« Président le plus pauvre du monde », un choix revendiqué par Pepe Mujica …

L’ancien chef de l’État uruguayen José « Pepe » Mujica est mort le mardi 13 mai  à l’âge de 89 ans. Cet ex-guérillero avait acquis une notoriété mondiale en renonçant aux avantages liés à la fonction présidentielle. Engagé en faveur de l’environnement, il pourfendait la surconsommation, faisait l’éloge de la sobriété et incarnait la tradition de probité publique de son pays …

Uruguay : l’ex-président José « Pepe » Mujica, apôtre de la sobriété face au consumérisme, est mort

 Un article signé Olivier Bras dans France 24 du 13 mai 2025 …

 « Le guerrier a droit à son repos. Qu’on me laisse tranquille. » C’est avec ces mots que José « Pepe » Mujica, avait fait début janvier ses adieux publics, dans une interview accordée à l’hebdomadaire uruguayen Busqueda. Venant d’apprendre que le cancer de l’œsophage dont il souffrait s’était propagé à d’autres organes, l’ancien président de l’Uruguay annonçait son choix de renoncer à tout traitement et demandait à pouvoir terminer paisiblement sa vie, aux côtés de son épouse Lucia Topolansky. Il est mort mardi 13 mai, à l’âge de 89 ans.

Le calme n’a cependant été que relatif ces derniers mois dans sa ferme – ou « chacra » – située non loin de Montevideo, José « Pepe » Mujica a continué à répondre à des sollicitudes médiatiques, notamment à l’occasion de la récente mort du pape François, une personnalité qui, selon lui, avait su faire preuve d’engagement à l’égard des plus faibles ». Il a aussi reçu dans sa propriété de nombreux présidents d’Amérique latine, comme le Brésilien Lula, le Dominicain Luis Abinader, le Chilien Gabriel Boric ou le Guatémaltèque Bernardo Arévalo. Et des artistes sont venus lui témoigner leur affection, en interprétant des chansons qui avaient accompagné son long chemin de militant.

Ces visiteurs ont tenu à saluer l’engagement de cet homme au parcours atypique. Au cours des années 1960-1970, il appartenait au mouvement d’extrême gauche des Tupamaros, qui s’est notamment financé en réalisant des enlèvements ou en attaquant des banques et des commerces en Uruguay. Il a survécu à plusieurs blessures par balles lors d’une interpellation. En tout, il a passé 14 ans derrière les barreaux, la plupart du temps sous la dictature militaire (1973-1985).  En détention, il a été victime d’intenses tortures psychiques et physiques, relatées notamment dans le film « Compañeros » du réalisateur Alvaro Brechner, qui raconte ses longues années passées à l’isolement.

Amnistié au retour de la démocratie en 1985, José Mujica a contribué à l’abandon de la lutte armée et entamé une carrière politique au sein de l’alliance du Frente Amplio (Front large, FA), devenant successivement député, sénateur, ministre de l’Agriculture et enfin président (2010-2015). Lors d’un discours marquant prononcé en 2013 devant les Nations unies, José Mujica a abordé sa quête passée d’une « société sans classe », assumant alors les « erreurs » commises pendant ses années de guérillero.

Une personnalité inclassable

Son parcours politique, Denis Merklen le connaît bien. Né en Uruguay, ce sociologue, qui dirige à Paris l’Institut des hautes études de l’Amérique latine, a eu l’occasion de rencontrer Pepe Mujica dans les années 1980. Il a conservé des liens avec cet homme, l’un des derniers représentants de la gauche latino-américaine ayant pris les armes au cours des années 1960, dans la lignée de la révolution cubaine.

Pour Denis Merklen, Pepe Mujica « a su rentrer avec force dans la démocratie et à en faire un espace indépassable, que l’on ne peut remettre en question sous aucun prétexte ». Une posture partagée par « nombre de ses camarades de lutte qui ont connu en parcours similaire, à commencer par son épouse Lucia Topolansky, qui a été vice-présidente de la République. Mais lui a trouvé une plus grande audience car il a été élu président”, ajoute Denis Merklen.

Surnommé « le président le plus pauvre du monde », notamment pour avoir reversé la quasi-totalité de ses revenus de chef de l’État à un programme de logement social, José Mujica incarnait l’humilité et la simplicité. Au début de son mandat présidentiel, il déclarait comme seul bien une Volkswagen « Coccinelle » datant de 1987 et posait avec fierté sur son vélo de course de marque Peugeot. Au cours de son mandat, il a préféré rester dans sa propriété à la campagne plutôt que de s’installer dans les confortables appartements présidentiels. Et c’est parfois pieds nus dans des sandales qu’il assistait à des réunions officielles.

