« Dans les années 50 au Relecq-Kerhuon, il fallait entendre le soir les ouvriers de la Pyro répéter ce qui s’était dit le midi « au Fourneau« . Comme « à La Gueule d’Or » de l’Arsenal de Brest, c’était « au Fourneau » que se racontaient toutes les histoires, que se forgeaient les réputations de la cité ouvrière. » Source : un édito signé en 2011 par Michèle Bosseur et Claude Morizur ,co-fondateurs du Lieu de Fabrique Le Fourneau.
Le Fourneau raconté en 2000 par Vincent Dréano
Un article paru en juin 2000 dans la revue « Rue de la folie »
Le nom du Fourneau
Claude verse le café dans les tasses. Le nom du Fourneau, dit-il, ça vient des Fourneaux Économiques fondés dans pas mal de villes de France, au début du siècle, pour lutter contre l’alcoolisme sur les lieux de travail… C’est lui, Claude Morizur, qui a trouvé le nom du Fourneau pour la Fabrique de Brest; la raison pour laquelle il a un peu de mal à en parler. Mon grand-père, quand il rentrait le soir de la pyrotechnie de St Nicolas, il nous parlait de ce qui se racontait au Fourneau*. Pour moi, c’est devenu un lieu mythique, un peu mystérieux, où se racontaient les histoires, et où se liaient les vies des rues.J’aime sa pudeur au moment d’avouer: « Je viens d’un milieu ouvrier. »
A l’origine, Michèle Bosseur et Claude Morizur sont des instituteurs. Inscrits fortement dans la vie associative de leur ville, Le Relecq-Kerhuon, près de Brest. Avec leur bande de copains, ils y créent au début des années 80, La Tête et Les Mains », un festival d’artisanat d’art qui accueillera plus de 50 000 personnes en 1987.Ayant invité des compagnies de théâtre de rue au cours de ce festival, ils imaginent alors une grande fête inhabituelle, qui commence à 4 heures du matin et qui dure 24 heures. C’est la naissance des »Grains de Folie » et c’est la rencontre fondatrice de Jean Raymond Jacob et de la Compagnie Oposito de la Seine Saint Denis avec laquelle ils ne cessent de tisser des liens. Reconduits à la frontière de leur ville d’origine, ils parviennent à trouver d’autres lieux pour continuer la fête. »Grains de folie », c’était une grande plate-forme expérimentale très riche, très fructueuse, très novatrice. Les compagnies travaillaient ensemble. Les complicités qui se créaient autour de notre fête se retrouvaient dans d’autres villes. Il y a dans l’expression du visage de Michèle comme un regret.C’est avec les compagnies que nous avons décidé d’arrêter les « Grains de Folie ». Les arts de la rue avaient évolué, ils bénéficiaient d’une certaine reconnaissance. Et il devenait nécessaire de fonderun vrai lieu de création. Nous décidons alors en 1993 de prendre possession d’un ancien entrepôt inoccupé sur le port de commerce. La municipalité a fini par admettre. Cette même année où Le Ministère de la Culture élabore son plan d’intervention pour les Arts de la Rue, qui comprend la création des fabriques.Le Port de Commerce
Le 11 Novembre 1994, c’est à six heures du matin, avec 120 artistes, que nous avons allumé le Fourneau, ici, au port de commerce, dans un entrepôt désaffecté. Ce sont les artistes, les créateurs, les compagnies de rues qui nous donnent une légitimité. Et les yeux de Claude se mettent à briller. Le port de commerce, c’est la ville d’en bas, le Brest des dockers, des compagnies maritimes. Ça a un côté très pratique, dit Michèle. Le matériel, les grues,les entreprises, tout est à proximité… Je devine qu’elle souhaite poursuivre. Et puis les entreprises du port de commerce s’identifient a ce qui est fabriqué au Fourneau. Ce sont eux qui ont baptisé l’arène métallique de la Compagnie Off, en l’appelant « Fleur de Rouille « . Les gens du port, les portuaires, comme on dit, donnent à notre travail une valeur inestimable. Le port de commerce fonctionne comme un petit village, tout le monde s’y connaît. Les passerelles sont naturelles. Nous avons besoin de cette proximité. La rue, elle est ici, elle commence ici…Le coin de la rue
Claude se lève et m’invite à le suivre. Nous nous retrouvons rapidement à visiter la fabrique, le nouveau Fourneau qui ressemble à la rue. Les peintures, réalisées par Cyril Corre, ce sont des joueurs de boule sur une place, un vélo posé contre la vitrine d’une épicerie, une mouette sur une cheminée. Et puis, des plaques de rues décrochées des murs du Vieux Fourneau, des enseignes d’hôtel ou encore un vrai car qui sert de bureau aux compagnies résidentes. C’est ici le lieu de vie des artistes, dit Claude, ce qui ne bouge pas. Tout le reste est modelable selon les besoins. Plus loin, il me désigne en effet ce qu’ils nomment le « coin Del@rue, (ils aiment bien sur baptiser les lieux) avec, son grand remue-ménage. Une paire de coussinets de velours rouge. Des tiges de fer souples qui s’accumulent sur l’établi auprès de gaines de caoutchouc (et des bouts de pneus. Une malle d’osier que recouvre de la sciure fine). Un canapé vert, dont les manches dénudées laissent apercevoir le carton et qui trône à côté d’un cheval pour enfant en plastique blanc. On entend des marteaux: des gradins de bois qui se consolident. Cet espace est conçu vraiment comme un lieu de fabrique, dit Michèle, les compagnies y sont très libres. Elles peuvent tacher le sol, les murs, donner du bruit. En ce moment, nous hébergeons les »26000 Couverts ». Ils démontent leur décor pour pouvoir jouer devant le public la semaine prochaine.
