistré, «avé l’accent» et en costumes d’époque, un clip reprise de la chanson de Jacques Brel, Jaurès. La vidéo, financée (77 000 euros) par la région Midi-Pyrénées (PS), sera diffusée dans les écoles de la République.

Explications de texte à l’appui, Moustapha Amokrane et Magyd Cherfi, chanteurs du groupe toulousain, l’ont présenté à la Cinémathèque de la rue du Taur. «C’est une chanson magnifique que nous avions déjà enregistrée il y a une dizaine d’années sur un album collectif dédié à Brel, précisent-ils. Elle décrit le monde ouvrier en faisant appel à l’émotion, avec affection et réalisme mais sans misérabilisme.»

Gueules noires de mineurs, tronches cabossées de soldats de 14 au fond du trou, procession prolo dans des décors actuels : le clip, réalisé par Xavier Pérez, mêle passé et présent. «On a voulu montrer le lien entre son époque et les luttes d’aujourd’hui, explique Moustapha Amokrane. C’est grâce aux acquis sociaux gagnés par ces ouvriers que nos parents ont pu nous élever.» Filmée en couleur sépia et lumière naturelle, la succession de tableaux cherche à faire passer le message en douce. «Le but était d’éviter la démagogie. Pourtant c’est du lourd, reprend Magyd Cherfi. Dans le climat social actuel, l’espoir de changement incarné par Jaurès est toujours d’actualité.» Les Zebda refusent cependant de faire le parallèle avec les conflits en cours, comme celui des salariés de Molex à Villemur-sur-Tarn (Haute-Garonne). «Par respect pour leur souffrance», disent-ils. Après cinq ans de pause, le combo toulousain préfère insister sur la reformation du groupe et l’enregistrement d’un nouvel album. «Ce clip sur Jaurès est un bon signe pour dire que nous sommes toujours là.»

Jean-Manuel Escarnot


Et en évoquant Jaurès, comment ne pas évoquer « JEAN », solo pour un monument aux morts créé par Patrice de Bénédetti en 2014 …

« Après le passage piéton, l’abribus et le réverbère, c’est le monument aux morts que Patrice de Bénédetti a choisi comme scène urbaine. Il en fait une tribune de pierre pour évoquer la mémoire d’un certain Jean. Jean, c’est à la fois Jaurès, partisan de la paix assassiné par les nationalistes, un soldat de la Grande Guerre, mort parmi tant d’autres sur le front de la barbarie, et son père, syndicaliste invétéré. Trois hommes morts pour la défense de la patrie et de la liberté. Patrice de Bénédetti raconte leur histoire, tout en passant aisément de la petite à la grande. Le corps meurtri et désarticulé, porté par des béquilles, il danse entre les mots avec une ferveur incandescente, qui fait de ce solo la création la plus émouvante du festival d’Aurillac 2014. »
Thierry Voisin ( Télérama)