« Il est devenu exceptionnel car il a imposé un certain nombre de normes à sa conduite politique qu’il a aussi imposées à sa vie personnelle, à son style de vie. Il en a fait une valeur publique », explique Denis Merklen. « Il a trouvé une manière d’argumenter et de s’adresser notamment aux jeunes par cette cohérence qui est si souvent décriée aujourd’hui. C’est cela qui lui a donné une audience bien au-delà de ce petit pays qu’est l’Uruguay. »

Ses choix de vie lui ont rapidement valu une renommée mondiale. Sa simplicité et sa radicalité en ont fait une personnalité inclassable, adulée par de nombreux médias qui ont vanté sa droiture et son sens du bien commun. Emir Kusturica lui a même consacré un film, « El Pepe, una vida suprema », sorti en 2018.

« Des airs de vieux sage »

Sa notoriété planétaire s’explique également par les idées progressistes qu’il a su défendre. Le président Mujica a fait de l’Uruguay un pays pionnier dans l’adoption de mesures telles que la dépénalisation de l’avortement, le mariage homosexuel ou la légalisation du cannabis, une première mondiale en 2013. Il a également œuvré pour une importante réforme agraire destinée à rendre des terres aux agriculteurs locaux.

À la fin de sa présidence en 2015, Pepe Mujica s’était dit satisfait du travail accompli, tout en regrettant de ne pas avoir pu faire une « grande quantité de choses ». Si la Constitution ne lui permettait pas de briguer un nouveau mandat, il est tout de même resté un personnage incontournable de la vie politique, au grand dam de ses détracteurs. Il l’a encore prouvé en 2024 lors de la campagne présidentielle en soutenant activement son poulain, Yamandu Orsi, candidat du Frente Amplio. Ce dernier a triomphé au second tour, permettant ainsi le retour de la gauche au pouvoir. Et le 1er mars 2025, Yamandu Orsi prenait officiellement ses fonctions sous les yeux de son mentor Pepe Mujica qui, malgré sa santé fragile, avait fait le déplacement au Congrès uruguayen.

Appuyé sur sa canne, José Mujica assiste, le 1er mars 2025, aux côtés de son épouse Lucia Topolansky, à l'investiture du président Yamandu Orsi.
Appuyé sur sa canne, José Mujica assiste, le 1er mars 2025, aux côtés de son épouse Lucia Topolansky, à l’investiture du président Yamandu Orsi. © Pablo Vignali, AFP

L’ancien président a souvent eu l’occasion de s’exprimer au cours des dernières années à propos de son parcours ou de ses convictions. Il a ainsi délivré un discours marquant, plein d’espoir et d’humanisme, lors d’une rencontre organisée à Sciences Po Paris en 2015, juste avant la COP21. Il en avait profité pour marteler ses convictions écologistes, dénonçant notamment la technologie dévorante et la folie de la consommation. Un leitmotiv chez cet homme simple qui, lors d’un entretien accordé fin novembre 2024 à la BBC, défendait la « sobriété” et la liberté gagnée par celles et ceux qui renoncent à vouloir toujours plus.

Pour Denis Merklen, Pepe Mujica a progressivement pris « des airs de vieux sage » et il restera « comme un phare que les uns et les autres pourront invoquer ». Celui qui aimait se définir comme un « vieux fou » espérait avoir « réussi à semer quelques idées ».  Mi-mars, il envoyait ainsi au président colombien Gustavo Petro un message vidéo de soutien dans lequel il l’appelait à continuer de lutter pour la paix dans son pays. « Mes vieux os ne me permettent même plus d’aller au coin de la rue, confiait-il. « Mais je suis un militant depuis que j’ai 14 ans et je continue à faire ce que je peux.

L’ancien président uruguayen ne manquait pas une occasion de « remercier la vie » pour ce qu’elle lui avait offert. Il avait ainsi profité de l’interview accordée à Busqueda pour dire au revoir à ses concitoyens et indiquer ses dernières volontés : être enterré dans sa ferme, au pied d’un grand séquoia, à côté d’une chienne morte en 2018. Un lieu que cet admirateur de la nature aimait plus que tout.


#PepeMujica et # #SalvadorAllende
#SalUn gran encuentro en otra vida, en otro espacio, y las misma ideas de justicia, libertad y democracia. «  Isabel Allende Bussi