Sécurité Globale : de quel droit ?

Un documentaire de Karine Parrot et Stéphane Elmadjian qui réunit les points de vue de 7 universitaires, chercheuses et chercheurs en droit, spécialistes du droit pénal, de politiques criminelle, des données personnelles et de l’espace public. Interrogés sur cette proposition de loi  » Sécurité globale », ils et elles décryptent les dispositifs techno-policiers prévus par le texte et, au-delà, le projet politique qu’il recèle.

Sept juristes décryptent une séquence législative où la loi qui gouverne la police est élaborée au bon vouloir des forces de l’ordre. Ils et elles nous rappellent aussi que, depuis des siècles et contre la logique de ce texte, la rue est à nous. Un film de 48’52 » …

Novembre 2020. L’état d’urgence sanitaire est en vigueur. La population française est confinée, nul ne peut sortir de chez soi, sauf dans quelques cas « dérogatoires » et moyennant une attestation. C’est précisément ce moment hors du commun que le gouvernement choisit pour faire adopter – suivant la procédure d’urgence – une loi sur « la sécurité globale » qui vient accroître les dispositifs de contrôle et de surveillance

Extraits du Film

« Cette notion de sécurité globale a été pensée par les milieux néo-conservateurs américains proches des cercles militaires au moment de la fin de la guerre froide, elle constitue une rupture avec les principes hérités de la Modernité. L’ère des guerres classique Etat contre Etat semblait révolue et il fallait imaginer un nouveau paradigme sécuritaire pour justifier les budgets de l’armée et de la sécurité, lequel n’a jamais été formellement approuvé par le Parlement. Depuis 2013, la France adhère progressivement, à son tour, à cette conception purement utilitariste de la sécurité : l’État peut, au mépris des distinctions civil/militaire, guerre/paix et droit pénal/droit administratif, utiliser tous les moyens à sa disposition – armée, polices, agents privés – pour assurer sa sécurité, aussi bien à l’extérieur, qu’à l’intérieur de ses frontières ».
Olivier Cahn

Professeur à l’Université de Tours


« Il y a dans le titre de cette proposition de loi quelque chose d’effrayant, de l’ordre de l’énorme mensonge, la sécurité globale, totale ne peut être qu’un mirage sauf peut-être dans un monde de la transhumanité que bien peu souhaitent »
Christine Lazerges

Professeure émérite de l’Université Paris 1- Panthéon-Sorbonne


« Avec l’article 24 de cette loi, comme avec le délit d’intrusion dans les universités, le législateur cherche à punir un acte totalement licite en s’appuyant sur l’intention de son auteur. Or, on ne peut pas connaître l’intention d’une personne, raison pour laquelle le droit pénal ne doit pas punir les intentions. En réalité, avec ce genre de délit, le législateur crée une base légale pour une intervention policière ; la loi permet aux policiers d’interpeller des personnes, de les placer en garde à vue, en sachant qu’en réalité, ils ne pourront pas les poursuivre sur le fondement de ce texte ».
Raphaële Parizot

Professeure à l’Université Paris Nanterre


« On a le sentiment d’un mouvement sans fin, d’une succession continue de lois qui donnent toujours plus de pouvoirs à l’État pour contrôler, surveiller et réprimer la population dans le cadre d’une politique de tolérance « zéro ». Mais la délinquance ne va jamais disparaître, elle est un phénomène normal, comme disait Durkheim, elle se réorganisera toujours pour s’adapter aux nouveaux moyens de surveillance. Or, le résultat ultime de ce mouvement vers toujours plus de surveillance ce sera une société )totalitaire où les citoyens seront surveillés du matin jusqu’au soir. Là, il y aura peut-être des résultats en terme de lutte contre la criminalité mais ce sera au prix d’une société Orwellienne. »
Pascal Beauvais

Professeur à l’Université Paris 1- Panthéon-Sorbonne


«  Cette texte va légaliser plusieurs mesures de technopolice, plusieurs pratiques de surveillance dites intelligentes, utilisant des capteurs sonores, thermiques, des capteurs d’odeurs et aussi des capteurs d’images. Ces dispositifs sont très attentatoires aux libertés, ils menacent nos vies privées mais aussi les libertés d’opinion et d’expression parce que, logiquement, quand on se sent surveillés, on a tendance à se censurer. Or, la loi surprend par la faiblesse des garanties qui entourent l’utilisation de ces dispositifs de surveillance ».
Lucie Cluzel

Professeure à l’Université Paris Nanterre


« Le droit, pour les policiers, de porter une arme hors service leur a été accordé pendant l’état d’urgence terroriste de 2015. Comme beaucoup d’autres mesures, celle-ci a été pérennisée, intégrée au droit commun. Aujourd’hui, avec la loi sur la sécurité globale, le législateur souhaite élargir ce droit en autorisant les policiers à porter leur arme hors service, y compris dans les lieux ouverts au public. Mais c’est le gouvernement qui, dans un second temps, aura la compétence de déterminer, par arrêté du ministre de l’Intérieur, les conditions de ce port d’arme ».
Ludivine Richefeu
Maîtresse de conférences à CY Cergy Paris Université

