Ada Colau, de la rue à la Mairie de Barcelone …

Ada Colau est maire de Barcelone depuis 2015. A la tête du parti de la gauche alternative « Catalogne en commun », elle a notamment entrepris de limiter la spéculation et la hausse des prix liées au tourisme, de réduire la circulation automobile, de revitaliser les quartiers et d’impliquer davantage la population dans les processus de décision de la ville… Retour sur ses origines.

Et tout d’abord , un documentaire de 24′ réalisé par Pau Faus, 2 ans après son arrivée en Mairie de Barcelone …

Ada Colau, de la rue à maire de Barcelone (en passant par le Cinemamed)

Ada Colau lors d’un sitting organisé par la PAH. | © Extrait du documentaire « Ada for mayor »

Cinéma et Docu

Durant neuf mois, le réalisateur Pau Faus avait suivi Ada Colau, « simple » militante espagnole, jusqu’à son élection comme maire de Barcelone. Nous lui avons parlé en amont de la projection de son film « Ada for mayor », au festival du film méditéranéen de Bruxelles.


« J’ai réalisé très vite que ça allait être une histoire intéressante », se souvient Pau Faus. Sa caméra ne tourne alors encore uniquement que pour la PAH, la plateforme espagnole des victimes du crédit hypothécaire. Nous sommes en 2014 et cet architecte de formation s’est déjà détourné depuis plus d’un an des cabinets de design urbain pour les locaux plus modestes de ce mouvement espagnol unique en son genre. À la PAH, on crie beaucoup. Dans les rues, devant les banques, devant des immeubles, on fait savoir qu’on n’en peut plus des dettes, des expulsions de familles et des bâtiments vides, de la crise qui bat alors son plein. Et avec leurs slogans – dont le fameux « Si, se puede », sorte de « Yes we can » espagnol -, les militants de ce mouvement national parviennent à sauver quelques appartements, reloger quelques familles.

« Je voulais faire partie de tout cela », raconte Pau Faus, qui filme alors les actions de la plateforme au t-shirt vert. C’est d’ailleurs là qu’il rencontre Ada Colau, alors porte-parole de l’association. Avec ses cheveux courts peignés en arrière et son regard volontaire, elle a passé l’arme à l’extrême gauche depuis longtemps, défendant des valeurs communistes et socialistes comme nombre de militants du groupe. En 2014, contre toute attente, mais avec un plan en tête – faire de la politique autrement – elle décide avec le noyau dur de l’association de briguer le poste de maire de Barcelone. Le documentariste en devenir est alors prêt, caméra au poing. Proche d’Ada Colau, il lui propose de la suivre durant la campagne. « Tu veux le faire ? Allons-y », lui répond-elle simplement.

À l’époque, tout cela semble encore bien irréaliste pour cette trentenaire espagnole, qui a l’expérience du terrain, mais pas du jeu politique. Pau Faus, lui, a le nez fin, puisqu’il la suivra jusqu’à son élection en mai 2015, donnant naissance à son documentaire Ada for mayor.

« Un activisme 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 »

Pourtant, le parcours d’Ada Colau et de son parti « Guanyem Barcelona » – « Gagnons Barcelone » n’est pas sans embûches : pour peser dans ces élections, il leur faut d’abord réunir sous leur bannière d’autres poids plumes de la politique espagnole, comme les verts et le Podemos local. Ensemble, ils finissent par former « Barcelone en commun » – mais là encore, peu les attendent.

Le mot ‘changement’ était celui que tout le monde voulait entendre au cours de la dernière élection.

Au fil des assemblées de voisins populaires et des incessantes réunions de crise, Ada for mayor suit une femme déterminée, sur les épaules de qui tout repose, mais qui a elle-même bien du mal à y croire. « Avec mon expérience à la PAH, je pensais que j’étais prête. Les cinq dernières années ont été incroyablement intenses : un activisme 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, être la porte-parole dans l’œil du public, confronter les méchants, les banques, la police, le Parti Populaire… Ils nous appelaient des terroristes, il nous menaçaient de mort. Les médias nous criminalisaient… Je pensais qu’après toute cette exposition, j’étais prête« , confie-t-elle douloureusement dans ce documentaire palpitant, où le destin d’une activiste, mais surtout d’une ville se joue. Ada Colau a promis de ne jamais oublier qui elle était. Et dans la course à la mairie, au milieu des stratégies et des conférences de presse, la tâche est plus compliquée qu’il n’y parait.

©Ada for mayor – Des militants collent en pleine nuit des affiches d’Ada Colau dans les rues de Barcelone.

D’autant que le PP de Mariano Rajoy et le parti socialiste sont bien installés, attendus comme à chaque élection. Mais en 2014, l’Espagne peine encore et toujours à sortir de la crise dans laquelle elle est sérieusement embourbée. « Le mot ‘changement’ était celui que tout le monde voulait entendre au cours de la dernière élection », rappelle le réalisateur Pau Faus. « Mais il n’y avait absolument personne qui pouvait l’incarner. Un activiste qui se présente comme maire était quelque chose que personne ne pouvait égaler », ajoute-t-il, louant les qualités d’empathie, de communication et l’expérience de terrain d’Ada Colau.

