Depuis 3 mois, les Chiliens sont dans la rue? La révolte remet désormais en cause tout le système d’un pays qui, depuis la dictature de Pinochet, est un laboratoire du néo-libéralisme et où les inégalités sont parmi les plus fortes au monde. Malgré une répression très violente, la mobilisation ne faiblit pas. Pour Brut, Charles Villa témoigne au cœur des manifestations, tout comme l’écrivain Hervé Hamon …
Les manifestations au Chili, c’est 26 morts en deux mois et demi. Charles Villa s’est rendu sur place pour essayer de comprendre pourquoi la jeunesse se révolte. Une vidéo documentaire de 13’40 » …
Au Chili, les manifestations continuent
Le mouvement de contestation chilien a démarré en octobre 2019 à cause de la hausse du prix du ticket de métro à Santiago. Les étudiants et la jeunesse sont d’abord descendus dans la rue pour demander le retrait de cette augmentation et faire pression sur le gouvernement. Mais rapidement, les revendications se sont transformées en lutte contre la vie chère, la corruption et les inégalités.
« L’arrogance de l’élite »
Monica Gonzalez, journaliste et écrivaine, analyse le phénomène : « Détruire les portiques du métro, les tickets, c’était une réaction d’étudiants qui en avaient marre qu’on augmente les prix et qu’on leur dise en plus de se lever plus tôt. Parce que c’est aussi une rébellion contre les mauvais traitements, contre l’arrogance d’une élite qui répète que si vous êtes pauvres, c’est parce que vous êtes mous. »
Parfois, les forces de l’ordre bloquent l’accès aux rues principales qui mènent au coeur de la ville. Elles restent là jusqu’à qu’elles décident de charger et de vider la place.
Émile, architecte qui participe aux manifestations, fabrique des boucliers. Il témoigne : « On peut le porter comme un sac à dos. L’idée, c’est de permettre aux gens qui font leur travail dans des endroits dangereux, comme les secours, de se sentir en sécurité. Les boucliers qu’ils ont actuellement les oblige à avoir quelqu’un qui le tient à la main. Ce serait bien d’avoir des boucliers qui tiennent debout tout seuls pour pouvoir se servir de ses mains afin d’aider les blessés. Ces bouclier sont faits pour résister à des balles en caoutchouc, ce qu’utilise la police tous les jours. Ce sont des balles de 8mm environ, qui contiennent 20 % de caoutchouc. Le reste, c’est du métal, comme du silice. Les boucliers doivent aussi encaisser les lacrymogènes. »
Plusieurs dizaines de milliers de manifestants chaque jour
Sur la place, il y a plusieurs dizaines de milliers de personnes. C’est uniquement dans les rues adjacentes qu’il y a des combats avec les forces de l’ordre. À chaque fois, quelques centaines de personnes se battent avec elles. Ils envoient des projectiles sur la police, et quand elle s’apprête à charger, ils reforment, puis déforment leurs rangs.
« Le fossé entre les riches et les pauvres est visible ici. Ce n’est pas nous, les méchants. Les méchants sont ceux qui soutiennent l’énorme fossé qu’il y a entre la réalité d’un pauvre et celle d’un riche. On en a marre. On n’en peut plus. Nous, on n’est pas violents, c’est le cœur qui parle, c’est la rage. Parce que j’ai trois enfants, parce que je suis un ouvrier qui n’obtient que de la merde, comme tous ces gens, on ne gagne rien pendant qu’il y en a qui gagnent deux fois plus, trois fois plus que nous. Ça ne peut plus durer. C’est les travailleurs qu’il faut soutenir. Ici, au Chili, si tu n’as pas d’argent, tu n’as pas accès à la santé. Si tu n’as pas d’argent, tu n’as rien, mon vieux », confie un manifestant.
« On nous traite comme des délinquants »
Si les jeunes sont en colère, c’est principalement contre le coût de l’enseignement supérieur. Et cette colère est allée très loin : les manifestants ont mis le feu à une université, qui s’est effondrée. Le niveau de violence n’arrête pas de monter. Au milieu de ce chaos, Charles a rencontré Adriel, un jeune Chilien de 21 ans qui vient toutes les semaines à Santiago pour être en première ligne de la contestation.
