Les électeurs chiliens sont appelés à se prononcer ce dimanche 17 décembre sur un projet de nouvelle Constitution rédigé par la droite et l’extrême droite, quatre ans après le vaste mouvement social qui avait conduit un président de gauche à la tête du pays. Le texte est hérité de la dictature Pinochet. Comment vont se comporter les électrices et électeurs chiliens ?
Un an après avoir rejeté le texte porté par les progressistes, les électeurs sont à nouveau appelés à se prononcer, ce dimanche, sur une Charte fondamentale, cette fois rédigée par l’extrême droite. Elles semblent si loin, désormais, les illusions de la gauche chilienne. Quatre ans seulement après l’estallido, levaste mouvement socialqui avait rassemblé des centaines de milliers de personnes dans la rue contre la hausse des prix et les inégalités sociales, et deux ans aprèsl’élection du président de gauche Gabriel Boric, qui avait promis de débarrasser le pays de sa Constitution héritée de la dictature militaire d’Augusto Pinochet
Chili : la fin de la campagne référendaire perturbée par des arrestations de proches du pouvoir
Au Chili, la coalition gouvernementale de Gabriel Boric continue d’être éclaboussée par un vaste scandale de corruption qui a éclaté il y a six mois. Deux personnes, qui étaient membres d’un parti proche de celui du président, ont été arrêtées cette semaine dans le cadre de l’enquête. Des détentions qui surviennent la veille de la fin officielle de la campagne pour le référendum de dimanche sur la nouvelle Constitution.
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Ils sont quelques dizaines de militants de droite, favorables au nouveau texte constitutionnel, regroupés dans le quartier des affaires pour une dernière mobilisation avant le vote de dimanche.
Parmi eux, Cristelle, qui pense notamment que le nouveau texte pourrait résoudre la corruption. « La corruption dans notre pays, ce sont des millions de pesos qui étaient destinés aux plus pauvres mais qu’ils ont emportés avec eux », regrette-t-elle au micro de notre
Elle fait référence à la récente arrestation de deux personnes soupçonnées de fraude, trafic d’influence et corruption. Daniel Andrade y Carlos Contreras, mise en cause dans l’affaire « Convenios », sur de l’argent public attribué de façon supposément indue à des fondations privées.
Ils étaient membres d’un parti proche de celui du président Gabriel Boric, Revolución demócratica, dont ils ont depuis été exclus. « Il faut en finir avec la corruption ! »
De son côté, l’extrême droite chilienne – qui a écrit la proposition de Constitution — se frotte les mains et tente de tirer profit de la situation, tout en décrédibilisant la gouvernance de Gabriel Boric.
Beatriz Hevia, avocate d’extrême droite du Parti républicain, est l’ancienne présidente du Conseil constitutionnel. « Ceux qui veulent moins de corruption en politique et plus de transparence, il faut qu’ils votent “pour” la nouvelle Constitution, car elle garantit tout cela. Je suis confiante et cette proposition de Constitution freinera la corruption. »
Même s’ils ne se sont pas prononcés publiquement, le président Boric et sa coalition de gauche voteront, « contre », la nouvelle Constitution. Les derniers sondages indiquent également que le texte pourrait être rejeté …
Chili : derniers jours de campagne dans un climat tendu
Les Chiliens votent dimanche 17 décembre 2023 pour le référendum sur la nouvelle Constitution. Le texte actuel est hérité de la dictature d’Augusto Pinochet. Depuis quatre ans, le Chili a entamé des procédures pour le changer. Une première mouture a échoué à être adoptée. La nouvelle est bien plus conservatrice.
Au Chili, les électeurs devront voter « oui » ou « non » pour cette nouvelle Constitution, dont le texte a été pensé par l’extrême-droite, majoritaire au sein du conseil rédactionnel. Depuis trois semaines, deux camps s’opposent et font campagne pour convaincre la population. Dans un quartier populaire de la capitale, Santiago, notre correspondante Naïla Derroisné constate des tensions auprès des militants qui font campagne.
