Libération raconte une « 36e Nuit des Molières qui n’a que mollement et poliment protesté contre les coupes budgétaires pourtant dramatiques qui touchent le spectacle vivant ». Télérama pointe une forme toujours aussi convenue « laissant voguer le bateau théâtre sans grands remous ni coups d’éclat » tandis que le metteur en scène Bruno Boussagol jette un oeil critique sur la cérémonie qu’il regarde pour la première fois à la télévision …
LA CEREMONIE DES MOLIÈRE(S) vécue et racontée par Bruno Boussagol , metteur en scène et directeur de la compagnie théâtrale Brut de Béton.

« J’ai hésité à regarder cette cérémonie (pour la première fois de ma vie en ce qui me concerne). Et puis en cours je n’ai plus lâché jusqu’à la fin en me posant cette question existentielle : en quoi j’existais moi aussi à travers cette cérémonie.
Et bien il n’y a pas eu un instant durant lequel j’ai pu m’identifier à l’un ou l’autre des protagonistes. Pourquoi ? Tout simplement parce que je ne fais pas le même travail que ces personnes rassemblées en leur Palais. Déjà le théâtre/lieu en question : je n’y vais jamais. Ni comme professionnel ni comme spectateur. Rien de ce qui s’y passe (tout au long de l’année) ne me concerne. Les récompenses maintenant. Il n’y en a aucune qui pourrait me revenir. Pourquoi ?
Parce que le public auquel je m’adresse n’existe pas là où les récompensés travaillent. Parce que ce que je « produis » ne peut pas accéder à la connaissance de celles et ceux qui votent. Ces MOLIÈRE(s) ne concernent, ne cernent qu’un certain théâtre: celui « entre les murs ». Et clairement puisqu’ils sont nommés comme tels : théâtre public et théâtre privé. Et dans les deux cas (sauf exception tout de même) mes mises en scènes (plus de 100 en 45 ans) et festivals (8 concepts conçus en 40 ans) n’ y ont trouvé ni trouveraient place.
Pourtant j’ai été subventionné (et le suis toujours) par la DRAC (y compris en Convention) et les instances élues. J’ai participé à des émissions de France Culture(fin époque Alain Truttat). J’ai mis en scène dans des pays étrangers (Suisse, Ukraine, Guatemala, Biélorussie)… Bref je participe pleinement à l’activité théâtrale de ce pays.
Ce qui manque donc à cette cérémonie c’est la place de la modestie, du courage, de l’abnégation, de la simplicité et de la pauvreté. Aucun prix ne peut honorer ces attributs (et heureusement d’ailleurs !!!). Car oui le maitre mot du travail théâtral que je promeus c’est un THEÂTRE PAUVRE, universel et engagé.
Dans les années 60/70 celles et ceux qui m’ont permis d’accéder à cet ART se nomment LIVING THEATRE, BREAD and PUPPET, Dario Fo, Augusto Boal, Gabriel Garran, Jean Vilar, Ariane Mnouchkine … Bref les tenants d’un théâtre de haut niveau d’engagement artistique POUR les gens. L’argent servant essentiellement à rémunérer aussi dignement que possible les artistes et les techniciens. Ce théâtre ne supporte aucuns « ors » à moins d’être occupés ou réappropriés.
Il est clair que cette Cérémonie a complètement oublié que des milliers de comédien(ne)s en France pratiquent encore et toujours ce théâtre pauvre en connaissance de cause ou parce qu’ils subissent la dégradation de leurs conditions de travail. Et les quelques prises de paroles (CGT et hommage aux Ukrainiens… mais pas aux Palestiniens !!!!!!!!!!!!) ne comblent en aucun cas le vide abyssal d’une quelconque conscience de la réalité sociale et politique dont le théâtre devrait prioritairement rendre compte.
Mais le sommet a été atteint avec la prise de parole de Fabienne Pascaud en l’honneur de Thomas Jolly puisqu’il recevait pour services rendus à la Nation à l’occasion des cérémonies des Jeux olympiques un MOLIÈRE D’HONNEUR. Venant des bouches de l’une et l’autre, nous fumes arrosés d’un charabia fat, content de soi, politiquement correct , condescendent. Ce serait donc lui notre grand homme auquel devrait s’identifier la jeunesse qui voudrait faire du théâtre comme la notre s’intensifiait à Vilar ou Judith Malina ? CAUCHEMAR quand on pense à ce qui arrive.
