Gauvain Sers, l’auteur et la voix des Oubliés…

« Devant le portail vert de son école primaire, on l’reconnaît tout d’suite. Toujours la même dégaine avec son pull en laine, on sait qu’il est instit … »Ce sont les premiers mots de la chanson « Les Oubliés » de Gauvain Sers, un texte qui a trouvé des résonances partout en France tant il touche du doigt des réalités quotidiennes. Il est même devenu l’hymne de nombreuses revendications qui en modifient quelques paroles …

Gauvain Sers s’est imposé sur la scène française grâce à des textes qui parlent de sujets de société, de lui et donc un peu de nous. Le clip officiel des Oubliés tourné en 2019 dans la classe de Jean-Luc Massalon, l’instituteur du village de Ponthoile dans la Somme. Durée : 3’35 »

Dans les coulisses du tournage du clip : à la rencontre de l’instit’ du village (Épisode 1)

L’école de Ponthoile revit le temps d’une journée (Épisode 2)

Dans les coulisses du tournage du clip (Épisode 3)

Paroles

« Devant le portail vert de son école primaireOn le reconnaît tout de suiteToujours la même dégaine avec son pull en laineOn sait qu’il est instit’Il pleure la fermeture à la rentrée futureDe ses deux dernières classesIl paraît que le motif c’est le manque d’effectifMais on sait bien ce qui se passe

On est les oubliésLa campagne, les paumésLes trop loin de ParisLe cadet de leurs soucis

À vouloir regrouper les cantons d’à côté en 30 élèves par salleCette même philosophie qui transforme le pays en un centre commercialÇa leur a pas suffit qu’on ait plus d’épicerieQue les médecins se fassent la malleY’a plus personne en villeY’a que les banques qui brillent dans la rue principale
On est les oubliésLa campagne, les paumésLes trop loin de ParisLe cadet de leurs soucis
Qu’il est triste le patelin avec tous ces ronds-pointsQui font tourner les têtesQu’il est triste le préau sans les cris des marmotsLes ballons dans les fenêtresMême la p’tite boulangère se demande ce qu’elle va faireDe ses bon-becs qui collentMême la voisine d’en face elle a peur, ça l’angoisseCe silence dans l’école

On est les oubliésLa campagne, les paumésLes trop loin de ParisLe cadet de leurs soucis

Quand dans les plus hautes sphères, couloirs du ministèreLes élèves sont des chiffresY’a des gens sur le terrain de la craie plein les mainsQu’on prend pour des sous-fifresCeux qui ferment les écoles, les cravatés du colSont bien souvent de ceuxCeux qui ne verront jamais ni de loin ni de prèsUn enfant dans les yeux
On est les oubliésLa campagne, les paumésLes trop loin de ParisLe cadet de leurs soucis

On est troisième couteauDernière part du gâteauLa campagne, les paumésOn est les oubliés

Devant le portail vert de son école primaireY’a l’instit’ du villageToute sa vie, des gaminsLeur construire un lendemainIl doit tourner la pageOn est les oubliés »

Parolier : Gauvain Sers


« La voix des oubliés » : c’est le titre d’un documentaire réalisé par Didier Varrod, consacré au chanteur Creusois Gauvain Sers …

En savoir plus sur ce documentaire, c’est par ici …

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Gauvain Sers: « Être invisible, c’est ce qu’il y a de pire dans la vie »

ENTRETIEN  Le chanteur, portraitiste adoubé par Renaud, susurre des mots tendres et vrais qui racontent la France des humbles et des « oubliés ». Auteur d’un troisième album sorti cet hiver, « Ta place dans ce monde », il sera à la Fête de l’Humanité en septembre. Rencontre avec un artiste des villes et des champs. Un article signé Clément Garcia paru dans l’Humanité du 9 Juillet 2022 .

