Dans son rapport « Presse et planète en danger » publié le 3 mai, l’Unesco a enquêté auprès de 905 journalistes à travers le monde. Plus de 70 % d’entre eux déclarent avoir été la cible « d’attaques, de menaces ou de pressions » en lien avec leurs enquêtes sur des questions environnementales. En France, sur fond de criminalisation du militantisme écologiste, la situation devient aussi inquiétante.
Menaces, pressions et violences se concentrent sur les journalistes traitant d’écologie
85 % des journalistes concernés disent avoir fait l’objet de menaces ou de pressions psychologiques, 60 % ont été victimes de harcèlement en ligne, 41 % d’agressions physiques et 24 % ont déclaré avoir été attaqués sur le plan juridique. Près de la moitié disent s’autocensurer par crainte de représailles, de voir leurs sources dévoilées, ou parce qu’ils sont conscients que leurs articles entrent en conflit avec les intérêts de parties prenantes concernées.
Un article paru le
Ces données montrent également que les femmes journalistes sont plus exposées que les hommes au harcèlement en ligne.
44 assassinats en quinze ans
Dans le cadre de la publication de cette enquête, l’Unesco a également révélé qu’au moins 749 journalistes et organes de presse traitant de questions environnementales ont été « la cible de meurtres, de violences physiques, de détentions et d’arrestations, de harcèlement en ligne ou d’attaques juridiques » au cours de la période 2009-2023.
Une augmentation de 42 % des cas a été relevée entre 2019 et 2023 par rapport à la période précédente (2014-2018). L’Unesco rappelle qu’au moins 44 journalistes traitant des questions environnementales ont été tués depuis 2009 dans quinze pays, dont 30 en Asie-Pacifique et 11 en Amérique latine ou dans les Caraïbes. 24 autres ont survécu à des tentatives de meurtre.
En tout, seulement cinq de ces assassinats ont donné lieu à des condamnations, soit « un taux d’impunité choquant de près de 90 % », souligne l’Unesco.
Les journalistes environnementaux sont confrontés à des risques croissants car leur travail « recoupe souvent des activités économiques très rentables, telles que l’exploitation forestière illégale, le braconnage ou le déversement illégal de déchets », fait remarquer l’Unesco, qui appelle à un renforcement du soutien aux journalistes spécialisés dans les questions environnementales.
Soulignant que « la désinformation liée au climat est omniprésente sur les réseaux sociaux », l’agence onusienne et sa directrice générale Audrey Azoulay rappelle : « Sans informations scientifiques fiables sur la crise environnementale en cours, nous ne pourrons jamais espérer la surmonter. »
La situation empire en Europe
S’il n’y a pas de morts à déplorer dans les démocraties occidentales, la situation n’en est pas moins préoccupante en Europe, et particulièrement en France où la lutte contre les mégabassines agricoles ne cesse de monter en puissance.
Le mouvement des Soulèvements de la terre (qui rassemble syndicats, politiques, associations environnementales ou zadistes) a fait l’objet d’une vive répression. Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a même souhaité dissoudre le groupe après avoir dénoncé « l’écoterrorisme » à l’œuvre à Sainte-Soline dans les colonnes du Journal du dimanche.
Depuis, une même pression s’est déployée autour de la lutte contre l’autoroute A69, au point que le rapporteur spécial de l’ONU Michel Forst s’est rendu sur place, faisant écho aux excès et dérapages autour des ZAD de Sivens, de Bure ou de Notre-Dame-des-Landes. À chacune de ces luttes, la remise en cause des enquêtes journalistiques mettant au jour les mensonges et omissions des pouvoirs en place se poursuivent, de la mort de Rémi Fraisse jusqu’à la dénégation des responsabilités des forces de l’ordre pointées à Sainte-Soline, en passant par nos enquêtes sur la surveillance extrême des militants antinucléaires de Bure, ou d’autres mouvements.
La difficulté d’exercice du métier de journaliste sur ces terrains, comme l’absence de réponses d’un pouvoir sécuritaire aux questions de la presse indépendante, interpelle. Les intérêts privés français ne sont pas en reste face au journalisme écologique. Le droit de la presse a récemment été contourné, pour criminaliser jusqu’à la couverture des résistances citoyennes, comme ce fut le cas pour le journaliste de Reporterre Grégoire Souchay, ou pour attenter au secret des sources de certaines enquêtes, comme ce fut le cas pour le média Le Poulpe convoqué devant le tribunal de commerce.
D’autres sont aussi menacés physiquement pour avoir dérangé les lobbies de l’industrie agroalimentaire sur lesquels ils enquêtent, telle la journaliste bretonne Morgan Large (membre du conseil d’administration du média Splann !), qui a dû de nouveau porter plainte en mars 2023 après un second sabotage de sa voiture.
La rédaction de Mediapart (avec AFP)