Quand la Démocratie Corinthiane, club de foot brésilien défiait la dictature …

La belle histoire de « La Démocratie Corinthiane » démarre au Brésil, berceau du football mais oppressé par des décennies de dictature militaire. Depuis 1964, le foot n’est qu’un instrument entre les mains des militaires pour asseoir leur régime et conserver le pouvoir. Pourtant l’équipe des Corinthians va adopter un modèle de gouvernance  démocratique basé sur l’autogestion : une initiative unique dans l’histoire du sport !

La nouvelle série« La Fièvre » diffusée actuellement sur Canal+ conjugue football et emballement médiatique en faisant référence à « La Démocratie Corinthiane « . France Culture raconte comment les footballeurs Corinthians sont entrés dans la légende du sport brésilien . Une vidéo de 4′ 40″…


Un article publié par football-the-story.com

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Crédit photo: ©Jùlia Brancaglione Cristofi
La dictature militaire au Brésil arrive au pouvoir avec le coup d’État du 31 mars 1964, mené par le maréchal Castelo Branco renversant ainsi le président élu João Goulart. Il supprime les élections au suffrage direct et emprisonne les opposants. C’est la fin de la Deuxième République et le début des années sombres d’une terrible dictature qui va durer jusqu’en 1985. La prise du pouvoir est justifiée par une dérive sécuritaire qui se cache derrière la menace communiste toute proche incarnée par Cuba.
Dans ce contexte avec l’importance qu’il a dans le cœur des Brésiliens, le football est bien évidemment encadré par la junte militaire. Le régime a la main sur toutes les décisions lié au ballon rond, les constructions de stades évidemment mais aussi les promotions des uns ou les titres des autres. Les joueurs dans tout cela n’avaient pas grand-chose à faire valoir. Hormis quelques stars, le commun des mortels vit dans une situation souvent précaire avec des droits réduits au minimum. Propriétés de leur club sans aucune condition, les footballeurs brésiliens étaient infantilisés par des présidents de club corrompus et avides de réussite sociale. « Quatre-vingt-dix pour cent des joueurs ont une condition de vie inhumaine. Soixante-dix pour cent gagnent mois que le salaire minimal. Si les joueurs l’acceptent, [les dirigeants] sont paternalistes. Sinon, ils sont autoritaires.« , déclarait Socrates.
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Photo: ©DR
La grande aventure Corinthiane démarre en 1981 dans un contexte sportif difficile pour le club. En effet, les résultats du club de Sao-Paulo sont catastrophiques. À la surprise générale, le président de l’époque, Waldemar Pires, un homme d’affaires de São Paulo, décide de confier la direction de l’équipe à un jeune sociologue de 35 ans, Adilson Monteiro Alves qui s’était frotté au régime dictatorial dans sa jeunesse, ce qui lui avait valu plusieurs séjours en prison. Héritier de la tradition familiale, Monteiro Alves est le fils d’un précédent directeur sportif des Corinthians. Ce dernier se tourne alors vers les joueurs et leur demande quelles pourraient être les solutions pour sortir le club de la crise. C’est du jamais vu au Brésil! Les joueurs y voit l’occasion de changer le mode de fonctionnement de l’équipe et la possibilité d’installer la démocratie à l’échelle du club. Parmi eux, on retrouve notamment Wladimir, arrière-gauche talentueux et syndicaliste engagé, Casagrande, jeune avant-centre prolifique fan de rock’n roll, et surtout Socrates, joueur de classe mondiale.
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Photo: ©Meu Timao
À l’époque, Socrates est la star de l’équipe. Arrivé au club en 1978, soit trois ans plus tôt, il est international auriverde depuis 1979 et s’impose dans le fameux milieu de terrain brésilien. Mais au-delà d’être juste une icône sur le terrain, Socrates était un cas à part puisqu’il avait réussi à décrocher un doctorat en médecine de la prestigieuse faculté de San Paulo, faisant figure d’exception dans le milieu du football.
 Au sein de l’équipe, les réunions s’enchaînent. Toutes les décisions sont prises à la majorité, à la suite d’un vote auquel participent tous les employés du club, joueurs, staff technique, personnel administratif jusqu’au jardinier chargé de l’entretien de la pelouse selon le principe simple: un votant égale une voix. Le mode d’entraînement, le système de jeu et la redistribution des bénéfices sont votés. La décision la plus symbolique et la plus connue est sans aucun doute l’élection de l’entraîneur. C’est ainsi qu’ils nomment Zé Maria, ancien joueur de Corinthians et champion du monde en 1970, entraîneur du club, qui poursuit également une carrière de conseiller municipal. C’est la seule fois dans l’histoire du football qu’une telle chose se produit. Au fur et à mesure que l’expérience se développe, de nouvelles mesures fortes mais sans doute moins médiatiques sont prises: la mise au vert (concentração) est abandonnée car jugée dé-responsabilisante, voire infantilisante, les décisions concernant les recrues qui rejoindront le club sont débattues et prises collectivement.
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Photo: ©Revista Obdulio

