En Bretagne, l’extrême droite s’en prend à des lieux d’accueil et d’inclusion …
En Bretagne, ces dernières mois , plusieurs lieux bretons luttant contre l’exclusion et le racisme ont été pris pour cible par des militants d’extrême droite. A Lorient, dans la nuit du 1er au 2 mai, le lieu tiers « Le Concept » a de nouveau été victime d’intimidations, de dégradations et de tentative d’intrusion. Reporterre y voit une percée des idées nauséabondes dans une région longtemps préservée …
« Quel mal avons-nous fait ? » : des tiers-lieux bretons agressés par l’extrême droite
Lorient (Morbihan) et Lannion (Côtes-d’Armor), un reportage signé Mael Galisson paru dansReporterre du 3 mai 2025 …
La devanture porte encore les stigmates de l’attaque survenue dans la nuit du 26 au 27 mars. Ce matin-là, Lisa Cailleau et Élise Henry, les deux cogérantes du Concept, un tiers-lieu de Lorient, ont découvert leur façade recouverte de croix celtiques, symbole de l’extrême droite, et d’œufs pourris. « J’étais dans mes pensées, et c’est en mettant la main sur la poignée sur laquelle dégoulinaient des œufs pourris que je m’en suis rendue compte, se souvient Lisa. J’ai alors vu les tags, je me suis dit : “Que s’est-il passé ?” »
Ce n’est pas la première fois que le lieu est pris pour cible par l’extrême droite : en octobre 2024, quatre militants nationalistes avaient tenté de perturber une rencontre du comité local des Soulèvements de la Terre. « Ils étaient quatre dehors, nous étions soixante-dix à l’intérieur, ça n’avait aucun sens », dit Lisa. L’ardoise à l’extérieur était régulièrement prise pour cible. « Ils taguaient, on effaçait, ils taguaient de nouveau, on effaçait, raconte Élise. Mais cette fois ils ont passé un cran. »
Recrudescence d’intimidations
Depuis deux ans, la Bretagne subit une recrudescence d’intimidations ou d’actes violents perpétrés par des groupuscules d’extrême droite. Agression armée contre des syndicalistes, attaque contre un festival antiraciste, dégradations de permanences de partis politiques, banderole homophobe déployée le jour de la Gay Pride : de Brest à Rennes, en passant par Lorient, les agissements de la mouvance identitaire se sont multipliés ces derniers mois. Parmi les nombreuses cibles de ces groupuscules, des lieux revendiquant une démarche écologiste ou inclusive.
« Les tags ont été faits deux jours avant une soirée drag », dit Élise. « Ici se rencontre un public très vaste, poursuit Lisa. Des personnes avec des transidentités côtoient des personnes très engagées dans l’écologie, tous ces publics dérangent l’extrême droite. » Le lieu, ouvert en mai 2024, est à la fois un bar-restaurant « végétal et végétarien, avec des produits qui ne prennent pas l’avion », un atelier d’entretien vélo, un espace de coworking et d’organisation d’événements.
À Lannion, dans les Côtes-d’Armor, ce sont des serres maraîchères qui ont été vandalisées en juillet 2024, dans l’entre-deux-tours des élections législatives. « On est arrivés un matin et pas mal de choses avaient été saccagées », se souvient Charlotte [1], membre de l’Association d’accueil en agriculture et en artisanat (A4) dédiée à la rencontre, à la formation et au soutien — notamment juridique — de ruraux et d’urbains, avec ou sans papiers.
« Il ne fallait pas montrer qu’on avait peur, donc on a gardé le même cap »
« Des inscriptions “Fuck LFI”, “Fuck Hamas” et “terroriste” avaient été taguées sur certaines vitres, des meubles contenant de la vaisselle avaient été renversés, un couteau planté dans une table… » Une exposition photo de l’association partenaire Étincelles, qui propose des cours de français aux personnes exilées, a été dégradée, les clichés déchirés et les panneaux jetés à terre.
