Des habitants de la commune de Stella-Plage près du Touquet tentent de s’opposer à la construction d’immeubles en front de mer. Ils dénoncent une bétonisation en totale inadéquation avec le dérèglement climatique et la confiscation par quelques fortunés d’un espace commun. Ici aussi en 2025, un promoteur s’apprête à construire un parking souterrain à deux étages pour une poignée de privilégiés …
La construction d’immeubles sur le front de mer de Stella-Plage est au cœur d’une bataille entre la mairie et les riverains. Ces derniers dénoncent une bétonisation irresponsable. La situation résumée par Adrien Portron dans ce reportage de TF1 de 3′ 21″ daté du 12 mai 2025 …
À Stella-Plage, les enfants du bassin minier défendent leur coin de mer contre le béton

Le front de mer en arrivant sur le quartier de Stella-Plage. Les immeubles prévus par un projet de bétonisation du «parc à mouettes» boucheraient la vue. – © Stéphane Dubromel /ReporterreSur la côte d’Opale, les habitués de la station balnéaire Stella-Plage, souvent natifs du bassin minier, se battent contre un vaste projet immobilier. La bétonisation ronge déjà le front de mer, mais la mairie est inflexible. Un article signé Mehdi Laïdouni et Stéphane Dubromel (photographies) dans Reporterre du 20 mai 2025 …
Stella-Plage (Pas-de-Calais), reportage
« Cela fait soixante ans que je viens ici. Voir la mer de loin en arrivant sur la route, c’est ça, Stella », sourit Éric, Lensois d’origine, qui joue à la pétanque avec son copain Paul sur la place de l’Étoile. La station balnéaire de Stella-Plage, sur la Côte d’Opale, est réputée pour être, dans le nord de la France, un haut lieu des « vacances populaires ». Durant des décennies, les familles de mineurs s’y sont rendus et les enfants du bassin minier n’ont pas oublié : certaines et certains d’entre eux y coulent une paisible retraite.
L’ennui, c’est qu’« ici, ça bétonne à mort », résume Robert Stangret, président du Club de l’Étoile — association d’histoire locale et de défense du patrimoine, et lui-même natif du bassin minier. Lorsque l’on glisse sur le boulevard Labrasse plongeant vers la mer, les agences immobilières défilent.
Un projet, défendu par la mairie [1], cristallise les tensions : la construction de quatre immeubles et d’un parking souterrain sur deux étages sur le « parc à mouettes », un terrain en friche face à la mer. Dans cet écosystème dunaire poussent le seigle de mer et le chardon bleu des dunes. Il s’agit sans doute du dernier espace naturel situé en front de mer à des kilomètres à la ronde.
La résistance gonfle. La signature du permis de construire fin février a entraîné, le 6 avril, la plus grande manifestation de l’histoire de la commune — entre 600 et 700 personnes se sont mobilisées. L’endroit a déjà survécu à toutes les tentatives de bétonisation passées, au prix de longues luttes juridiques entre la mairie et les promoteurs d’une part, et des citoyens et écologistes d’autre part. Jusqu’à quand ?
Car avoir une vue dégagée sur la mer en dehors de la plage est de plus en plus difficile à Stella. À l’instar de sa grande — et riche — voisine du Touquet, Stella-Plage est devenue très attractive pour des résidents de plus en plus riches et, en toute logique, pour les promoteurs immobiliers.
« On parle de 7 000 euros le mètre carré, ce sont des prix qui ne sont pas du tout ceux d’il y a dix ans », analyse Robert Stangret, qui se lance dans une énumération de tous les projets immobiliers dans les cartons.
Un terrain évalué à 9 millions d’euros
Tous les opposants à la bétonisation du parc à mouettes s’accordent à penser que, pour la mairie de Cucq et le promoteur, les intérêts financiers sont colossaux. « C’est une histoire de gros sous. Plus il y a d’habitations construites, plus il y a de taxes pour la commune », affirment les boulistes Paul et Éric.
La mairie de Cucq voit effectivement dans ce projet l’occasion de dynamiser cette partie de la station balnéaire. « Il est superflu de souligner que les rez-de-chaussée de ces constructions favoriseront l’implantation de nouveaux commerces, jugés indispensables en front de mer et qu’économiquement parlant, ce programme sera source de nouvelles recettes fiscales pour la ville », estime la municipalité dans un communiqué adressé à Reporterre.