Très vite, l’équipe domine le championnat de Sao Paulo, en remportant deux fois de suite le championnat Paulista, en 1982 et en 1983, pratiquant de plus un football attractif. Un jeu qui fera dire au défunt Eduardo Galeano, grand auteur uruguayen, que « Tant que dura la démocratie, les Corinthians, gouvernés par ses joueurs, offrirent le football le plus audacieux et le plus éclatant de tout le pays et le club attira les plus grandes foules dans les stades. » Un statut qui va permettre au club de devenir un véritable symbole de lutte contre le pouvoir en place. Alors que les sponsors maillots deviennent légions dans le football, les joueurs eux préféreront inscrire deux mots au dos de leurs maillots: « Democracia Corinthiana ». En novembre 1982, le régime alors en perte de vitesse autorise l’élection du gouverneur de São Paulo, la première élection démocratique depuis le coup d’État de 1964. Les joueurs du Corinthians entrent alors sur la pelouse avec comme inscriptions sur leurs maillots des messages incitant les citoyens à aller voter. Le régime semble déborder par ces footballeurs et leurs idées révolutionnaires. L’année suivante, à l’occasion de la finale pauliste, ils entrent sur le terrain avec une banderole « Gagner ou perdre, mais toujours en démocratie ». Ils gagnent. 1-0, but de Socrates. Un nouveau pied de nez à la junte.

Accentué par Gilberto Gil qui ira jusqu’à composer une chanson en l’honneur de la démocratie corinthiane. Socrates va jusqu’à refuser une offre d’un club européen pour rester fidèle au Corinthians une année supplémentaire et ainsi faire peser de tout son poids son combat pour la démocratie au Brésil. Le mouvement va prendre de l’ampleur dans tout le pays et devenir un des symboles de l’élan démocratique qui anime le Brésil.

