La bande-annonce originale de SOLEIL VERT (1973), un film de Richard Fleischer avec Charlton Heston, Edward G. Robinson … Une vidéo de 3’18 » .
New York 2022 : l’industrialisation a tout écrasé sur son chemin : émotions, sens, relations humaines, ressources naturelles Et tout cela alors que la ville connait une surpopulation sans précédent … Les habitants ne se nourrissent que de « soleil vert », barre sans goût qui leur permet de survivre. Dans la ville qui croupit dans la chaleur et les bidonvilles, l’agent Thorn est un privilégié qui partage son appartement avec Sol Roth, vieillard ayant connu la vie avant qu’elle ne devienne invivable. Il est bientôt appelé pour enquêter sur le meurtre de l’un des dirigeants de la société qui produit le « soleil vert ». Aidé de Roth, Thorne s’engage alors dans une enquête qui va le plonger au cœur du processus de déshumanisation dans lequel la société s’est engouffrée …
Ci dessous un extrait de 2’30 ». Pour regarder Soleil Vert en entier sur Arte , c’est en ce moment par ici …
« Il y avait un monde autrefois… »
New York City. Année : 2022. Avec 40 millions d’habitants, la ville est devenue une métropole surpeuplée, où règnent la misère absolue et le manque de nourriture. Les gens s’entassent partout où ils peuvent : dans la rue, dans les cages d’escaliers… Un atroce brouillard jaunâtre de pollution flotte d’ailleurs en permanence au-dessus de la ville. L’écosystème, si fragile, a pratiquement disparu. Les arbres, les animaux ont disparus, victimes de la déforestation, la surexploitation, et la pollution.
Dès le générique d’ouverture du film, absolument brillant et terrifiant, le spectateur est foudroyé : quelque chose s’est définitivement cassé dans la grande marche vers le progrès de la civilisation, ou du moins ce qui est présenté comme tel.
Le développement industriel à marche forcée et ses ravages, les effets non maîtrisés de la surconsommation et l’épuisement des ressources naturelles ont achevé d’hypothéquer l’avenir de l’Homme en quelques décennies à peine.
Pour les plus fortunés, qui ont accès à l’eau potable et à de vrais aliments cultivés dans des fermes protégées comme des forteresses, rien n’est trop beau. Une tranche de bifteck se négocie 500 $, un pot de confiture 150 $.
De quoi donner la mesure de cette scène du film, terriblement émouvante, dans laquelle Robert Thorn (Charlton Heston) et Sol Roth (Edward G. Robinson) font un repas avec des aliments devenus inaccessibles pour le commun des mortels. Alors que Thorn est un enfant du « Soleil » et n’a rien connu d’autre, Sol, lui, se souvient des saveurs oubliées…
La nourriture naturelle, telle que nous la connaissons aujourd’hui, n’existe plus. Elle est désormais fabriquée par la toute puissante Soylent Corporation. Une nourriture synthétique sous forme de tablettes, dont la couleur varie selon les jours de la semaine. Et la firme vient justement d’introduire un nouvel aliment que la population s’arrache : le Soleil Vert, prétendument fabriqué à partir de plancton hautement énergétique.
Un tel chaos écologique n’est que trop probable, mais il y a eu tellement d’avertissements mélodramatiques à ce sujet dans des essais et des fictions spéculatives comme celle-ci que la répétition émousse et use le sentiment d’urgence. (Time Magazine, à la sortie du film en 1973)
Dans ce monde de chaos absolu, la seule chose qui fonctionne à peu près, c’est encore la police, dont le gouvernement gonfle les effectifs dans un seul but : empêcher les émeutes. Police à laquelle appartient aussi Robert Thorn, inspecteur à la police judiciaire.
Un jour, il est chargé d’élucider le meurtre de William Simonson (Joseph Cotten), retrouvé assassiné dans son appartement. Ce dernier était l’un des dirigeants de la Soylent Corporation. Aidé de son vieil ami Sol Roth, qui, lui, a connu « l’ancien monde », Thorn se lance dans une (en)quête sur l’effroyable vérité que certaines personnes avaient voulu garder secrète en tuant Simonson…
Plongeant ses racines dans une prise de conscience collective – et progressive – des enjeux liés à l’écologie au début des années 1970, Soleil Vert s’inscrit aussi dans le courant de ces œuvres désenchantées, et en particulier les œuvres de science-fiction, produites à cette époque aux Etats-Unis.