Bruno Boussagol
Source : post facebook du 29 avril 2025
Molières ? Œillères oui !
La 36e Nuit des molières n’a que mollement et poliment protesté contre les coupes budgétaires pourtant dramatiques qui touchent le spectacle vivant. Multirécompensés : «Du charbon dans les veines» de Jean-Philippe Daguerre et «Le Soulier de satin» d’Éric Ruf … Un article signé Lucile Commeaux publié dans Libération du 29 avril 2025 …
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Alors que le Syndeac s’alarmait cet après-midi d’une «nouvelle annulation de crédits de 48 millions d’euros» sur le «programme création» du ministère de la Culture, Rachida Dati tentait dans la foulée de rassurer la petite famille du théâtre dans des mots convenus et une vidéo crispée, tenant davantage du faire-part de condoléances que de l’invitation festive. Les Molières s’ouvrent sous de sinistres augures, mais commencent dans la liesse d’une reprise des Misérables : «A la Volonté du peuple» chante-t-on, en voilà un super programme ! De fait on y solde en chœur l’idée même de la résistance : la barricade elle reste dehors avec les râleurs, merci. Caroline Vigneaux, maîtresse de cérémonie pour la deuxième fois – c’est tellement sympa il faut dire – enchaîne en Marianne sur un air jazzy et c’est parti. Rachida Dati bonsoir !
Lyrisme triste
Ce soir les Folies semblaient particulièrement Bergères : peu de moutons noirs et bien peu de loups pour hurler à la faillite, alors que les chiffres sont au rouge, le nombre de productions en baisse, que des directeurs désespérés démissionnent et de plus jeunes se résignent, et que le théâtre privé peine à retrouver sa fréquentation d’avant COVID. On bâche un peu, mais ça reste sympa : pas de gueulantes, mais de gentils vœux pieux, des jeux de mots vieillots («à gogo» sic), et toujours ce petit air jazzy. Consacré meilleur metteur en scène dans le théâtre public pour son Soulier de satin qui remporte en tout cinq récompenses, Éric Ruf se lance dans une tirade policée, teintée d’un lyrisme triste et découragé quand il appelle «à aider Madame la Ministre». L’ironie qu’il y glisse est inaudible : il est apparemment acquis qu’elle fait ce qu’elle peut, la pauvre. La plus longue ovation sera pour Thomas Jolly récompensé par un molière d’honneur, l’enfant chéri des JO, mais surtout d’un système subventionné en danger, comme il le rappelle dans une longue tirade mi-engagée mi-mégalo. Thomas Jolly dont la stature désormais indéboulonnable aurait sans doute autorisé à davantage de virulence.
Les intervenants et les récipiendaires se succèdent sur le plateau ; on baille. C’est fou comme ces types dont la scène est le métier bataillent avec l’exercice, et s’empêtrent dans le sérieux de références vides et de pénibles remerciements. Sketchs, danses et numéros viennent rompre le défilé, disparates et parfois franchement ratés ; on grimace.
On remarque comme chaque année à quel point le grand raout national privilégie les artistes d’un théâtre largement privé. Alain Françon, Caroline Guiela Nguyen, Mohammed El Khatib ou Ariane Mnouchkine n’ont pas fait le déplacement, et les grands gagnants du théâtre public jouent à l’Atelier et à la Comédie Française – aucune mention des autres maisons subventionnées. Jean-Philippe Daguerre accumule cinq molières avec un spectacle sur les corons des années cinquante (Du charbon dans nos veines), qu’il tente avec un peu de conviction de faire résonner avec notre temps présent.