L’un d’eux est visé par un jet de bouteille et met justement l’accent sur l’insécurité : « Cette nouvelle Constitution donne des outils à l’État et aux autorités afin que la sécurité devienne une réalité et ne soit plus seulement une aspiration », explique Sebastian qui distribue des tracts aux passants pour les inciter à voter « oui », ce dimanche. Cette Constitution « soutient les policiers, expulse les migrants illégaux. Elle instaure aussi une police aux frontières », précise-t-il. Avec ces arguments, il réussit à convaincre une passante : « Il ne faut plus laisser entrer les étrangers car ils mettent le désordre, ils m’ont déjà volé deux téléphones. Je vais voter pour la nouvelle Constitution ».
Plus loin, sur un autre marché, ce sont les partisans du « non » qui font campagne, comme Eduardo : « Certaines personnes me disent qu’elles vont voter pour ce texte qui pourtant ne garantit pas les droits sociaux. Je ne comprends pas ». L’année précédente, il avait défendu la première proposition qui a finalement été rejetée. Avec le recul, une autre militante, Jenny, est déçue de tout ce processus : « L’extrême-gauche et l’extrême-droite ont été irresponsables. Ils n’ont jamais cherché le consensus ni des propositions communes qui bénéficieraient à tous », regrette-t-elle.
Le texte conservateur est loin de remettre en cause le système néolibéral défini par la dictature. Il pourrait aussi marquer un retour en arrière pour les droits des femmes en revenant sur la loi qui autorise l’avortement. Selon les sondages, le texte a peu de chances de s’imposer.
« Chili. Voter contre pour mener la lutte pour une véritable souveraineté populaire »
Une Tribune de Claudio Figueroa, membres de l’association d’Ex Prisonniers Politiques Chiliens en France. parue dans L’Humanité du 15.12.23 …Le 12 décembre à Santiago. Des manifestants se mobilisent contre le projet de nouvelle Constitution. Photo : Pablo Vera/AFP
« Dimanche 17 décembre se tient un “référendum constitutionnel”. Immédiatement après que le gouvernement dictatorial de Pinochet a imposé sa Constitution aux Chiliens en 1980, l’ensemble de l’opposition a manifesté son rejet, la considérant comme illégitime dans sa conception car elle n’exprimait pas la volonté souveraine du peuple, et exigeait l’installation d’une Assemblée Nationale Constituante. Cependant, un accord entre les dirigeants des partis politiques d’opposition et la dictature, où a été acceptée la Constitution, a ouvert un processus de transition vers la démocratie. Trente-trois ans plus tard, ce processus de transition n’est toujours pas achevé.
Face au danger de paralysie en raison des immenses mobilisations à travers le pays en 2019, l’élite politique s’est engagée à organiser un changement constitutionnel, tout en prenant des précautions pour maintenir le contrôle, en dressant des obstacles et des limites à la nouvelle proposition qui pourrait voir le jour et aller à l’encontre de ses intérêts.
Pour le vote de dimanche 17 décembre, le parlement s’est octroyé un pouvoir de décision sur la méthode d’élaboration de ce nouveau projet de constitution (mode d’élection des représentants, comité d’experts, etc.) et les Chiliens devront se prononcer sur un texte écrit dans leur dos que ne correspond pas à leurs aspirations. Le texte présenté répond aux intérêts de la droite et de l’extrême droite, qui cherchent à travers cette nouvelle Constitution, à accentuer leur pouvoir en donnant une légitimité à ce que Pinochet avait imposé par la force et la répression.
Le modèle chilien actuel centralise la richesse, le pouvoir politique et le contrôle de presque tous les médias écrits et audiovisuels entre les mains de quelques-uns. Cette élite dirigeante n’a jamais eu l’intention de perdre quoi que ce soit de ce pouvoir. Dans les années 1980, les Chiliens sont descendus dans la rue, défiant la répression pour exiger la fin de la dictature, le rétablissement d’une démocratie où le peuple serait souverain, ainsi que le changement du modèle économique et social imposé à feu et à sang. En 2019, ils sont a nouveau descendus dans la rue, subissant une nouvelle fois la répression, pour exiger une Assemblée constituante et des changements radicaux dans le système politique et économique.