« Je manifeste notamment pour mon petit frère. Pour la génération à venir. C’est eux qui vont en bénéficier si nous réussissons. Je proteste contre les inégalités sociales. Parce que les classes sociales d’en haut ont plus de privilèges que celles d’en bas. C’est une espèce de révolution, mais ce n’est pas une guerre, comme le dit le président Sebastián Piñera. Les gens sont fatigués d’avoir subi des abus pendant 30 ans. Les gens âgés sont en train de mourir, parce qu’ils ne peuvent pas vivre avec 100.000 pesos par mois. Ma mère, par exemple, ne travaille pas en ce moment. Et quand elle le fait, son salaire n’est pas suffisant pour subvenir aux besoins de ses enfants. Je suis en colère contre l’État. Nous manifestons pacifiquement et non nous traite comme des délinquants. »
Charles Villa pour Brut.
Lire par ailleurs : « Mais qui se soucie du Chili, hors du Chili ? »
» … s’il fallait un plus grand commun dénominateur à cet immense soulèvement, c’est bien la dignité d’une citoyenneté reconquise …
A Santiago, à Antofagasta, à Valparaiso, à Temuco, à Concepcion ou Valdivia, mais aussi dans les villages, chaque soir, on manifeste – depuis trois mois. On manifeste contre un modèle de société dont le président Piñera disait encore, à la veille du mouvement, qu’il constituait « une oasis ».
Il faut imaginer ce que sont devenus les véhicules de police, des sortes de monstres bosselés, couverts de peinture, des blindés martelés de pierres. Ces monstres crachent des lacrymogènes, mais aussi du gaz poivre. Et, surtout, les « guanacos » propulsent une eau redoutable, chargée d’acides ou de soude caustique. Les carabineros, les « pacos » agressent tout ce qui passe à portée, hommes et femmes, enfants et personnes âgées. La morgue n’a pas identifié nombre de corps, pas plus que les disparus ne sont répertoriés. Mais dans les quartiers, les « poblaciones », des commissariats sont attaqués à la nuit tombée. Car les pauvres répondent à la chasse aux pauvres.
Le point de rassemblement, dans la capitale, c’est la plaza Italia rebaptisée « plaza Dignidad ». Car, s’il fallait un plus grand commun dénominateur à cet immense soulèvement, c’est bien la dignité d’une citoyenneté reconquise.
En fin de semaine surtout (aujourd’hui et demain seront particuliers parce qu’ils marquent les trois mois de la mobilisation), des dizaines de milliers de gens se retrouvent, avec des tambours, des drapeaux mapuches, des fanfares. On se bat et on danse la cueca.
Les flics interdisent l’accès. Mais, face aux flics, il y a la « première ligne », des garçons et des filles qui montent à l’assaut avec des lance-pierres, des boucliers. La plupart proviennent des poblaciones, et ce sont les héros du Chili. Car ils prennent les coups, et y retournent. Ils te protègent aussi avec tendresse ; « Tio », « tia » (mon oncle, ma tante, douce appellation des familles unies), ne reste pas là, c’est dangereux, tu t’es battu pour nous, c’est à notre tour maintenant.
Un peu en retrait, dans les rues adjacentes à l’Alameida (l’avenue qui mène au palais présidentiel), des postes de soin autogérés, tenus par des médecins, des infirmières, recueillent les blessés, les lavent, tentent d’extraire les fines balles, soignent les yeux, donnent de l’oxygène à ceux qui étouffent ou perdent conscience.
Et les « mamans capuches », les mères de la première ligne, assurent la logistique, la nourriture, l’eau.
Sans elles, sans eux, les manifs seraient impossibles, les carabineros diperseraient tout le monde vite fait. Mais tout le monde rapplique, et tient bon.
C’est la guerre et c’est la fête. C’est la douleur et c’est la joie. Tandis que les banques se couvrent de panneaux de bois, ces panneaux sont couverts d’affiches créatives, drôles, émouvantes.
C’est mai 68, mais un mai 68 sans Pompidou, sans Grimaud, et sans Grenelle. La droite ne lâche rien. Mais elle a peur et elle a raison d’avoir peur. La seule concession de Piñera – un référendum constitutionnel début avril -, elle peut le perdre. Et le Chili néolibéral vole en éclats.
