Même dans des cas désespérés, on peut gagner contre les promoteurs …

Quand une mobilisation citoyenne est relayée par une volonté politique, elle paie. Celle des Amis des Jardins Joyeux de Rouen qui viennent d’obtenir l’arrêt de la destruction de leurs jardins populaires en témoigne … Un gain fragile, certes, mais chaque victoire contre la bétonisation montre qu’il ne faut RIEN lâcher ! De quoi réjouir l’ensemble des collectifs en lutte contre la frénésie spéculative de promoteurs ô combien puissants …

« Même dans des cas désespérés, on peut gagner » : des jardins populaires sauvés à Rouen

Un reportage signé Léa Guedj paru dans Reporterre du 24 septembre 2022

Les défenseurs des Jardins joyeux à Rouen sont parvenus à sauver une partie de ce paradis de verdure. Le patrimoine bâti, lui, sera conservé dans le projet immobilier.

Rouen (Seine-Maritime), reportage

« C’est ici qu’il y a plus d’un an et trois mois, les solides plaques en bois qui fermaient les entrées de cet ancien cloître cédaient sous la pression populaire. » Le long du mur d’enceinte du foyer Sainte-Marie, rue Joyeuse à Rouen, Jacky, un arbre en papier cartonné, se fait le porte-parole du collectif des Jardins joyeux pour l’occasion.

La manifestation contre l’artificialisation des terres, réunissant près de 400 personnes, samedi 17 septembre à Rouen, a été l’occasion de fêter leur victoire après des mois de lutte intense, d’espoirs et de déceptions. En juin dernier, Jacky déplorait la perte de huit de ses congénères, des tilleuls abattus en pleine canicule par des machines de chantier, roulant allégrement sur le potager, abandonné depuis l’expulsion des militants en janvier. Contraints de quitter ce jardin du XVIIe siècle devenu un lieu d’émulation collective, ponctuée de conférences, expositions, concerts, ateliers, soirées… La bataille semblait presque perdue, mais la mobilisation n’a pas faibli.

« Les Jardins joyeux vivront ! »

Leur mobilisation sans relâche a fini par payer. « Sedelka, laisse béton, les Jardins joyeux vivront ! » scandent les manifestants, en référence au nom du promoteur Sedelka, qui a lancé un projet de résidence de standing sur le site. Les défenseurs des jardins sont parvenus à sauver la partie nord de ce paradis de verdure. La partie préservée des Jardins joyeux deviendra un parc public et un jardin partagé sous la gestion du collectif. Les militants ont également l’espoir de récupérer la chapelle de l’ancien foyer, enclavée au milieu du projet immobilier.

Une victoire en demi-teinte, car le patrimoine bâti, lui, sera largement conservé dans les plans d’aménagement immobilier. Les jardins échappent au béton, mais ils ont été partiellement détruits, et le projet amendé implique tout de même la destruction d’un bâtiment en pan de bois abritant un théâtre de poche, ainsi que la transformation du bâtiment central, en pierre de taille, et quelques dépendances en briques.

Manifestation contre la bétonisation des Jardins joyeux à Rouen, le 17 septembre 2022. © Léa Guedj/Reporterre

Malgré tout, « il vaut mieux récupérer une terre nue que rien du tout », réagit Lilo, présente depuis le début de l’occupation du site. « On nous disait que ça ne servait à rien de se battre, puisqu’ils avaient obtenu le permis de construire, se souvient-elle. Alors certes, on ne récupèrera pas ce qui a déjà été détruit, la victoire est un peu amère. Mais on se félicite, car c’est un signal que même dans des situations qui paraissent désespérées, on peut gagner, même partiellement. »

Une bouffée d’air frais pour les représentants d’autres luttes pour des jardins populaires, membres d’une coalition nationale récemment constituée et présents à la manifestation. « Ça prouve qu’on peut gagner quand on se bat », se réjouissent Dolores de l’association Sauvons les Jardins ouvriers d’Aubervilliers et Maxime de l’association Sauvons l’îlot Pêche d’or — Bergerie des Malassis à Bagnolet. « Ça crée un précédent et cela nous encourage à porter la création d’un jardin partagé », dit Benjamin, du Collectif 40, opposé à un autre projet immobilier à Rouen.