L’argument financier est également invoqué par la mairie pour justifier la suite du projet : un abandon pouvant entraîner des pénalités et des coûts. « La municipalité de Cucq risque alors de devoir débourser une somme conséquente face à la non-constructibilité d’un terrain évalué à la modique somme de 9 millions d’euros ! »
Des constructions malgré la montée des eaux
Pour certains opposants au projet, construire en bord de mer pour des questions de rentabilité dans un contexte de réchauffement climatique est une hérésie. « On construit dans ces zones parce qu’il n’y a plus [d’autres] terrains, et que le terrain vaut très très cher », estime David Facon, administrateur du GDEAM — une association environnementaliste locale très active dans les luttes.
Sur le cas particulier du parc à mouettes, David Facon évoque un exemple concret : la décision de construire un parking souterrain à deux étages, non seulement pour les quatre bâtiments du site, mais aussi pour deux autres, plus en retrait. « La nappe phréatique est affleurante. Ils vont devoir pomper dans les dunes [pour éviter l’inondation], déplore-t-il. Le réchauffement climatique fait monter la mer, et quand la mer va monter, les nappes vont monter. » « Lors des grandes marées, l’eau arrive déjà au ras de la digue », témoigne Robert Stangret.
Dans un rapport évoquant le cas du parc à mouettes, Léa Louis-Tardieu et Louise Deshayes, jeunes architectes — aussi ingénieures et hydrologues originaires de Stella-Plage — sont, elles aussi, sceptiques. « Est-il raisonnable […], en invoquant l’argument financier, de continuer à aménager et construire les fronts de mer, prétendument protégés par leurs digues, sans prendre en compte le changement climatique ? »
Des opposants prêts à tous les recours
En 2022, le Conseil d’État avait fait annuler le précédent permis de construire sur le parc à mouettes — portant sur 320 logements. Le projet ne respectait pas le principe de la « bande des 100 mètres », imposée par la Loi littoral de 1986, et entraînait une densification trop importante du territoire, précisait-il. La mairie de Cucq et le promoteur Marignan ont donc revu le projet et ont décidé de construire… uniquement à l’arrière du site.
« Les recours relatifs à l’interdiction de construire dans la bande des 100 mètres ont obtenu gain de cause et le promoteur s’est bien évidemment plié à ces exigences », écrit la mairie, rappelant que toutes les autorisations préfectorales ont été accordées pour le projet du parc à mouettes.
Pour les opposants, ce n’est pas suffisant. Ils ne sont pas d’accord sur la localisation même de la bande littorale de 100 mètres. Autre point : l’absence d’études sur la biodiversité. Lors de l’étude du dossier par la commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS) — dont l’avis est décisif dans la délivrance du permis — le rapport de la DDTM estime qu’il aurait été « appréciable » d’avoir une étude faune-flore, mais recommande tout de même un avis favorable. Or, la présence d’espèces protégées sur le site nécessite une dérogation. « La commission ne peut rendre qu’un avis défavorable en l’état d’un dossier manifestement incomplet », estimait David Facon dans ses remarques sur le projet.
« Les espèces protégées, on en a à foison, et [en cas de recours] on en discutera devant le tribunal », tonne Me David Deharbe, avocat défendant l’association stellienne CTS 2000, victorieuse devant le Conseil d’État il y a trois ans.
Déjà, des recours gracieux ont été formulés par plusieurs associations locales, et des actions en justice pourraient être menées. « Tout le monde sait très bien que le permis est fragile, estime Me Deharbe. On gagnerait un temps phénoménal à le retirer. »
Tous les opposants sont déterminés à empêcher tout bétonnage du parc à mouettes. « Notre but, c’est de rendre cette zone définitivement inconstructible », affirme Robert Stangret. Dans ce type de luttes, « il y a beaucoup d’associations “Nimby” [acronyme de « pas dans mon jardin » en anglais], explique David Facon. Nous, on ne veut pas de ça ; ni dans notre jardin, ni ailleurs. On veut changer de modèle. »
DES ESPÈCES PROTÉGÉES MENACÉES
Avec l’érosion des dunes, de nombreuses plantes aréneuses — poussant dans le sable — sont en danger. Au parc à mouettes, on trouve le chardon bleu des dunes (panicaut maritime) et du seigle de mer (élyme des sables). « Ces deux plantes-là sont indicatrices d’un habitat typique des dunes, ça fait partie de la directive européenne habitat », rappelle David Facon, du GDEAM.