Mais qui se soucie du Chili, hors du Chili ?
le 17 janvier 2020,
Hervé Hamon, écrivain*
*Hier, avec l’argent de Chiliens de France et de Français solidaires, nous avons apporté du matériel médical à un poste de secours bénévole – on appelle cela une « brigade ». Tensiomètres, bandages, lampes frontales, médicaments de toutes sortes (en particulier contre les brûlures), table d’examen, matelas, tout cela conçu pour être le plus mobile possible quand les « pacos » (les flics) rappliquent.
Le Chili toujours dans l’incertitude, trois mois après le début de la crise sociale
Publié le 17 janvier 2020 dans Le Monde avec AFP
Les institutions n’ont jamais paru aussi affaiblies, ébranlées par une fronde sociale sans précédent, déclenchée par une hausse du ticket de métro à Santiago et nourrie par la colère face aux profondes inégalités socio-économiques.
« Je ne sais pas comment nous allons nous sortir de ce qui nous arrive » : trois mois après l’éclatement du mouvement social, le Chili se débat entre angoisse, espoir et incertitude sur l’issue d’une contestation inédite qui a pris de court la classe politique.
Jusqu’au 18 octobre, le pays sud-américain était loué comme l’un des plus stables d’Amérique latine, encensé pour ses bons résultats macro-économiques. Trois mois plus tard, les institutions n’ont jamais paru aussi affaiblies, ébranlées par une fronde sociale sans précédent, déclenchée par une hausse du ticket de métro à Santiago et nourrie par la colère face aux profondes inégalités socio-économiques.
Le président conservateur Sebastian Piñera, qui sera à la moitié de son deuxième mandat en mars, a vu sa cote de popularité dégringoler à 6 %, un plus bas historique depuis le retour de la démocratie en 1990, selon un sondage du Centre d’études publiques (CEP) publié jeudi.
Une « punition transversale » non seulement envers le richissime homme d’affaires de 70 ans, mais aussi à l’égard de toute la classe politique chilienne, explique Ricardo Gonzalez du CEP.
Les carabiniers, policiers chargés du maintien de l’ordre, accusés de nombreuses violations des droits de l’homme à l’encontre de manifestants, connaissent la même chute vertigineuse : recueillant 57 % d’opinions favorables en août 2015, ils sont désormais à peine soutenus par 17 % de la population, selon le même sondage.
Selon Matias Fernandez, professeur de sociologie à l’Université catholique du Chili, « tout le système politique (…) a eu d’énormes difficultés à gérer ce séisme social parce qu’il n’a pas les outils pour traiter l’information, pour traiter les demandes » face à un mouvement qui, trois mois après son déclenchement, reste sans dirigeant et n’a bénéficié à aucun parti.
En trois mois, ni la droite au pouvoir, ni le centre et la gauche dans l’opposition n’ont réussi à récupérer la colère de la rue. Les manifestations, qui ont marqué le pas dans le pays, mais se poursuivent, avec plus ou moins d’affluence, le vendredi à Santiago, continuent de s’organiser à travers les réseaux sociaux.
De nouveaux appels à manifester ont été lancés à Santiago pour commémorer dans la soirée les trois mois du mouvement, qui a fait 29 morts, dont cinq après l’intervention des forces de l’ordre, et plus de 2 000 blessés, dont 350 ont été grièvement touchés aux yeux.
Critique du modèle ultralibéral
Malgré l’absence de référence partisane, l’actualité sociale et politique, la critique du modèle économique ultralibéral sont devenus les premiers sujets de conversation des Chiliens, qui devront décider le 26 avril s’ils souhaitent changer la Constitution héritée de la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990), une forte revendication du mouvement social.
On est loin de la campagne électorale de la présidentielle de 2017, remportée par M. Piñera, déjà au pouvoir de 2010 à 2014, où l’une des principales préoccupations était la délinquance, dont le taux est cependant l’un des plus bas d’Amérique latine.
« Je ne sais pas comment nous allons nous sortir de ce qui nous arrive, espérons que ce sera bon pour tous les Chiliens », confie Cecilia Vergara, une architecte de 40 ans. Si elle ne descend pas dans la rue pour manifester, elle dit continuer à soutenir les revendications exprimées depuis le début de la contestation.
Aujourd’hui prédomine « un climat d’incertitude, cette espèce de tension entre l’espoir et la préoccupation (…) qui caractérise la situation du pays depuis le début du mouvement », confirme Matias Fernandez.
