Le MIPIM de Cannes, haut lieu de la spéculation immobilière …

A Cannes, tous les ans à la mi-mars, se déroule le Mipim,  le Marché International des Professionnels de l’Immobilier. « Constructeurs, promoteurs, élus et hommes d’affaires du monde entier » se retrouvent au milieu de flots de champagne et de verrines colorées, pour une grande valse des cartes de visite devant des maquettes de projets.  Au grand dam des défenseurs du Droit au logement qui dénoncent cette « fabrique mondiale de la spéculation »…Une vidéo de 1’46 » pour vous faire une idée de l’atmosphère de cette « Place to be  » …


Au Mipim de Cannes, promoteurs immobiliers et fonds de pension montent les marches …

Le plus grand salon de l’immobilier international s’est tenu toute la semaine sur la Croisette. Dans une concurrence féroce, les métropoles du monde entier viennent vendre ici des bouts de leur territoire aux investisseurs. Une coalition européenne de militants du droit au logement a dénoncé un événement où « se fabrique la spéculation immobilière ».

Un article signé Lucie Delaporte dans Médiapart du 18 mars 2023 …

Cannes (Alpes-Maritimes).- Une foule, essentiellement masculine, et arborant un harmonieux nuancier de costumes bleu-gris anthracite, a envahi toute cette semaine les rues de Cannes. Du 14 au 17 mars, le plus grand salon de l’immobilier mondial accueillait sur la Croisette, au Palais des festivals, plus de 23 000 participants, issus de quatre-vingt-dix pays. Ticket d’entrée à 2 100 euros.

Promoteurs, entreprises du BTP, architectes, urbanistes, banquiers, représentants de fonds d’investissement… Deux mois avant le festival de Cannes, c’est le monde de l’immobilier qui monte les marches pour une grande partie de Monopoly mondiale.

Tout le microcosme de l’immobilier se retrouve au Mipim, au milieu de flots de champagne et de verrines colorées, pour une grande valse des cartes de visite devant des maquettes de projets.

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Une maquette de tour « durable » sur le stand de Dubaï. © Lucie Delaporte

Dans leur sillage, les élus locaux – essentiellement des grandes métropoles mondiales – viennent « vendre » des bouts de leurs villes, toutes plus « dynamiques », « attractives », « stratégiques » les unes que les autres.

Dubaï promeut ses projets de tours « durables » à grand renfort de films promotionnels, Londres met en avant l’attractivité de l’immobilier « de la connaissance », universitaire ou de recherche, alors que dans une imposante tente face à la mer, le Grand Paris affiche « 20 millions de mètres carrés d’opportunités d’investissement ».

Les investisseurs, invités à déambuler entre les stands sont des fonds de pension, des sociétés de gestion de portefeuilles, mais aussi des fonds souverains. La mondialisation de l’immobiliser est allée de pair avec sa financiarisation, comme le décrit Antoine Guironnet dans un livre remarquable, Au marché des métropoles. Enquête sur le pouvoir urbain de la finance (Les Étaques, 2022).

Pour faciliter les échanges et pour plus de convivialité, les soirées se poursuivent sur les yachts attenants au Palais.

L’offre ici est variée : on « vend » à Cannes – même si peu de deals se font sur place – des kilomètres carrés de bureaux, des sites pour plateformes logistiques, des complexes hôteliers de luxe en bord de mer, de la « smart city » à ne plus savoir qu’en faire… mais aussi des projets de « logements en co-living », une formule prometteuse dans des villes qui peinent de plus en plus à loger leurs actifs.

« Faites comme nos rendements, montez », clame devant un escalator du Mipim la bannière de l’entreprise Checkmyguest, spécialisée dans la transformation de locaux commerciaux en locations de courte durée à « très forte rentabilité ».

Un secteur en proie au doute

Le thème du salon cette année est le « road to zero », soit l’immobilier décarboné. Une route encore longue alors que le bâtiment est responsable de 40 % des émission de carbone et de 20 % des gaz à effet de serre. « Le Mipim entend accompagner les exposants et les visiteurs à travers la présentation de solutions pratiques et d’études de cas, dans un contexte où le secteur de l’immobilier s’efforce d’atteindre la neutralité carbone », a expliqué en ouverture le directeur du Mipim Nicolas Kozubek.

En guest star, l’essayiste américain Jeremy Rifkin est venu faire une petite conférence sur « l’importance de l’innovation dans la transformation du secteur de l’immobilier vers un modèle plus durable ».

