Philippe du Vignal présente le livre des « MILLE ET UNE PLAISANTERIES DU THÉÂTRE DE L’UNITÉ » …

« Les mille et une plaisanteries du Théâtre de l’Unité », c’est le dernier livre de Jacques Livchine, metteur en songe du Théâtre de l’Unité. Un un livre-catalogue rouge de 120 pages : c’est la liste incroyable de ce qu’a produit le Théâtre de l’Unité entre 1968 et 2024. Dans un brillant hommage, Philippe du Vignal, Directeur de l’école de Chaillot et journaliste  de France Culture,  nous donne envie de lire cet ouvrage …

Philippe du Vignal

« C’est le dernier livre de Jacques Livchine, metteur en songes, comme il se définit lui-même. En cent-vingt pages et avec une couverture rouge comme les rideaux du théâtre bourgeois auquel il n’a cessé de s’attaquer, une sorte de catalogue liste memorandum-réflexion des quelque quatre vingt spectacles et interventions créés par le Théâtre de l’Unité depuis 1968 jusqu’à l’an passé.

Avec la trente-cinquième édition de La Nuit unique en juin à l’Avant-Scène à Colombes (Hauts-de-Seine), Hervée de Lafond, sa codirectrice et Jacques Livchine ont éteint les projecteurs d’une aventure hors-normes. Sans regrets, disent-ils. Peut-être, mais avec une épaisse couche de nostalgie (voir Le Théâtre du Blog).

« Toute ma vie je n’ai été hanté que par une seule question : arracher le théâtre au carcan sociologique d’une culture dite cultivée. Alors, l’Unité c’était une course effrénée, nous n’avons jamais cessé d’ouvrir de nouvelles routes, de secouer le théâtre dans tous les sens, de faire bouger les paramètres, d’expérimenter, de « rater mieux », de jouer pour les chiens, dans une 2 CV, de s’adresser à une ville toute entière, de jouer partout, même dans les théâtres, d’inventer des actes poétiques radicaux. Nous pensions toujours que de l’idiotie pouvait jaillir une étincelle. »

Nous avons vu la majorité des créations de l’Unité soit environ une quarantaine, ce qui est exceptionnel pour une compagnie dans une vie de critique et avons aussi demandé à ces fous exemplaires de diriger des stages A.F.D.A.S. pour comédiens à l’Ecole du Théâtre National de Chaillot. Mais aussi de mettre en scène des spectacles avec les élèves en fin d’études, notamment Le Mariage au festival de Blaye que l’Unité avait créé au festival in d’Avignon. Ils auront été de remarquables pédagogues et directeurs d’acteurs. Et la promotion qui a travaillé avec eux, en a été marquée pour toujours. Sans eux, L’Ecole où ils intervenaient régulièrement, n’aurait jamais été ce qu’elle a été. Ils ont apporté un tsunami qui déplaisait fortement-et c’était formidable-aux gens du Ministère de la Culture, en charge de l’enseignement théâtral…
Folie mais aussi exigence professionnelle…Nous entendons encore la voix d’Hervée de Lafond portant à cent mètres, hurler dans les coulisse de Blaye: « Dites, donc les filles, les bas noirs et porte-jarretelles, on ne les laisse pas traîner par terre, on les range avec soin : cela coûte cher. Et vous, les garçons, les chemises même sales, cela se met sur des cintres, sinon, demain même lavées, elles auront un parfum dont vous vous souviendrez. » Ils ont aussi créé un remarquable petit spectacle sur le Moyen-Age, dans le cloître de l’abbaye de Conques (Aveyron).

Ces ex-élèves ne les ont pas oubliés. Hervée et Jacques, non plus… Faustine Tournan jouait il y a deux ans dans Une Saison en enfer. Léna Bréban, metteuse en scène et Alexandre Zambeaux, acteur et dramaturge, en parlent avec reconnaissance. Comme Nathalie Conio-Cauvin: « Ils trouvaient une forme toujours unique pour parler d’eux et envoyer des messages, entre autres, dans Terezin qui se jouait en déambulation dans un théâtre à l’italienne et où j’ai joué la résistante Natacha… Ces incroyables formateurs de vie et de pensée m’ont apporté une envie forte de mise en scène engagée…et de projets sans limite ! »

Nous avions vu Jacques tout jeune, débuter comme acteur avec Didier Sandre, acteur d’Antoine Vitez, dans Glomoel et les pommes de terre de Catherine Dasté, la fille de Jean Dasté, et la petite-fille de Jacques Copeau. Elle aura révolutionné le théâtre pour enfants dans les années soixante-dix avec des mises en scène à la fois pleines d’humour et d’une rigueur exemplaire…