Malgré les nombreuses concessions sociales accordées par le gouvernement (augmentation de 50 % du minimum vieillesse, cotisations des employeurs au régime de retraites, gel des tarifs de l’électricité…), 55 à 60 % des Chiliens continuent de soutenir le mouvement, selon deux récents sondages. Jeudi, dans un message à la nation, le président Piñera s’est dit prêt « à mettre la main à la pâte pour aider les Chiliens à résoudre leurs nombreux problèmes, les aider à tirer parti de leurs nombreuses capacités et aussi les aider à réaliser leurs rêves ».
Santiago du Chili : Photographie de la ville au début d’une nouvelle décennie
10.01.2020 – Santiago du Chili – Redacción Chile
Par Helodie Fazzalari
« Jusqu’à présent, Santiago est comme une petite fille qui a réalisé du jour au lendemain qu’elle était adulte.» C’est avec ces mots que Pía Figueroa, co-directrice de Pressenza, essaie de décrire dans une de nos réunions ce qui s’est passé au Chili ces derniers mois. Le 18 octobre 2019, une augmentation de 30 pesos du prix des billets de transport public a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, mais derrière cette motivation apparemment superficielle se cachent des décennies d’abus de pouvoir, d’inégalité et d’injustice sociale. « Une dictature dans une démocratie », peut-on lire sur les murs de la ville sur plusieurs banderoles placées par les manifestants. Aujourd’hui, Santiago ressemble à cela, détruite et à genoux, mais paradoxalement plus forte que dans les années où les Chiliens devaient baisser la tête face à la force. Du jour au lendemain, cette jeune fille, d’une manière complètement irrationnelle, a réalisé qu’elle était devenue adulte. Elle a jeté tous les jouets dont elle n’avait plus besoin, et quand elle a compris ce qu’elle était devenue, elle a réalisé qu’elle avait la possibilité de choisir qui elle serait à l’avenir.
Selon le classement établi par la Banque mondiale, le Chili est le deuxième pays le plus « inégalitaire » au monde, précédé seulement par le Qatar. C’est donc dans l’inégalité économique, politique et sociale qu’il faut chercher les principales raisons de ce qui se passe au Chili depuis près de 3 mois. Du jour au lendemain, le peuple chilien a pris conscience et a trouvé un sentiment de patriotisme qui était latent depuis des années. Chaque jour, dans le centre-ville de Santiago, des centaines de manifestants protestent, revendiquent leurs droits et mettent leur propre sécurité en jeu. Sur la Plaza Italia, rebaptisée Plaza de la Dignidad (place de la Dignité), plusieurs militants ont construit de véritables campements, beaucoup vivent dans les rues et d’autres se rendent tous les jours de 5 heures de l’après-midi jusqu’au coucher du soleil aux mêmes endroits pour manifester. Les résidents locaux disent que le nombre de manifestants a diminué avec l’arrivée de l’été, car beaucoup sont à l’extérieur de la ville. « Cependant, en mars, avec la réouverture des écoles, presque tout le monde va revenir, et cette révolution aura alors une évolution décisive », dit un partisan de la protestation. Voici le scénario que la ville présente aujourd’hui : une première, une deuxième et une troisième ligne qui passe chaque jour du Palais de la Moneda à la Place Italia. Des peintures murales représentant les victimes des affrontements, des yeux de papier accrochés aux arbres pour symboliser la solidarité avec ceux qui ont perdu la vue lors de ces affrontements, des monuments commémoratifs en l’honneur de la communauté mapuche qui participe activement à la protestation, des images des visages emblématiques de la protestation, comme celui de Camilo Catrillanca, ou le Negro Matapacos (un chien noir devenu célèbre pour avoir suivi assidûment les manifestations de rue de 2010 à Santiago), un défilé qui avance et affronte la police locale, brûlant au centre des rues tout ce qu’il trouve, une station de métro complètement assiégée (station Baquedano). Maintenant, ce qui reste de cette station est une cour vide pleine de peintures murales en l’honneur de la dignité humaine, au milieu de laquelle brûle une rangée de chiffons suspendus au soleil, appartenant probablement à des manifestants de rue. Il y a aussi des gaz lacrymogènes et beaucoup de fumée, des jets d’eau acide et des sirènes de police assourdissantes, auxquels le peuple chilien répond par des hymnes patriotiques diffusés au volume maximum par Radio Dignité, une station située dans un immeuble occupé à l’angle de la Place Baquedano.