Car objectivement, Pau Faus n’est justement pas objectif. Son accès privilégié à la candidate, il le doit à son propre engagement. « De mon point de vue, c’est une erreur de penser qu’on ne puisse filmer ce genre d’évènement qu’avec un œil objectif. C’est impossible. Le documentaire est justement devenu très populaire ces dernières années à cause d’une certaine crise de la représentation : il faut de la subjectivité. On peut expliquer beaucoup de choses avec la subjectivité », assume-t-il. Mais pour éviter un parti pris trop évident, il fait monter le documentaire par « des personnes qui n’avaient pas de liens politiques avec le mouvement ». Et force est de constater que le résultat est particulièrement immersif, autant que précieux : comment s’approcher autant de son sujet sans le vivre, sans le connaitre comme sa propre famille ? Jusqu’aux portes de l’hôtel de ville de Barcelone, Ada for mayor parvient à dresser avec beaucoup de justesse le portrait d’une autre classe politique espagnole, celle qui tient d’immenses assemblées populaires tout en craignant de se brûler dans son engagement. Celle qui n’avait rien à perdre et qui gagne, tout en sachant que désormais, plus rien ne sera pareil.

« Deux ans plus tard »

Et très vite, on veut savoir ce qui arrive après « ils vécurent heureux et dirigèrent Barcelone comme ils l’entendaient ». Des interrogations que devance encore Pau Faus avec une courte suite d’entretiens – en libre accès – intitulée Deux ans plus tard, où les conseillers d’Ada Colau reviennent sur les lentes victoires de l’appareil institutionnel et les myriades de petites frustrations qu’il engrange. « On arrive en pensant qu’on pourra faire certaines choses – et on continue à le penser – mais pas aussi vite qu’on ne le croyais. Vu de l’extérieur de l’institution, ce n’est pas toujours compris », confie une membre de son gouvernement. Ou quand le militantisme se heurte à la dure réalité de la Chambre.

Pourtant, à Barcelone, certaines choses ont changé. La manière, par exemple, dont on s’adresse aux citoyens. Les assemblées de la PAH ont fait des petits dans le voisinage : chaque quartier tient désormais ses propres réunions et discussions, tandis que la maire les visite toutes les deux semaines pour se frotter aux idées, aux revendications, et à la critique populaire. « Il y a eu un changement venu d’en bas qui nous a permis d’émerger. Dans d’autres pays d’Europe, ce vide est comblé par l’extrême droite », assure un conseiller, alors qu’une autre ajoute : « Nous ne pourrons créer un véritable changement sans une société civile mobilisée ».

Chose surprenante, on intercepte l’une des proches de la maire envoyer un tweet : « Cinq expulsions sont prévues demain. Malgré nos efforts, nous avons besoin de vous pour en arrêter une : 9h30, arc du théâtre ». « La loi est tellement injuste qu’il y a encore des gens qui doivent sortir dans la rue et recourir à tous les moyens », se défend-elle. Car certaines choses ne changent pas.

Une maire en Catalogne en 2017

D’autres sont moins prévisibles, comme le climat indépendantiste catalan, qui s’est particulièrement durci ces derniers mois. Au milieu de la tempête, on a peu entendu Ada Colau. Dans Ada for mayor déjà, elle fait part de son point de vue sur la question, moins radical que d’autres. « Et quand on a ce point de vue, qui n’est pas tranché, c’est difficile d’être vu dans le débat comme utile », explique le Barcelonais Pau Faus, toujours en contact avec la maire. « Pourtant, c’est le rôle qu’elle défend, tout en continuant de clamer que c’est l’agenda social qui devrait être la priorité. Car tout est postposé quand on a ce genre de débat« . Et d’ajouter, toujours conquis, mais éclairé : « Aujourd’hui, Ada Colau est une figure politique bien plus forte qu’elle ne l’était le jour de son élection. Ce fut très surprenant, voire choquant pour beaucoup, de voir cette femme très radicale – une activiste – devenir maire. Elle sortait de nulle part. Mais beaucoup se sont dit ‘Voyons ce qu’elle peut faire’. Et nombreux sont ceux qui sont étonnés aujourd’hui de voir les réalités complexes qu’elle arrive à gérer à Barcelone et en Catalogne. Aujourd’hui, elle est l’une des femmes les plus puissantes d’Espagne. Et ça, peu auraient pu l’imaginer ».


Ada Colau, icône des « indignés », investie maire à Barcelone

La militante de gauche Ada Colau, tête de liste proche du mouvement des indignés et de Podemos, sera investie samedi maire de Barcelone avec les voix d’indépendantistes et de socialistes qui lui permettront d’avoir la majorité absolue.  Durée: 1’21 »

A suivre …