Jeudi 7 août, le Conseil constitutionnel a censuré la ré-autorisation de l’acétamipride, un néonicotinoïde dont la toxicité sanitaire et environnementale n’est plus à démontrer. La décision s’appuie sur la Charte de l’environnement, intégrée depuis plus de 20 ans à la Constitution . Mais cette loi, même amputée, demeure une offensive brutale d’un modèle agro-industriel délétère, les combats continuent !
« Une victoire en demi-teinte » : l’acétamipride censuré, mais la colère perdure
La contestée loi Duplomb a été censurée en partie par le Conseil constitutionnel, le 7 août. Une première petite victoire pour ses opposants, réunis à Paris. «Le rapport de force fonctionne.»

Un article signé Laure Noualhat et Cha Gonzalez (photographies) dans Reporterre du 8 août 2025
Paris, reportage
17 h 30, jeudi 7 août. Place André-Malraux. La décision du Conseil constitutionnel sur la loi Duplomb est prévue pour 18 heures. Au milieu de trois estafettes de CRS, de touristes au cornet de glace dégoulinant et d’une circulation intense, une poignée de citoyens et de militants est venue l’attendre ensemble, non loin de la pyramide du Louvre.
Drapeaux jaunes de la Confédération paysanne, pancartes des militantes de la Compassion in World Farming (CIWF) et banderoles en tissu de Cancer Colère, l’association menée « chimio battante » par Fleur Breteau. Tous sont venus rappeler que cette loi facilitant notamment l’utilisation de pesticides dangereux, dont l’acétamipride, doit voler en éclats.
« La mobilisation a un but très précis, occuper l’espace médiatique en plein été, relancer la pétition [qui a dépassé les 2 millions de signatures] et maintenir la pression », selon Félix de Monts, à l’origine du rassemblement de dernière minute. Cet entrepreneur social a eu le nez creux : il y a autant de journalistes que de militants !

Quelle que soit la décision des Sages, retoquage, semi-retoquage ou validation, Félix de Monts n’en démord pas : « Le fond du problème est ailleurs. » Les neuf membres du Conseil ont épouillé un texte dans ses moindres recoins juridiques, mais son « intention principale reste de libérer l’agrobusiness et nous n’en voulons pas ». Pendant que la société civile montre la Lune, les Sages regardent le doigt, celui de la loi.
18 heures. L’annonce est repoussée à 19 heures. Les membres de Cancer Colère partent s’acheter des bulles. Bières et ginger beers trônent sur le banc public, aux côtés des caméras et des enregistreurs des journalistes. Ceux-là tentent des préinterviews devant le frontispice du Conseil aux lettres dorées. « C’est interdit, somme un salarié de l’institution. Faites demi-tour. »

18 h 20. Le communiqué de presse a fuité. Tout le monde plonge son nez sur son téléphone. « Il nous faut un constitutionnaliste, on ne comprend rien ! » « Si ! Ils retoquent l’acétamipride… ! » Incrédulité et silence. Re-nez sur le téléphone. « On n’est sûrs de rien, mais si c’est ça, alors c’est une première bonne nouvelle », glisse Marie-Liesse du mouvement chrétien Lutte et Contemplation.
Le Conseil constitutionnel a effectivement validé la loi Duplomb, mais censuré sa disposition la plus contestée, celle qui prévoyait de réautoriser trois néonicotinoïdes, dont l’acétamipride. Le texte facilitera tout de même la construction des mégabassines et l’implantation de fermes-usines.
« Le rapport de force fonctionne »
Les journalistes recueillent les réactions mi-figue, mi-raisin des membres de la Confédération paysanne sous leurs drapeaux jaunes.
« C’est une censure du texte qui nous réjouit mais, pour nous, ça reste une victoire en demi-teinte. Cette loi pousse toujours l’avènement d’une agriculture de firmes », assure Thomas Gibert, maraîcher. Vite rejoint par son confrère producteur de lait en Ille-et-Vilaine et porte-parole, Stéphane Gallais : « On sait bien que l’ADN de la loi est inchangé. Le sénateur Duplomb a une obsession : diriger la ferme France comme la sienne, forte de 300 bêtes. Faire un truc taillé pour la compétition, qui tire qualité et prix vers le bas. »

19 heures. Partagée entre le plaisir de la petite victoire et la distance qu’il reste à parcourir, la porte-parole de Cancer Colère, Fleur Breteau, enchaîne les interviews. Elle fait face à la caméra de « C dans l’air » ou affine son propos devant les micros de France Inter et l’AFP. À chaque fois, elle se racle la gorge et se concentre les yeux au sol. Puis regarde droit dans les yeux.
« Cette décision nous apprend une chose, c’est que le rapport de force fonctionne. Et comme il reste 288 molécules nocives pour la santé et l’environnement utilisées en agriculture, on ne va pas s’arrêter là. Ce que nous voulons, c’est un moratoire sur les pesticides. »