« Beaucoup d’artistes démarrent par un télé-crochet ou autre chose dans le genre. J’avais plutôt envie de raconter des histoires, et ça passe par la scène, les petits cafés. Sur scène, on ne peut pas tricher. » © Guillaume Clément

« Beaucoup d’artistes démarrent par un télé-crochet ou autre chose dans le genre. J’avais plutôt envie de raconter des histoires, et ça passe par la scène, les petits cafés. Sur scène, on ne peut pas tricher. » © Guillaume Clément

Nous sommes attablés dans un café du Paris popu lorsqu’une femme intervient : « Gauvain, c’est bien vous ? J’aime bien ce que vous faites, je trouve les paroles de votre dernière chanson intéressantes. » S’il le fallait, preuve est faite que « les Oubliés », devenue l’hymne des invisibles, a tapé dans le mille. « Vous n’avez pas pris de position politique ? » ajoute la flâneuse. « Pas directement, je préfère le faire en chansons. » Percée du RN, espoir à gauche, retour du Parlement, tout y passe. « C’est drôle. Drôle et touchant, sans filtre et tellement sincère », relève, amusé, Gauvain Sers. Le chanteur a l’habitude des sollicitations. Ils ne sont pas si nombreux à chanter les humeurs du pays. Formé à l’école des cafés de chansonniers des Renaud, Allain Leprest ou Anne Sylvestre, l’auteur-compositeur-interprète originaire de la Creuse fera son grand retour à la Fête de l’Humanité, en septembre.

On a parlé, concernant « Ta place dans ce monde », d’un album de confinement. Celui-ci n’est pas introspectif, mais plutôt tourné vers le monde extérieur.

Ça a été un petit moment de repli, mais je n’en ai pas forcément parlé dans mes chansons. Parler des autres, c’est un bon moyen de chercher « sa place dans le monde ». J’évoque des personnages qui aspirent à des choses très différentes, mais se posent tous la question de leur utilité sur cette planète. C’est un peu la colonne vertébrale de l’album. Il y a aussi des chansons plus personnelles, les plus difficiles à faire sortir parce qu’un peu impudiques.

 

Votre plus grand succès reste la chanson « les Oubliés » qui évoque, à travers une école menacée, l’abandon de la France rurale. Comment va cette France aujourd’hui ?

J’y retourne souvent, notamment grâce aux tournées, et je ne suis pas sûr qu’elle aille très bien. Le résultat des législatives le rappelle. C’est dans ces endroits reculés qu’il y a tous ces votes extrémistes. Je n’en veux même pas aux gens. Je crois que ce n’est pas eux qu’il faut fustiger, mais plutôt une succession de décisions qui a amené à ce vote de désespoir. Il y a un sentiment d’abandon assez récurrent chez beaucoup de gens très différents, c’est pour ça que la chanson a résonné en eux. D’ailleurs, je reçois presque tous les jours des messages pour venir chanter « les Oubliés » dans des écoles. Je crois qu’être invisible, c’est ce qu’il y a de pire dans la vie. Mieux vaut carrément être détesté.

Dans votre dernier album, « les Oubliés » sont partout, à l’hôpital, derrière les caisses, mais aussi dans les VTC.

Le monde moderne produit ce genre de métiers avec des conditions déplorables et un salaire de misère, avec des sans-papiers dont on profite, sans couverture. J’aimais bien l’idée de la galerie de portraits de personnes qui ont été sur le devant de la scène pendant cette période-là.

Vous chantez également le racisme de manière directe. C’est assez rare dans la chanson française.

C’est un thème qui m’a toujours préoccupé. On se demande comment ça peut encore exister au XXIe siècle. Avec « Sentiment étrange », j’avais envie de faire un état des lieux par rapport à « Lily » (chanson de Pierre Perret – NDLR) : qu’est-ce qui a changé en bien et qu’est-ce qu’il reste à faire pour qu’on ait les mêmes droits à la naissance ? Je voulais aussi évoquer le racisme ordinaire, la petite blague à la machine à café. Il y a encore des gens qui meurent du racisme et on observe la montée de mouvements fascistes en Europe. Il faut continuer à faire des chansons pour lutter contre ça.