« Au départ, on était tous sous le choc, on a eu peur d’éventuelles représailles, confie Seid Djom. Mais, après mûre réflexion, on s’est dit qu’il ne fallait pas montrer qu’on avait peur, donc on a gardé le même cap. » Menacé pour ses activités militantes en faveur de l’environnement, Seid, ingénieur en génie civil, a fui le Tchad pour rallier la France en 2023, où il a demandé l’asile.
« Le projet de notre association, c’est de réunir les gens autour d’une vision commune de l’agroécologie, c’est une démarche de partage. Je me suis demandé : quel mal avons-nous fait ? », s’interroge-t-il. « On a organisé des soirées de soutien à la Palestine, mais ce qui dérange, c’est très certainement le fait qu’un projet de ce type soit porté par des personnes étrangères », pense Charlotte.
Plaintes sans nouvelles
À Lorient comme à Lannion, après ces attaques, des plaintes ont été déposées par les gérantes du Concept et les membres d’A4. Toutes restent à ce jour sans nouvelles d’éventuelles suites judiciaires. Les parquets de Lorient et Saint-Brieuc n’ont pas répondu aux sollicitations de Reporterre.
Au sein de l’association A4, cette attaque a déclenché « un dialogue et des discussions sur les actes de racisme que subissent certains membres au quotidien, qui se prennent des insultes, des réflexions ou des regards mais n’en parlent pas forcément et le gèrent individuellement ». Un révélateur qui a poussé l’association à s’organiser collectivement afin de répondre à ce type de situation et de menaces. Des échanges ont eu lieu avec des usagers de la Serre, un lieu autogéré de Saint-Brieuc victime d’une agression violente perpétrée par des militants d’extrême droite en novembre 2023.
« Cette attaque voulait nous nuire, mais c’est l’inverse qui s’est passé, ça a resserré les rangs »
Dans les deux cas, ces actes ont suscité de nombreuses réactions de solidarité locale. « On a été impressionnées par la vague d’amour qu’on a reçue le lendemain, se réjouit Lisa, du Concept. Ça ne s’arrêtait pas. » Proches, réseaux militants et quelques élus locaux ont exprimé leur soutien. Les deux gérantes ont répondu à cette nouvelle attaque en lançant une cagnotte destinée à couvrir les frais de restauration de la façade et en organisant une soirée de soutien la semaine après les faits. « Il ne faut pas tomber dans la peur et arrêter ce qu’on fait », affirme Lisa.
À Lannion, la double agression subie par l’association A4 a suscité de nombreuses réactions de responsables politiques locaux. Charlotte se souvient surtout d’un « réel soutien de nombreuses personnes des environs n’appartenant pas forcément à une association ou une institution ». L’attaque n’a pas bousculé le programme de l’association « On a décidé de ne pas annuler le vernissage de l’expo, tout en prévenant qu’il y avait eu ces actes de vandalisme, dit Charlotte. « C’était important de se réunir et de ne pas arrêter de faire ce que l’on fait ».
« Beaucoup de gens sont venus nous soutenir, y compris parfois de Brest ou Saint-Brieuc, on s’est senti entourés, complète Seid. Cette attaque voulait nous nuire, mais c’est l’inverse qui s’est passé, ça a resserré les rangs. » Au Concept, Lisa et Élise ont puisé dans la cagnotte pour recouvrir les tags nationalistes de peinture corail.
À Lorient, le tiers lieu Le Concept de nouveau la cible d’une attaque avec une tentative d’intrusion
Une nouvelle fois, le tiers lieu Le Concept, à Lorient, a subi une attaque : une tentative d’intrusion dans la nuit du jeudi 1er mai au vendredi 2 mai.