Clones
Un temps présent et ses urgences largement gommés ce soir ; c’est bien pratique. Ainsi il semble qu’en dehors de quelques artistes chargés de faire la blague entre deux remises de prix, l’écrasante majorité des nommés et des gagnants est blanche, voire absolument identique – trois nommés dans la catégorie de la révélation masculine sont des clones du jeune premier type : même coupe, même sourire, même boucle à l’oreille. Dans cette boîte or et velours un peu étouffante, un clip contre le harcèlement et les violences sexuelles ou l’intervention silencieuse de la comédienne sourde Emmanuelle Laborit, paraissent soudain anachroniques. Plus tard – très tard – Didier Brice de la CGT joue au clown triste, voix et main tremblante devant un parterre qui joue moyennement le jeu. «C’est faux» dit la ministre, sereine, assise devant un Nagui quasi goguenard. Et voilà c’est fini. C’était le «moment syndical». «Mollo sur le budg’!»: ce mot glissé par un comédien sonne à la fin de cette cérémonie moins comme une blague qu’un avertissement : on est résigné, donc ?
À la cérémonie des Molières, quelques signes de résistance pour un théâtre qui en prend plein la tête
Les deux grands gagnants de la Nuit des Molières 2025 sont “Le Soulier de satin” et “Du charbon dans les veines”. Thomas Jolly a reçu un Molière d’honneur. Mais les nouvelles coupes budgétaires annoncées ont suscité plusieurs prises de parole. Un article signé Olivier Milot et Kilian Orain publié dans Télérama du 29 avril 2025 …
Plus rythmée que l’an dernier, mais toujours aussi convenue dans sa forme, cette 36ᵉ Nuit des Molières, retransmise lundi 28 avril sur France 2, a laissé voguer le bateau théâtre sans grands remous ni coups d’éclat. Aux manettes pour la seconde année consécutive, l’humoriste Caroline Vigneaux avait pourtant placé cette soirée sous le signe de la fête, avec un mot d’ordre : « Résiste. »
La Nuit s’est ouverte en musique avec la chanson À la volonté du peuple entonnée par les interprètes de la comédie musicale Les Misérables, qui interviendront à une seconde reprise et repartiront même avec le Molière de la comédie musicale. Caroline Vigneaux a, elle, fait une entrée remarquée, sein à l’air, drapeau tricolore brandi dans une main, telle le personnage central de La Liberté guidant le peuple, de Delacroix. Avant de se rhabiller et de dénoncer les baisses de subventions annoncées ces derniers mois, interpellant la ministre de la Culture, Rachida Dati qui esquissera quelques sourires. « Le théâtre résiste à l’obscurantisme, au fanatisme, à l’intolérance, à la brutalité du monde, et bien sûr aux coupes budgétaires massives qui frappent le secteur culturel. » De quoi donner le ton, gentiment engagé, de ce cru 2025.
47 millions d’euros en moins
L’inquiétude du monde de la création est d’autant plus vive que le gouvernement vient une fois de plus de frapper le ministère de la Culture au portefeuille. Vendredi dernier, un décret paru au Journal officiel annonçait l’annulation de près de 5,7 milliards d’euros de crédits dans le budget de l’État dont 94 millions d’euros concernent la culture, avec près de la moitié (47 millions) pris sur les crédits alloués au spectacle vivant et aux arts visuels. Trois jours avant la cérémonie des Molières, c’est ce qu’on appelle avoir le sens du timing.
À l’invitation lancée ce lundi 28 avril par le comédien Didier Brice, porte-parole de la CGT spectacle, à se tenir debout pour la culture, Rachida Dati et Jean-Marc Dumontet, président de l’Association des Molières, producteur et propriétaire de plusieurs théâtres à Paris, ont, eux, choisi de rester assis. Et que penser du discours prononcé plus tard par le magnat du théâtre intimant chacun à se ranger du côté de la ministre, et déplorant les soi-disant contre-vérités de Didier Brice, qui dénonça pourtant avec humour mais fermeté les coupes annoncées ? Jean-Marc Dumontet finit sous les sifflets d’une partie du public qui se révéla prompt à défendre le théâtre et la culture en général tout au long de la soirée.
Deux grands gagnants
Handicap, lutte contre les violences sexistes et sexuelles, guerre en Ukraine… cette 36ᵉ cérémonie fut jalonnée de plusieurs messages de sensibilisations. Et par quelques beaux moments, comme le discours émouvant de Thomas Jolly à qui fut remis un Molière d’honneur par notre consœur Fabienne Pascaud, où celui qui vit Christine Murillo recevoir le Molière du seule-en-scène – la cinquième statuette depuis le début de sa carrière !