Un pays alors plongé en plein doute et marasme économique, dont la confiance envers la politique est sévèrement ébranlée avec le scandale du Watergate qui aboutira en 1974 à la démission du président Richard Nixon.
C’est aussi un pays encore meurtri par la guerre du Viêtnam. Le doute, l’angoisse face à l’avenir. L’American Way of Life, si cher au cœur et aux yeux des Américains, est-il toujours possible ? Au cinéma, outre les thrillers conspirationnistes, les films catastrophes et de SF anxiogènes ont le vent en poupe : L’âge de cristal, New York ne répond plus, Le Survivant (déjà avec Charlton Heston), Rollerball ou le sport ultra violent qui sert d’exutoire à une société en manque de sensations fortes, Mondwest…
Les lendemains qui déchantent sont ainsi fréquents dans la science-fiction ; un genre qui par définition reflète nos peurs face aux changements sociaux ou technologiques. Dans Soleil Vert, le cataclysme arrive par érosion : la fin du monde par disparition d’un élément essentiel à notre existence, en l’occurrence l’eau et la nourriture. Mais l’agonie de l’espèce humaine est lente et progressive – comme le souligne d’ailleurs l’extraordinaire générique d’ouverture -, le temps nécessaire pour épuiser les ressources de la planète.
Le genre apocalyptique apparaît comme un moyen de porter un jugement – souvent sévère – sur notre société. A l’époque de la sortie du film, certaines critiques reprochèrent à Richard Fleischer d’avoir inclus trop d’éléments contemporains, à commencer par le mobilier luxueux – et très seventies – de l’appartement de Simonson. En somme, de ne pas livrer un film de SF assez intemporel, dans la veine de ce que fit brillamment Kubrick avec 2001 : l’odyssée de l’espace.
Mais c’était ne pas comprendre la démarche de Fleischer, qui souhaitait au contraire établir une franche proximité avec le spectateur, le faire réagir et le révulser devant la société qu’il dépeint, dans laquelle les hommes en sont réduits à n’être qu’une simple statistique et traités comme du bétail, juste bons à être envoyés à l’abattoir. Quand ils ne sont pas occupés à s’entre-dévorer.
La scène des émeutes d’une population affamée, privée de soleil vert et littéralement ramassée par des pelleteuses, est à ce titre on ne peut plus éloquente. Une séquence atroce, qui souligne l’insignifiance de l’individu dans une société exsangue et en ruine.
Pour rendre crédible son propos, le réalisateur s’était d’ailleurs adjoint les services du Professeur Franck R. Bowerman, enseignant à la South California University, président de l’American Academy for Environmental Protection.
Les travaux du Club de Rome
En fait, l’impact du film et les discussions autour du débat sur l’écologie furent nettement amplifiés par le célèbre rapport du Club de Rome, intitulé Halte à la croissance. Un groupe de réflexion créé en 1968 réunissant des scientifiques, des économistes, des fonctionnaires nationaux et internationaux, ainsi que des industriels de 53 pays, préoccupés des problèmes complexes auxquels doivent faire face toutes les sociétés, tant industrialisées qu’en développement.
« Les prix des denrées augmentent de telle sorte que les plus démunis mourront de faim ; d’autres, moins défavorisés, seront amenés à n’utiliser qu’une partie réduite de la terre disponible en se contentant de produits médiocres… » peut-on y lire dans le rapport publié en 1972.
« Le monde s’est donné pour objectif d’accroître la population et le niveau de vie matériel de chaque individu… Si les sociétés continuent à poursuivre cet objectif, elles ne manqueront pas d’atteindre l’une ou l’autre des nombreuses limites critiques inhérentes à notre écosystème ». Ce livre eut, dans le monde entier, un impact considérable : s’appuyant en particulier sur l’épuisement des ressources naturelles, il proposait de passer de l’état de croissance à l’état d’équilibre.
Dans une remarquable étude publiée en 1998 et baptisée Géopolitique des ressources naturelles : prospectives 2020, l’historien et économiste français Philippe Chalmin écrivait à ce propos : « peu d’ouvrages de prospective auront bénéficié après leur parution d’une telle convergence d’événements confortant leur thèse. En 1972, ce furent en effet les premiers achats russes de céréales, la flambée des cours à Chicago et le début de ce qu’Henry Kissinger appela l’ « arme alimentaire ».
En 1973, il y eut la guerre du Kippour et la prise de contrôle du marché pétrolier par l’OPEP ; il y eut aussi l’embargo américain sur les exportations de soja, les débuts du cartel des phosphates. En 1974, ce fut la crise du sucre… L’analyse pessimiste du Club de Rome se confirmait : le monde allait manquer de matières premières ou d’énergie, et le pouvoir sur les marchés appartenait désormais aux producteurs ».