Pour l’occasion, les décorateurs ont été priés de parsemer le « Bunker » – le surnom du Palais des festivals – de petits cubes verts végétalisés. On est écolo ou on ne l’est pas.

Mais derrière les discours enthousiastes sur le bas carbone et la ville – forcément verte – de « demain », l’inquiétude du secteur est perceptible. Les coûts des matériaux ont atteint des records, tout comme ceux de l’énergie. Le récent relèvement des taux d’intérêt a rendu plus difficile l’accès au crédit et les banquiers rencontrés se désolent de taux de refus de prêt avoisinant les 50 %.

En France, comme dans la plupart des pays européens, la construction est donc en berne. Le contexte géopolitique, avec la guerre en Ukraine, pèse aussi lourdement alors que l’Europe de l’Est s’était imposée ces dernières années comme un nouvel eldorado pour la promotion immobilière.

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Discussion au stand Accor du Mipim 2023. © Lucie Delaporte

Dans ce contexte incertain, la guerre des métropoles mondiales fait rage pour attirer les capitaux. Dans un marketing territorial tous azimuts, les villes rivalisent d’arguments pour attirer les investisseurs.

À ce compte-là, tout le monde ne joue pas dans la même cour. Si, côté français, la métropole Nice-Côte d’Azur affiche devant de grandes maquettes un projet d’Écovallée qui offre « 3 millions de mètres carrés constructibles idéalement situés entre mer et montagne », Calais – 80 000 habitants – a cassé sa tirelire pour tenir un stand et promouvoir sa position de « hub multimodal de 1er rang » au carrefour de trois capitales européennes. Cette dernière ville propose, par exemple, « 6,7 hectares disponibles adossés à la gare TGV », avec sur place « une réserve de main-d’œuvre disponible et qualifiée ».

Confronté à l’afflux d’exilés vivant sous des tentes de fortune, Calais est aussi venu retravailler son image et affiche également un projet de « 36 appartements de standing et 99 chambres d’hôtel 3 ou 4 étoiles » en bord de mer.

Le maire socialiste de Villeurbanne a aussi fait le déplacement. « Il faut être dans ces endroits. Nous avons besoin de construire et nous avons besoin des promoteurs pour mener nos projets », plaide Cédric Van Styvendael, qui rappelle cependant qu’il a un cadre clair et qu’il n’est pas prêt à vendre ses terrains pour faire n’importe quoi.

Mais, comme le souligne Antoine Guironnet, les élus, techniciens et aménageurs ont aussi intégré les normes des investisseurs et « ajustent leur projet urbain aux canons de l’immobilier financiarisé ». « L’essentiel de la logique pour les représentants des territoires est de préparer le terrain pour faciliter l’atterrissage des capitaux. Leur but est que leur territoire apparaisse à la fois rentable pour les investisseurs mais aussi sûr, en diminuant les risques perçus », explique le chercheur associé à Sciences Po.

À partir des années 2000, les collectivités sont venues de plus en plus nombreuses pour présenter leurs projets d’urbanisme dans le sillage de Londres, qui a été l’une des premières à participer. « Il y a maintenant cette croyance très forte chez les élus locaux qu’on ne peut pas ne pas être au Mipim. »

Longtemps négligé, le logement apparaît comme une valeur refuge

Longtemps négligé par les promoteurs immobiliers, car considéré comme peu rentable et politiquement plus sensible, le logement est devenu ces dernières années un investissement de choix. « Depuis une dizaine d’années, on observe cette tendance. En France, on est passés de 1 milliard en 2015 d’investissement institutionnel dans le logement à 7 milliards en 2021. Les raisons sont principalement financières, avec des prix qui ont continué à augmenter jusqu’à récemment, alors que, parallèlement, le rendement des bureaux et des centres commerciaux (en raison du télétravail qui s’est accéléré avec le confinement lié au Covid19, le développement du e-commerce) est devenu moins intéressant qu’avant. En comparaison, le logement apparaît comme un placement peu risqué car la demande est très forte. »

Évidemment, tous les types de logement n’intéressent pas également les investisseurs et promoteurs. « Il y a un appétit pour les résidences seniors ou étudiantes car il s’agit de baux commerciaux. Ces produits sont gérés par des opérateurs : c’est une formule clé en main pour les investisseurs. »

Le mal-logement n’est pas la première préoccupation du Mipim, où l’on n’aime d’ailleurs pas trop les trouble-fêtes. Les militants de la Coalition européenne d’actions pour le droit au logement, qui regroupe une trentaine de collectifs dans vingt pays, dont le Droit au logement (DAL) et la Ligue des droits de l’homme (LDH) en France, et qui avaient prévus de manifester devant le Palais des festivals, ont été tenus à l’écart.

