De Brassens à Audiard, l’étrange destin de la chanson « Les passantes » …

Distingué d’un César et d’un Oscar, pour la meilleure musique et la meilleure chanson originale 2025, le film « Emilia Pérez » de Jacques Audiard  compte nombre de trésors musicaux dont « Las Damas que pasan », une reprise espagnole  de la chanson « Les passantes » de Georges Brassens, elle-même inspirée d’un texte écrit par un certain Antoine Pol.  Etrange destin  que celui de ce poème …

Ecoutez ci dessous la version audio d’une durée de 1’57 » de « Las Damas que pasan »qui conclut le film «  Emilia Pérez », sur des images impressionnantes d’une marche funéraire mexicaine …,

François Morel raconte le destin de cette chanson.

« L’histoire commence en 1942. Un jeune homme de vingt-deux ans, désargenté, miséreux, amateur de littérature et de poésie se balade dans les Puces de Saint-Ouen. Il cherche un livre à un franc. Il trouve un recueil de poésies intitulé « Émotions poétiques » d’un certain Antoine Pol.

Je me trompe. L’histoire commence en 1911. Un jeune homme de 23 ans, centralien, bientôt ingénieur des Arts et Manufactures écrit un poème, sensible, délicat Les passantes. Je veux dédier ce poème À toutes les femmes qu’on aime…

 Le jeune homme de 1942 rentre chez sa tante Antoinette, il compose une musique sur un des poèmes du poète inconnu. Les passantes, Je veux dédier ce poème À toutes les femmes qu’on aime Pendant quelques instants secrets…

Le piston de 1911, c’est comme ça qu’on surnommait ceux qui faisaient Centrale, le piston poète donc devient sous-lieutenant d’artillerie, puis lieutenant puis capitaine, décoré de la croix de guerre. À compte d’auteur, en 1919, il publie ses poèmes mais ce n’est pas comme ça qu’on gagne sa vie. Il devient directeur commercial des mines de la Houve à Strasbourg puis président directeur général de la société des Établissements Châtel et Dollfus, négoce de combustibles minéraux et végétaux, élu Président du Syndicat central des importateurs de charbon en France.

Le traîne-savate de vingt-deux ans, dix ans plus tard devient une vedette de la chanson, il s’appelle Georges Brassens

Antoine Pol, en 1959, prend sa retraite. Il a bien le droit, il a 71 ans. Il peut s’adonner enfin à sa passion, qui n’est pas le charbon mais la poésie.

En avril 1960, à l’enterrement de Paul Fort, Antoine Pol reconnait Georges Brassens dans la foule mais il n’ose pas l’aborder. Pourquoi l’aborderait-il ? Il ne sait pas que dix-huit ans plus tôt aux Puces, Brassens a acheté son recueil de poésies. Il ne sait pas qu’il a mis en musique un de ses poèmes.

À la fin des années 60, Brassens remet la main sur Les passantes et lui trouve une nouvelle musique. Une musique qui lui plait mieux. Il décide de la chanter pour sa prochaine rentrée à Bobino. On cherche Antoine Pol. A la Société des gens de lettres, à la SACEM. On ne le trouve pas.

Un jour, c’est Antoine Pol lui-même qui contacte le secrétaire de Brassens. Il a créé une maison d’éditions et voudrait éditer les chansons de Brassens dans une édition de luxe. Enfin, la connexion est possible entre Antoine Pol et Brassens.

Brassens, qui se dit négligent mais qui en réalité est occupé par ses chansons et ses calculs rénaux laisse passer du temps avant de téléphoner à Antoine Pol. Antoine Pol pourra enfin entendre la chanson que sans le savoir il écrit en 1911 pour Georges Brassens.

Mais c’est trop tard. Une voix de femme répond à Brassens pour lui apprendre que Antoine Pol est mort quelques semaines plus tôt. La chanson qui parle de rencontres fantasmées est elle-même une histoire de rendez-vous raté.

Aujourd’hui, dans une marche funéraire impressionnante et une version mexicaine, la chanson conclut le beau film de Jacques Audiard Émilia Perez douze fois nominé aux César et qui à la cérémonie des Oscar dimanche prochain représentera dans la catégorie du meilleur film étranger le cinéma français et sera présente dans 13 catégories.

On souhaite cette fois-ci pour Georges, pour Antoine, pour Emilia et toutes les belles passantes un rendez-vous accompli. »

Source France Inter  : François Morel raconte le destin de cette chanson.


En savoir plus sur « Les Passantes » , Antoine Pol et Georges Brassens …

Paroles
Je veux dédier ce poèmeÀ toutes les femmes qu’on aimePendant quelques instants secrets
À celles qu’on connaît à peineQu’un destin différent entraîneEt qu’on ne retrouve jamais
À celle qu’on voit apparaîtreUne seconde à sa fenêtreEt qui, preste, s’évanouit
Mais dont la svelte silhouetteEst si gracieuse et fluetteQu’on en demeure épanoui
À la compagne de voyageDont les yeux, charmant paysageFont paraître court le chemin
Qu’on est seul, peut-être, à comprendreEt qu’on laisse pourtant descendreSans avoir effleuré la main
À celles qui sont déjà prisesEt qui, vivant des heures grisesPrès d’un être trop différent
Vous ont, inutile folieLaissé voir la mélancolieD’un avenir désespérant
Chères images aperçuesEspérances d’un jour déçuesVous serez dans l’oubli demain
Pour peu que le bonheur survienneIl est rare qu’on se souvienneDes épisodes du chemin
Mais si l’on a manqué sa vieOn songe avec un peu d’envieÀ tous ces bonheurs entrevus
Aux baisers qu’on n’osa pas prendreAux cœurs qui doivent vous attendreAux yeux qu’on n’a jamais revus
Alors, aux soirs de lassitudeTout en peuplant sa solitudeDes fantômes du souvenir
On pleure les lèvres absentesDe toutes ces belles passantesQue l’on n’a pas su retenir


En complément, découvrir la bande annonce du film « Emilia Pérez »  …