« Je me sens beaucoup plus en sécurité maintenant, en rapport à certaines personnes, qui font que tu ne peux sortir avec une jupe un peu courte, car tu risques toujours qu’on pose les mains sur toi. C’est pourquoi je ne me suis jamais sentie chez moi à Santiago, parce que je ne me sentais pas en sécurité, et encore moins protégée. Alors j’ai décidé de partir. Maintenant, je suis de retour parce que j’aime enfin Santiago et je m’y sens chez moi », dit une Chilienne descendue dans la rue pour manifester.
« Tout le monde dans cette manifestation a un rôle à jouer », explique un autre militant, « il y a les gars du premier rang, les « tailleurs de pierre », qui sont chargés de casser des morceaux de béton et de produire ainsi des pierres à jeter sur les pacos (un mot utilisé pour désigner la police de manière désobligeante), les gars de l’eau, ceux qui distribuent de l’eau pour aider les manifestants du premier rang et ainsi de suite, etc. Dans les rues du centre-ville de Santiago, il y a un grand sens de l’humanité et des dizaines de bénévoles aident les blessés dans les rues. Chaque jour, les « casques bleus » (N.d.E. les personnes du corps médical, tous des volontaires, portent des casques bleus) aident les manifestants en leur fournissant du matériel médical, comme cela s’est produit ce mardi 7 janvier 2020, lorsque des bénévoles ont même dû aider un enfant de moins de 12 ans à l’un de leurs postes. Parce que dans cette manifestation, il n’y a aucune restriction d’âge, de race, de sexe ou de couleur. Pour la première fois, le peuple chilien ne regarde plus les différentes ethnies ou origines, mais lutte ensemble pour la seule chose que tous les êtres humains ont en commun : la dignité.
« Aujourd’hui, nous sommes plus libres qu’avant », dit un manifestant souriant. « Maintenant nous sommes capables de nous regarder en face, ce que nous ne pouvions plus faire avant. Chacun vivait dans son propre monde, comme éteint, isolé du reste de la société ; dans le métro, on ne se regardait même pas dans les yeux et les gens ne pouvaient plus communiquer ». Le peuple chilien marche aujourd’hui dans la même direction, et c’est précisément dans l’image d’un Santiago détruit que nous devons chercher la clé positive de toute cette histoire, et cette clé est le changement. Tout est arrivé soudainement et sans préméditation, au moment exact où l’être humain a changé sa façon de penser. Quelque chose s’est brisé dans la tête du peuple chilien qui l’a réveillé, l’a uni, lui a donné la force de réagir et le courage de sortir dans la rue et de risquer sa vie. Cette lutte contre les institutions a des racines lointaines qui sont plongées dans un champ de souffrance trop vaste pour être raconté. Tout comme la jeune fille a réalisé qu’elle était devenue une femme, les Chiliens ont compris l’importance de leur dignité. Nous sommes confrontés à un processus en constante évolution, qui ne s’est pas du tout arrêté et qui a besoin de temps pour devenir une solution définitive. Cette fille peut devenir une belle femme, ou une femme terrible, mais ce qui est certain, c’est que ces manifestations ont laissé une profonde cicatrice dans les rues, sur la peau et dans le cœur de nombreux habitants de Santiago. Pour le meilleur ou pour le pire, quelque chose va changer, et rien ne pourra plus jamais être pareil.
Traduction de l’espagnol, Claudie Baudoin
Chili : où va le mouvement populaire en 2020 ?
(IRIS/ 09 janvier 2020)
Carlos Ominami, ancien ministre de l’économie et sénateur du Chili, économiste et président de la Fondation Chili 21, répond aux questions suivantes :
_Quelles sont les perspectives sociales et politiques du mouvement populaire chilien démarré fin 2019 ?
_Les concessions sociales du gouvernement de Sebastián Piñera et l’organisation d’un référendum national le 26 avril 2020 sur la question d’une possible nouvelle constitution pour le pays peuvent-elles mettre un terme au mouvement populaire ?
_Quel sera le calendrier de ce processus référendaire et quels en sont les enjeux ? Une vidéo de 7’29 »