De Nice à Cannes, 30 km en jet privé !

Ce 13 mars 2024, des associations se sont mobilisées pour réclamer le plafonnement du trafic aérien afin de réduire les pollutions et les nuisances sonores. Exemple dans le département des Alpes-Maritimes qui enregistre un trafic de jets privés en pleine croissance comme à l’aéroport de Cannes-Mandelieu … situé à seulement 30 km de celui de Nice !

Vroum ! À Cannes, les jets privés assomment les habitants

Un article signé Mathilde Frénois dans Reporterre du 14 mars 2024

Le 13 mars 2024, une manifestation était organisée lors de la journée européenne de mobilisation pour le plafonnement du trafic aérien. – © Mathilde Frénois / Reporterre

Ils saturent. Dans les Alpes-Maritimes, des habitants ont manifesté pour réclamer la fermeture de l’aéroport Cannes-Mandelieu. Le vrombissement incessant des jets privés leur gâche la vie.

Un son vrombissant et sifflant sort du mégaphone d’Albert Dauphin. Il imite le survol d’un jet privé au-dessus de Grasse, la sous-préfecture des Alpes-Maritimes. « C’est le même bruit et le même volume. Mais ça dure plus longtemps à chaque passage », dit, mercredi 13 mars à midi, le président azuréen de l’Association de défense contre les nuisances aériennes (Adna). Il habite lui-même sous la trajectoire d’envol et d’atterrissage de l’aéroport de Cannes-Mandelieu.

Il profite de la manifestation organisée lors de la journée européenne de mobilisation pour le plafonnement du trafic aérien pour remettre en main propre une lettre au sous-préfet demandant la fermeture de la plateforme. Dans le cortège, auprès d’Albert Dauphin, vingt manifestants réclament a minima la diminution des nuisances sonores et de la pollution des jets privés. Tous habitent sous la trajectoire des avions.

« Pour le confort d’un seul client, un jet en dérange 50 000 »

L’aéroport de Cannes-Mandelieu fût le premier à ouvrir sur la Côte d’Azur. « Au départ, en 1930, c’était une simple piste avec de petits avions, relate Albert Dauphin. Ça a grossi petit à petit. Aujourd’hui, des jets de 35 tonnes se posent. » L’association recense 72 000 mouvements par an, dont 60 à 70 % entre mai et octobre. Près de 13 000 décollages et atterrissages concernent les jets privés, le reste étant dû aux hélicoptères et à la petite aviation.

« Ils passent au-dessus de nos têtes pendant 15 kilomètres, à moins de 150 mètres d’altitude. » © Mathilde Frénois / Reporterre

Toutes les nuits, et la journée quand le vent le permet, les pilotes manœuvrent au-dessus de la mer. Sinon, ils survolent la terre, avec une trajectoire en forme de trombone. « Ils passent au-dessus de nos têtes pendant 15 kilomètres, à moins de 150 mètres d’altitude, constate Albert Dauphin. Pour le confort d’un seul client, un jet dérange 50 000 personnes sur la zone. » Quand il déjeune dans son jardin, il est contraint d’arrêter de parler. Le bruit des avions couvre le son de la voix.

Jusqu’à 57 jets en une journée

Laurent Simon ne fait jamais la sieste sans ses bouchons d’oreille. Ce jeune retraité a compté jusqu’à cinquante-sept jets dans la journée. Sur son téléphone, il montre au sous-préfet la vidéo d’un avion rasant le toit de sa maison. Les survols redoublent pendant le Festival du film de Cannes, et pendant le Mipim, plus grand salon professionnel de l’immobilier, en ce moment même à Cannes. « C’est la densité qui pose problème, pointe Laurent Simon, qui habite La Roquette-sur-Siagne, une ville survolée par les avions. L’aberration, c’est qu’on a un autre aéroport à 30 kilomètres. » Cet autre aéroport, à Nice, est le deuxième de France : en 2023, il a enregistré un trafic de 14,2 millions de passagers qui ont embarqué avec 58 compagnies pour 116 destinations. En transit, certains passagers ont décollé à Nice et atterri à Cannes – au lieu de relier les deux villes par la route en taxi.