Puis nous avons assisté aux spectacles les plus forts de l’Unité depuis cinquante ans, et cela en fait des souvenirs… Vous y allez y avoir droit en feuilleton cet été mais vu la canicule, il y a du retard à l’allumage …

Parmi les plus belles créations: L’Avare, La 2 CV théâtre, Le Mariage, Mozart au chocolat, et La Célébration de la Guillotine au festival d’Aurillac 87-inoubliable, même en ce matin pluvieux, place de l’Hôtel de Ville- L’Histoire du Soldat, Don Juan, Le Bourgeois gentilhomme, Terezin, 2.500 à l’heure souvent repris et où jouèrent plusieurs anciens élèves de Chaillot, Oncle Vania à la campagne, fabuleux de poésie, vu dans une prairie en Suisse, leur cabaret mensuel dit Kapouchnik très populaire et joué pendant vingt ans dans leur lieu à Audincourt. La Tour bleue à Amiens devant des milliers de personnes, Le Parlement de rue à Aurillac, Macbeth, dans une forêt mouillée en hiver près de Montbéliard, La Nuit Unique à Aurillac, Une Saison en enfer, promenade magistrale dans les chemins empruntés par Arthur Rimbaud et le dernier, le court mais impressionnant Les Femmes puissantes d’après L’Assemblée des femmes d’Aristophane, mise en scène d’Hervée de Lafond sur les restes d’un ancien théâtre antique romain de 2.000 places, près d’Audincourt…

Nous avons vite oublié des échecs revendiqués comme tels, un ennuyeux et mal joué Revizor, un de leurs premiers spectacles dans une triste salle à Paris et L’Avion dans une prairie en lointaine banlieue, une fausse bonne idée sur le crash d’un Boeing qui fut aussi un crash théâtral … Mais une des forces de cette compagnie, c’est accepter l’échec et en tirer les conséquences, puis d’avoir la ténacité pour résister d’abord aux gens du milieu et aux politiques qui leur vouaient un mépris, voire une haine tenace. Exemple: aucun directeur du Théâtre National de Strasbourg n’aura pris la peine d’aller-ou d’envoyer un collaborateur- voir un de leurs spectacles, même quand Hervée et Jacques dirigeaient pendant huit ans la Scène Nationale de Montbéliard… à deux heures de train. Pourtant, l’Unité aura joué des centaines de fois à l’étranger et sur trois continents. Levez le doigt ceux qui peuvent en dire autant !
En lisant ces pages, nous avons repensé à ce que nous liait si fort au théâtre de l’Unité: d’abord avec Jacques, un passé commun: Etudes Théâtrales en Sorbonne avec Bernard Dort, ce fabuleux professeur et le Groupe de Théâtre antique de la Sorbonne où nous avons appartenu, mais pas en même temps. Et aussi des valeurs qui ont fait respecter le Théâtre de l’Unité: trouver un autre public, une des obsessions de Jacques et Hervée, même au prix d’échecs inévitables mais assumés : leur fameux « ratez mieux ».
Et la provocation revendiquée non comme but mais moyen de meilleure relation avec le public. Et une intelligente revisitation de classiques: Don Juan où Jacques interrompait le début du spectacle où on voyait trois Don Juan et trois Elvire nus. Depuis la salle, il faisait baisser le rideau: « Excusez-nous, ce n’était finalement pas une bonne idée. On reprend depuis la début. » Et une minute à peine les acteurs revenaient habillés. Vrai? Faux? Hervée et Jacques étaient déjà passés maîtres dans le jeu du théâtre dans le théâtre et le public de banlieue parisienne était tout de suite subjugué. Ou Le Bourgeois Gentilhomme, présenté au cours d’un grand dîner avec toute la Cour, femmes et hommes en costumes d’époque devant le Roi…
Il y a aussi un paramètre souvent exploité: la représentation unique comme la démolition d’un H.L.M. vétuste par explosion dans La Tour bleue, en banlieue d’Amiens, avec, avant des chansons et sketchs dans les étages très bien éclairés. Des milliers d’habitants étaient là… qui se sont fait avoir comme les deux ou trois critiques parisiens venus pour le spectacle et l’explosion en direct. Tous roulés dans la farine. Bien joué ! Impossible en effet de procéder à cette explosion tant attendue, puisque nous étions à une vingtaine de mètres!
il y a aussi à l’Unité, une affection pour les repas pris en commun, histoire de tisser des liens… que Jacques sait préparer pour trente personnes. Et très souvent, un dîner est prévu dans leurs spectacles comme dans Le Bourgeois Gentilhomme, Le Mariage, Le Repas des riches et le Repas des pauvres…. Et dans un chaudron pendant la représentation d’Oncle Vania à la campagne, cuisait doucement une soupe offerte aux spectateurs, juste après les dernières répliques, à la nuit tombée.
Autre marque de fabrique chère à l’Unité: l’amour de la poésie: Arthur Rimbaud, Blaise Cendrars, Ghérasim Luca… souvent cités. Et l’amour des animaux : Jacques a toujours eu un adorable bouvier bernois qu’il faisait parfois intervenir dans leurs créations et ils ont commis un spectacle Le Théâtre pour chiens.
Et l’élasticité du temps : les spectacles peuvent durer quelques minutes, une heure trente ou deux, ou toute la nuit. Et ils savent jouer par tous les temps, le plus souvent, dans des lieux atypiques petits ou à la taille d’une ville comme pour Le Réveillon des boulons à Montbéliard. Et à chaque fois différents, selon le lieu de représentation mais très consciencieusement repérés : Le Chemin de Rimbaud dans sa campagne, Les Femmes puissantes avec comme scène ce qui restait des gradins d’un théâtre antique, Le Moyen-Age dans un cloître du XIII ème siècle, en essayant de calculer en janvier l’inclinaison du soleil en juillet, pour que le public ne soit pas ébloui. Professionnalisme garanti…