Cinq, c’est en résumé le chiffre de la soirée. Celui qui couronna du même nombre de Molières et pour un même spectacle, théâtre privé et théâtre public, avec Du charbon dans les veines de Jean-Philippe Daguerre, récompensé dans toutes les catégories où il fut nommé, et Le Soulier de satin, de Paul Claudel, dans la mise en scène-monde d’Éric Ruf — le spectacle sera joué dans la Cour d’honneur du Festival d’Avignon cet été. En tête d’affiche, la sociétaire du Français Marina Hands a d’ailleurs levé son poing pour recevoir le Molière de la comédienne dans un spectacle de théâtre public, clamant : « Nous ne nous laisserons pas faire. Jamais. »
Pas assez de femmes
Sans grandes surprises, furent aussi couronnés Vassili Schneider, qui obtint le Molière de la révélation masculine pour son rôle dans La Prochaine Fois que tu mordras la poussière, adaptation réussie du roman phénomène de Panayotis Pascot par le frère de ce dernier, Paul Pascot ; Delphine Depardieu, qui a reçu le Molière de la comédienne de théâtre privé pour sa participation dans Les Liaisons dangereuses, mis en scène par Arnaud Denis — seule récompense de ce spectacle pourtant nommé dans quatre catégories ; et Paul Mirabel, celui de l’humour. Le Molière de la comédie fut quant à lui attribué à The Loop, de Robin Goupil, une pièce policière drôle et bien troussée dont l’intrigue se répète quasiment en boucle. Nonobstant des récompenses méritées, on déplore le manque de femmes parmi les lauréats — elles sont seulement cinq à figurer au palmarès.
La soirée s’est conclue par une pensée aux artistes du monde entier ne pouvant vivre librement de leur discipline. Et par les paroles « Résiste, prouve que tu existes » interprétées par France Gall, à mesure que défila le générique de fin et que se rejoignirent sur scène les artistes récompensés, réunis autour de la maîtresse de cérémonie, ensemble et solidaires une dernière fois.
Les lauréats 2025
Molière du comédien dans un spectacle de théâtre privé : Guillaume Bouchède dans Les Marchands d’étoiles.
Molière du comédien dans un spectacle de théâtre public : Denis Lavant dans Fin de partie.
Molière de la comédie : The Loop, de Robin Goupil, mise en scène Robin Goupil.
Molière de la comédienne dans un spectacle de théâtre privé : Delphine Depardieu dans Les Liaisons dangereuses.
Molière de la comédienne dans un second rôle : Raphaëlle Cambray dans Du charbon dans les veines.
Molière de la mise en scène dans un spectacle de théâtre privé : Jean-Philippe Daguerre pour Du charbon dans les veines.
Molière de l’humour : Paul Mirabel dans Par amour.
Molière du seule-en-scène : Christine Murillo dans Pauline & Carton.
Molière du jeune public : Ulysse, l’Odyssée musicale, d’Ely Grimaldi et Igor de Chaillé, mise en scène Guillaume Bouchède.
Molière de la révélation masculine : Vassili Schneider dans La Prochaine Fois que tu mordras la poussière.
Molière de la révélation féminine : Juliette Béhar dans Du charbon dans les veines.
Molière de la création visuelle et sonore : Le Soulier de Satin, de Paul Claudel, mise en scène Éric Ruf.
Molière du spectacle musical : Les Misérables, d’Alain Boublil d’après Victor Hugo, mise en scène Ladislas Chollat.
Molière de la mise en scène dans un spectacle de théâtre public : Éric Ruf, pour Le Soulier de satin, de Paul Claudel.
Molière de l’auteur francophone vivant : Jean-Philippe Daguerre pour Du charbon dans les veines.
Molière de la comédienne dans un spectacle de théâtre public : Marina Hands dans Le Soulier de satin.
Molière du comédien dans un second rôle : Laurent Stocker dans Le Soulier de satin.
Molière du théâtre public : Le Soulier de satin, de Paul Claudel, mise en scène Éric Ruf.
Molière du théâtre privé : Du charbon dans les veines, de Jean-Philippe Daguerre.
Après avoir remercié dès le début de son discours le travail de sa professeure d’option théâtre dans son lycée, Thomas Jolly nous invite à « nous recoudre »….