Fabrice Midal : « Cet été, trouvons de la force pour nourrir l’espoir »

Fabrice Midal avait 20 ans quand il s’est assis pour la première fois sur un coussin de méditation. « Je pensais réussir à me calmer, à faire le vide dans ma tête. J’ai été guidé vers une expérience bien plus forte que cela : ce jour-là, sur mon coussin, je me suis enfin foutu la paix. » La méditation, qu’il pratique depuis 30 ans est une invitation à redevenir humain dans un monde qui tend à faire de nous de simples données à comptabiliser. « Sa » philosophie est avant tout la fête du questionnement …

Interview de Fabrice Midal dans « Bourdin Direct » sur BFMTV et RMC, le jeudi 6 février 2020.


Fabrice Midal : « Cet été, trouvons de la force pour nourrir l’espoir »

Article de Muriel Jasor dans  Les Echos.fr du

 

Masterclass Confinement, déconfinement… L’important, à présent, est de prendre le temps d’honorer les inquiétudes que l’on peut avoir et de s’extraire de tout refoulement ou tout discours niais de la positivité, estime le docteur en philosophie, auteur, conférencier et fondateur de l’Ecole occidentale de méditation. Il faut, durant une courte pause estivale comme de longs congés, pouvoir s’arrêter et mettre des mots sur notre expérience pour partager ce que l’on ressent avec des proches.

Après ce premier semestre tourmenté, quels conseils donner aux collaborateurs, managers et dirigeants pour l’été ?

Entre télétravail, école à la maison et inquiétudes diffuses , beaucoup ont éprouvé, durant et après le confinement, un sentiment d’épuisement, appréhendent la rentrée de septembre et continuent de se faire du souci pour leurs proches et leur propre avenir professionnel. Toutefois, nombre d’entre eux, en entreprise, nient leur peur et c’est terrible. L’important, à présent, est de prendre le temps d’honorer les inquiétudes que l’on peut avoir et de s’extraire de tout refoulement ou tout discours niais de la positivité. Il leur faut, durant une courte pause estivale comme de longs congés, pouvoir s’arrêter et mettre des mots sur leur expérience pour partager ce qu’ils ressentent avec des proches. Pour ensuite pouvoir trouver de l’allant, de l’espoir et même de l’enthousiasme. C’est là, un saisissant paradoxe, rencontrer nos difficultés est formidablement libérateur.

Peut-être l’ont-ils déjà fait à l’occasion de leur retour en entreprise ?

Il est toujours utile de rappeler que l’entreprise n’est pas un lieu où se mettre à nu et baisser la garde. Si elle le devenait, elle permettrait une confusion des genres que je juge malsaine. Malgré ses dires et la doxa ambiante, non, l’entreprise n’est pas un lieu de bien-être. Pis, à vouloir trop y lisser les relations avec autrui, chacun s’y fragilise en refusant les épreuves et les conflits.

Pensons à Hegel, pensons thèse, antithèse et synthèse… L’impression, aujourd’hui, est que l’on diabolise l’antithèse, comme si elle était nécessairement censée mener à la catastrophe ! Comment être heureux sans apprendre à faire face, sans pouvoir exprimer son désarroi ? Nier la contradiction et l’épreuve, c’est se retrouver prisonnier des bons sentiments. Et ces derniers n’ont jamais fait avancer le monde. Cet été, il va revenir à chacun de trouver de la force non seulement pour faire face aux difficultés mais aussi pour nourrir l’espoir.

Les entreprises qui discourent autour du bien-être et de la bienveillance ne vous convainquent donc pas ?