Michèle a le sourire qui donne au bout du monde une grandeur. Nous tenons à ce que chaque compagnie résidente rencontre le public, même si le travail qui a été réalisé n’est pas terminé. Cette rencontre doit donner lieu à une confrontation enrichissante. Elle peut s’effectuer dans le lieu du Fourneau, mais pas obligatoirement. Nous bénéficions de la proximité d’un parc à chaînes sur lequel les spectacles sont possibles.(Michèle désigne le vaste hangar dans lequel nous pénétrons maintenant. La semaine prochaine,tout sera vide ici. Pour quelques temps. En fait, ajoute-t-elle, nous nous laissons toujours des temps de vacuité, parce que nous voulons être disponible aux compagnies qui auront vraiment besoin de nous. Cultiver le vide, c’est peut-être cela le plus difficile. Parce que le Fourneau pourrait être plein à longueur d’année).Un pôle de création
C’est en 1997 que nous avons commencé ce que nous avons appelé les chantiers de création. »Transhumance » de la compagnie Oposito, en collaboration avec les fabriques de Noisy, Chalon surSaône, Sotteville-les-Rouen, en a été le premier. Cette politique de résidence s’est identifiée à partir 98-99, quand nous avons investi le Nouveau Fourneau. Aujourd’hui, nous accueillons deux à trois grandes compagnies dans l’année et cinq à six petites. Nous sommes très attentifs aux créations nées en Bretagne, mais nous hébergeons des compagnies qui viennent de la France entière, avec un éventail le plus large possible. Le choix des résidences résulte toujours d’une rencontre avec les artistes. Il faut que leur projet soit de qualité et d’une relative maturité. Les objectifs de travail, au cours de la résidence, doivent être précis : des décors à construire, des répétitions à peaufiner. De notre côté, nous faisons tout ce qu’il faut pour rendre la réalisation de ce travail possible. On sent, à la voix de Michèle, qu’elle souhaite insister là-dessus. Une fabrique, dit-elle, ce n’est pas seulement un toit, une surface, mais c’est lier, souder, confronter les idées, trouver des solutions !Un pôle de diffusion
A partir de 91, dit-elle encore, la mairie de Brest nous a demandé de préparer ce qui s’est appelé les »Jeudis du Port ». Puis à Morlaix, le Festival des Arts de la Rue, tous les mercredis d’été. Chaque ville a un espace particulier avec des singularités qu’il faut connaître et exploiter. Au cours de ces journées d’été, nous ne faisons pas qu’un simple travail de programmation des artistes, nous réécrivons la ville comme un espace de liberté et de jeu. Cet espace public de liberté, reprend Claude, notre rôle, c’est de l’inventer. Parce que nous voulons rendre les projets des artistes possibles, créer des circulations nouvelles d’œuvres, parce que nous avons cette exigence de ne pas tomber dans l’animatoire, de ne pas devenir de simples opérateurs d’adjoint au maire qui se croient tout permis sous prétexte qu’ils financent. Travailler dans l’espace public, ça demande de l’obstination, c’est difficile. Nous sommes des sortes de fusibles. Avec ce que cela comporte de fragilité, même si la DRAC Bretagne vient de nous attribuer le statut de « scène conventionnée » avec une spécificité « Arts de la Rue » et nous exprime ainsi un signe fort de soutien. Nos destinations, dit Michèle, notamment avec Oposito et Transhumance, nous ont amenés à AdisAbeba, Weimar, Johannesburg, Edinburg. Tout en continuant dans ces directions multiples, dans les deux ou trois années à venir, nous souhaitons établir des conventions avec les petites villes du nord de la Bretagne, entre les Pays de Brest et de Morlaix, où se pose la question de l’aménagement culturel du territoire.Un pôle de ressources