Dimanche prochain, la droite et l’extrême droite appellent à voter pour l’approbation du nouveau projet de Constitution. Déjà lors du dernier plébiscite de septembre 2022, face à une première proposition de changement constitutionnel, elles avaient utilisé toute leur puissance économique et médiatique pour empêcher l’approbation d’un projet constitutionnel qui, sans être parfait, contenait des avancées importantes en matière des droits sociaux, politiques et économiques pour tous les Chiliens. Depuis lors, la droite se sent fort et défend ouvertement Pinochet et la dictature car elle est majoritaire dans la commission qui a rédigé la nouvelle proposition. Dans celle-ci, elle a approfondi le caractère inégal, antidémocratique et élitiste du modèle politique et économique qui gouverne actuellement le Chili. Voter contre cette proposition nous permettra d’infliger une défaite à cette droite et extrême droite qui pensent que leur voie est déjà toute tracée pour la conquête du pouvoir lors des prochaines élections présidentielles de 2025.
Un processus constituant véritablement démocratique doit garantir que la souveraineté soit librement exercée par le peuple sans être soumise au contrôle des élites dominantes. Ce dimanche 17 décembre, nous appelons à voter contre la proposition de nouvelle Constitution mais aussi contre la manière dont les élites se sont approprié ce processus.
Les revendications soulevées par la majorité des Chiliens n’ont reçu aucune réponse, ni au début de la transition en 1990, ni aujourd’hui, trente ans plus tard. La lutte des Chiliens pour une vie digne ne s’arrêtera pas avec ce plébiscite, mais vaincre la droite peut ouvrir une nouvelle étape dans la reconstruction d’un mouvement unitaire et coordonné de tous les secteurs sociaux qui luttent aujourd’hui pour leurs droits sociaux, politiques et économiques. » Claudio Figueras.
Chili: à la veille du référendum, les féministes appellent à rejeter une Constitution «médiévale»
Au Chili, les mouvements féministes sont en alerte à la veille du référendum sur la nouvelle Constitution, prévu, dimanche 17 décembre. Si le projet de loi fondamentale est approuvé, le nouveau texte remplacerait celui actuellement en vigueur, écrit pendant la dictature. Mais les féministes chiliennes appellent à rejeter le texte, car elles considèrent qu’il est pire que l’actuelle Constitution. Publié par RFI avec la correspondante à Santiago, Naïla Derroisne
« Nous sommes contre l’imposition de leur morale conservatrice et médiévale », scandent en chœur et en boucle les quelques dizaines de femmes réunies aux abords de la Bibliothèque nationale.
« Nous pourrions perdre des droits que nous avons acquis il y a peu, par exemple la loi sur l’IVG [interruption volontaire de grossesse – NDLR] limitée à trois conditions qui a été approuvée en 2017. Et bien cette nouvelle constitution pourrait l’abroger », résume une manifestante, pendant que les présentes chantent en unisson : « Cela ne nous intéresse pas, une Constitution faite par la droite ».
« C’est une Constitution qui a été pensée par la droite chilienne, avec une idéologie absolument religieuse, fondamentaliste. Cela ne peut pas aller vers une égalité des droits », poursuit cette manifestante.
D’autres s’inquiètent aussi pour les droits sociaux des femmes, comme la santé ou encore les retraites. « Aujourd’hui, nous les femmes, nous avons des retraites misérables qui ne nous servent même pas pour survivre, complète une autre Chilienne. Nous sommes discriminées à la fois par le système des retraites et aussi celui de la santé. Et cette Constitution consacre ces deux systèmes. »
Le mouvement féministe chilien a reçu un soutien de taille : celui de l’ancienne et unique présidente du Chili, Michelle Bachelet, également ex-Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, qui a annoncé qu’elle votera contre la proposition de Constitution demain.
Lire à suivre sur PrendreParti les résultats du référendum …