Un arrêté d’interdiction de manifester a été pris par la mairie de Cannes et la préfecture pour empêcher le rassemblement mardi, en ouverture du salon. Une petite conférence de presse s’est donc tenue dans un local associatif et les militants n’ont pu que brièvement déployer une banderole à bonne distance du « Bunker ».

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Action de la Coalition européenne pour le droit au logement. © DR

« Partout en Europe et dans le monde, la crise du logement frappe les classes populaires. Elle est le fruit amer de la spéculation immobilière et foncière alimentée par les politiques publiques qui font monter artificiellement les prix du foncier, des logements et des loyers, chassant et fragilisant les habitants modestes de leurs quartiers », explique la Coalition dans un communiqué, dénonçant un salon où les participants « décident sans même nous consulter de changer nos villes, détruire nos quartiers, nos solidarités locales… nos vies pour faire des bureaux, des logements de luxe ou à touristes pour faire de l’argent ».

Yann Döhner, membre de la Coalition à Berlin, affirme qu’il n’a pas de problème à voir le monde de l’immobilier se retrouver « pour boire du champagne et s’autocélébrer. Par contre, la présence de représentants élus du peuple, qui vendent notre foncier, ça, ça nous pose problème ».

« La crise du logement est produite par la cherté du logement, qui est produite par la spéculation immobilière qui se fabrique au Mipim », abonde Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole du DAL. « À Cannes, il y a des gens qui dorment dans des voitures », a aussi rappelé Romain Durand, militant de l’Halem (Habitants de logements éphémères ou mobiles), décrivant une ville entièrement tournée vers le tourisme et mitée par les résidences secondaires.

« Il faut comprendre que la vie de millions de personnes est concernée par les deals qui se font là alors que personne en Grèce n’est au courant de ce qui se passe ici », remarque la militante grecque Eva Betavatzi. « On a ici des entreprises qui se vantent de faire des bénéfices grâce aux expulsions des personnes pour impayés », souligne-t-elle. L’État grec présent au Mipim sous la bannière « Enterprise Greece » veut, selon elle, marchandiser tout le territoire grec, des îlots pas encore urbanisés aux quartiers populaires qu’il reste à gentrifier.

Interrogé sur la présence de ces militants aux abords du Mipim, le ministre du logement Olivier Klein, qui est venu faire un rapide tour pour rencontrer différents acteurs de l’immobilier, défend l’importance de sa présence à lui ici : « Les promoteurs sont acteurs du logement et nous avons besoin de construire, c’est pour cela que je viens au Mipim. » Il rappelle aussi que « la moitié des logements sociaux est réalisée par des promoteurs… Le logement doit faire l’objet d’une union sacrée. Quand je vois des maires ici aussi nombreux, c’est encourageant. »

Les militants de la Coalition européenne se sont donné rendez-vous pour une journée d’action dans toute l’Europe le 1er avril, afin de protester contre les politiques qui nourrissent le mal-logement.

Lucie Delaporte


Une « fabrique mondiale de la spéculation », la ligue des droits de l’Homme dénonce le Mipim à Cannes

La ligue des droits de l’homme et la Coalition Européenne d’Actions pour le droit au logement et à la ville s’opposent fermement au Mipim, marché international des professionnels de l’immobilier, se déroulant jusqu’à jeudi à Cannes. Ils dénoncent une « fabrique mondiale de la spéculation ».

 un article signé Solène Gressier  publié dans Nice Matin du 14/03/2023
Malgré leur interdiction de manifester, les membres de La Ligue Des Droits de l’Homme et la Coalition Européenne d’Actions pour le droit au logement et à la ville ont déambulé sur les Allées, à Cannes, pour protester contre le Mipim.