L’espace multimédia du Fourneau jouxte le bureau de Claude et Michèle. J’y rencontre Yffic Cloarec. Ingénieur en Informatique, il souhaitait créer un site internet. En octobre 1997, il propose à Claude et Michèle d’y raconter l’histoire des Grains de Folie, auxquels il a participé en tant que spectateur anonyme. C’est l’époque où l’association n’a plus de toit. Avec Yffic, ils se sont inventé un nouvel hébergement sous forme de site. Et puis, très vite, la compagnie Oposito, partie en Éthiopie pour créer un spectacle « Rhinocéros 98 », laisse apparaître la nécessité de créer un journal de bord, mis en ligne chaque semaine sur le site du Fourneau. L’histoire du Fourneau s’écrit désormais au présent, sur le site, qui se développe rapidement. Il contient aujourd’hui plus de 1000 pages, et accueille d’autres compagnies : Oposito, Décor Sonore.Et chaque résident bénéficie d’une demi-journée de formation.Le net, au Fourneau, c’est bien sûr la possibilité de formation pour les artistes résidents, un outil de promotion pour les compagnies de rue. Mais Yffic Cloarec souhaite également les inciter à la création sur Internet, ainsi que couvrir les événements festifs dans la ville à l’occasion des festivals d’été, à l’aide de web-trotteurs, en collaboration avec les maisons de quartiers de la ville. Le Fourneau ayant en outre obtenu l’appellation d’Espace Culture Multimédia, chacun peut maintenant venir se connecter librement.Le Web est un nouvel espace public. Plus de 500 personnes se connectent quotidiennement sur le site du Fourneau, qui s’invente chaque jour de nouveaux terrains de jeu. « Sur le web, les arts de la rue sont encore dans la rue ». C’est Claude qui a parlé.Et les crêpes…
Jean-Michel s’approche de moi et se penche, pour changer. Ta crêpe, tu la veux andouille ou champignons béchamel ? Jean-Michel était là pour terminer les gradins des 26 000 Couverts pendant que d’autres, toutes générations confondues, au bureau, remplissaient des enveloppes en riant. Ils font partie de ce qu’on appelle ici les « Proches DuFourneau« . Françoise est au billig : c’est le soir des crêpes, qui rassemble tout le monde, pour fêter, comme chaque fois, le départ du la Compagnie résidente. C’est le soir des doux cadeaux d’adieu, tandis que Claude, les lunettes sur la tête, un peu fatigué, peut-être, reste debout, immobile, comme un phare. Jean-Michel qui garde un souvenir ému de Thérèse, la poule Mélomane des Tournées Fournel, découvre sous son fichu, accrochée ferme à son socle, et attraction du port, sa cousine, Denise, moule pétomane. Michèle me parle de tous ceux qui sont là. Elle veut me dire quelques mots sur le vrai gardien du Fourneau, l’autre Yffic. Sa façon de soulever son chapeau devant les dames importantes. De proposer du poisson frais aux artistes. Je comprends, à l’entendre, que Claude appelle cela une « aventure de citoyens passionnés » et ce que les compagnies trouvent de si singulier au Fourneau. Je comprends pourquoi Pierre Berthelot de Générik Vapeur définit l’endroit comme « un lieu d’aisance artistique ». Je comprends, après les déménagements successifs, les galères, le désespoir, pourquoi Michèle dit qu’elle a l’impression d’avoir vécu plusieurs vies, et qu’elle est fière d’avoir survécu. Je saisis, un instant, toute leur obstination, et leur chaleur, cette beauté. Et je n’ose plus poser de questions.
Vincent Dréano
pour la revue « Rue de la folie » en juin 2000.
Lire par ailleurs sur PrendreParti à propos de l’inauguration du Fourneau en 1994 …
11 novembre 94, 6H du mat : 120 artistes allument le Fourneau du Port de Brest
En savoir plus sur la création du Fourneau économique coopératif de Saint Nicolas …
Page 416 extraite du livre de Raymond Quentel intitulé « Histoire du Relecq-Kerhuon et des Kerhorres »
L’histoire du Relecq-Kerhuon et des Kerhorres. Tome 2 . Auteur : Raymond Quentel