L’aéroport Cannes-Mandelieu propose aussi une offre de stationnement : les aéronefs y atterrissent alors à vide. Hélène Delevoie, responsable d’une agence immobilière à la Roquette, a relevé cinquante-six vols Nice-Cannes en août. « Avoir deux aéroports si proches, c’est indécent, insiste-t-elle. Celui de Cannes est destiné aux privilégiés. » Laurent s’intéresse au plan de vol des avions. L’année dernière, il a remarqué qu’un jet privé Genève-Cannes volait exactement en même temps qu’un vol commercial Genève-Nice. Le premier a duré 43 minutes, le second 40 minutes : « C’était plus rapide avec Easyjet ! Donc ce n’est pas un gain de temps, c’est juste pour être peinard, dénonce-t-il. Ce qui intensifie le trafic, ce sont ces jets privés. »

Les manifestants s’inquiètent aussi pour le risque de crash et l’augmentation de la pollution. « On prend toutes les particules, poursuit Laurent. L’été dernier, on ne pouvait pas arroser le jardin ni remplir la piscine. Et eux, ils polluent. C’est une aberration. » Contacté par Reporterre, le groupe qui possède les deux aéroports azuréens n’a pas souhaité réagir. Sur son site, la plateforme de Cannes-Mandelieu présente « une charte d’engagement pour l’environnement ». Elle s’engage à « maîtriser les nuisances » et à « réduire l’empreinte écologique ».

Le sous-préfet de Grasse, Jean-Claude Geney, reçoit les manifestants sur le perron de la sous-préfecture. Il s’engage à faire remonter les doléances au préfet, puis au ministère. Au-delà de la baisse des nuisances, l’Adna demande la fermeture de l’aéroport Cannes-Mandelieu. « Aucun acteur politique et économique, à aucun moment, n’a exprimé une volonté de fermeture de la plateforme », indique Jean-Claude Geney. De nouvelles trajectoires terrestres ont été étudiées. Mais les troubles se reportant sur d’autres territoires, ces plans de vol n’ont pas été retenus. En ce qui concerne la baisse des nuisances, le président de l’association Albert Dauphin demande qu’au moins les avions arrêtent de tourner dans les airs en attendant de pouvoir atterrir. Pour libérer le ciel au-dessus des maisons.


Aéroports : une mobilisation inédite réclame de limiter les vols

Un article signé Jeanne Cassard dans Reporterre du 13 mars 2024

 

C’est une première depuis le début de la pandémie. Avec plus de 169 millions de passagers en 2023, le trafic aérien français a retrouvé son niveau de 2019 et le trafic mondial pourrait bien doubler d’ici 2040. C’est donc ça le monde d’après ? Pour le réseau Rester sur Terre et l’Union française contre les nuisances des aéronefs (UFCNA), la réponse est non. Face à l’urgence, les militants pour le climat et les riverains d’aéroports ont décidé pour la première fois d’unir leur force pour demander le plafonnement du trafic aérien au-dessous du niveau de 2019.

Après avoir lancé une pétition adressée au ministre des Transports, Patrice Vergriete, les deux organismes préparent une mobilisation d’ampleur. Roissy, Orly, Toulouse, Nice, Marseille, Lille… Rester sur Terre et l’UFCNA appellent à les rejoindre mercredi 13 mars dans vingt-deux villes de France.

Le trafic aérien participe à la surexposition au bruit de millions de personnes. Kevin Woblick / Unsplash

Parmi leurs revendications, les associations réclament également la mise en place d’un couvre-feu dans tous les aéroports, aérodromes et héliports du pays. Elles se rendront ensuite au ministère des Transports vendredi 15 mars.

Si les luttes convergent, « c’est parce que cette folle croissance n’est soutenable ni pour le climat, ni pour les millions de personnes qui subissent nuit et jour le bruit et la pollution des aéronefs », explique Charlène Fleury, coordinatrice du réseau Rester sur Terre. Pour elle, nous sommes face à « trois menaces vitales : le bruit, les pollutions atmosphériques et les émissions de gaz à effet de serre ».

9 millions de Français surexposés au bruit

Le bruit d’abord. Selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), 25 millions de métropolitains subissent les nuisances sonores du transport routier et aérien, dont 9 millions sont surexposés au bruit. Des nuisances qui ont une incidence sur la santé.

« La surexposition au bruit est un facteur de risque cardio vasculaire », dit Pierre Souvet. Le cardiologue et président de l’association Santé environnement France s’appuie sur un rapport de l’agence européenne de l’environnement selon lequel la surexposition au bruit entraîne 900 000 cas d’hypertension artérielle chaque année. Et ce n’est pas tout : « troubles du sommeil, de l’apprentissage, anxiété, dépression, le bruit perturbe notre système hormonal et le stress augmente », poursuit-il.

Malgré l’existence de directives européennes, qui imposent des plans de réduction du bruit aérien, « ce n’est pas respecté et le bruit continue à augmenter autour des plateformes aéroportuaires », constate Chantal Beer-Demander, présidente de l’UFCNA et riveraine de l’aéroport de Toulouse.