Non L’important est de donner à ceux qui travaillent les conditions les meilleures pour réaliser leur mission et les payer correctement. L’instrumentalisation du bien-être et de la bienveillance me gêne. La bienveillance est une très belle exigence pour soi, mais elle m’inquiète dès lors qu’il s’agit d’un projet à imposer aux autres… qui sert d’alibi au refoulement des conflits et des oppositions. Quant au bien-être sans acceptation de la moindre difficulté, il relève de l’imposture. Rien n’est pire que se laisser piéger par quelque chose de très unilatéral… Ou encore par la porosité des frontières entre les vies personnelle et privée ! Bien sûr, nous télétravaillons et Internet nous envahit. Bien sûr, nous sommes depuis longtemps sortis de la naturalité pour entrer dans une dimension sociale. Nous nous montrons sincères et honnêtes en entreprise, mais nous sommes aussi payés pour un travail précis et on attend de nous que l’on adopte un certain uniforme. C’est sain. Quand j’étais professeur de philosophie, je gardais une certaine distance : mes élèves n’étaient pas mes copains. Nier cela, c’est créer une grave confusion qui entraîne de profondes violences. Pour le dire autrement, avec Pascal, « Qui fait l’ange, fait la bête ».

Que vous confient les dirigeants que vous rencontrez lors de vos conférences ?

« Une crise ne devient catastrophique que si nous y répondons par des idées toutes faites, c’est-à-dire par des préjugés », avertit Hannah Arendt. Les dirigeants d’ETI et de PME que je rencontre reconnaissent avoir agi, durant le confinement, d’une manière qui leur était inconnue jusque-là. Pour l’heure, je note chez eux beaucoup d’allant et d’envie de prendre des risques. Ils veulent se battre pour sauver leur boîte et leurs emplois. Ils ne se découragent pas. Quand on demandait à Luther ce qu’il ferait si la fin du monde advenait, il répondait qu’il planterait un arbre. Comment vivre sans se projeter ?

Quels philosophes préconisez-vous pour accompagner ces périodes d’incertitude ?

La philosophie donne cette capacité d’interroger et de sortir des évidences et de tout ce qui est unilatéral. Je viens de citer Hannah Arendt… Il y a aussi bien sûr Nietzsche, Bergson ou encore Hegel, qui n’a pas peur de l’épreuve et qui pense que l’homme diffère d’une époque à l’autre. Son esprit colle à notre temps en révolte contre le racisme, les inégalités femmes-hommes et les désastres écologiques. Sans doute faudra-t-il réinventer une autre forme de sagesse, non abstraite, faite d’engagement, de liberté et d’espoir. Pour rendre les choses vivantes, il faut à toute force redevenir humain.

Justement, la crise sanitaire a contribué à placer l’humain devant l’économique…

Mais l’économique est parfois très humain ! Je trouve malheureux cette opposition. Le problème, c’est quand la dimension économique prend toute la place, qu’elle nie les solidarités, les échanges, le sens réel du politique… Avec la crise sanitaire, certes l’humain est revenu sur le devant de la scène par rapport à une vision comptable, aveugle, mécaniste. C’est une chance. Les gens ont applaudi les soignants par gratitude, parce qu’ils ne supportaient pas de ne rien faire. Un système de don et de contre-don en quelque sorte.

Certains vont chercher à juguler leur malaise à coups de recettes de développement personnel rapides, qu’en pensez-vous ?

Qu’ils confondent l’espoir et le projet ! On trouve, en développement personnel, beaucoup de recettes absurdes mais aussi des choses formidables comme la psychologie positive , trop souvent ridiculisée et confondue avec la pensée positive.

Autre exemple, sportif cette fois, le yoga est une discipline extraordinaire pour le corps et la santé, à condition de ne pas le limiter à une accumulation de postures absurdes. Et ainsi de suite.

Vous n’avez pas encore parlé de méditation…

Parce que je suis en pleine réflexion à ce sujet… La méditation devient souvent aujourd’hui une tâche très culpabilisante, il faudrait faire le vide dans sa tête, être en pleine conscience tout le temps ! En réalité, il faudrait trouver d’autres façons de méditer, beaucoup plus concrètes, qui nous permettent de transformer nos difficultés. De retrouver une vraie confiance. D’une façon naturelle, à la manière d’un joueur de jazz en improvisation. En cette période de plus ou moins grande pause estivale, j’invite chacun à retrouver le goût du partage, le bonheur d’être avec les autres, le plaisir de revenir à l’essentiel et à « se foutre la paix »  !

Fabrice Midal est l’auteur de « 3 minutes de philosophie pour redevenir humain » (Flammarion)