S’il y en a bien un qui ne souhaite pas dérouler le tapis rouge aux plus grands professionnels de l’immobilier, c’est bien Henri Rossi. Le vice-président de la section Cannes – Grasse de la Ligue des droits de l’homme a profité, ce mardi, du premier jour du Mipim, le salon annuel qui façonne l’avenir du marché immobilier au Palais des Festivals, à Cannes, pour organiser une conférence de presse en collaboration avec la Coalition Européenne d’Action pour le droit au logement et à la ville. Tous s’opposent fermement à l’événement, réunissant près de 30.000 personnes. « À Cannes, il y a des gens qui vivent dans leur voiture ! Il faut quand même le savoir alors que nous sommes dans la région de l’argent. »

« Une fabrique mondiale de la spéculation »

Que dénoncent-ils? Les membres de la Coalition Européenne d’Action pour le droit au logement et à la ville expliquent: « Si le Mipim est une fabrique mondiale de la spéculation à laquelle se mêle trop souvent corruption et blanchiment, les salons de l’immobilier en sont les grossistes voire les détaillants. Ils diffusent le même message, draguant les petits investisseurs pour les pousser à se lancer dans l’exploitation des locataires. » Ce à quoi Henri Rossi ajoutent: « Lorsque l’on commence à privilégier l’argent à la qualité de la construction, il peut arriver n’importe quoi en cas de sinistre… En Turquie, on a vu ce que cela a donné. »

Selon Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de l’association Droit au logement : « On dit souvent que la ville se construit sur la ville. C’est faux, la ville se construit sur les quartiers populaires. »

Leur conférence de presse s’est suivie d’une déambulation sur les Allées avec une affiche sur laquelle nous pouvions lire « What are you doing at the Mipim? » (Que fais-tu au Mipim?, en français). « Nous n’avons pas obtenu l’autorisation de manifester devant le Palais des festivals », dénonce Henri Rossi.

Le PCF monte aussi en créneau

Trois jours avant le démarrage du Mipim, samedi dernier, Dominique Henrot, responsable de la section du PCF Cannes – Mandelieu, s’était également insurgé. Le salon, « grand raout international de la construction » pendant lesquels « constructeurs, promoteurs et hommes d’affaires du monde entier » tiennent des « échanges fructueux », n’est autre qu’une « sorte de provocation quand on connaît la situation du logement ».


Droit au logement : au Mipim de Cannes, cachez ces militants qui font tache

Des défenseurs du droit au logement ont été empêchés de tenir une conférence de presse devant le Palais des festivals à Cannes, où se tient le Marché international de l’immobilier jusqu’à vendredi. La spéculation immobilière est pourtant la première responsable de la crise du logement qui sévit en Europe, selon eux.
Un article signé Eve Szeftel publié dans Libération du 15 mars 2023 …

Les militants de la Coalition européenne d’actions pour le droit au logement et à la ville sont-ils si dangereux, leur message si subversif, qu’il faille leur interdire de se réunir ? Le mardi 14 mars, une poignée d’activistes de cette coalition qui réunit 35 collectifs de 22 pays européens avait prévu de tenir une conférence de presse face au Mipim, le salon international de l’immobilier qui se tient comme chaque année à Cannes à la mi-mars. Rendez-vous était fixé au 1, boulevard de la Croisette, face au Palais des festivals – dont la façade était couverte pour l’occasion d’une immense affiche proclamant : «Invest Saudi», soit «Investissez en Arabie saoudite». Mais cela, cette invitation à placer des fonds dans le pays du journaliste Jamal Khashoggi, assassiné au consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul en 2018, dans le pays où trois membres d’une tribu s’opposant à leur expulsion pour construire Neom – ce projet de mégapole futuriste à 500 milliards de dollars dans le désert – ont été condamnés à mort en octobre dernier, personne n’y a trouvé à redire. En revanche le Préfet des Alpes Maritimes a pris un arrêté interdisant toute manifestation sur la voire publique pour toute la durée du Salon …


« Le logement cher rapporte aux spéculateurs, à l’État et aux collectivités territoriales»

À quelques jours de la fin de la trêve hivernale (des expulsions), et du deuxième passage de la loi Kasbarian qui criminalise les locataires pauvres, Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de l’association Droit au logement, revient sur toutes les résistances à construire contre la spéculation immobilière.  Un entretien signé Robert Pelletier dans Hebdo L’Anticapitaliste n°654 daté du 23 mars 2023
Jean-Baptiste Eyraud. Crédit Photo /Martin Noda / Hans Lucas/

Tu viens avec la Coalition européenne d’actions pour le droit au logement et à la ville de manifester devant le Marché international des professionnels de l’immobilier (MIPIM), quels en étaient les enjeux ?

