Avec « Bloquons tout » des citoyens manifestent pour « la première fois de leur vie »…

10 septembre 2025 : elles et ils sont jeunes, retraités, travailleurs, chômeurs, militants, citoyens, politisés, apolitiques … A Brest comme ailleurs, le visage des manifestants de « Bloquons Tout » est très divers, à l’image des mouvements Nuit Debout ou des Gilets Jaunes. Un mouvement, difficile à cataloguer, appuyé par certains syndicats et partis politiques . Le Télégramme de Brest et FR3 Occitanie les ont interrogés …

Ils ont rejoint ou fui « Bloquons tout » à Brest : « On cherche une autre façon de bouger »

Par Sophie Prévost d

Ils s’appellent Lili, Virginie, Morgan ou Patricia et ont de 20 à 56 ans. Sans étiquette politique ni engagement syndical, ils ont écouté ou rejoint le mouvement « Bloquons tout », à Brest. Des nouveaux venus qui espèrent de nouveaux moyens de mobilisation.

Une étudiante, un ancien de l’Arsenal, une salariée en milieu associatif, une artiste et une quinquagénaire porteuse de handicap : à Brest, tous ces profils se sont côtoyés lors des préparations informelles de la journée « Bloquons tout » du 10 septembre 2025. Leur point commun : ne porter aucun drapeau ni étiquette. Éloignés de l’engagement syndical, le cœur souvent à gauche, sans être forcément politisés, ils sont les « Newbe » (nouveaux venus) du cortège de 2 500 personnes réunies sur le port de commerce, ce mercredi.

Lili a 20 ans et témoigne d’une toute première fois. « Mon père est directeur de ressources humaines et n’a jamais trop eu le goût des manifs. Moi, je suis là pour voir. Je n’aime pas les casseurs, je ne viens qu’au défilé. » Étudiante en L2 de Sciences de la vie, à l’UBO de Brest, la jeune Alsacienne témoigne, aujourd’hui, d’une forme de désespoir. « La mobilisation sur les retraites, ça m’est passé au-dessus. Mais les coupes budgétaires annoncées par François Bayrou, ça raisonne de façon beaucoup plus concrète. L’université est touchée, les étudiants de plus en plus précaires sont touchés. Ce sont les minorités qui vont trinquer. Et pendant ce temps-là, on ne parle plus d’écologie et on hérite d’un nouveau Premier ministre chasseur et anti-mariage pour tous. Il n’y a pas de quoi être optimiste. »

On n’adhère à aucun parti et on se méfie de la récupération par les extrêmes. Mais on en a marre de cette politique qui focalise tout sur la dette et méprise les questions écologiques et sociales

Leurs enfants après eux

C’est aussi l’inquiétude qui a fait bouger Fanny, 40 ans, et son compagnon Morgan, 53 ans. Artiste peintre en micro-entreprise pour elle, ancien de l’Arsenal pour lui. Ils ont rarement défilé, à part au moment de la réforme des retraites. « On n’a jamais tenu un rond-point, l’idée d’une confrontation policière nous fait très peur et on ne vient clairement pas pour perdre un œil ou une main, détaillent-ils. On n’adhère à aucun parti et on se méfie de la récupération par les extrêmes. Mais on en a marre de cette politique qui focalise tout sur la dette et méprise les questions écologiques et sociales. »

Fanny a deux enfants de 14 et 16 ans. « Si j’ai réagi à l’appel du ‘‘Bloquons tout’’, c’est pour leur avenir à eux ». Elle gère déjà comme elle peut la pression financière. « Mon statut me rend dépendante des aides de l’État, et l’État rêverait que l’on s’en passe. Tout est question de rentabilité. Et la poésie, ça ne rapporte pas assez. »

Un peu plus loin, sous son parapluie, Patricia Abily, 56 ans, détaille une vie professionnelle en zigzag : « J’ai travaillé dans le commerce, comme assistante maternelle à domicile, ‘‘torche-cul’’» à l’hôpital et, aujourd’hui, salariée de l’association des Compagnons bâtisseurs. Je m’en suis toujours sortie. Je ne sais pas si mes deux enfants, désormais adultes, auront cette chance. Ils ont déjà du mal à joindre les deux bouts ». Avec ses cinq collègues, elles ont posé leur journée pour participer au cortège. « Mais pas question de blocage pour moi. Je suis apolitique et je déteste la violence. » Patricia est là aujourd’hui « pour que nos gouvernants arrêtent de ne penser qu’à eux, alors que les gens souffrent et se serrent la ceinture. Emmanuel Macron se comporte plus comme un roi que comme un président. Il faut que ça s’arrête ».

