La démocratie française est malade et ses maux sont multiples …

La treizième vague de l’enquête annuelle « Fractures françaises », réalisée par Ipsos pour « Le Monde » met en évidence une augmentation de la défiance à l’égard du fonctionnement des institutions politiques et de leurs dirigeants.  Même si les Français expriment un fort attachement à la démocratie, la tentation d’un pouvoir fort d’extrême droite existe dans de nombreuses catégories de la population … 

Crise démocratique : des symptômes de plus en plus inquiétants

 Editorial paru dans Le Monde du  20 octobre 2025 .

La démocratie française est malade et ses maux sont multiples. Depuis douze ans, l’étude « Fractures françaises », menée par l’institut Ipsos pour Le Monde, ausculte de façon très précise l’état de la société. En 2025, après des mois d’instabilité politique, les résultats montrent une augmentation de la défiance, du désespoir, du déclinisme et une volonté de dégagisme… Des symptômes particulièrement inquiétants, qui illustrent la profondeur de la crise démocratique, à moins de deux ans de la prochaine élection présidentielle.

Déjà immense, le fossé entre les électeurs et leurs représentants semble s’agrandir. Ainsi, 96 % des personnes interrogées se disent mécontentes ou en colère de la situation du pays. Et, si le premier mandat d’Emmanuel Macron n’a pas réussi à réenchanter la politique, le second désespère une partie des Français avec de nombreux indicateurs en nette baisse depuis trois ans. Aujourd’hui, 90 % des sondés estiment que leur pays est en déclin, alors que ce taux n’était « que » de 75 % en 2022.

 Emmanuel Macron, à Charm El-Cheikh, en Egypte, le 13 octobre 2025.

Crise après crise, la parole politique ne cesse de s’abîmer. Depuis le début du mois de septembre, les Français ont vu un premier ministre démissionner, puis dire qu’il ne rempilerait pas, avant d’être de nouveau nommé à la tête du gouvernement. L’exécutif, qui a imposé puis défendu sa réforme des retraites, a été contraint de la suspendre. La droite s’est une fois de plus illustrée avec un président du parti Les Républicains, Bruno Retailleau, provoquant la chute du gouvernement dans une stratégie inverse à ce qu’il défendait depuis 2024. La gauche se déchire et le Rassemblement national, qui essaye de se notabiliser depuis des années, a promis qu’il censurerait « tout », soufflant ainsi sur les braises comme il l’a toujours fait.

Grand danger

Ce florilège de faillites individuelles et collectives fait courir un grand danger. Si deux tiers des sondés se disent encore attachés à la démocratie, des failles apparaissent. Désormais, 42 % des moins de 35 ans pensent qu’un autre système serait au moins aussi bon, et la tentation d’un pouvoir fort d’extrême droite existe dans de nombreuses catégories de la population. Ces signaux devraient obliger tous les acteurs politiques et l’ensemble de la société civile à réfléchir à la meilleure façon de faire évoluer la Ve République pour la rendre plus « ouverte » et moins peureuse vis-à-vis du peuple, comme l’a défendu la politiste Hélène Landemore dans une tribune publiée par Le Monde, samedi 18 octobre.

Conventions citoyennes, respirations démocratiques au milieu du mandat présidentiel, référendums locaux… Les idées ne manquent pas. Au-delà de la dette et de la situation internationale, les candidats devront avancer des pistes sérieuses lors de la prochaine élection présidentielle, sous peine de voir « les fissures et les fentes souterraines (…), replâtrées à grand-peine, se rouvrir violemment et devenir des abîmes et des gouffres », selon les mots de Stefan Zweig analysant, en 1941, la fin des démocraties européennes .

 Source : Le Monde du  20 octobre 2025 .


« Fractures françaises » : une 13ᵉ édition marquée par la défiance et le pessimisme

Source : le site internet de SciencesPo.fr

La nouvelle vague de l’enquête annuelle Fractures françaises, menée par Ipsos pour le Cevipof, Le Monde, la Fondation Jean-Jaurès, et l’Institut Montaigne, dresse le portrait d’une société française en état de nervosité démocratique. Si les Français expriment un fort attachement à la démocratie, ils manifestent dans le même temps une défiance record à l’égard de leurs dirigeants et du fonctionnement des institutions politiques.

L’année 2025, marquée par une crise gouvernementale et la démission du Premier ministre, a accentué ce climat : la confiance dans l’Assemblée nationale et la présidence de la République chute de plusieurs points, tout comme celle envers les partis politiques. Seuls les maires, l’armée et les PME conservent un niveau de confiance élevé.

Le sentiment d’un déclin français atteint un niveau record : plus de huit Français sur dix estiment que le pays est en déclin, même si une majorité juge que ce déclin n’est pas irréversible. Parallèlement, 43 % des Français se disent “en colère et contestataires”, un taux en forte progression depuis 2021. Ce sentiment est particulièrement marqué chez les jeunes, les classes populaires et les sympathisants du Rassemblement national et de La France insoumise.

Les préoccupations quotidiennes restent dominées par le pouvoir d’achat, loin devant la sécurité, l’immigration ou l’environnement. Plus d’un Français sur deux déclare avoir des difficultés à “joindre les deux bouts”, et près de quatre sur dix pensent que leur situation sociale va se dégrader dans les années à venir.

Une défiance qui traverse toute la société

La méfiance interpersonnelle reste massive : près de huit Français sur dix estiment qu’“on n’est jamais assez prudent quand on a affaire aux autres”. Ce climat de défiance touche également la politique : seuls 10 % déclarent avoir confiance dans les partis, et 20 % dans les députés. En revanche, la confiance envers les scientifiques, l’école et les petites entreprises demeure forte, traduisant un attachement à des institutions perçues comme plus proches ou plus crédibles.

Violence, autorité et fractures sociales

La perception d’une violence en hausse est quasi unanime (près de 9 Français sur 10). Si la majorité condamne son usage, une minorité croissante — notamment parmi les jeunes et les électeurs des partis radicaux — juge qu’elle peut parfois se justifier pour défendre ses intérêts.

Cette crispation s’accompagne d’une fracture générationnelle et sociale persistante : les catégories populaires et les habitants des grandes agglomérations se sentent particulièrement marginalisés et peu respectés dans la société.

Télécharger les résultats complets de l’enquête 2025 par ici …