La stratégie victorieuse du collectif des Jardins joyeux inspire. Ils se sont démenés sur le plan juridique : un recours gracieux adressé à la Ville pour contester le permis de construire, un répertoire des espèces protégées, des plaintes au pénal pour violation du Code de l’environnement, une saisine de l’Office français de la biodiversité… Le tout accompagné d’une communication très active, « beaucoup de ramdam pour ne pas passer sous les radars », dit Deli, membre du collectif et riverain du lieu.

Sauver le reste

Portant l’idée d’une « écologie populaire », ils sont parvenus à mobiliser un grand nombre d’acteurs de tous horizons. D’abord avec l’accueil de personnes en difficulté, sans domicile ou réfugiées, puis en ralliant à leur cause les riverains, les groupes de défense de l’environnement comme Les Amis de la Terre Rouen ou Extinction Rebellion, d’autres collectifs locaux comme Les bouillons terres d’avenir, ou encore une association de préservation du patrimoine, La Boise de Saint-Nicaise.

À force d’interpellations, ils ont aussi obtenu le soutien des élus de la Ville. À l’heure d’une volonté politique affichée de renaturation de l’urbain pour l’adapter au changement climatique, « on leur a dit “chiche” : ici on peut commencer par préserver l’existant », un écrin de fraîcheur au sol fertile. Deux élus ont répondu présents dans la rue, samedi. « Sedelka accepte de nous rétrocéder la partie occupée par les jardins, annonce Jean-Michel Bérégovoy, adjoint au maire Europe Écologie-Les Verts (EELV), sous les clameurs des manifestants. En contrepartie, ils pourront voir s’il y a des possibilités dans d’autres secteurs de Rouen. »

En attendant, ils n’ont qu’une hâte, semer à nouveau les graines du potager et revoir s’épanouir potirons et courgettes. « On demande qu’à l’automne 2022, on puisse récupérer la partie haute des jardins, si ce n’est l’ensemble de la zone qui nous est promise pour amender la terre et avoir une première récolte au printemps 2022. »


Un podcast de 16′ signé Antoine Chao

Retour à Rouen pour la manif « nationale » pour les Jardins Joyeux et contre l’artificialisation des terres qui a réuni le samedi 17 septembre 2022 plusieurs centaines de citoyens.

Diffusée sur France Inter
dans « C’est bientôt demain » du dimanche 25 septembre 2022, l’émission est  à écouter par ici …


Massacre à la tronçonneuse en pleine canicule

En plein centre de Rouen, par 40°, un promoteur en roue libre, alors que son opération spéculative est rejetée par tout un quartier, un arc associatif historique et des élus municipaux, et qu’un projet alternatif de sauvegarde du site existe, a commencé à détruire le dernier poumon vert de la ville, dont le biotope unique abrite des espèces protégées ou peu communes. Avec la complicité de l’État … Suite à lire sur le Blog Médiapart par ici …


Dépôt de plainte contre le promoteur

Au cœur de l’été, deux associations de défense de l’environnement ont saisi l’office français de la biodiversité pour déposer plainte contre Sedelka, propriétaire de l’ancien foyer Sainte-Marie, à propos de supposées violations du code de l’environnement. Suite à lire sur  le Poulpe, média normand d’investigation indépendant par ici …


À Rouen, les « Jardins joyeux » échappent en partie à la bétonisation

L’ancien foyer de jeunes filles de la rue de Joyeuse, à Rouen. © Photo Collectif les jardins joyeux

Un article signé Manuel Sanson dans Médiapart du 29 septembre 2022

Après deux années de luttes citoyenne et politique, la mairie de la capitale normande et le promoteur immobilier Sedelka sont parvenus à trouver un compromis permettant de sauvegarder partiellement cet écrin de verdure, qui devait être transformé en résidence de standing.