Une tentative d’intrusion a été constatée par les gérantes du tiers lieu Le Concept, à Lorient, dans la nuit du 1er au 2 mai 2025. (Photo : Le Concept)
Le tiers lieu Le Concept au 36, rue de Kerjulaude, à Lorient, a ouvert en mai 2024. Ce lieu, qui se revendique inclusif, accueille, en plus de sa partie restauration, plusieurs activités différentes dont un espace pour des ateliers et des événements. Depuis, l’endroit tenu par Lisa Cailleau et Elise Henry a été la cible de plusieurs dégradations. Dans la nuit du jeudi 1er mai au vendredi 2 mai 2025, Le Concept a une nouvelle fois été la cible d’intimidations et de dégradations, cette fois-ci avec une tentative d’intrusion. Le rideau qui protège leur vitrine a été abîmé.
« Les attaques se rapprochent de plus en plus »
Pour rappel, dans la nuit du mercredi 26 au jeudi 27 mars 2025, le lieu avait été la cible de tags fascistes : des croix celtiques (symboles de l’extrême droite), des inscriptions mystérieuses comme NSM (pour « nique sa mère »), la cale (un collectif antifasciste)… « Puis le vol et la casse de notre ardoise événementielle il y a deux semaines », complètent les deux associées dans leur communiqué. « Voilà ce que nous constatons, aujourd’hui, face à cette escalade de violence : les intimidations ont commencé en octobre en 2024. Depuis, les attaques se rapprochent de plus en plus », décrivent celles qui aimeraient un « positionnement clair de la part des élus de la mairie ».
« Nous appelons à l’apaisement, la bienveillance »
Il est important de rester fermes et unis face à la violence, de continuer à construire demain, ensemble, pour que Lorient reste une ville où il fait bon vivre, pour nous et les futures générations. […] Nous remercions les femmes de la police scientifique qui se sont déplacées et ont effectué leur travail avec professionnalisme. Nous remercions également les équipes du député Damien Girard pour leur prise en considération de nos problématiques. Plus que jamais, nous appelons à l’apaisement, la bienveillance et à la communication. Notre raison d’être est le vivre ensemble. Nous refusons de vivre dans la peur et l’oppression », ont-elles déclaré. L’équipe prévoit de fêter les un an du lieu le 23 mai.
En savoir plus sur Le Concept, « Lieu d’accueil et d’inclusion » , c’est par ici …
Lire en complément, un grand format du Média BASTA paru en juin 2024 : « Les violences d’extrême droite se multiplient en Bretagne et autour de Nantes »
Leurs cibles sont nombreuses : « gauchistes », personnes LGBTQI+, immigrés, juifs, musulmans, élus, journalistes… Et leur haine ne se borne pas à déferler sur les réseaux sociaux, comme le montre notre carte des violences d’extrême droite. par Maël Galisson dans Basta du
Intimidations contre un atelier d’artistes drag-queen à Lamballe, tags LGBTphobes pendant le mois des fiertés à Nantes, menaces contre des journalistes à Carhaix, agression physique violente contre des étudiants à Rennes, incendies volontaires contre le domicile du maire de Saint-Brévin-les-Pins (Loire-Atlantique), Yannick Morez, et la mosquée de Saint-Martin-des-Champs (Finistère)…
En l’espace de près de 18 mois, en Bretagne et dans la région nantaise, une série d’actes violents a frappé des lieux de culte musulmans, des centres ou initiatives de groupes LGBT, des permanences de syndicats ou de partis classés à gauche, des journalistes de la presse locale ou encore des militants solidaires des personnes exilées. En décembre 2023, la mosquée de Guingamp est ainsi taguée d’un « 732 Martel reconquista » (en référence à la « bataille de Poitiers » qui vit s’affronter des armées franques et omeyyades au 8e siècle, et à la reconquête de l’Espagne par les royaumes chrétiens). En janvier 2024, la mosquée de Saint-Martin-des-Champs est visée par une tentative d’incendie. Puis le 8 avril 2024, c’est autour de celle de Lorient, puis le lendemain de celle de Saint-Malo.