Tous les ans à la mi-mars depuis 1990, les milieux de l’immobilier, promoteurs, investisseurs et collectivités publiques viennent du monde entier, surtout d’Europe, pour organiser la spéculation immobilière dans les grandes agglomérations et les secteurs touristiques1. Les élus viennent vendre leur « grands projets » d’urbanisme qui sont en réalité des programmes d’épuration sociale des quartiers populaires. C’est ainsi que le foncier public, notre bien commun, est privatisé pour faire de l’argent, alimentant la spéculation foncière et immobilière, et surtout la cherté du logement, cause première de la crise du logement. C’est pourquoi nous avions décidé d’interpeller les maires dans différentes villes d’Europe, et de nous rendre à quelques-unEs devant le MIPIM pour dénoncer cette fabrique mondiale de la spéculation et de la crise du logement, produite par l’alliance entre les élus de tous bords qui trahissent l’intérêt commun, les promoteurs prédateurs et les grands groupes financiers qui gèrent l’argent des riches.

Nous avons été accueilliEs par un arrêté préfectoral d’interdiction de manifester aux abords de cette foire qui rassemble près de 30 000 participantEs, signe qu’on les dérange. Eh bien nous y retournerons l’an prochain, cette fois plus nombreuxEs et bien décidéEs à interpeller et mettre à l’index ce petit monde qui exploite à outrance le besoin humain essentiel d’être logé décemment.

Peux-tu (re)donner quelques éléments sur la réalité du mal-logement en France ?

Nous connaissons depuis un demi-siècle en France une aggravation constante de la crise du logement. Celle-ci prend sa source dans la dérégulation progressive des rapports locatifs engagée dans les années 1970 qui a entraîné une hausse progressive — spectaculaire ces dernières années — des prix immobiliers, fonciers et locatifs. Elle s’est renforcée avec la délégation des politiques d’urbanisme aux collectivités territoriales via la loi de décentralisation.

Notre pays compte désormais entre 350 000 et 400 000 sans-abris, bien que le droit à un hébergement jusqu’au relogement soit inscrit dans la loi. Il est évidemment bafoué, comme tous les droits conquis ces 30 dernières années, fruits des luttes des mal-logéEs. Il en est de même pour la loi DALO — Droit au logement opposable — et les nombreuses lois qui fixent les rapports locatifs telles que l’encadrement des loyers, le gel des loyers à la relocation, les normes de décence… En effet, la fraude est massive dans le secteur locatif privé qui loge plus d’un ménage sur cinq, mais il n’y a pas de contrôle. Les sanctions sont difficiles à activer, car dans la plupart des cas c’est au locataire de saisir le juge, alors qu’il faudrait un service public de contrôle, habilité à sanctionner les bailleurs fraudeurs. En effet, il faut une bonne dose de courage pour assigner son bailleur au tribunal.

Mais la crise ne s’arrête pas là : les demandeurEs de HLM sont 2,2 millions, alors que l’on construit de moins en moins de logements sociaux à bas loyers. Le logement est un poste de dépense toujours plus élevé dans le budget des ménages, contraignant les locataires les moins riches à faire appel à la solidarité alimentaire et aboutissant à une augmentation sans fin des expulsions locatives. D’autre part, 3,1 millions de logements sont vacants selon l’INSEE sans que l’État ne conduise la moindre politique pour les mobiliser, à commencer par la réquisition. Dans ce contexte de crise grave du logement, le gouvernement pousse à la démolition de logements sociaux pour gentrifier les quartiers populaires et soutient les grands projets urbains. Le logement cher rapporte non seulement aux spéculateurs mais aussi à l’État et aux collectivités territoriales.

Quel est l’impact de l’inflation sur le prix des loyers ?

Le gouvernement a été contraint cette année de limiter la hausse des loyers à 3 %, mais la quittance a augmenté au-delà de 3 %, car les charges tirées par les prix de l’énergie n’ont pas été encadrées. L’inflation sur l’énergie et la santé ont amputé lourdement le pouvoir d’achat des locataires, voire des primo-accédants à la propriété modestes.