« L’avion est seulement utilisé par une minorité de personnes »

Il y aussi la pollution de l’air qui provoque plus de 250 000 décès en Europe chaque année. Or, les particules ultrafines émises par les réacteurs d’avion ne sont ni réglementées ni mesurées. « La pollution atmosphérique des aéroports reste la grande oubliée des politiques de qualité de l’air », déplore Chantal Beer-Demander.

Du côté de l’environnement, selon la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), l’aviation commerciale pesait pour 6,8 % des émissions de CO2 en France en 2021. Un chiffre non négligeable lorsque l’on sait que « entre 30 % et 40 % des Français ne le prennent jamais », rappelle Alexis Chailloux, responsable aérien au réseau action climat.

Or, poursuit-il, « ce chiffre prend seulement en compte le CO2, pas les autres gaz à effet de serre comme les traînées blanches dans le sillage des avions qui provoquent un important effet de serre et ont des effets deux fois plus réchauffants que la seule combustion du CO2 ». Par ailleurs, les mécanismes de compensation carbone visant à alléger la conscience écologique des voyageurs aériens ne sont pas efficaces : 95 %, des crédits carbone ne permettent aucun bénéfice climatique, selon une enquête menée par plusieurs médias internationaux dont The Guardian.

L’exemple d’Amsterdam

Et ce n’est pas la peine de compter sur la technologie. Pour remplacer le kérosène, « les solutions comme l’hydrogène, les biocarburants ou les carburants de synthèse ne sont à ce jour pas suffisantes, aucune n’a la moindre chance d’être développée à grande échelle à temps », rappelle Alexis Chailloux. Le plafonnement du trafic aérien est ainsi la seule issue.

À ceux qui disent que c’est impossible, le gouvernement néerlandais a récemment prouvé le contraire. En 2022, il a pris la décision historique de plafonner le trafic de l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol à 440 000 mouvements/an, en dessous du niveau de 2019, soit une baisse de trafic de 12 %. Pas encore effective, cette décision a suscité une levée de boucliers de la part des principales compagnies aériennes dont KLM qui a porté plainte contre l’État. L’affaire est désormais entre les mains de la cour de cassation néerlandaise. Si on attend le jugement d’ici le deuxième trimestre 2024, « ça montre que c’est possible politiquement aux Pays-Bas, alors pourquoi pas chez nous ? » s’interroge Charlène Fleury.

Les lignes aériennes intérieures toujours pas interdites

Clément Beaune, le prédécesseur de Patrice Vergriete, s’était engagé en mai dernier à étudier des scénarios de plafonnement dans le cadre des procédures d’étude d’impact selon l’approche équilibrée (EIAE) des aéroports franciliens. Dans le cadre de ces dispositifs, le préfet reçoit séparément les associations de riverains, élus et représentants de l’aéroport pour élaborer des scénarios de réduction du bruit. À l’heure actuelle, des études sont réalisées pour les huit aéroports français les plus fréquentés (Roissy, Orly, Marseille, Toulouse, Bordeaux, Beauvais, Le Bourget, Bâle-Mulhouse).

Mais cette procédure ne rassure pas les associations : « Il y a une certaine opacité autour de ces réunions, on n’a pas accès aux comptes-rendus », déplore Chantal Beer-Demander. Elle craint que dans la balance, les menaces pour la santé et le climat soient mises au même niveau que les intérêts économiques.

Le nombre de passagers dans les avions, que le début de la pandémie de Covid-19 avait forcé à décroître, a désormais dépassé le niveau de 2019. Jc Gellidon / Unsplash

Enfin, difficile de croire à un plafonnement des vols lorsque l’on sait que les lignes aériennes intérieures ne sont toujours pas interdites, même quand il existe une courte alternative en train. Cette interdiction était censée être l’une des mesures phares de la loi Climat et Résilience, promulguée en août 2021. Mais le décret d’application publié près de deux ans après contient tant de dérogations qu’il en devient inutile.

Toutes ces raisons énoncées, les associations françaises vont devoir faire du bruit afin de faire entendre leurs revendications. Elles pourront en tout cas compter sur les voix de leurs voisins européens. Tandis que les associations de riverains des cinq aéroports les plus fréquentés d’Europe (Paris-Charles de Gaulle, Londres-Heathrow, Madrid-Barajas, Francfort et Amsterdam-Schiphol) ont publié ensemble une tribune dans le journal Libération pour demander le plafonnement du trafic. Des mobilisations sont également prévues à Madrid, Francfort et Liège le mercredi 13 mars.


Lire par ailleurs sur Prendreparti à propos des Jets Privés …

Et pendant ce temps les ultrariches se déplacent en jet privé …