Autre marque de fabrique évoqué aussi par Jacques Livchine dans ce livre: le plaisir de provoquer, que ce soit les adversaires de la peine de mort (dans La Célébration de la guillotine) ou les politiques et barons de tout bord. Hervée, en 2024, nommée commissaires de Montbéliard, capitale française de la culture, tutoie ainsi à l’inauguration Gabriel Attal, alors Premier ministre. «Tu es venu en avion, alors qu’il y a un TGV, tu te prends pour qui ? Pour le Premier ministre ? » Et elle a fait remarquer que la ministre de la Culture, Rachida Dati n’avait pas daigné se déplacer et que deux cent millions d’euros de crédits ont été annulés pour le ministère de la Culturen cette même année 2024. Emois dans les rangs.. Hervée de Lafond causa ainsi un mini-scandale chez les élus du coin qui n’aimaient pas beaucoup le Théâtre de l’Unité, trop dérangeant à leur goût.Et enfin un élément- non des moindres- le plaisir de transmettre évident chez ces complices, que ce soit régulièrement, et avec quelle efficacité! à l’Ecole du Théâtre National de Chaillot ou à Audincourt, dans leurs Ruches des stages pour les jeunes, qu’ils animaient chaque année.

Voilà, nous espérons vous donner envie de lire ce petit mais grand livre, qui sonne comme un testament mais très vivant. Il n’y a aucune photo mais, avec un peu de chance, vous en trouverez sur Internet et pour le festival d’Avignon, à la Maison Jean Vilar. Mais de nombreux documents ont été brûlés après un attentat de leurs locaux à Montbéliard.Souvent méprisé, voire injurié, le Théâtre de l’Unité-nous persistons et signons- aura été le créateur du théâtre, dit de rue en France avec Jean Digne à Aix-en-Provence, aujourd’hui très malade. Et l’Unité aura eu une influence souterraine mais considérable sur le spectacle contemporain. Aujourd’hui, Hervée de Lafond et Jacques Livchine qui parle ouvertement de ses métastases, ne sont plus tout jeunes et ont préféré transmettre cet outil à leurs collaborateurs. « Peu à peu se dégage une réputation que nous ne maîtrisons pas. Nous sentons bien, dit Jacques Livchine, qu’il y a une légende qui naît avec ses exagérations et ses mensonges. » Mais avec ses vérités: celles des innombrables articles, films et documents sonores comme le récent interview à France-Culture. Quant à nous, nous ne regretterons jamais d’avoir travaillé avec Hervée et Jacques.

Que dire de plus? Vous, jeunes élèves d’une école de théâtre, lisez aussi ce livre exigeant et d’une rare intelligence artistique, cela vous donnera envie de ne pas avoir peur.


Philippe du Vignal.
Directeur de l’école de Chaillot, journaliste  de France Culture, collaborateur épisodique d’Art Press et de toutes les revues éclairées.


LES MILLE ET UNE PLAISANTERIES DU THÉÂTRE DE L’UNITÉ par THEATRE DE L’UNITE

 Éditeur : Théâtre de l’Unité


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