En s’en prenant personnellement à Patrick Cohen qui l’interrogeait sur ses affaires judiciaires, la Ministre de la Culture Rachida Dati poursuit une méthode déjà éprouvée consistant à menacer et insulter les médias et journalistes qui lui déplaisent. Une stratégie de défense bancale qui démontre surtout les contradictions et la vulnérabilité de la ministre de la Culture …
Le billet de Thomas Legrand publié dans Libération du 19 juin 2025 : « Rachida Dati, cheffe de file d’un trumpisme d’Etat en France »
:quality(70)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/liberation/5BVZRA6N6RAYHBDWBKQE5XOA6A.jpg)
« Lors d’une séquence inédite par son agressivité ad hominem dans le cadre classique d’un entretien politique sur un plateau de télévision mercredi 18 juin, lors de laquelle Rachida Dati s’en est prise brutalement à son interviewer pour éviter de répondre à ses questions, la ministre de la Culture a mis dans sa poche toute la bollosphère, toutes les hautes figures de probité comme Isabelle Balkany qui s’est extasiée sur X : «Bravo @datirachida pour ce magnifique uppercut (émoji pouce en l’air) Ah si toutes les femmes pouvaient posséder ton punch (émoji petit bras musclé).»
La façon dont Rachida Dati, qui préside aux destinées de la vie culturelle française, s’en est prise au journaliste Patrick Cohen qui avait eu l’outrecuidance de lui poser quelques questions sur ses multiples affaires judiciaires en cours, relève d’une forme de trumpisme d’Etat dont elle s’est faite, depuis quelques années, la principale importatrice. La ministre a en effet contre-attaqué son intervieweur en faisant référence à des accusations de harcèlement au travail dont il aurait été l’auteur et qui n’ont, en réalité, abouti à rien, ni en interne à Radio France (où l’auteur de ces lignes travaille aussi) ni sur le plan judiciaire.
Rachida Dati se vautre, en outre, de plus en plus, à chacune de ses interventions médiatiques, dans une sorte de désinvolture bravache vis-à-vis de la vérité factuelle. La ministre ment en permanence sur à peu près tous les sujets, qu’il s’agisse du budget de son administration ou de ses multiples mises en cause.
Tous les patrons presse, tous les directeurs de rédactions (rédactions bollorisées mises à part) le savent et écartent le téléphone de leur oreille en grimaçant quand Rachida Dati appelle pour hurler, insulter l’un ou l’une de leur journaliste. Dans chaque rédaction, la ministre a ses têtes de Turcs. A Libé c’est Laurent Léger qui enquête sur son cas depuis ses années à l’Express et à Charlie. Lors de sa dernière interview sur France Inter, Rachida Dati a laissé entendre que Laurent léger est un intime de Anne Hidalgo (faux) et que Libération est subventionné par la mairie de Paris (faux aussi). Il faut dire que Laurent Léger avait révélé les contrats de la ministre avec Orange et l’affaire des «barbouzeries au PSG». La ministre menace les journalistes de procès, elle en intente parfois et les perd régulièrement, comme ce fut le cas encore la semaine dernière en première instance contre notre journal à propos de révélations du service enquête sur ses étranges liens de proximité avec la dictature azerbaïdjanaise. Encore raté.
Les dirigeants de Libération témoignent des bordées d’insultes qu’ils reçoivent de la part de celle qui, par fonction, est pourtant en charge de veiller à la liberté de la presse, dès qu’elle apprend qu’un de leur journaliste prépare un papier sur elle. Les propriétaires du Monde et du Nouvel Obs, de Médiapart, du Parisien, les dirigeants des radios et télés publiques ou privées peuvent en dire autant. Généralement, ils s’abstiennent de le dire publiquement pour protéger les journalistes.
Rachida Dati ose tout, c’est pour ça qu’Emmanuel Macron, admirateur d’Audiard, s’est entiché de cette personnalité hors norme. Mais la rupture avec la moindre des bienséances qu’il convient normalement de respecter dans les échanges entre l’exécutif et la presse, le côté bulldozer d’une femme issue des quartiers populaires qui casserait les codes du «système» font illusion auprès du Président. Il ne s’agit, en réalité, que de mensonges, de vulgarité et de brutalité. Emmanuel Macron a insisté auprès des deux derniers Premiers ministres pour qu’ils prennent en bonne place cette supposée disrupteuse dans leur gouvernement. Un exemple de plus de l’entourloupe macronienne qui devait, souvenez-vous, révolutionner la politique, la moraliser et la rapprocher du peuple. »
Thomas Legrand
Rachida Dati à Patrick Cohen dans «C à vous» : «Est-ce que vous harcelez vos collaborateurs ?» Cohen à Dati : «Ce que vous faites, c’est déshonorant»
Invitée sur France 5 ce mercredi 18 juin, la ministre de la Culture a lourdement tancé le journaliste de France Inter qui l’interrogeait sur ses liens avec GDF Suez, rappelant qu’il faisait lui-même l’objet d’une enquête de «Mediapart» pour harcèlement. Un article signé Charles Delouche-Bertolasi publié dans Libération du 18 juin 2025 …
:quality(70):focal(1507x972:1517x982)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/liberation/K4OZDWSDJNEPVJUPWARRAJXZVY.jpg)
Le 5 juin, une enquête conjointe menée par le Nouvel Observateur et Complément d’enquête a affirmé que la ministre avait perçu 299 000 euros d’honoraires de la part de l’entreprise gazière, documents à l’appui. La ministre de la Culture, par ailleurs mise en examen pour corruption passive dans l’affaire Carlos Ghosn, a toujours récusé tout lien contractuel avec le groupe gazier français, rebaptisé Engie en 2015, et nié mordicus tout conflit d’intérêts.