« A mon sens, il ne faut pas saisir le débat autour de cette loi sur la sécurité globale uniquement en terme de grandes libertés fondamentales. Ce qui est en jeu à travers chacune des mesures de cette loi – qu’il s’agisse des polices municipales, des agents de sécurité privé ou de la surveillance par drone – c’est la qualité d’espace public ouvert. Ce texte, en quadrillant l’espace public, cherche à remettre en cause sa qualité de chose commune dont nous pouvons jouir et user collectivement. Il cherche à isoler et étiqueter les personnes qui circulent dans cet espace dont en principe personne ne peut être exclu ».
Noé Wagener
Professeur à l’Université Paris Est Créteil


Sécurité globale, de quel droit ?

Un documentaire de Karine Parrot & Stéphane Elmadjian

paru dans lundimatin#273, le 2 février 2021

— Sept juristes décryptent la loi Sécurité Globale —
Novembre 2020. L’état d’urgence sanitaire est en vigueur. La population française est confinée, nul ne peut sortir de chez soi, sauf dans quelques cas « dérogatoires » et moyennant une attestation. C’est précisément ce moment hors du commun que le gouvernement choisit pour faire adopter – suivant la procédure d’urgence – une loi sur « la sécurité globale » qui vient accroître les dispositifs de contrôle et de surveillance.

Que signifie cette idée de « sécurité globale » et d’où vient-elle ? Quels sont les nouveaux systèmes de surveillance envisagés ? Qu’est-ce que le continuum de sécurité ? Que révèle le processus parlementaire d’adoption de la loi ? Pourquoi la liberté d’opinion est-elle menacée ?

Nous avons demandé à Karine Parrot de nous raconter la genèse du projet. Elle nous explique tout ci-dessous.

lundimatin : Pourquoi avoir donné la parole à des professeur·es de droit sur cette loi « Sécurité Globale » en particulier, plutôt que sur une autre car, en visionnant le film, on comprend que ce texte s’inscrit dans un processus ancien et continu de grignotage des libertés ?
Karine Parrot : L’idée de faire ce film est née sur la place de la Sorbonne le 17 novembre 2020. A ce moment là, nous étions sous l’empire du second confinement et il était interdit de se promener librement même pendant la journée. Le 17 novembre précisément, deux manifestations étaient programmées : la première se tenait donc sur cette place de la Sorbonne contre la énième réforme libérale de l’Université. Une nouvelle fois, enseignant-chercheures et étudiant·es protestaient contre ce texte présenté au Parlement suivant la procédure accélérée et dont une des ambitions était de multiplier à l’envie les contrats précaires pour les jeunes chercheur·es. C’est très grave car en précarisant celles et ceux qui font de la recherche, on ne rend pas seulement leur vie quotidienne plus difficile, on menace aussi leur indépendance d’esprit et de plume. Et, sur cette place cernée de policiers, j’ai réalisé, en discutant de la loi sécurité globale avec mes collègues, que les professeur·es de droit rejoignaient, via des chemins qui sont les leurs, les points de vue des collectifs militants déjà constitués contre ce texte. Spécialistes du droit pénal et de la politique criminelle, ils et elles connaissent l’histoire du cheminement autoritaire qui est à l’œuvre et s’inquiètent de voir cette logique poussée toujours un peu plus loin. Dans le film, elles expliquent bien que la loi n’est qu’une étape et que la prochaine tient dans le développement de l’intelligence artificielle et de la reconnaissance faciale. Et précisément, ce 17 novembre, avait lieu également une des premières grosses manifestations contre la loi Sécurité Globale. Pour sortir de la place de la Sorbonne et nous rendre devant l’Assemblée nationale en fin d’après midi, il a fallu montrer des attestations et des pièces d’identité, pour certains d’entre nous, parlementer avec les policiers qui encadraient le rassemblement statique que la Préfecture de police avait daigné ne pas interdire. Le parallèle entre ces deux textes de loi fondamentaux et l’ampleur du contrôle policier qui s’exerçait à ce moment là sur nos corps et nos vies m’a sidéré. Le Parlement va-t-il adopter en urgence un texte qui accroît de manière considérable les dispositifs de surveillance, alors que nous sommes précisément interdits d’aller et venir librement ?Le film est née de cette sidération et les universitaires que l’on a interviewé en décembre 2020 étaient tous et toutes particulièrement inquiètes. Mais le film n’est pas un descriptif terrifiant des nouvelles mesures de techno-police ; en les contextualisant, il cherche à les combattre. Il nous rappelle que, depuis des siècles, la rue est à nous et que – contre les logiques sécuritaires et propriétaires – il faut continuer à habiter cet espace collectif ouvert.

Visitez le site du film, c’est par ci : kparrot.gitlab.io/securite-globale-de-quel-droit/

Pour visionner le documentaire Sécurité globale, de quel droit ? de Karine Parrot et Stéphane Elmadjian en intégralité, cliquez ici.


Lire par ailleurs sur PrendreParti.com

Dans la rue contre la Loi dite « Sécurité Globale »…