Des listes citoyennes aux Municipales pour redonner goût à la vie politique ?

De nombreuses organisations de la société civile appellent à manifester « pour la défense de l’État de droit » remis en cause par l’extrème droite. A moins d’un an des élections municipales, les appels à l’unité fleurissent pour contrer l’offensive réactionnaire et localement, des listes citoyennes voient le jour. Les partis politiques vont-ils s’appuyer sur cette dynamique ou s’y opposer ? Un article du Quotidien Reporterre …

Contre l’extrême droite, la société civile s’organise

Les mobilisations citoyennes font désormais partie du rapport de force. © Gendrin / Reporterre
Au-delà des constructions de listes citoyennes, la société civile entend rester mobilisée contre l’extrême droite.  Un article signé Fanny Marlier dans Reporterre du 11 avril 2025 …

Difficile de savoir de quel côté tombera la pièce. La condamnation de Marine Le Pen, le 31 mars, qui écope de cinq ans d’inéligibilité avec application immédiate, semble à la fois enthousiasmer et inquiéter la gauche. D’un côté, il y a ceux qui craignent qu’en instrumentalisant un supposé « procès politique », la cheffe de file du Rassemblement national (RN) n’en ressorte renforcée. De l’autre, ceux qui y voient une occasion de trouver une issue favorable à l’union de la gauche. Pour la « défense de l’État de droit » remis en cause « par l’extrême droite », plusieurs organisations, dont Greenpeace, la CGT, SOS Racisme et la Ligue des droits de l’Homme appellent à manifester « partout en France » le 12 avril.

Dans une tribune publiée en février dans Ouest-France, le porte-parole de Greenpeace France Jean-François Julliard alertait aussi sur le retour de bâton écologique, qui gronde en même temps que l’extrême droite prend de l’ampleur partout dans le monde. S’attaquant au « mirage dangereux » de l’extrême droite, celui-ci appelait à « faire unité avec l’ensemble des forces qui se battent pour défendre l’environnement, les libertés associatives et les droits humains et contre toute forme de discrimination ».

Face à une offensive réactionnaire étouffant le débat public, des militants et d’anciens responsables syndicaux avaient déjà signé en janvier un appel au «sursaut unitaire» sur le terrain, pour constituer une alternative politique œuvrant «pour la justice sociale, écologique et démocratique».

Un nouveau sursaut collectif ?

Parmi les signataires, Gérard Aschieri, ancien responsable national du Snes (le syndicat majoritaire des enseignants du second degré), voit dans le moment l’occasion d’inverser un rapport de force : « Si la gauche veut gagner, sa seule chance est qu’elle porte de manière unitaire un projet commun qui emporte l’adhésion du plus grand nombre. L’idée du texte est d’appeler les politiques à le construire main dans la main avec les organisations de la société civile. »

Au-delà de ce souffle urgent, c’est une transformation en profondeur d’un modèle de société qui est attendue. Celle d’un monde où justice sociale, lutte contre le réchauffement climatique et renouveau démocratique ne font qu’un. Preuve de ce sursaut collectif, en amont du 22 mars, plus de 200 organisations nationales, régionales et locales de 48 villes et régions ont signé l’appel de la Marche des solidarités à défiler contre « le racisme et le fascisme ».

Attac en était. Aux élections législatives de juin dernier, aux côtés de Greenpeace, la CGT et le Planning familial, l’association qui milite pour la justice fiscale, sociale et écologique faisait partie des organisations ayant soutenu le programme du Nouveau Front populaire (NFP). « Quelques semaines après la victoire du RN aux élections européennes, nous étions dans un péril tel que cela a facilité ces prises de position, qui ont d’ailleurs porté leurs fruits. Mais les conditions ne sont aujourd’hui plus les mêmes… dit Youlie Yamamoto, porte-parole d’Attac. La route pour faire reculer l’extrême droite est encore longue. »

Une ligne de crête pas toujours évidente à tenir pour ces organisations, conscientes que la société civile doit garder son indépendance afin de continuer à jouer son rôle de vigie. « Notre action n’est pas calquée sur le calendrier électoral, insiste la porte-parole. Mais elle n’en est pas déconnectée : c’est l’occasion de faire passer des messages. Notre rôle est d’identifier des revendications qui peuvent répondre à tous les enjeux et tous les calendriers. »

« Redonner goût à la vie politique »

Fin janvier, Youlie Yamamoto était intervenue à Pantin (Seine-Saint-Denis) durant les « vœux de la victoire » de Lucie Castets, la candidate du NFP au poste de Première ministre. La soirée visait à poser les premières briques d’une union de la gauche en vue de l’élection présidentielle en 2027 et des municipales en mars 2026. La présence de la porte-parole visait à rappeler les « revendications portées par la société civile » dont « les partis ne peuvent se passer ».