Croix celtiques et tags nazis
Basta! a cherché à cartographier pour rendre visible cette vague de violences. La liste des évènements recensés sur cette carte n’est toutefois pas exhaustive. Ces exactions ont été classées en quatre catégories, par ordre de gravité, de la dégradation – dans le cas de locaux d’associations ou de partis politiques par exemple (cela a été le cas de ceux du Parti communiste, du Secours populaire, de la CGT…) – à des violences physiques. Par souci de lisibilité, certains actes n’ont pu être intégrés, c’est le cas par exemple de certaines actions xénophobes du groupe « féminationaliste » Nemesis à Nantes.
Si, pour la majorité de ces violences, les responsables n’ont pour le moment pas été retrouvés, les auteurs des faits ont très souvent laissé leur signature sur place. Croix gammées ou celtiques ; sigles « SS » ou « 14/88 » – 88 signifiant HH (la 8e lettre de l’alphabet), abréviation de « Heil Hitler » et 14 en référence au slogan de l’écrivain états-unien suprémaciste blanc David Lane ; inscriptions « PNB » (Parti national breton), « Breizh atao » (« Bretagne toujours ») ou le slogan « FCK AFA » (« fuck antifa ») constituent des identifiant de l’extrême droite et rattachent la plupart de ces actes à cette mouvance.
Plusieurs actions violentes ont causé des blessés en 2023, comme à Saint-Brieuc quand un groupe d’une vingtaine de personnes masquées attaque, le 1er juillet, le Festival pour une Bretagne solidaire, faisant six blessés, ou à Brest le 24 mars quand une personne est blessée au visage par des militants d’extrême droite en marge d’un meeting de La France insoumise. Lors de son procès, l’un des trois agresseurs d’un local associatif, une exaction causant trois blessés, encore à Saint-Brieuc, revendique l’usage de la violence par arme contondante« car c’est utile contre les antifa », et au prétexte de « défendre le droit des Blancs à vivre ».
L’héritage des collabos bretons
En Bretagne et dans la région nantaise, cette extrême droite prend différents visages. Ces derniers mois, Reconquête, le parti d’Eric Zemmour, a été moteur dans les mobilisations xénophobes opposées aux projets d’accueil de personnes réfugiées ou demandeuses d’asile à Callac et Saint-Brévin-les-Pins. Le 14 avril 2023, des militants de Reconquête protestent même, devant un lycée de Lorient, contre la venue de l’association SOS Méditerranée, qui assure des sauvetages en mer de réfugiés en détresse.
A Brest, en octobre 2023, la permanence du Parti communiste français (PCF) subit une nouvelle fois des dégradations. Les tags inscrits sur la façade font référence au Parti national breton (PNB), organisation ayant collaboré avec l’occupant nazi pendant la seconde guerre mondiale et encore active dans la région. Des lieux de mémoire sont également ciblés. Le 15 juillet 2023, un monument de la Résistance à Plœuc-L’Hermitage est souillé par des inscriptions antisémites (« Mort aux juifs »…) et des croix gammées. Le 22 janvier 2024, l’inscription « Breiz atao » (« Bretagne toujours ») est découverte sur le mémorial commémorant un crime de guerre commis par une unité de la Kriegsmarine le 7 août 1944 au moment de la retraite allemande, deux mois après le Débarquement en Normandie.
A Rennes, le groupuscule L’Oriflamme, né d’une scission des royalistes de l’Action française, a été notamment à l’initiative d’un rassemblement contre un atelier drag-queen à Saint-Senoux en mai 2023 et d’une manifestation suite à la mort de Thomas, un adolescent de 16 ans poignardé dans une rixe survenue dans une fête de village, à Crépol (Drôme) en novembre dernier.
Plusieurs membres de ce groupuscule identitaire sont également accusés par le syndicat Solidaires d’être les auteurs de l’agression contre des étudiants à Rennes, le 19 mars 2023. De nombreux militants de l’Oriflamme étaient par ailleurs présents lors de la récente manifestation fasciste du Comité du 9 mai, organisée en plein cœur de Paris.