«Ce sont des honoraires qui ont été trouvés dans une comptabilité […]. Tout ça a été scanné. Je n’ai jamais vu un avocat au noir, des factures au noir, une comptabilité au noir. Tout ça est connu, déclaré et a été tout à fait validé», s’est justifié dans un premier temps la ministre de la Culture sur le plateau de France 5, multipliant les arguments pour faire preuve de sa bonne foi. «Je n’ai jamais eu ni de redressement fiscal ni de problème fiscal ni financier. Tout ça a été déclaré», martèle-t-elle face à Patrick Cohen.
Des honoraires «validés par le Parlement européen ?» relance le journaliste, la mine circonspecte. C’est la goutte de trop pour Rachida Dati. Pendant qu’un dîner gourmet se prépare en fond de cadre – une tradition de fin d’émission chez C à vous –, l’ambiance autour de la table tourne au vinaigre. «Est-ce que vous êtes magistrat ? Ce n’est pas à vous que je dois répondre si je dois répondre. Mon dossier est clôturé», rétorque la ministre.
«Je n’ai pas été accusé de harcèlement»
Alors que le doute habite Cohen, l’ancienne garde des Sceaux commence son réquisitoire : «Monsieur Cohen, une enquête Mediapart vous a mis en cause pour harcèlement, management toxique. Une enquête Mediapart qui est ressortie très récemment», enchaîne la ministre coudes sur la table, regard planté dans celui de son interlocuteur.
«Est-ce que c’est vrai ? Est-ce que vous harcelez vos collaborateurs ? Est-ce que vous êtes désagréables avec les gens avec qui vous travaillez ? C’est affirmé dans une enquête Mediapart, répète Rachida Dati. On vous accuse de harcèlement. Est-ce que c’est vrai Monsieur Cohen ? Est-ce que vous pouvez me répondre ?»
La ministre de la Culture fait référence à une enquête publiée le 3 février par le site d’investigation visant l’éditorialiste politique et son retour sur France Inter. Les auteurs ont recueilli près d’une vingtaine de témoignages de salariés de la radio publique. «Toutes et tous confient avoir été victimes, ou témoins, de la brutalité managériale de Patrick Cohen. Certains témoins estiment que les faits décrits pourraient relever du harcèlement moral», relate Mediapart dans son article.
Face aux attaques répétées de Rachida Dati, Patrick Cohen se défend : «Je n’ai pas été accusé de harcèlement.» «C’est un délit, Monsieur Cohen», lui répond tout de go Rachida Dati. A côté de la ministre, l’animatrice Anne-Elisabeth Lemoine accuse le coup, avant de tenter un doucereux «Madame la ministre…» Pas suffisant pour stopper la verve ministérielle.
«A “C à vous”, l’ambiance est épouvantable»
Lancée, Rachida Dati passe la seconde et se retourne vers la boss du talk-show. «Madame Lemoine, une enquête Mediapart a été ouverte. De la même manière qu’il a été dit qu’à C à vous, l’ambiance est épouvantable, que vous pleurez toute la journée, que tout le monde est mis en cause. Est-ce que c’est vrai ?» interpelle-t-elle, faisant référence à un article de Marianne publié en avril qui évoquait «humiliations et jalousies» au sein de l’équipe. «Non, c’est faux», répond l’animatrice, passablement désemparée.
«Contrairement à vous j’ai donné des réponses», se targue Rachida Dati avant de poser à nouveau son regard sur Patrick Cohen : «J’aurais beaucoup de peine pour vos collaborateurs qui ont été harcelés. J’en ai fait une politique pénale, de la lutte contre le harcèlement.» Et de revêtir son ancien costume de ministre de la Justice pour l’avertir (le menacer ?) : «Vous pourriez aussi tomber sous le coup de ce délit. Il suffirait que je fasse un article 40 pour dénoncer (sic) suite à ce papier de Mediapart. Je peux le faire.»
«Je vous y invite», lance Cohen dans une bravade. «Personne n’a été saisi ni par la justice ni en interne par Radio France […]. Ce n’est pas très reluisant ce que vous faites, c’est déshonorant», s’indigne le matinalier décontenancé, la voix blanche.
Quelques heures plus tôt, à l’heure du petit-déjeuner, sur les ondes de France Inter, Patrick Cohen avait consacré son édito du jour à la ministre de la Culture, taclant son projet de holding pour l’audiovisuel public, fustigeant une «idée funeste». A l’heure du dîner, la ministre et le matinalier se sont finalement retrouvés et le torchon a brûlé.
Plus tard dans la soirée, les équipes de C à vous ont reçu le soutien de France Télévisions qui, via son compte X France TV Pro, a rejeté «les mises en causes personnelles des journalistes». Peu après, c’est le compte de Radio France qui s’est fendu d’un rappel : «Mener des interviews contradictoires fait pleinement partie du métier de journaliste en démocratie et ne saurait justifier en aucun cas des attaques personnelles.»