Leur présence est avérée, mais quid de celle d’autres espèces potentiellement protégées ? En l’absence d’enquête, certaines espèces sont peut-être ignorées. Naturaliste et entomologiste, David Facon envisage la présence d’autres espèces protégées. « On suspecte la présence d’un oiseau qui s’appelle le cochevis huppé, une espèce en voie critique d’extinction. Il y a aussi une faune associée aux plantes — il y a un papillon qui ne vit que sur les panicauts — mais on ne la cherche même pas. »
La protection de l’écosystème dunaire est importante, en raison de sa fragilité. « Si le panicaut maritime est protégé, c’est parce que les cordons dunaires sont malmenés, et qu’à force de bétonner, on a très très peu d’espaces comme on en a à Stella », estime Me Deharbe « Pour détruire une plante protégée, il faut une autorisation administrative au nom d’un motif d’intérêt public majeur. Les permis liés à l’immobilier, ce n’est pas d’intérêt public majeur », estime David Facon.
EN IMAGES – Une mobilisation contre le projet de bétonisation à Stella-Plage rassemble plus de 500 personnes
Un article signé Juliette Penn publié dans France Bleu.fr du dimanche
Plus de 500 personnes se sont réunies à Stella-Plage, près du Touquet, ce dimanche pour manifester contre la bétonisation de la place principale, connue pour sa vue dégagée, encore vierge de toute construction. Cette vue est menacée par un projet immobilier, quatre immeubles d’une quinzaine de mètres de haut. Le permis de construire a été délivré par la mairie de Cucq. Une aberration pour les habitants de Stella et de ses environs.
» On va perdre une vue, une qualité de vie, une identité. »
Pour eux, Stella, c’est cette place en forme d’étoile où convergent plusieurs routes, avec une vue imprenable sur la mer. « Quand tu arrives sur la grande côte et que tu vois la mer, ce ciel dégagé, c’est wahou ! », s’exclame Margaux. Derrière elle, Christophe acquiesce : « Quand on arrive à Stella, sur le haut du boulevard et de la butte, qu’on aperçoit soudain la mer, les enfants applaudissent, c’est une explosion de joie ».

Un attachement viscéral à ce paysage qui risque de disparaître avec ce projet immobilier. Une transformation inimaginable pour Pascal qui vit depuis 30 ans à Stella. Dans ses mains, il tient une pancarte, son message : « Préservons notre vue mer ». « Ce qu’on craint, c’est de retrouver ce que l’on voit sur toute la côte, à Hardelot, au Touquet, à Berk, c’est-à-dire des zones fermées, sans accès à la mer. On va perdre une vue, une qualité de vie, une identité. »
Catherine, propriétaire de chambre d’hôtes sur la commune, a aussi peur pour l’attractivité de Stella. « C’est la vue qui attire les gens. C’est notre carte de visite notre plage et il faut la maintenir comme ça. Je ne suis pas contre un projet d’aménagement, mais un projet différent. » Comme un terrain de jeu ou des bars éphémères par exemple.
Un projet en inadéquation avec les enjeux climatiques

Murielle Petit est à l’initiative de la mobilisation et selon elle, « la mairie de Cucq aurait pu éviter cette bétonisation, soit en expropriant le propriétaire, soit en rendant le terrain inconstructible ». Elle l’assure, « jamais ce projet n’aurait dû voir le jour ».
Surtout qu’il n’est pas soutenable, dénonce l’architecte Léa Louis-Tardieu, originaire de Stella et également à la tête de la mobilisation. « Il y a deux étages en sous-sol qui doivent être construits dans chaque immeuble, ce qui aura un impact sur les sols, la faune et la flore. Pour éviter les inondations, ils devront pomper de l’eau en continu. De plus, le matériau utilisé sera le béton, qui on le sait, ne s’adapte pas bien aux questions climatiques d’aujourd’hui. »

Une pétition est disponible en ligne pour demander l’arrêt du projet. Plus de 4500 signatures ont déjà été recueillies. …