À moins d’un an des élections municipales, quelques listes citoyennes tentent d’ores et déjà de mobiliser. À Angers, la gauche et les citoyens espèrent bien prendre la place de Christophe Béchu. Maire de la ville depuis 2014, l’ancien ministre de la Transition écologique, numéro deux d’Horizons, avait confisqué le siège aux socialistes.

Pour 2026, les écologistes et les socialistes ont annoncé vouloir faire front commun derrière une candidature unique dans la ville. De son côté, l’ancien secrétaire général de l’Agence de la transition écologique (Ademe, dont les locaux sont situés à Angers), Noam Leandri, a la ferme intention de servir de code de rappel. Intitulée Angers Coopérative, son initiative citoyenne lancée en septembre dernier regroupe plus de 200 personnes.

« Le mouvement est né d’une réflexion menée avec un certain nombre d’habitants engagés pour redonner goût à la vie politique aux citoyens, dit Noam Leandri. Parmi nos membres, il y a un chauffeur de bus, une patronne de restaurant, un parent d’élève… » Elles et ils se rendent sur les places et les marchés de la ville, organisent des débats et des tables rondes. L’objectif : échanger et recueillir les idées des habitants de la ville, et peser dans le débat à gauche.

Parmi leurs sources d’inspiration, on trouve l’expérience de Poitiers Collectif, du nom du mouvement porté par la maire écologiste de Poitiers en 2020. Mais aussi celle de Toulouse et de l’Archipel citoyen. Cette liste formée en 2020 était soutenue à l’époque par 16 formations de gauche. Sa réactivation n’est pas encore annoncée. En face, le député NFP François Piquemal entend prendre la tête d’une liste unitaire.

Plusieurs pistes à l’étude

À Chartres, fief de l’ancien ministre Guillaume Kasbarian (désormais député Ensemble pour la République), la gauche, les écologistes et un collectif citoyen ont lancé début mars Chartres en commun, une initiative visant à porter une candidature commune et un programme rédigé en concertation avec les habitants. Sur leur liste de 39 personnes, 15 places sont déjà réservées à des citoyens.

« Il est encore trop tôt pour se prononcer sur les dynamiques en vue des municipales, mais il me semble que le jeu partisan a davantage repris la main comparé à 2020 », tempère auprès de Reporterre le politologue Rémi Lefebvre.

En vue d’aboutir à une candidature commune à gauche pour l’élection présidentielle, celui-ci participe à un travail collectif avec Lucie Castets. Pour imaginer des processus de sélection, Rémi Lefebvre et son confrère Éric Treille ont rédigé une note, publiée par Challenges, dans laquelle ils proposent cinq scénarios. Bien qu’il ne soit pas friand du mot primaire — en souvenir de l’échec de la Primaire populaire —, Rémi Lefebvre privilégie la dernière solution, la primaire ouverte, dont l’égalité statutaire de tous les partis serait le socle.

« Il ne faut pas que les partis politiques résistent contre cette dynamique »

La phase préparatoire serait l’occasion de créer « une dynamique rassemblant les partis politiques et la société civile qui pourrait se mobiliser dès les élections municipales », pointe Rémi Lefebvre. Héritage de la Primaire populaire, les Victoires populaires ont d’ailleurs réuni plus de 120 personnes les 29 et 30 mars à Paris pour former et mobiliser dans les communes décisives à gauche, en vue des municipales. Lucie Castets figurait parmi les intervenants.

« Obtenir une candidature unique à gauche est une condition de l’élargissement du socle électoral absolument nécessaire pour l’emporter, détaille à Reporterre Lucie Castets. C’est vrai pour la présidentielle, mais aussi pour les municipales. » Pour la cofondatrice du collectif Nos Services publics, les mobilisations citoyennes font désormais partie du rapport de force.

« Il ne faut pas que les partis politiques résistent contre cette dynamique, mais qu’au contraire, ils s’appuient dessus, conclut-elle. La complémentarité entre des élus locaux ou nationaux et les personnes issues de la société civile me semble au contraire décisive et féconde. »


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