Rouen (Seine-Maritime).– Sur cette parcelle de 8 000 m2, anciennement foyer de jeunes filles, dans le quartier Saint-Nicaise, dans le centre-ville rouennais, Sedelka ambitionnait de construire 121 logements de standing en rasant au passage la majeure partie des espaces naturels nichés à l’arrière des bâtiments, à l’abri des regards.

Détenteur d’un permis de construire purgé de tout recours et délivré par Yvon Robert, précédent maire socialiste, le promoteur avait le droit pour lui mais, en face, la mobilisation du collectif des Jardins joyeux. Durant de longs mois, plusieurs dizaines de personnes ont occupé et animé les lieux pour lutter contre la destruction programmée de 4 000 m2 de jardins et d’espaces verts.

Si la police est intervenue début 2022 pour expulser les squatteurs et squatteuses, le collectif des Jardins joyeux, composé d’associations de défense de l’environnement et de militant·es, a poursuivi le combat, appuyé par les élu·es écologistes de la municipalité. Et leur obstination a fini par payer.

« Les jardins sont préservés et seront à terme accessibles au public, ce qui na jamais été le cas précédemment », annonce un communiqué de presse de la mairie diffusé mercredi 28 septembre. « Dans la nouvelle configuration, 62 logements neufs vont être construits et les espaces végétalisés vont représenter 4 200 m2 de pleine terre, soit 800 m2 supplémentaires par rapport aux anciens jardins avec, de plus, limplantation dune trentaine darbres supplémentaires », se félicitent le maire socialiste de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, et le président de Sedelka.

« Une partie des jardins sauvée sera, à terme, accessible à tous tandis que le reste des espaces naturels sera affecté à un jardin partagé géré par le collectif des Jardins joyeux », annonce Fatima El Khili (Europe Écologie-Les Verts – EELV), adjointe au maire à l’urbanisme, particulièrement mobilisée sur cet épineux dossier mais non associée au communiqué de presse, signe de frictions internes à la majorité municipale sur ce dossier.

Ce dénouement, tel qu’annoncé mercredi, ne suscite pas – et c’est un euphémisme – un enthousiasme débordant au sein du collectif des Jardins joyeux. « On est contents que la construction d’un immeuble sur les jardins ne se fasse pas. Pour le reste, rien ne va. On ne sait pas du tout ce que vont devenir les terrains », réagit ainsi Philippe Vue, co-président de l’association Bouillons Terres d’Avenir, membre du collectif des Jardins joyeux.

Bertrand Rouziès*, habitant du quartier et membre de la Boise, association de défense du patrimoine, évoque, de son côté, « une demi-victoire ». « Les jardins vont être préservés, mais l’aspect patrimonial et social du dossier est oublié », regrette-t-il.

Pendant la lutte, le collectif des Jardins joyeux avait défendu l’idée que le projet immobilier soit réorienté vers du logement social et étudiant en réhabilitant les bâtiments existants. Finalement, rien de tout cela.

Des questions en suspens

Si Sedelka abandonne la construction de son « immeuble vitrine », dixit Bertrand Rouziès, qui devait s’élever au milieu des espaces verts, il reste propriétaire des terrains. Il procédera également à la démolition d’une partie des bâtiments, notamment « un théâtre de poche », ce que déplore Bertrand Rouziès. « Le contexte était contraint, on ne pouvait pas faire grand-chose », rappelle de son côté Fatima El Khili.

À côté d’une lutte contre la bétonisation d’espaces naturels, le média normand Le Poulpe avait révélé les dessous d’une juteuse et opaque opération immobilière, nouée à la toute fin du mandat d’Yvon Robert et initiée par Michel Lescanne, président fondateur de l’entreprise Nutriset, ancien employeur de Nicolas Mayer-Rossignol.

Si la ville annonce aujourd’hui le sauvetage des jardins, on sait peu de choses des conditions juridiques entourant cette nouvelle donne. Idem en ce qui concerne le calendrier de la reprise en main des espaces naturels par le collectif. Un temps envisagés, le rachat de l’ensemble des parcelles par une foncière ou l’acquisition par la ville des jardins ont été écartés. « La proposition de la foncière n’était pas à la hauteur par rapport aux prétentions financières de Sedelka », souffle Fatima El Khili, à l’origine de cette solution alternative.