Mais vous persistez, comme le dit votre personnage, à voir « le verre à moitié plein ».

Oui, parce que je crois que les chansons sont aussi faites pour donner de l’espoir, de l’élan, du baume au cœur. Cette envie que la pièce retombe de temps en temps du bon côté est en partie due au confinement. C’est aussi dans ma nature, malgré tout, d’être optimiste. Et il y a parfois des raisons de l’être. Je persiste à penser que l’humain est bon à la naissance.

Après trois albums, vous vous autorisez désormais à chanter vos débuts, notamment dans « Elle était là ».

En cinq ans, il s’est passé beaucoup de choses dans le monde. La crise sanitaire mondiale, le retour de la guerre en Europe, les États-Unis qui reviennent sur une loi cinquantenaire… Dans ma petite vie aussi. J’essaie de raconter tout ça. C’est une chanson égocentrée mais, en même temps, une manière de rendre hommage à la personne sans qui je n’aurais pas eu les épaules pour me lancer là-dedans. C’est très important pour moi d’expliquer la manière dont j’ai commencé. Les gens ont parfois l’impression qu’il suffit d’arriver sur une émission de télé pour que ça marche.

D’ailleurs, vous devez surtout votre succès à un public fidèle.

Ce sont surtout les premières parties de Renaud qui en ont été le fer de lance. On était deux à la guitare dans une formule très intime, sans grandiloquence. Juste cinq chansons. Le public a tout de suite attendu la suite. Et quand le premier album est arrivé, il a été au rendez-vous. Je suis content d’avoir démarré par la scène. Il y a beaucoup d’artistes qui démarrent par un télé-crochet ou autre chose dans le genre. Je ne me sentais pas légitime pour faire un truc de chanteur à voix ou d’interprète. J’avais plutôt envie de raconter des histoires, et ça passe par la scène, les petits cafés. Le Zénith avec Renaud a été possible parce que j’ai appris à gérer la scène. Commencer par là, ça permet aussi de fidéliser le public. Et, sur scène, on ne peut pas tricher. Si tu n’es pas sincère, les gens le sentent tout de suite.

Dans vos chansons, vous évoquez beaucoup la manière dont vient l’inspiration. Pourquoi ce besoin ?

Bonne question… C’est une manière de se mettre en scène, le côté arroseur arrosé aussi. Dans « La France des gens qui passent », je me mets dans le champ. Je ne sais pas d’où ça vient. Dans la famille d’artistes à laquelle je me rattache, il y a des chansons où tu braques la caméra et, en même temps, tu prends un selfie. Quand je finis une chanson, j’ai l’impression que je n’arriverai plus jamais à en écrire une autre, comme si elle m’avait pris une part de moi. Il n’y a pas de recettes pour écrire une chanson. Parfois, elle tombe et il faut être au bon endroit pour ne pas la laisser passer, sinon, une heure après, je ne sais plus quoi dire… Quand je sens que je galère, ça ne fait pas une bonne chanson. Alors que, par exemple, « les Oubliés », j’ai dû l’écrire en à peine deux heures.

 

Vous allez vous produire à la Fête de l’Humanité en septembre. Quel est votre rapport à cet événement ?

Ça a été un de mes plus beaux souvenirs de scène, face au stand du Nord qui fait pas mal de bruits (rires). C’est une région que j’adore, où on joue très souvent, que j’ai chantée aussi. J’ai beaucoup d’admiration pour cette fête qui rassemble des gens à un prix dérisoire. Il y a là-bas une humanité, comme son nom l’indique, qui n’existe nulle part ailleurs. Cette année, ce sera le grand retour, j’ai vraiment hâte d’y jouer. Je n’ai pas l’habitude de changer mes chansons en fonction des festivals, mais, là, je vais essayer d’appuyer sur l’engagement.