Si les fameuses analyses du Club de Rome ont été par la suite tempérées, elles sont malheureusement plus que jamais sous le feu d’une brûlante actualité ; à l’heure où les aléas climatiques, la raréfaction des ressources, les déforestations massives, pour ne citer que cette poignée d’exemples, ont des conséquences cataclysmiques.
Une étude tout juste publiée par la World Weather Attribution (WWA), initiative internationale destinée à déterminer et analyser l’influence du changement climatique sur les phénomènes météorologiques extrêmes, vient d’ailleurs de préciser que le changement climatique est à l’origine de la sécheresse extrême observée cet été dans l’hémisphère Nord.
Un phénomène susceptible de se produire au moins une fois tous les 20 ans : « Si les humains n’avaient pas réchauffé la planète, la sécheresse agricole dans l’hémisphère Nord aurait seulement été attendue une fois tous les quatre cents ans environ, voire moins souvent ; et environ une fois tous les soixante à quatre-vingt ans en Europe ».
Aujourd’hui, jamais l’écart entre riches et pauvres n’a été aussi important. 828 millions (source : ONU – PAM) de personnes dans le monde ne mangent pas à leur faim. Les guerres pour le contrôle des ressources – en particulier les plus fondamentales comme l’eau – n’ont jamais été aussi présentes tandis que les sociétés sont de plus en plus sensibilisées à la chasse aux gaspillages. Jamais la surconsommation et la surproduction n’ont autant été au cœur de l’actualité.
Dans un croisement du calendrier, alors qu’auront lieu cet automne la COP27 sur le climat en Egypte, et la COP15 sur la biodiversité au Canada, on célèbre aussi les 50 ans du fameux rapport Halte à la croissance, autrement connu sous le nom de Rapport Meadows.
L’un des auteurs de ce rapport fondamental, Jorgen Randers, décrivait justement il y a quelques jours, dans les colonnes du journal Libération, les scénarios désormais possibles. Le constat, lui, est sans appel : « la réponse du monde à notre avertissement a été et est toujours bien trop timide ».
« Depuis 1972, le monde a continué à accroître son empreinte écologique, c’est-à-dire la surface de terre nécessaire pour fournir les ressources (céréales, fourrage, bois, poisson et surfaces urbaines) et absorber les émissions de GES [gaz à effet de serre] de la société mondiale. De sorte que l’humanité a dépassé les limites de la capacité de charge de la planète et s’aventure toujours plus loin en territoire non durable.
C’est en matière de climat que c’est le plus évident. Mais nous n’avons pas encore fait l’expérience d’un effondrement du type de celui que nous avons décrit dans notre rapport de 1972. A l’époque, nous avions estimé que l’effondrement global surviendrait entre 2020 et 2060, nous ne sommes pas encore arrivés à ce point ».
Si les experts écartent un effondrement global rapide, « dans beaucoup d’endroits, cela mènera à des effondrements sociaux localisés. Comme au Pakistan aujourd’hui, qui est un bon exemple d’effondrement local causé par la destruction de l’environnement. Nous venons de publier le rapport anniversaire des 50 ans, baptisé Earth for all : A Survival Guide for Humanity.
Nous y écrivons qu’au cours des cinquante prochaines années, nous allons évoluer vers de plus en plus de dommages climatiques. Mais cela ne sera pas perçu comme étant une seule et même catastrophe mondiale.
Ce qui va se passer, c’est que nous aurons de plus en plus d’Etats défaillants, de ruptures locales comme en Somalie ou en Afghanistan etc, où les sociétés cessent de fonctionner, souvent à cause de raisons environnementales. Donc nous parlons d’effondrements sociaux localisés, par opposition à un effondrement environnemental mondial ».
En 2013, l’ONU estimait que nous serons entre 9 et 10 milliards d’habitants, dans moins d’un siècle. Au rythme des pollutions massives, de la destruction de l’environnement et de la surexploitation des sols, espérons que les générations futures n’auront pas à se nourrir de Soleil vert.
Reste qu’aux Etats-Unis, une loi promulguée en 2019 autorise déjà la transformation des corps humains en engrais. Un peu plus près, encore, du scénario apocalyptique du chef-d’œuvre terrifiant de Richard Fleischer, qui gagnerait certainement à être désormais rangé au rayon des documentaires plutôt que la science-fiction…