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Photo: ©Antonio Lucio/Agencia Estado/AFPforum
« Nous exercions notre métier avec plus de liberté, de joie et de responsabilité. Nous étions une grande famille, avec les épouses et les enfants des joueurs. Chaque match se disputait dans un climat de fête (…) Sur le terrain, on luttait pour la liberté, pour changer le pays. Le climat qui s’est créé nous a donné plus de confiance pour exprimer notre art« , raconte le buteur. Paradoxalement, l’aventure s’essoufflera au moment où la bataille sera en passe d’être gagnée sur le terrain politique national. Socrates rejoint la Fiorentina en 1984, regrettant notamment que l’expérience ne se soit pas étendue aux autres équipes. Tandis que la transition démocratique s’amorce, une ultime manipulation des vieux dirigeants du club leur permet d’en reprendre les rênes lors des élections d’avril 1985 et d’écarter les contestataires.
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Photo: ©Placar
Nourri de cette éducation, Sócrates a réussi à faire des études secondaires brillantes. Elles lui ont permis de commencer des études supérieures de médecine qu’il a reprises à la fin de sa carrière de footballeur et qui lui valaient le surnom de « O Doutor », le « Docteur », comme le rappelaient les manifestations d’hommage assez émouvantes suite à son décès en 2011, à l’âge de 57 ans, des dégâts causé par un alcoolisme dont il n’avait pas hésité à parler ouvertement. À côté de son parcours peu commun, c’est aussi la légende qui s’est mise à entourer le personnage notamment après son passage en Europe, et sa capacité à l’entretenir en répondant toujours volontiers aux questions sur cet épisode de sa vie, qui expliquent que son nom soit systématiquement associé de nos jours à la démocratie corinthiane.
Cette révolution reste encore aujourd’hui sans équivalent dans le Monde. Ce moment de grâce devenu unique dans l’histoire du sport nous renvoie aux contradictions du sport business. Une notion ardemment combattue par Socrates dans sa carrière post-footbalistique qui donne une notoriété et une rémunération sans égale à certains sportifs. Pourtant en contrepartie, très peu semblent s’intéresser à la société et ainsi agir avec une vraie conscience politique, comme si leurs salaires étaient le prix de leur silence ou les limites de leur impuissance de citoyens.
Depuis, cette histoire a été abondamment racontée dans des films documentaires (Forti Leitão & Biasi, 2011 ; Perez & Rof, 2012), des articles de journaux et de nombreux entretiens avec celui qui en est devenu la figure emblématique et médiatique, Sócrates Brasileiro (Tryhorn, 2012 ; Latta, 2004) et même au moins un article universitaire (Shirts, 1988). Voici ci-dessous plusieurs ressources en français–↓

RESSOURCES DOCUMENTAIRES

Livres :
– La « démocratie corinthiane », un exemple d’organisation créative dans le football au temps de la dictature brésilienne, David Ranc et Albrecht Sonntag, Humanisme et Entreprise 2013/3 (n° 313), pages 3 à 18
– Une histoire populaire du football, Mickaël Correia, éditions La Découverte, 2018
– Docteur Socrates : Footballeur, philosophe, légende, de Andrew Dowie, Solar éditions, 2017
– Histoire du football au Brésil, Michel Raspaud, éditions Chandeigne, 2010
– Brésil, pays du ballon rond, Betty Milan, éditions de l’Aube, 1998
– Histoire du Brésil, Armelle Enders, éditions Chandeigne, 1997

Articles :
– Sócrates et la Démocratie corinthiane, de Jérôme Latta sur Les Cahiers du football, 4 décembre 2011
– La démocratie corinthiane, entre autogestion et résistance, de Guillaume Monteiro sur Ecofoot, 1er octobre 2018
– La démocratie corinthiane, quand la politique s’invite au stade, de Lilian Fermin sur Le Corner, 7 mai 2019
– Corinthians : Le football contre le coup d’état, de Bastien Poupat sur So Foot, 20 juillet 2016

Films :
– Démocratie en noir et blanc – documentaire réalisé par Pedro Asbeg en 2014 (1h32) Production TvZero
– Les Rebelles du football – documentaire réalisé par Gilles Rof et Gilles Perez en 2012 (1h31) 13productions
– Sur la route avec Socrates – documentaire réalisé par Niko Apel et Ludi Boeken en 2014 (1h26) LuFilms

Musiques :
– Gilberto GIL : Toda menina baiana
– CAJU & CASTANHA : Truva de corinthians X sao paulo
– Arlindo CRUZ : Tatu bom de bola


A visionner en complément :

a Démocratie Corinthiane : un club de FOOT brésilien engagé pour la Démocratie …

Une vidéo de 8’01 » signée Rom & Ash


SOCRATES, LE DOCTEUR – CONTES DE FOOT

Une vidéo de 10′ 07″ signée  Contes de foot