Je n’ai jamais manifesté de ma vie mais là, je suis très inquiète pour nos droits sociaux qui se dégradent. Et pendant ce temps, les politiques, qui sont hors-sol, se gavent

« Il faut de nouvelles propositions »

Initialement, Virginie avait prévu d’en être. La Brestoise de 50 ans vit avec une allocation adulte handicapée de 1 000 euros par mois. « Je n’ai jamais manifesté de ma vie mais là, je suis très inquiète pour nos droits sociaux qui se dégradent. L’hôpital et les soignants vont mal. L’augmentation des franchises sur les médicaments et la réforme de l’ALD (affection longue durée) envisagées pénaliseraient encore les plus précaires. Et pendant ce temps, les politiques, qui sont hors-sol, se gavent. »

Virginie est venue aux deux réunions préparatoires du mouvement « Bloquons tout ». Mais, mardi soir, elle a décidé de s’abstenir. « J’étais curieuse de voir quelles nouvelles propositions d’action allaient être formulées. Il nous faut des nouvelles façons de bouger et de communiquer. J’attendais un signe de ralliement, comme ont su le faire les bonnets rouges ou les gilets jaunes. Mais je n’ai entendu parler que de blocage, avec des messages préparant à la guérilla. Il y a eu une récupération et une radicalisation vers l’extrême gauche qui ne me conviennent pas ».


Grève du 10 septembre : A quoi ressemblent ces manifestants qui participent au mouvement « Bloquons tout » ?

Sur la place de la Comédie, le cortège du 10 septembre au matin était multigénérationnel. Des retraités mais aussi beaucoup d’étudiants. Dans la foule, des cheminots en grève, des professeurs, des travailleurs sociaux et beaucoup de partis et syndicats de gauches. Une foule hétéroclite à l’image des revendications.

Le mouvement « Bloquons Tout » semble plus politisé et très à gauche, en comparaison de celui des Gilets Jaunes. Montpellier le 10 septembre 2025© FTV O. Le Creurer

Le mouvement « Bloquons Tout » a aussi repris l’occupation de ronds-points. À Montpellier, sur celui de Près d’Arènes, Martine Charro était là tôt ce mercredi. Gilet jaune de la première heure, cette infirmière retraitée de 72 ans n’a jamais vraiment quitté le rond-point. Depuis novembre 2018, avec ses amis gilets jaunes, elle l’occupe encore deux fois par semaine. Embrasser le mouvement naissant « Bloquons Tout » est pour elle le prolongement naturel de son engagement. « Tout ça n’est pas normal, il y en a qui n’arrive plus à vivre. Il faut que ça se réveille !« .

Quand il y a une révolte comme ça, je crois qu’il ne faut plus qu’il y ait de couleurs politiques. On s’en fout là, c’est le peuple qui se révolte Martine, 72 ans

Forte d’une longue expérience, elle lutte pour le changement mais un changement organisé. « On ne sera pas pour tout casser dans le pays, on veut bloquer le pays, ça oui, mais pas tout casser. Quand il y a une révolte comme ça, je crois qu’il ne faut plus qu’il y ait de couleurs politiques. On s’en fout là, c’est le peuple qui se révolte ».

Martine Charro est une gilet jaune de la première heure et n’a jamais cessé de se mobiliser. Montpellier 9 septembre 2025© FTV D. Roussel Sax

Se battre pour soi, et pour les autres

Malia Vals n’était pas dans les manifestations à l’époque des gilets jaunes. Mais pour cette travailleuse sociale de 45 ans, c’est le moment de se battre. En CDI, elle confie ne pas se mobiliser pour elle. « J’ai été éducatrice spécialisée auprès de sans domicile fixe pendant 20 ans, donc je sais ce que c’est que la misère, je l’ai côtoyée. Je l’ai vu s’amplifier, j’ai vu mes conditions de travail se dégrader. Je me suis vu être obligée de maltraiter des gens que j’étais censé accompagner sous prétexte d’économies, de productivité« . Face à un système électoral perçu comme verrouillé, la rue, la grève, les défilés, semble être pour ces manifestants, une voie de lutte plus efficace. Et cela concerne toutes les générations.

Parmi les manifestants, Adriano et Martin, lycéens de 17 ans. Montpellier, le 9 septembre 2025© FTV D. Roussel Sax

De nombreux jeunes parmi les manifestants

Adriano et Martin, tous deux en terminale au lycée Clémenceau, entrent dans un grand mouvement social pour la première fois de leur vie, à seulement 17 ans. Dès 6h30 du matin, ils bloquaient leur établissement pour montrer l’engagement des lycéens dans le mouvement. « On n’est pas des personnes en galère, on n’est pas défavorisé mais on montre notre soutien aux gens qui le sont. Mais on se mobilise aussi pour les réformes de l’éducation, une raison qui s’accumule à toutes les autres« . Après le lycée, Martin voudrait faire Sciences politiques alors qu’Adriano se destine plutôt à une fac de lettres ou de philosophie. Jeunes mais déjà politisés, les deux amis se revendiquent de gauche. « Je me reconnais dans les partis de gauche. Quand on est mineur, particulièrement de gauche, on a tendance à être infantilisé, on entend qu’on est trop jeune pour s’intéresser réellement à la politique et avoir notre mot à dire ».