La loi Kasbarian vient d’être votée au Sénat…

Cette proposition de loi vient criminaliser les occupantEs sans titres de locaux d’habitation ou à usage économique vacants, les condamnant à 3 ans de prison et 45 000 euros d’amende, alors que le nombre de logements et de locaux vacants est en hausse constante. De plus l’expulsion administrative, c’est-à-dire sans passer par le juge et en 48 heures, est étendue à l’occupation de logements vacants. Cette loi, déjà adoptée en première lecture à l’Assemblée puis au Sénat, vise aussi les salariéEs qui occupent leur lieu de travail ou le parking de l’entreprise sur lequel ils organisent un piquet de grève.

L’alliance de Renaissance avec LR et le RN criminalise les locataires qui se maintiennent dans leur logement à l’expiration des délais de la procédure judiciaire, les condamnant à 7 500 euros d’amende. Elle réduit considérablement les délais et les procédures. L’objectif est clair : expulser les locataires en difficulté beaucoup plus rapidement, voire les contraindre à « s’auto-expulser », afin de rassurer les investisseurs. Il s’agit de démanteler le peu de protection dont bénéficient encore les locataires, jugée encore trop excessive par les gestionnaires du capital représentés par Kasbarian.

Cette loi est le fruit d’une campagne antisquats et antilocataires lancée sur les réseaux sociaux et les médias libéraux par les milieux immobiliers avec mensonges ou situations exceptionnelles montées en épingle, telles que ce locataire parti aux Bahamas plutôt que de régler son loyer ou ce jeune couple qui, selon le Parisien, découvre que la maison qu’il vient d’acheter est occupée par une famille avec enfants (ce couple a obtenu une ristourne de 30 % sur le prix de la maison car elle était occupée). C’est pourquoi nous appelons à manifester à partir de 12 h, le 29 mars à proximité de l’Assemblée, car cette loi brutale sera examinée à nouveau par les députés.

À quelques jours de la fin de la trêve hivernale, quels risques sont pour les locataires ?

À partir du 1er avril, les expulsions pourront reprendre, et il faut s’attendre à des mises à la rue en grand nombre, dans un contexte de saturation des dispositifs d’hébergement, dont beaucoup vont fermer à cette période. Il faut donc s’organiser dans les quartiers, faire connaître les menaces d’expulsion, construire des mobilisations locales, interdire les expulsions et privilégier le relogement. Les coupures d’énergie vont aussi reprendre. Il faut résister d’autant plus que la hausse des prix de l’énergie a forcément un impact sur les ménages pauvres soumis à des loyers chers, des baisses d’APL, des hausses de charges : c’est la triple peine ! Pour ces raisons et pour le retrait de la proposition de loi Kasbarian, nous manifestons le 1er avril dans de nombreuses villes en Europe et en France. À Paris c’est à 15 h à Bastille.

Avec la crise de l’immobilier de bureau, comment les agents du secteur envisagent de restaurer leurs profits ?

Le milieu immobilier se tourne désormais vers le logement. Ce n’est pas un hasard si une des conférences du MIPIM s’intitulait : « Crise du logement : nouvelle donne et nouvelles opportunités pour les investisseurs ? » Tout est dit : vive la crise du logement ! Ça fait monter les prix et les loyers, donc la rentabilité de l’investissement, et permet de développer des pratiques à la marge de la légalité. Au passage, cela fait rentrer des recettes fiscales historiques dans les caisses de l’État et des communes. C’est là que réside une des principales causes de cette crise. 88 milliards de recettes fiscales en 2021 tirées du logement cher, jamais autant. Contre 37 milliards de dépenses, jamais aussi peu.

Peux-tu donner quelques éclairages sur les aspects internationaux de la question du logement ?

Toute la planète est soumise à la spéculation immobilière et foncière, à mesure que la population augmente et que l’exploitation du besoin essentiel de se loger devient un eldorado, source de profits inépuisables. L’Europe n’est évidemment pas épargnée, et l’Europe de l’Est est un des terrains de jeux des spéculateurs. À propos du séisme en Turquie et en Syrie qui a fait de très nombreuses victimes, rappelons que la construction est de mauvaise qualité et se rapproche d’une forme d’obsolescence programmée. C’est la même chose dans de nombreux pays. Des mobilisations et des résistances commencent à émerger. Je suis convaincu que des luttes importantes vont jaillir ces prochaines années : un toit c’est un droit !

