« PIANO PIANO », c’est une marche conçue par des artistes avec la participation des habitant.es. Une marche pour réinterroger nos pratiques artistiques, à l’heure du réchauffement climatique. Une déambulation douce et joyeuse, comme un acte de résilience face au recul du trait de côte. Derrière un piano tiré par un cheval, une compagnie de théâtre a sillonné la Manche pour alerter sur la montée des eaux …
PIANO PIANO est un projet de la Cie Silence&Songe, associée au Théâtre Municipal de Coutances /Jazz sous les pommiers.
– Le JOUR 1 raconté dans cette vidéo de 1’43 »:
Le JOUR 2 raconté dans cette vidéo de 1’30 » …
Le JOUR 3 raconté dans cette vidéo de 1’42 » …
Le JOUR 4 raconté dans cette vidéo de 1’57″…
Le reportage signé Émilie Massemin et Quentin Bonadé-Vernault (photographies) dans Reporterre du 31 juillet 2025 :
Une balade théâtrale pour « faire face ensemble » à la montée des eaux

Gouville-sur-Mer (Manche), reportage
« Cette eau, c’est aujourd’hui, que demain, ça monte. Un pas, un pas, une goutte, une goutte, goutte, que goutte, que de gouttes, écoute ! Il faut s’entendre ! S’attendre à des temps durs ! » Au creux de la dune de Gouville-sur-Mer (Manche), un grand échalas à la veste anthracite à fleurs, pieds nus et cheveux fous, déclame au milieu des oyats agités par la brise. C’est Stéphane Pelliccia, comédien et magicien. Sous le ciel de traîne aux nuances d’aquarelle, une petite foule d’habitants, d’artistes et de bénévoles en chapeau, veston et complet incomplet aux couleurs sépia, l’écoute avec attention.
Cette poésie en plein air est un des « impromptus » du projet Piano Piano. Du jeudi 26 au dimanche 29 juin, les artistes de la compagnie caennaise Silence et songe, soutenus par le théâtre municipal de Coutances (Manche) et accompagnés d’artistes invités et d’habitants, ont marché quatre jours de la plage de Gouville-sur-Mer à l’ancien presbytère de Saint-Sauveur-Villages, niché dans le bocage, à une petite vingtaine de kilomètres de là.
En tête de ce drôle d’équipage, un piano sur une charrette tirée par Arum, un cob normand âgé de 15 ans et originaire de Hudimesnil, un peu plus au sud. Le parcours a été rythmé de pauses artistiques, avec poésies, chants, danses, concerts et improvisations sur le thème de l’érosion côtière et de la montée des eaux.
Le recul du trait de côte comme fil rouge
« Ce thème s’est très vite imposé. Nous en avions déjà entendu parler, mais nous avons été surpris par son ampleur. C’est très concret », raconte Sabrina Letondu, de la compagnie Silence et songe. Pour s’imprégner de cette réalité qui percute le territoire, les artistes ont multiplié pendant deux ans les rendez-vous avec des ostréiculteurs, des scientifiques, des associations et des habitants.
Parmi eux, Pierre et Laurence Bazile, retraités engagés dans l’association des Amis du moulin de Gouville-sur-Mer et bénévoles pour le théâtre municipal de Coutances et le festival Jazz sous les pommiers. « Je vais à la plage de Gouville depuis ma naissance, raconte Pierre Bazile. Toute une partie de la dune a reculé de 50 à 100 m.»
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L’ampleur des dégâts est telle que la communauté de communes Coutances mer et bocage, à laquelle appartient Gouville-sur-Mer, a été désignée en 2021 territoire pilote pour aider les communes littorales à s’adapter au recul du trait de côte. De nombreuses mesures ont été prises : « Les “big bags” remplis de sable qui ont été déchiquetés par la mer — on trouve encore des résidus de plastique ; les géotubes de 1,5 m de haut remplis de sable ; la collecte de sapins de Noël pour renforcer la dune ; l’enrochement… » énumère Laurence Bazile.
Menacés par l’érosion, les deux campings littoraux de la commune, l’un public, l’autre privé, vont être relocalisés à l’intérieur des terres. Des mesures douloureuses. « À chaque réunion publique, la salle est comble et les gens s’inquiètent. C’est un gros sujet sur lequel les listes se positionnent à l’approche des municipales de 2026 », rapporte Pierre Bazile.
Dans ce contexte, l’idée de Piano Piano était de faire à pied le trajet symbolique de cette eau de mer qui grignote les plages, s’infiltre dans les nappes et finira par s’engouffrer dans le bocage. Avant même la première performance chorégraphique à fleur d’eau, la déambulation avec les spectateurs a commencé par une promenade sur le sable au départ de la cale.
« Ce qui m’a plu dans cette marche d’approche jusqu’au piano, c’est qu’elle a permis de visualiser toutes ces tentatives — les énormes sacs éclatés, les sapins de Noël, les enrochements —, y compris pour les personnes qui n’habitent pas là », apprécie Camille Hamel, fondatrice de Silence et songe.
Rien à voir, cependant, avec une visite guidée de la catastrophe à venir. La marche est vue comme une manière de mettre en cohérence le fond — l’érosion sur fond de changement climatique — et la forme — mener un projet artistique écologique en réduisant ses émissions de gaz à effet de serre.