« Oui, on continue, renchérit Thomas Gibert. À ce jour, cette loi ne répond en rien aux revendications de la colère agricole, c’est-à-dire vivre de notre métier. On veut monter des exploitations de 500 à 1 000 hectares avec le financement de firmes agro-industrielles. Ce n’est pas la sécurité alimentaire. »
19 h 30. Dispersion et satisfaction de la mini-manif’ accomplie. Le collectif va dîner pour préparer sa conférence de presse pour le lendemain. C’est un combat de longue haleine. Cette petite victoire a quand même le goût d’un grand nectar.
Le communiqué des Soulèvements de la Terre …
AH BON, IL Y A UNE « CHARTE DE L’ENVIRONNEMENT » DANS LA CONSTITUTION ?
La Charte de l’environnement, intégrée depuis plus de 20 ans à la Constitution et qui prétend que « les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».
Cette charte n’a jamais réussi à empêcher la fuite en avant mortifère du complexe agro-industriel. La reculade très partielle de l’Etat est la conséquence directe d’une colère populaire montante face à une intoxication généralisée des corps et des milieux par l’industrie des pesticides. Cette colère s’est traduite ces derniers mois dans le combat de l’association Cancer colère et des autres associations de victimes, dans des actions directes telles que des blocages et intrusions dans des sites de production de pesticides, dans les 2 millions de signatures de la pétition réclamant l’abrogation de la loi Duplomb. Cette dynamique de résistance n’a en rien perdu sa pertinence, et nous devons continuer à oeuvrer à son approfondissement : cette loi, même amputée, constitue toujours une offensive brutale d’un modèle agro-industriel délétère. Même sans acétamipride, le blanc-seing accordé à l’agrandissement des fermes-usines en particulier ne peut que contribuer à toujours plus intensifier le recours à la chimie de synthèse.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A AUSSI CENSURÉ LA VALIDATION AUTOMATIQUE DES MÉGA-BASSINES
La version du texte soumise au Conseil prévoyait également d’inscrire dans la loi que tout projet de méga-bassines devrait être considéré comme étant d’intérêt général. S’il n’a pas censuré cet article, le Conseil constitutionnel a toutefois émis une importante « réserve d’interprétation ». Comme l’explique Mediapart, « d’une part, les prélèvements d’eau pour ces stockages ne peuvent se faire dans les nappes dites ‘inertielles’, c’est-à-dire les nappes souterraines longues à se recharger ou se vider ; d’autre part, la ‘raison impérative d’intérêt général majeur’ inscrite dans le texte pour ces projets peut être contestée devant les tribunaux. Ce qui veut dire que la loi est préventivement vidée de son sens : l’intérêt général est présumé, mais un tribunal peut l’invalider.
On sait que les batailles juridiques ne suffisent pas à empêcher les projets mortifères de se faire – que la ‘victoire’ arrive une fois les travaux terminés ou qu’elle ne soit tout simplement pas appliquée, par exemple. Il est d’ailleurs possible que des reprises de chantiers de bassines tentent de reprendre à l’automne, notamment dans la Vienne. Tenons-nous prêt-es à y réagir promptement si besoin.
MENER LE COMBAT CONTRE LE MONDE DES PESTICIDES
Comme l’a déclaré Fleur Breteau, porte-parole de Cancer Colère : « Cette décision nous apprend une chose, c’est que le rapport de force fonctionne. Et comme il reste 288 molécules nocives pour la santé et l’environnement utilisées en agriculture, on ne va pas s’arrêter là. Ce que nous voulons, c’est un moratoire sur les pesticides. » Nous n’arracherons pas l’interdiction immédiate de la production et de l’utilisation de ces produits les plus toxiques (cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques et perturbateurs endocriniens), sans une résistance populaire déterminée, sans un mouvement massif de lutte. Cette revendication doit par ailleurs être couplée à deux autres : un coup d’arrêt à la délocalisation coloniale des contaminations environnementales, par l’interdiction des exportations prédatrices par les firmes agrochimiques de pesticides interdits sur le territoire hexagonal ; la nécessaire interdiction aux frontières des produits importés traités avec les mêmes pesticides, provoquant une concurrence déloyale que dénoncent la majeure partie des actifs agricoles. La mobilisation citoyenne des 2 millions de pétionnaires contre la loi duplomb doit se prolonger, par des actions collectives à la hauteur des enjeux et par l’émergence d’une force d’opposition dans la rue.
PAS D’ALTERNATIVE A LA CHIMIE DANS UN MONDE OU LA PRODUCTION AGRICOLE EST DÉVOLUE À UNE MINORITÉ DE 400 000 EXPLOITANT-ES
La sortie généralisée des pesticides et la métamorphose de nos modes de production agro-alimentaires réclamera une réforme agraire plus profonde encore. Une transformation passera par la conquête de mesures protectrices à même de faire cesser la guerre commerciale, et permettre aux agriculteurs d’affronter en connaissance de cause les enjeux écologiques et climatiques. Mais aussi par des luttes foncières pour freiner l’agrandissement et la concentration capitalistique des exploitations. Enfin, par une reprise en main des filières pour se réapproprier la valeur prédatée par les firmes, et asseoir ainsi la garantie économique générale d’un revenu paysan. Ce n’est qu’en imposant politiquement, par la construction d’un rapport de force conséquent, le nécessaire réempaysannement de masse de nos territoires, que nous pourrons nous arracher à notre dépendance à l’endroit de la filière mortifère des pesticides.
Nous continuerons à nous opposer à la loi Duplomb : rendez-vous dans les champs, les usines et les rues !