En parallèle, aucun accord n’a pu être trouvé entre la municipalité et le promoteur autour d’une cession des parcelles végétalisées. « Finalement, la ville n’aura pas à débourser un centime. Sedelka reste propriétaire des terrains mais une servitude publique va être instaurée permettant l’accès libre aux jardins », détaille l’élue écologiste.

Bertrand Rouziès s’inquiète déjà de la force juridique d’une telle convention dans le temps. « Nous aimerions pouvoir prendre connaissance, dans le détail, des termes de l’accord. Il était question, un temps, d’un rachat par la commune », souffle-t-il.

C’est, en tous les cas, ce qu’affirmait Jean-Michel Bérégovoy, chef de file EELV à la ville, dans les colonnes du Poulpe en juillet dernier. Manifestement, l’option a été abandonnée, sans doute à l’aune d’une situation financière municipale particulièrement tendue.

Manque à gagner pour le promoteur

Le militant écologiste Philippe Vue demande néanmoins à ce que « la ville rachète les terrains à l’achèvement des travaux pour que les choses soient claires et que l’utilisation des jardins ne dépende pas du promoteur ou d’un futur conseil syndical ». « Le combat continue », estime-t-il. Sur la même ligne, Deli, membre du collectif des Jardins joyeux, revendique aussi que « la partie haute des jardins soit de nouveau accessible d’ici la fin de l’automne ».

Contacté par Mediapart pour en savoir plus sur les détails de l’accord, le maire de Rouen n’a pas donné suite. Outre le dispositif juridique autour de l’utilisation des jardins, une autre question, totalement absente du communiqué de presse officiel, se pose : celle d’une éventuelle compensation, sujet également évoqué par Jean-Michel Bérégovoy cet été.

Selon nos informations, le deal global entre mairie et promoteur prévoit bien que ce dernier, empêché de construire et de commercialiser une cinquantaine de logements, puisse compenser son manque à gagner dans d’autres quartiers de Rouen.

« Ils vont bénéficier de la vente de gré à gré de deux lots, sans passer par un traditionnel concours. Cela va se faire par l’intermédiaire de Rouen Normandie Aménagement [organisme satellite de la Métropole – ndlr] dans les quartiers Luciline et Flaubert », glisse une source municipale.

Si l’image du promoteur caennais sort écornée de l’affaire des Jardins joyeux, ce dernier poursuivra donc son développement dans deux secteurs de la ville en pleine restructuration. « L’écoute, le dialogue et le bien commun » sont « des piliers essentiels de l’histoire et du quotidien » de Sedelka, assène Malek Rezgui, son président, dans son communiqué de presse conjoint avec le maire de Rouen. « Le groupe Sedelka condamne la violence et les actes de vandalisme », ajoute-t-il dans une référence à peine voilée à l’occupation illégale de sa propriété du 2, rue de Joyeuse.

Une sortie plutôt osée.

Cet été, Sedelka, pourtant en pleine négociation avec la ville autour de l’avenir des jardins, avait en effet procédé à l’abattage sauvage d’une dizaine d’arbres. « Un coup de pression », selon Fatima El Khili. Deux associations de défense de l’environnement avaient alors déposé plainte pour destruction d’espèces protégées auprès de l’Office français de la biodiversité (OFB). « Elles ont été transmises au procureur de la République de Rouen », croit savoir Philippe Vue, pour l’association Bouillons Terres d’Avenir, l’une des deux structures plaignantes. Sollicité pour savoir où en était l’enquête, le magistrat rouennais n’a pas donné suite.

Le 27 avril, Sedelka avait déjà été condamné par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Rouen pour ne pas avoir respecté les règles en matière d’inventaire des biens appartenant aux personnes expulsées du 2, rue de Joyeuse. Début janvier, une cinquantaine de policiers étaient intervenus pour mettre à la rue une quinzaine de personnes, dont au moins deux enfants en bas âge.

Manuel Sanson


Retour sur l’expulsion du collectif des « jardins joyeux » en janvier 2022 filmée par France3 Normandie …