Nuits chez l’habitant
En 2022, déjà, le théâtre municipal de Coutances avait accompagné la tournée à bicyclette des artistes de la compagnie caennaise Ne dites pas non, vous avez souri. « On s’est demandé comment ralentir encore plus, sourit Marie Valentin, directrice adjointe du théâtre. Le secteur artistique s’interroge et les sujets de société — l’environnement, mais pas seulement — infusent chez les artistes et ressortent dans leurs créations. »
D’ailleurs, la recherche de sobriété et de simplicité ne s’arrête pas au mode de transport : les artistes ont dormi chez l’habitant. Le jeudi soir, c’est Jean-Paul Lecoutour, ancien directeur adjoint du théâtre municipal de Coutances, qui a ouvert le portail de sa jolie maison de granit à la joyeuse troupe. La soirée s’est étirée autour d’une longue table de bois, de bières locales et de lasagnes végétariennes, pour finir sous des tentes plantées dans le jardin.
« L’idée n’était pas de faire un spectacle, mais de faire quelque chose ensemble »
La création de la décoration a été confiée à la compagnie théâtrale De haut et de bas, basée à La Haye-du-Puits, 25 km au nord de Gouville. « Tous les accessoires ont été créés au cours d’ateliers avec des habitantes et des habitants, avec des matériaux naturels et de récupération. Nous avons aussi travaillé avec la ressourcerie Tri-tout solidaire de Coutances », précise Alice Godefroid, accessoiriste et scénographe, cofondatrice de la compagnie avec Chloé Giraud.
Il en résulte une flopée de vanneries, de fanions et de drapeaux de patchwork faits main, pour une ambiance de mariage « bien habillé mais un peu désuet, inspiré par le film “Le Temps des Gitans” d’Emir Kusturica », explique l’artiste.
Enfin, la marche permet de nouer des liens entre artistes et habitants, encore souvent rebutés par le prix des billets et l’obscurité qui règne dans les salles. « L’idée, ce n’était pas de faire un spectacle, mais de faire quelque chose ensemble et de vivre ensemble, et en premier lieu avec les habitantes et les habitants — c’est pourquoi la marche a lieu hors des vacances scolaires », explique Camille Hamel.
Un appel à bonnes volontés avait été lancé — c’est ainsi que la compagnie De haut et de bas et la chorale Les Marie-Jeanne ont été embarquées dans l’aventure — et le public n’a jamais trop su quand le cortège allait s’arrêter, ni pourquoi : une impro des comédiens, une chorale éphémère, la lecture d’un texte par un habitant ?
Puiser la force dans les moments de grâce
Chloé Giraud, dont la compagnie a lancé le Carnavaaal de La Haye-du-Puits — des semaines d’ateliers de création de costumes de récup’, puis une déambulation de monstres rigolos en plein cœur de l’hiver — adore : « On est en train de marcher et, paf ! Il se passe quelque chose, une pastille, une impro. On marche ensemble, le public participe, la relation se floute. »
Cette (dé)marche artistique a d’autant plus de sens quand il s’agit d’adaptation au changement climatique. « Ce qui est très décrié dans les projets d’adaptation, c’est qu’ils sont souvent descendants et peu à l’écoute du territoire, dit Camille Hamel. Nous, nous avons organisé notre programme en fonction de ce que les gens voulaient faire. » Avec un message : quoi qu’il advienne au fur et à mesure que la mer monte, il faudra faire face ensemble.
Et puiser la force que peuvent conférer ces moments de grâce : « C’était à une répétition, en fin de journée. On répétait avec les danseurs et les danseuses, les chanteurs et les chanteuses. On entendait le bruit des vagues, le vent, et on était ensemble, raconte Camille Hamel. À ce moment précis, il n’y avait rien de plus important que le moment présent, le lien à la nature et à l’autre. »
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UNE MARCHE À CONTRE-COURANT
Du 26 au 29 juin 2025, un projet itinérant sur le territoire de Coutances mer et bocage. De et avec Camille Hamel et Sabrina Letondu
Avec Florence Cramoisan, Lolita Espin-Anadon, Marc Euvrie, Stéphane Pelliccia, Jonathan Giard, Chloé Giraud, Alice Godefroid, Marine Huet, Alexandre Gauthier, Antoine Valente, Virginie Meigné, Marin Schaffner, Antoine Berland, Anne Dussutour, Elodie Fourré, Olivier Mette, Sophie Pieraggi, Camille Regnault

© Sabrina Letondu
Piano, Piano, une marche pour accompagner le mouvement de la mer qui nous pousse vers les terres.
Une marche poétique, musicale et magique pour réconcilier, apaiser, fédérer et s’émerveiller, encore.
Une marche ponctuée d’actes artistiques, concerts, performances, installations plastiques.
Une marche spectaculaire créée dans un souci d’économie d’énergie.
Une marche conçue par des artistes avec la participation des habitant.es.
Une marche pour réinterroger nos pratiques artistiques, à l’heure du réchauffement climatique.
Une déambulation douce et joyeuse, comme un acte de résilience face à la réalité de la montée des eaux et du recul du trait de côte.
« La mer monte, lentement, grignote les dunes, lave les champs, emprunte de nouvelles voies. Elle bouscule nos vies, nos habitudes. Elle nous pousse, piano piano, de toutes ses forces, vers l’intérieur des terres. C’est difficile d’imaginer un futur réconcilié, c’est ardu d’accepter de plier. À bien entendre son murmure, elle nous invite à changer, la mer, à interroger nos manières… de vivre, de créer, de voir… »
Un évènement décalé et solidaire pour s’émerveiller, encore, de la richesse du vivant.
Avec le soutien du Conseil Départemental de la Manche, de la Mission d’Appui à la Transition Écologique et au Développement Durable (MATEDD), de Coutances mer et bocage et de la DRAC Normandie dans le cadre du dispositif Territoires ruraux, Territoires de culture.
Silence&Songe est une compagnie de spectacle vivant conventionnée par la DRAC Normandie. Elle est soutenue pour ses créations par la Région Normandie, le Département du Calvados, la Ville de Caen et l’ODIA Normandie.