À leurs côtés, la jeune Anna Torcasio, 23 ans, en Master de Management mais aussi engagée au SCUM, Syndicat de Combat Universitaire de Montpellier et à la France Insoumise depuis les récentes législatives. « Quand il y a eu la montée de l’extrême droite j’ai eu très peur« , confie la jeune femme. « J’ai commencé à participer à des actions avec des personnes qui étaient dans le besoin, qui partageaient mes valeurs, mes convictions ». À l’époque des gilets jaunes, Anna était encore au lycée. « J’espère que ça prendra autant mais j’espère aussi qu’il y aura moins de violences, notamment policières« .  Celle qui veut devenir professeur des écoles voit dans le mouvement « Bloquons Tout » une richesse, car elle croit en la puissance militante.

À Nîmes aussi, des participants de tous âges, tous profils

François Paredieu est retraité. Il ironise: « Aujourd’hui pour beaucoup de personnes la fin du mois commence le 2, comme disait déjà Coluche« . Après 35 ans dans l’administration territoriale, il perçoit une retraite de 1750€ à Nîmes, mais a à sa charge, deux enfants en bas âge. « Mon épouse heureusement commence à travailler car aujourd’hui à 1700€ à quatre on ne s’en sort pas. Comment font ceux qui sont à 900€ pour vivre ? À la fin du mois, il ne me reste rien. Et encore on s’en sort bien parce qu’on fait un peu de jardin, des volailles… On peut avoir trois œufs… Mais à la fin du mois il reste strictement rien« .

Sur ce blocage routier de Nîmes, à ses côtés, Rémi. Il avait rejoint le mouvement des gilets jaunes à l’âge de 16 ans. Aujourd’hui il en a 23. Pour cette journée de « Bloquons tout », il a à nouveau revêtu son gilet jaune. « J’ai grandi dans une famille de la ruralité. J’ai toujours entendu ma maman et ma famille exprimer des difficultés qu’elles soient financières, sociales, d’intégration dans la société. Rejoindre le mouvement des gilets jaunes, c’était synonyme de lutte et de montrer que je partageais certaines des difficultés rencontrées par ma famille. Aujourd’hui je suis là parce que ces difficultés n’ont pas disparu« . Rémi a donc prévu de passer sa journée à manifester, dans le Gard mais aussi dans l’Hérault.

« J’ai des difficultés financières comme beaucoup d’étudiants. J’ai une bourse mais on n’a toujours pas reçu cette bourse alors qu’on est le 10 septembre. J’ai eu la chance de travailler cet été pour m’en sortir, payer mon loyer, etc. Mais des étudiants sont en difficultés à cause de cette bourse et ne peuvent même pas faire de courses ».

Rémi, 23 ans, ex gilets jaunes
Assemblée générale de fin de manifestation à Narbonne. « On était nombreux, c’est bien mais on a pas envie de s’arrêter là. » Ça parle de la suite. Des prochains objectifs de manifestations, des prochains blocages.© FTV C. Fabre

Pour autant, il serait erroné de dire que les participants de « Bloquons Tout » sont les mêmes que ceux des Gilets Jaunes. Une première étude réalisée par la politiste Antoine Bristielle pour la Fondation Jean-Jaurès, seules 27% des personnes impliquées dans « Bloquons Tout » avaient aussi participé au mouvement des Gilets Jaunes.

Trois grandes préoccupations apparaissent dans cette étude : un sentiment aigu d’injustice sociale et fiscale, des angoisses environnementales et en troisième position seulement, le pouvoir d’achat. Sur le terrain, ce qui ressort comme trait commun parmi les militants, c’est le rejet d’Emmanuel Macron. Martine Charro, qui tient son rond-point de Près d’Arènes lance : « Quand il sera plus là, on sera plus là!« . En Languedoc-Roussillon, même si les profils sont diversifiés, ce mouvement social semble moins hétérogène que celui des gilets jaunes. Bien qu’initialement soutenu par des mouvances souverainistes ou complotistes, « Bloquons Tout » semble être sur le terrain très à gauche, avec des profils plus politisés ou habitués à la lutte. L’histoire dira quelle forme il prendra dans la durée.