Propos recueillis par Robert Pelletier


Reportage : lutter contre la spéculation immobilière et le manque de logements au Pays Basque

« Notre population doit pouvoir continuer à vivre là où elle est née. » Focus sur les actions menées par la Communauté Pays Basque. Cette agglomération de 158 communes fait face à une très forte attractivité. Conséquences : les prix à l’achat sont très élevés (jusqu’à 10 000 euros du mètre carré) et les biens à la location à l’année se font rares à cause de la multiplication des meublés touristiques (Airbnb…). La collectivité a activé différents leviers pour tenter d’enrayer la situation et souhaite que l’État permette aux territoires concernés de mieux réguler ce type de situation. Un reportage vidéo réalisé par Territoires audacieux.

Plusieurs milliers de personnes dans la rue pour des logements accessibles au Pays basque

Par AFP et La Provence du 1er avril 2023

Manifestation pour dénoncer "les effets néfastes" d'un marché immobilier devenu inaccessible pour les habitants du Pays basque, le 1er avril 2023 à Bayonne
Manifestation pour dénoncer « les effets néfastes » d’un marché immobilier devenu inaccessible pour les habitants du Pays basque, le 1er avril 2023 à Bayonne

Environ 3.500 personnes, selon les organisateurs et la police, ont défilé ce samedi dans les rues de Bayonne pour dénoncer « les effets néfastes » d’un marché immobilier devenu inaccessible pour les habitants du Pays basque.

Les manifestants, réunis à l’appel de la plateforme Se loger au pays, constituée de 32 associations, syndicats et partis politiques, réclament une « régulation » du marché local et des « évolutions législatives et des politiques en faveur du logement pour toutes et tous ».

« Quand on était jeunes, on réussissait à se loger sans problème, mais aujourd’hui je suis solidaire des jeunes quand je les entends », assure Mikele Lucu, 68 ans, présente dans le cortège, réclamant « des règles » contre la spéculation immobilière.

En dix ans, la population du Pays basque a augmenté de 9,6% avec une hausse importante, en parallèle, du nombre de résidences secondaires et de locations saisonnières.

Manifestation pour dénoncer
Manifestation pour dénoncer « les effets néfastes » d’un marché immobilier devenu inaccessible pour les habitants du Pays basque, le 1er avril 2023 à BayonnePHOTO AFP / GAIZKA IROZ

Chaque année, 3.000 nouveaux arrivants s’y installent, essentiellement sur la frange littorale et ses environs, alors que le prix du m2 a augmenté de plus de 35% en quatre ans, avec des pics de 8 à 10.000 euros le m2 dans des villes comme Biarritz ou Saint-Jean-de-Luz.

Dans la foule, des banderoles aux messages comme « taxez les millionnaires, pas les locataires » ou « tourisme trop envahissant, on veut pouvoir vivre chez nous », s’affichent, en ce jour de fin de trêve hivernale et de journée européenne pour le droit au logement.

Dans leur viseur, la « prolifération » des meublés de tourisme, mais aussi des résidences secondaires, qui représentent 21% du parc immobilier de la zone.

« Il faut empêcher que les habitations soient confisquées à ceux qui font vivre le Pays basque », estime Maialen Errotabehere, membre de la plateforme organisatrice du rassemblement.

Les manifestants réclament en parallèle un encadrement des loyers et une production accrue de logement social, face au manque actuel.

Manifestation pour dénoncer
Manifestation pour dénoncer « les effets néfastes » d’un marché immobilier devenu inaccessible pour les habitants du Pays basque, le 1er avril 2023 à BayonnePHOTO AFP / GAIZKA IROZ

« Vous devez agir vite pour ce droit qui n’est pas négociable », a commenté Denis Luthereau, membre de la fondation Abbé Pierre, s’adressant aux élus. Le levier de la fiscalité est notamment évoqué par de nombreux acteurs du logement.

Les meublés de tourisme bénéficient aujourd’hui d’un régime fiscal qui permet un abattement de 50 à 71% du montant des revenus locatifs. Une proposition de loi visant à les en exclure a été déposée le 15 février par deux députés socialistes des Pyrénées-Atlantiques et des Landes, Iñaki Echaniz et Boris Vallaud.

La fondation Abbé Pierre estime que le nombre de personnes à la rue a doublé en huit ans sur le territoire. « Et ça ne prend pas en compte les gens qui sont logés chez des amis, dans la famille, ou qui font des colocations », selon son porte-parole Jean-Pierre Voisin.

En novembre 2021, une manifestation au mot d’ordre similaire avait rassemblé entre 6.500 et 8.000 personnes à Bayonne.

A suivre …