Quand « un Bivouac, les yeux dans les yeux, vous poignarde le cœur … »

« Juché sur un camion, un groupe de musique joue comme s’il allait mourir dans l’heure… J’entends à peine le fracas du métal, le laquais a les yeux injectés de sang, et il les darde sur moi… » Les poings fermés, je dévisage la furie et la force, la folle liberté, et le panache ardent du théâtre de rue. J’ignore encore que j’y vouerai ma vie . Pour l’instant, les yeux dans les yeux, je lui laisse me poignarder le cœur…. »
Quand les yeux de Gildas Puget croisent le « Bivouac de Générik Vapeur » un soir de l’été 1991 sur les quais des Jeudis du Port de Brest, il est bien loin d’imaginer que cette rencontre va déclencher chez lui une telle vocation …


15 juillet 1991 / Brest/ Jeudis du Port :

« C’est un de ces soirs d’été entre chien et loup, où le ciel est bleu cobalt, brouillé en remous fumeux couleur d’ardoise, tandis que les lampadaires orangés lustrent les pavés mouillés du port de commerce, à Brest. Cinq jeunes hommes marchent avec désinvolture au milieu de la route, souples et résolus, les jeans ourlés sur leurs docs coquées, cheveux hirsutes et regard joueurs. Ils ont 18 à 19 ans, et il n’y a pas que l’avenir qui leur appartienne. La rue leur appartient, la soirée leur appartient, et sous leurs blousons fermés la vigueur, la vivacité et l’humour battent le rythme intense d’une amitié fidèle. Ce soir, on taille en piste.
Nous sommes en 1991, je suis l’un d’eux, et je suis indestructible. Les Jeudis du Port sont une véritable aubaine pour nous, qui sommes déjà prêts à faire feu de tout bois. Habituellement dans cette ville morne, c’est nous qui dressons les soirées comme des cathédrales gothiques du fond d’un parc humide, assis sur un banc public la guitare à la main, en chantant sous la bruine.

Alors profiter de la ferveur de la foule, des fracas des spectacles de rue, pour nous c’est enfin foutre le feu au ciel et danser sous les cendres. Je suis remonté comme si je partais à la guerre. Ce soir, on taille en piste. C’est de la furie. Jamais je n’aurais cru que les flics laisseraient faire un tel bordel. De toute façon, c’est trop tard, on ne peut plus arrêter un soulèvement pareil. La foule se braque, elle joue des coudes, elle vire ou se défile, percée par une procession surgie des pavés comme une éruption. Je passe en force pour être au plus près du chaos, condamnant mes issues, mais prêt à piétiner pour fuir s’il le faut. L’air est vif et salé, des mains s’agrippent à mon Bomber, les yeux dévorent cette procession violente dans une flamboyante fascination, je me retrouve soudain en première ligne.
Un chien de métal, les côtes ouvertes sur le brasier de ses entrailles, les yeux percés par un soudeur barbare, est fouetté à grands coups de chaîne par un laquais peinturluré de bleu, soulevant des gerbes de braises. Derrière lui, ils sont dix, ils sont vingt, ils sont trente peut-être. Tous plus sauvages, plus brutaux, plus farouches, à rouler des yeux au son d’une musique enragée. Ils roulent sur le bitume de grands fûts métalliques, les jettent devant eux sur la foule qui se disperse en déroute, ils courent en montrant leurs dents, ils brandissent leurs bidons comme des armes, traçant par le danger et la menace la voie pour leur camion.
Juché sur celui-ci, un groupe de musique joue comme s’il allait mourir dans l’heure, les enceintes pendent sur les flancs, le son est immense, énorme, il coule comme du feu sur la scène stupéfiante. La chaîne frappe, frappe encore le chien, des brasillons volettent et tourbillonnent, j’entends à peine le fracas du métal, le laquais a les yeux injectés de sang, et il les darde sur moi.
Les poings fermés, je dévisage la furie et la force, la folle liberté, et le panache ardent du théâtre de rue. J’ignore encore que j’y vouerai ma vie. Pour l’instant, les yeux dans les yeux, je lui laisse me poignarder le cœur. »
                                                                                          Gildas Puget Dit Chtou


8 ans après ce fameux Jeudi du Port, Gildas Puget et Pierre Bonnaud créent à Rennes la Compagnie Qualité Street . Leur premier spectacle Les Champions du Bien, connait un succès rapide et tournera pendant 18 ans . En 2004, La Fleur au Fusil, permet à la compagnie de confirmer internationalement sa singularité. Dés 2006, Gildas connu et reconnu dans la profession sous le nom de Chtou, crée avec Belinda, diffuseuse d’art essentiel La Beauté du Monde, son premier one man show. Dans la foulée de La Lumière de nos Rêves sortie en 2016,  il écrit actuellement Galactics, une fable sur la gestion de notre planète observée par des extra-terrestres. Co fondateur de la Fédération Bretagne des arts de la rue, Chtou a également depuis 15 ans, mis en scène 37 spectacles !

La contribution de Gildas Puget a été recueillie par Prendreparti.com dans le cadre des 30 ans du spectacle « Bivouac » de Génerik Vapeur . Vous pouvez retrouver l’ensemble des contributions reçues à ce jour par ici …